Résumés
Résumé
Cet article se veut une lecture attentive de l’installation The Photographer de David Tomas (1950–2019) telle que présentée lors de l’exposition Aurora Borealis (Montréal, 1985) ainsi que son itération subséquente dans la revue SubStance (1986). À partir de documentation photographique, de documents d’archives, d’entretiens et d’une revue sélective de la littérature, le texte pose — de façon performative — la question du retour sur l’oeuvre par l’écriture dans un contexte posthume.
Abstract
This article presents a close reading of the installation The Photographer by David Tomas (1950–2019) as presented during the exhibition Aurora Borealis (Montreal, 1985) as well as its subsequent iteration in the journal SubStance (1986). Based on photographic documentation, archival documents, interviews, and a selective literature review, the text poses—in a performative way—the question of returning to the work through writing in a posthumous context.
Corps de l’article
It’s not substances ghosts are hungry for, but time—a metronomic immersion to break the vast gray vague of eternity. Out of glowing screens they reach, lusting for time[2]
catch a falling star and put it in your pocket, save it for a rainy day, catch a falling star and put it in your pocket, never let it fade away[3]
Entrer dans l’atelier de David Tomas nécessitait d’enjamber des catalogues de ventes aux enchères au sol, de se frayer un chemin parmi les oeuvres accumulées, exposées, emballées, adossées aux murs, déposées sur des tables et d’éviter les rebords tranchants de structures d’aluminium ou de tables de verre. Ne rien abîmer au passage (une figurine de pêcheur des îles Andaman, des camera lucida, des épreuves argentiques anciennes). Depuis sa disparition, l’atelier fut réorganisé et la trajectoire d’une pensée condensée à quelques mètres linéaires d’archives.
« People today don’t have time to read », constatait David Tomas en parlant des limites de sa propre expérience[4]. Au moment de dire ces mots, il travaillait néanmoins à la conception d’une série de bibliothèques cellulaires (cellular bookcases). Ces réceptacles conçus sur mesure pour accueillir un, deux ou plusieurs livres mettaient en scène des rencontres improbables d’ouvrages importants ayant marqué sa pensée — tel un dispositif de retour sur celle-ci — ne donnant accès qu’à leur dos.
Je replace minutieusement chaque document dans sa pochette à pH neutre. Je me remémore ces signes d’inquiétude dans les gestes de David Tomas, qui fut mon professeur, lorsqu’il me confiait des photographies anciennes de sa collection afin que je les numérise et les intègre à ses montages vidéo.
C’est en manipulant les archives, les photographiant afin de pouvoir les observer plus tard, à l’écran, les agrandir, les scruter, que je suis saisie par l’interruption de sa voix.
1
–This is Aurora Borealis?
–Actually it’s hard to tell...
–Is it … The Photographer?
La documentation photographique de l’installation The Photographer, présentée par David Tomas lors de l’exposition collective Aurora Borealis[5] en 1985 montre un espace plongé dans l’obscurité. Le périmètre de l’espace, dont les parois et le plafond sont recouverts de peinture noire, n’apparaît que grâce aux inscriptions contrecollées aux murs. Des citations et énoncés reproduits à l’encre phosphorescente cernent la circonférence de l’espace clos et fragmenté, plongé dans une obscurité partielle sous un éclairage de lumière noire. Le corps qui entre dans cet espace, à l’intersection de la chambre noire, du dispositif de contrôle, de surveillance[6] et de l’after party, y exhibe ses phosphorescences.
L’installation se découpe dans l’obscurité; un circuit de texte phosphorescent et de traits violacés obliques (tubes fluorescents) en rend perceptible la structure complexe difficile à saisir dans son ensemble par fragments photographiques. Au bout du parcours, en forme d’entonnoir, le·la visiteur·euse fait face à une structure de miroirs qui double les éléments dans l’espace. Un moniteur retransmet le contenu visuel capté par une caméra en circuit fermé dont l’emplacement m’échappe. Je reconnais la silhouette de David Tomas sur une des photographies de l’installation, de dos. Sur une autre image, les miroirs réfléchissent l’appareil photo grand format sur trépied de Denis Farley.
2
in the gap between a past and a future
On m’envoie en pièce jointe d’un texto la photographie d’un article photocopié rédigé par David Tomas[7]. En tête de page, un portrait illisible : le profil d’un homme dont ne subsistent que les genoux et le dessus du crâne, chauve, avec en légende : « photo : the artist ». Puis, on me transmet une version de cette même image, nette cette fois, et imprimée sur papier glacé. L’homme assis tient l’objectif d’un vieil appareil photo dont le boîtier est posé sur une table.
L’article traite de technologie de surveillance CCTV, ou télévision en circuit fermé, l’un des dispositifs qui a été intégré à The Photographer. La fixité de l’image affichée sur le moniteur s’apparente à celle de l’image photographique (sauf lorsqu’un corps passe devant la caméra). Tandis que le support photographique conserve de façon relativement permanente l’image du temps révolu, les réflexions que renvoient le miroir et le flux de la télévision en circuit fermé s’inscrivent dans l’expérience perceptive en cours.
3
also the piece was dedicated to Robert Capa who died in Indochina
L’accès à The Photographer est double. Quelques mois après l’exposition Aurora Borealis, l’oeuvre prend la forme d’une séquence de huit pages insérée dans la revue SubStance (1986)[8]. En consultant les archives, je découvre que cette version fut élaborée en amont de l’installation présentée à Aurora Borealis. Dans les pages de SubStance, le titre, oblique, surplombe une dédicace inversée : To R. C. La référence demeure obscure. David Tomas en fera part à Monika Kin Gagnon lors d’un entretien en 1987[9]. Elle sera aussi divulguée dans une lettre datée du 7 janvier 1984, envoyée à la graphiste Anne Delson, qui en réalisa la mise en page.
R. C. is Robert Capa. Take care love Dave[10]
4
you have to develop some kind of a new way of looking at stuff
Le 50e numéro de SubStance s’ouvre avec le retour réflexif de l’un des éditeurs, Michel Pierssens, sur les quinze premières années du périodique[11]. Sa visée — l’import dans les cercles universitaires anglo-américains de la French Theory, entre langage et psychanalyse — est déclarée comme étant partiellement atteinte. Toutefois, Pierssens énonce ses craintes en constatant l’usage intéressé de la déconstruction et la rareté d’initiatives indépendantes — comme le fut SubStance à ses débuts. « This is all part of growing old[12] », écrit-il. Les voix des contributeur.trice.s de ce numéro de 1986 s’articulent autour des noms de Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Jacques Lacan, mais aussi de George Orwell, du Marquis de Sade ou Prométhée. Dans cet enchevêtrement disciplinaire, The Photographer s’insère entre un texte qui porte sur des enjeux de normes et de pratiques sexuelles dans une perspective psychanalytique et un rapport du Collège international de philosophie.
« David Tomas is an artist who has had several exhibits in Montreal. He is at present completing a book on the archeology of photography », lit-on à la fin du numéro[13]. Or, dans le résumé biographique que David Tomas compose deux ans plus tôt pour la revue Parachute (1984), sa position oscille entre deux champs particuliers :
From his earlier paintings, which borrowed elements from the history of physics, to his more recent exhibitions, where the question of photography as a socio-cultural process is indissolubly tied to a criticism of the anthropological viewpoint, the works of David Tomas cross two very distinct fields: the artistic and the scientific[14].
Alors que l’invention du photographique comme objet théorique marque la décennie[15], Tomas déplace le coeur de la réflexion — alors axée sur la réception — sur le processus de production.
5
my very early works have to do with how you display knowledge
Dans une entrevue accordée à Alberto Cambrosio, sociologue des sciences qui enseignait alors à l’Université du Québec à Montréal, David Tomas parle de sa pratique photographique en termes d’espace « négatif ». Il précise : « ce geste de négation joue, alors, le jeu du pouvoir (de la légitimation) dans la mesure où le pouvoir de légitimation se joue toujours par rapport à un non-savoir qui, par définition, est hors champ[16] ». Ni artiste ni universitaire ou, mieux : et artiste et universitaire, il adopte la posture intermédiaire du photographe, réunissant un regard anthropologique, artistique et photographique[17].
6
it is just shattered
Dans l’espace de l’exposition tout comme dans les pages du périodique, The Photographer se compose d’un agencement de fragments textuels et visuels qui s’apparente au mouvement figé d’une déflagration. Explosion autour de laquelle les constellations référentielles résistent à l’autorité de la narration historique et à toute illusion de continuité.
L’obscurité de la pièce donne à penser, cache la règle de son jeu, invite au retour.
I get lost just as much.
Contrecollées au mur, les références sont exhibées au seuil de l’espace de l’installation, avant même que l’on puisse en faire l’expérience.
7
so the symbolic ancrage is a lynch pin
L’épitaphe s’articule normalement au lieu de la sépulture par le déictique de position. Ci-gît. Ici repose. Or, l’épitaphe du photographe inconnu composée par Tomas est non seulement sans corps, elle est également libérée de sa réalité historique et déplace la fonction performative de l’énoncé associé au lieu.
8
But lynch pin is almost unattainable
L’oeuvre est complexe, et les ficelles invisibles. Dans son entretien avec Monika Kin Gagnon, Tomas revient sur l’impossibilité de documenter l’espace de l’installation : « the architecture is not defined anymore. It is only defined in terms of language. So you’re controlled solely in terms of language—moving around the space[20]. »
L’anglais, le français et le russe composent les différentes voix — sous forme de caractères typographiques décalqués directement sur les murs (letraset) —, un peu comme des chants, ou des fragments de chants dans la nuit. Tandis que la part des extraits rédigés en français se rapporte à l’ouvrage Pompes funèbres de Jean Genet, les extraits en russe proviennent de poèmes de Maïakovski et d’Eisenstein, et la langue anglaise se rapporte à celle du photographe — et de l’artiste.
La pièce s’organise ainsi autour de l’idée d’un espace acoustique qui se confond avec le texte. L’organisation rythmique introduite par le jeu typographique bouleverse l’appréhension linéaire de l’espace — de la page et de l’exposition, dont l’emprunt aux avant-gardes russes est manifeste. Si la dispersion des énoncés rappelle la déflagration, l’installation délimite une joute de voix entre le vacarme du fracas et sa mise en sourdine[21].
9
the piece is very complicated. It deals with Genet and it deals with some photographs of a soldier—taken by a soldier—in India sometime between 1914 and 1918, I think
Pompes funèbres est structuré autour du cadavre du jeune amant de Genet, Jean Decarnin, tué par un milicien le 19 août 1944 alors qu’il a 20 ans. L’ouvrage s’ouvre sur le rituel collectif de son enterrement. Si le monument pour le soldat inconnu, auquel fait explicitement référence l’oeuvre de David Tomas, transforme par son énoncé-épitaphe le soldat en symbole, l’écriture de Genet va précisément à l’encontre de cette instrumentalisation de la mort qui en élimine la singularité. L’oeuvre érige un contre-monument. En s’ouvrant sur la procession funéraire de Jean, l’ouvrage met au premier plan la performativité de la forme cérémonielle. Genet fait s’entrechoquer l’enchaînement des gestes reproduits qui valident le rituel et la douleur du narrateur devant la désincarnation cérémonielle.
« Quelqu’un chargea des couronnes de fleurs le fourgon comme on engrange des bottes de foin. C’était sordide[22]. »
La présence, spectrale, du défunt est embrassée[23].
L’installation The Photographer isole deux passages du texte de Genet. Le premier extrait circonscrit le périmètre de l’espace obscur et établit la relation entre le sujet et son dispositif (arme / appareil photo) qui le définit. Lors du cortège funèbre initial, on joue de l’harmonium, on observe un moment de silence, on jette des fleurs. Quels gestes poser en présence du défunt ? Quels gestes opportuns poser dans la douleur de la mort de l’ami ?
Le second passage extrait est mis en espace sous la forme d’un bloc texte inversé et comprimé en trapèze. Une série de substitutions sont opérées dans la dernière scène du livre : la petite bonne devient Caporal Marsh; la simple marguerite, un chrysanthème — plus directement lié à l’ornement des tombes; la jambe se balançant devient l’objectif de l’appareil photo / oeil de cristal; le tapis râpé, un parquet de bois franc; la fillette de la bonne se confond avec une soldate inconnue, au corps marqué par les chenilles d’un char. À la solennelle marche funèbre de l’introduction, cette partie du texte oppose le geste modeste et intime de la bonne qui dépose une fleur — déjà fanée — sur le cadavre de son enfant, morte. La question du geste opportun en contexte funéraire est posée.
David Tomas ajoute un élément ambigu à la narration :
« the metal click ».
Ce bruit de déclenchement pourrait faire référence à la fois au mécanisme d’une arme ou à celui d’un appareil photo, les deux se confondant à nouveau.
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so the whole piece has to do with death
Les deux clichés rephotographiés et reproduits dans The Photographer sont des photographies trouvées, prélevées, extraites d’un contexte original perdu[24]; retour implicite sur une enfance marquée par l’apparition et la disparition des objets liées au métier d’antiquaire des parents de Tomas :
where we used to live, basically everything in the house was for sale and it was a constant shuffle of objects coming in and out. And also my parents would go on trips and come back with stuff they would put on a little table […]. The family was oriented towards discussions about provenance—interested in knowledge in artefacts[25].
Le photographe inconnu en extrapole des légendes, qu’il inscrit au verso et qui concernent deux conditions à partir desquelles l’image photographique apparaît. La première vise la manipulation technique, celle de l’appareil par le photographe, et la seconde, d’ordre culturel, concerne la perspective de l’image, lue depuis l’expérience vécue. Alors que le geste photographique vise un futur, regarder une image photographique implique le retour. La rephotographie compresse ainsi en une même image ces visées inversées, nous forçant à regarder ce passé — et donc ce présent — autrement, entre redoublement et déphasage. L’enjeu du geste photographique ainsi redéfini est avant tout épistémologique.
Dans une installation qui préfigure The Photographer intitulée Experimental Photographic Structure (1980)[26], David Tomas emprunte à Roland Barthes[27] la notion de photographie brute[28], qu’il transforme et met en jeu afin de parvenir au degré zéro de l’image. Le résultat, nommé « ideologically complex brute photograph », consiste en une plage blanche, dénuée de toute information autre que celle de la saturation de la pellicule photosensible par la lumière. Or, l’image monochrome est inscrite dans un système complexe de production et de réception de l’image. Diana Nemiroff soulève l’enjeu temporel associé au geste :
the problem he wished to resolve through the brute photograph was that of “the gap between the mental construction of permanence and the visual disjunction between momentary states” normally felt in the photographic image. Indeed, it would seem that in the “imageless” photograph, that is, one which reproduce pure light, there can be no contradiction. The imageless photograph is not of nothing but of something, that being light. Instead of being used to reflect upon something else, to illuminate, it has become both agent and subject, and is thus transparent, referenceless[29].
L’unique énoncé de l’installation rédigé par David Tomas est l’épitaphe : Epitaph for the tomb to the unknown photographer[30]. Tels les restes non identifiés d’un soldat inconnu, auquel l’intitulé fait référence, les origines des images exposées ne peuvent être retracées. La notion d’inconnu est au coeur de l’oeuvre.
Corps égaré. Photographies trouvées. Photographe sans tombe. Unknown photographer. Aux noms propres gravés sur les tombes photographiées de la guerre se juxtaposent ceux des photographes. Corps perdus, noms inconnus.
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and then there is an intense sensuality
J’ai retrouvé les deux tirages originaux en consultant le fonds d’archives[31]. La différence entre les deux images, découpes d’un paysage en haute altitude, se situe dans l’écart entre le moment capté, la durée de la prise de vue et l’orientation de l’objectif. Une empreinte digitale se superpose au paysage du lever du jour. Ce détail est perdu dans la reproduction.
« Comment surprendre le secret de la disparition des choses ? » demande Genet. « En se retournant très vite ?[32] »
Après coup, au verso de l’image révélée, le photographe inconnu note les conditions de la captation. La prise est expérimentale, l’exposition « réussie ». Le modèle compact et pliable de l’appareil photographique Kodak 1A précède le fameux modèle autographique qui permettra aux militaires d’écrire directement sur le négatif. La trace au graphite au dos des images s’ajoute en termes de contact à celui de la lumière sur la pellicule.
Les strates de la spéculation s’accumulent : aux images photographiques latentes s’additionne leur inscription dans la constellation de références de l’installation. La mort de l’auteur s’ajoute comme couche supplémentaire, et nous oblige à spéculer à partir des fragments.
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the soldier is not defined by anything but his weapon. When he doesn’t have a weapon he’s no longer a soldier
The Photographer intervertit la place du visuel et du textuel — déplaçant la légende de l’image à l’avant-plan.
It gives you an idea of how can we stand and look down on clouds[33].
La fonction énonciatrice s’articule à ces mots adressés dans l’intimité de la relation entre le photographe et son.sa destinataire; mots qui précèdent / annoncent / la mort de leur auteur entre les conditions techniques et l’expérience perceptive.
He died for his role. L’écusson fait de l’homme un caporal, l'appareil photo fait du militaire un photographe. Taken while on guard by Cpl Marsh. Le photographe en service, occupe — au minimum — deux rôles à la fois. Celui de caporal et de photographe; ou ni celui de caporal ni celui de photographe.
David Tomas insiste sur cette superposition, au croisement de ces deux rôles. L’officier observe les nuages, tandis que l’oeil de verre condense et inverse l’image du paysage sur la pellicule photosensible. Le rôle du photographe opère dans et par l’inversion. Tel ce soldat qui ne porte plus d’arme, il prend la place du photographe sans procéder à l’acte photographique.
13
If you invert everything you finally disrupt an eye; the witnessing eye, the seeing eye, the eye that actually creates the narrative history—you not only destroy historical narrative you also plunge history into darkness
Les deux photographies exposées dans The Photographer marquent l’intervalle nocturne : Sunrise, 4 am, 15 sec.; Moonlight, 11 to 11.40 pm.
14
sink and sink and sink and sink and never get to a bottom
Deux points de vue en altitude qui captent la cime des arbres et le ciel. Ici, le geste photographique ne participe pas à l’enregistrement des événements marquants et ne montre ni cadavres dépecés, mutilés, ni villages en ruine. Les images photographiques produites échappent à tout service, ne peuvent être reprises par les médias. Le temps de la prise de vue, la relation entre observation et autorité est mise en suspens. Caporal Marsh observe les nuages.
while on guard, en / hors service, this gives you an idea of how we can stand and look down on the clouds.
15
taken by a soldier in India sometime between 1914 and 1918. I think
Le photographe annote le dos de l’image.
Not a Fake.
Il se désigne à la fois par son grade, celui de caporal, son nom, Marsh, et son diminutif, Jimmie, le diminutif de James. Le caporal William James Marsh, n° 2027, du 2e bataillon du régiment de Manchester est décédé le 14 septembre 1914 à 21 ans, fils de William J. et de Louisa Marsh, 19, rue Barnardo, Londres. Son nom figure au mémorial britannique de La Ferté-sous-Jouarre, en France, érigé en mémoire des 3888 officiers et soldats disparus sans tombe entre août et octobre 1914.
Jimmie offers this film if you would like it to enlarging.
Le deuxième bataillon ne serait pas allé en Inde. Jimmie, le photographe, est mort, mais ce mémorial de La Ferté-sous-Jouarre ne serait pas le sien.
Deux vues panoramiques d’un même paysage quelconque, en altitude, témoignent d’une durée non marquée par l’évènement; celle de l’observation et de l’anticipation. Le caporal est aux aguets. Sous le titre The Photographer contrecollé au mur de l’exposition, la légende précise que les deux photographies auraient été extraites d’une série de quarante et une images, prises vers 1914–1918, quelque part en Inde, par une ou des personnes. L’officier observe les nuages, tandis qu’il tend l’oreille. L’oeil de verre condense l’image inversée du paysage et marque le silence du guet.
It's like swimming
Or scuba diving
You just float
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they are essentially comprehensible in terms of monocular point of view
Peu de temps après le décès de David Tomas, nous tombons sur deux images tirées de l’installation Krim (Crimea) (1986) d’Angela Grauerholz[34] dans son atelier. Saisis dans un moment de relâchement, des militaires — hommes et femmes[35] — semblent attendre, au repos. Certains corps debout, mains dans les poches, d’autres au sol, étendus dans l’herbe, assis jambes allongées ou croisées, dos relâchés, vêtus de leur épais uniforme militaire de feutre, aux bottes montantes de cuir, indifférents à la présence de la caméra et dans une apparente convivialité[36]. Les deux images sont extraites d’une installation conçue par Grauerholz pour l’exposition de groupe ASA ’86 et comportant dix-sept photographies trouvées et rephotographiées, sans légende autre qu’un titre[37] qui permet de situer la série quelque part en Crimée pendant la guerre (1854–1856)[38]. Des chars passent dans ce qui semble être un camp, désert. Un enfant erre dans les décombres. Un convoi de caravanes se pose. Des chars d’assaut passent. Des militaires se reposent dans l’herbe. D’autres font le guet, en ski, ou attendent en faisant la queue. Un incendie. Vue d’un paysage désert dont la topographie s’apparente à celle de The Valley of the Shadow of Death (1855) de Roger Fenton[39] — sans boulets de canon, anonyme et sans titre. Fenton se garde de photographier les cadavres. Or, la série de Grauerholz n’expose pas la souffrance directement, mais son regard porté sur des images de corps vivants et défunts, d’humains et d’animaux, demeure plus près de l’enquête que du tableau. Si Tomas annexe à son travail une constellation de légendes et de références[40], Grauerholz opère un retour sur les images par l’image. Observer l’image d’un corps gisant dans un fossé avec un cheval, observer l’image d’un corps pendu à un arbre, observer l’image de corps emmêlés dans l’obscurité d’une fosse commune. Encapsulés sous des surfaces réfléchissantes de Plexiglas, les tirages argentiques de Grauerholz compressent les points de vue des photographies auxquelles s’additionne le reflet de qui les observe au présent — ajoutant à l’épaisseur temporelle.
Articulé à ce geste de retour, le geste photographique de Grauerholz creuse les relations entre médias photographiques, modes de production et milieux de réception[41], déplaçant les notions d’authenticité, de reconnaissance[42] et jouant des effets propres à l’intermédialité[43].
Bien qu’il ne soit pas saisi directement par le discours, le retour implicite de Grauerholz sur une histoire familiale intergénérationnelle et sa reprise d’un genre photographique passé relève de l’examen critique, voire de l’auto-analyse. Un collage composé de lettres manuscrites et de photographies de famille conservé avec les épreuves du projet Krim (Crimea) — bien que n’en faisant pas partie — fait parler un soldat défunt :
I was a German soldier during the second world war. When the grenade exploded next to me, injuring my body three times, I lost consciousness/I am twenty years old and I am dying. My grave is in Russia/I no longer exist. I do exist—on photograph and in the memory of my mother/Hundreds were dying with me that day. I miss them./My brother—I don’t know how much he remembers me./He was seventeen. He gets this embarrassed smile on his face when his daughter asks him about me[44].
Par le déphasage des effets, le retour échappe au registre nostalgique auquel il aurait pu être associé en l’absence d’ancrage théorique[45].
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you’ll have—well, hopefully—you’ll have a slippage between what you see and what you hear
En feuilletant The Medium Is the Massage (McLuhan, Fiore et Agel 2008)[46], je retrouve des stratégies de mise en page semblables à celles de Tomas. Une phrase traverse horizontalement plusieurs pages du périodique SubStance. À l’inversion des blocs de textes qui font image, David Tomas rajoute la distorsion de la perspective. Marshall McLuhan et Quentin Fiore postulent : « Until writing was invented, men lived in acoustic space: boundless, directionless, horizonless, in the dark of mind, in the world of emotion, by primordial intuition, by terror[47]. ». Selon les deux auteurs, l’oreille ne favorise pas de point de vue particulier. Nous sommes enveloppés dans un espace acoustique composé d’une superposition de sources sonores multiples.
Your head is controlled in a way that your eyes are not
La voix porte la pensée et fait vibrer le corps, intellectuelle et sensuelle.
I’ll be gone in about five weeks
Comment condenser l’histoire, l’espace et le temps, les questions des limites du savoir ? Devant la disparition imminente du corps et la difficulté du souffle à soutenir la voix, comment poursuivre la conversation ?
C’est dans tes mains maintenant.
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The thing is in reality, really, one never grasps anything anyway
Je tente un abécédaire.
Free association forget it!
Le contenu du travail / de la pensée / résiste à toute classification.
Shut the door, shut the windows!
Si je n’ai pas réussi à diriger nos derniers entretiens avec des questions adéquates, depuis son décès, mes questions se précisent. J’écris à partir de cette absence de réponse, et de l’étude des traces. Dans les photographies, je reconnais ses mains, le bracelet de sa montre, ses bagues. Il me présente les artefacts, les oeuvres.
Vers la fin, sa voix se rapproche du bruit, dont je tente d’extraire les mots.
Je ne lui demande pas de répéter ce que je n’ai pas compris.
I’m not a flower person.
Je lui réponds que les fleurs sont aussi pour M. et N. Comment tendre les mains aux fantômes ?
Écrire avec les spectres ?
Parties annexes
Remerciements
Je remercie Vincent Bonin pour le travail éditorial et le dialogue continu, Sophie Bellissent pour les photographies et les échanges sur le texte en cours d’écriture, Michèle Thériault pour ses relectures attentives, Angela Grauerholz et la Succession David Tomas pour avoir autorisé la consultation des fonds d’archives et la diffusion des images. Merci à Amy Rose et Philip Dombowsky de la Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada ainsi qu’à l’équipe d’Intermédialités.
Note biographique
Sophie Bélair Clément, artiste et docteure en littérature/histoire et critique des arts (Université de Montréal / Université Rennes 2) est professeure à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université du Québec en Outaouais. Elle a codirigé avec Marie Claire Forté I’d rather something ambiguous. Mais précis à la fois (Galerie Leonard & Bina Ellen, 2017) et est l’auteure de Tandis que la fleur d’une hydrangée posée sur le sous-main en cuir résiste à la décoloration (Le Quartanier, 2020).
Notes
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[1]
Les trois sections de ce titre font référence aux sources suivantes : David Tomas, Notes Towards a Photographic Practice, vinyle transparent LP 12”, London (Canada), autopublié, 1983; Susan Howe, Sorting Facts; or, Nineteen Ways of Looking at Marker, New York, New Directions, 2013; et Jean Genet, Pompes funèbres, Paris, sans éditeur, 1948.
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[2]
Je remercie Vincent Bonin de m’avoir suggéré la lecture de Dodie Bellamy, Bee Reaved, Cambridge (Massachusetts), Semiotext(e), 2021.
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[3]
Paroles extraites de la chanson « Catch a Falling Star » (1957) de Perry Como, récitée par David Tomas lors d’un entretien avec Monika Kin Gagnon réalisé à l’occasion de l’exposition Elementa Naturae au Musée d'art contemporain, Montréal, commissaire Michiko Yajima, 7 juin–6 septembre 1987. Toutes les insertions en italique et en gras en tête de paragraphe dans le texte sont tirées de cet entretien et de conversations téléphoniques entre David Tomas et Sophie Bélair Clément tenues en mars 2019 (transcriptions à partir d’enregistrements audio). David Tomas, artiste, professeur, anthropologue et théoricien est décédé le 3 avril 2019.
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[4]
Transcription à partir d’un enregistrement audio de la conférence performance de David Tomas, « Escape Velocity » avec la collaboration d’Alexandrine Théorêt, dans le cadre du cours « HAR 3220 L’art actuel », Université de Montréal, 4 avril 2014.
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[5]
L’événement Aurora Borealis est une exposition collective temporaire organisée par Claude Gosselin, René Blouin et Normand Thériault entre le 15 juin et le 30 septembre 1985. L’exposition occupe l’espace du rez-de-chaussée et de l’étage d’un centre commercial (Place du Parc, Montréal), aux côtés des bureaux du CIAC, d’Artexte, de Parachute et de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC), dans le cadre de Les Cent jours d’art contemporain. L’espace dédié à The Photographer fait face à l’entrée principale, coincé entre une installation de Irene F. Whittome d’un côté, la sortie de l’autre. La documentation photographique est accessible sous ce lien : https://davidtomas.ca/installations/the-photographer-1985 (consultation le 22 juin 2022).
-
[6]
La lumière noire est associée au contrôle; celle de l’authenticité notamment dans le monde de l’art, de la finance, des archives et du contrôle des corps (empêchant un individu de voir ses veines superficielles et donc de s’injecter).
-
[7]
Daina Augaitis et Karen Henry (dir.), « Through the Eye of the Cyclops », issu du catalogue de l’exposition Luminous Sites, 1986, p. 23. L’exposition, organisée par Diana Augaitis de la Western Front Gallery et Karen Henry de Video Inn, était composée de 10 installations vidéo qui furent présentées dans différentes galeries et sites à travers la ville de Vancouver du 25 février au 13 mars 1986. L’installation de Tomas fut exposée du 6 au 22 mars 1986 à la Coburg Gallery.
-
[8]
David Tomas, « The Photographer », SubStance. A Review of Theory and Literary Criticism, n° 50, 1986, p. 93–100.
-
[9]
David Tomas et Monika Kin Gagnon, David Tomas Talks with Monika Kin Gagnon. Entrevue enregistrée le 27 janvier 1987 à Montréal et transferée sur CD-Rom en 2001, https://e-artexte.ca/id/eprint/20799/. Archives David Tomas.
-
[10]
Citation tirée d’une lettre manuscrite de David Tomas adressée à Anne Delson et datée du 7 janvier 1984 (« Dear Anne / Rush Letter »), Archives David Tomas, dossier de préparation de la revue SubStance (1.43). © Succession David Tomas.
-
[11]
SubStance est un périodique interdisciplinaire fondé en 1971 par Michel Pierssens (Université de Montréal) et Sydney Lévy (UC Santa Barbara) au sein duquel convergent des discours sur la littérature de divers domaines tels que la philosophie, les sciences sociales, la science et les arts.
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[12]
Michel Pierssens, « The Next Fifteen Years », SubStance, n° 50, 1986, p. 3–4.
-
[13]
David Tomas, « Contributors », Substance, n° 50, 1986, p. 142.
-
[14]
David Tomas, résumé biographique (extrait) pour la revue Parachute, n° 37, 1984, p. 8.
-
[15]
Philippe Dubois et Rosalind Krauss, « Trace-Image to Fiction-Image : The Unfolding of Theories of Photography from the ’80s to the Present », October, vol. 158, automne 2016, p. 155–166.
-
[16]
Alberto Cambrosio, « Pour une pratique négative de la photographie : un entretien avec David Tomas », Parachute, n° 37, 1984, p. 4–8.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Franz Kafka, « A Report to an Academy [1917] », traduit par Willa et Edwin Muir, Nahum, N. Glatzer (dir.), Franz Kafka The Complete Stories, Nahum, New York, Schocken books, 1983, p. 250–259.
-
[19]
David Tomas, The Liminoid Laboratory: The Cultural Framing of Performance Art, Series on Performance and Culture, The Circle for Social and Humanistic Studies, University of Western Ontario, février 1983.
-
[20]
Tomas et Kin Gagnon, [1987] 2001.
-
[21]
Vincent Bonin analyse la pratique de Tomas en termes de parole et de silence, « David Tomas. La parole et le silence », Ciel variable, n° 118, automne 2021, p. 58–65.
-
[22]
Genet, 1948, p. 21.
-
[23]
À ce sujet, lire Melina Balcàzar Moreno, « Des traces et des spectres : Une lecture de Pompes funèbres de Jean Genet », Études françaises, vol. 44, n° 1, 2008, p. 147–161, https://doi.org/10.7202/018168ar (consultation le 22 juin 2022).
-
[24]
David Tomas fait usage de cette stratégie pour la première fois en 1981, exposant deux photographies trouvées et dont le contexte original n’est pas retracé dans la revue Parachute. Il s’agit de deux portraits de groupes autochtones au pied d’une petite église catholique, signés Bailey et Neelands, Vancouver, combinés avec deux planches-contacts de photographies « brutes » (héliographies). Si les deux premières images révèlent le contexte colonial associé à l’acte photographique, les deux photographies brutes semblent s’en extraire. Le fonds d’archives de la Ville de Vancouver conserve des photographies similaires prises par les mêmes photographes (Bailey et Neelands, Clergy and Parishioners at the Opening of the Church on the Sechelt Indian Reserve, photographie / tirage albuminé sur carte boudoir, 11 x 18 cm, Vancouver Archives, 1890, https://searcharchives.vancouver.ca/clergy-and-parishoners-at-opening-of-church-on-sechelt-indian-reserve (consultation le 8 août 2022). Ces deux images trouvées, qu’il rephotographie, seront ensuite arrimées à une photographie familiale de l’artiste dans l’installation Arrow in Flight, exposée la même année.
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[25]
David Tomas, présentation orale dans le cadre de l’exposition Proposé aux enchères, Montréal, Artexte, 7 septembre–26 octobre 2013. Transcription d’un enregistrement audio, archives personnelles de l’autrice. La scène photographiée est augmentée par l’affect de la vue de l’image : « Je tombai sur une photographie », écrit Roland Barthes en ouverture de La Chambre claire, Paris, Gallimard, 1980, p. 13. À ce sujet, lire l’analyse qu’en fait Eugenie Brinkema, « Grief and the Undialectical Image », The Forms of the Affects, Londres, Duke University Press, 2014, p. 76–114. Ainsi en serait-il de l’épaisseur des photographies trouvées, rephotographiées.
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[26]
Experimental Photographic Structure fut d’abord présentée à P.S.1, New York en 1980 avant d’être présentée en 1981 à Montréal, d’une initiative autonome, dans le contexte d’une ancienne usine de vêtements (devenue plus tard un lieu pour l’exposition de l’art contemporain, édifice Belgo).
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[27]
« Tout se passe comme s’il y avait au départ (même utopique) une photographie brute (frontale et nette) sur laquelle l’homme disposerait, grâce à certaines techniques, les signes issus du code culturel », Roland Barthes, « Rhétorique de l’image », 1964, cité par Vincent Bonin, biographie de David Tomas, https://davidtomas.ca/fr/biographie (consultation le 22 juin 2022).
-
[28]
David Tomas, « Photography as Socio-Symbolic Process », A Blinding Flash of Light. Photography Between Disciplines and Media, Dazibao, 2004, p. 94.
-
[29]
Diana Nemiroff, « Tim Clark David Tomas », Parachute n° 23, été 1981, p. 37.
-
[30]
« EPITAPH FOR THE TOMB TO THE UNKNOWN PHOTOGRAPHER: If the camera can be said to mediate in the production of a photograph it can also be said to mediate in the production of photographer. But a photographer has no sociocultural status outside its own process of production in that it is produced by the activity of “photography” and reproduced by the public or private acknowledgement of the photograph as a photograph of something. But the “role of photographer” is but one role amongst the many simultaneously existing roles which constitute any given individual. “He died for his role” », Tomas, 1986, p. 94.
-
[31]
Archives David Tomas, dossier de préparation de la revue SubStance (1.43). © Succession David Tomas.
-
[32]
Genet, 1948, p. 42.
-
[33]
Caporal Marsh alias Jimmie (entre 1914–1918). Extrait de la note manuscrite au dos d’une des deux photographies trouvées et reproduites par Tomas dans The Photographer. En 1984, Tomas tente sans succès de faire publier le manuscrit d’une conférence qui aborde la relation entre le processus photographique et sa légende (caption) à partir de l’analyse de photographies de scènes en apparence désertes dont l’information visuelle ne permet pas d’identifier le sujet. La légende est, selon lui, l’opération la plus importante de l’acte photographique, nommant la scène du crime. David Tomas, The Text-Caption and the Photograph. A supplementary Reading, 1984, p. 58. Manuscrit, Archives David Tomas, [2.19].
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[34]
Collection privée, succession David Tomas. Pour un aperçu de l’installation Krim (Crimea) et de ses éléments, voir le site d’Angela Grauerholz : http://angelagrauerholz.com/archives-installations/1986/krim-crimea/ (consultation le 23 juin 2022). Entre la rédaction et la révision de ce texte eut lieu l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
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[35]
Si la guerre de Crimée fut le premier conflit documenté par photographie, il fut aussi le dernier à autoriser les femmes à accompagner les soldats sur le terrain. No place for ladies: The untold story of women in the Crimean War, video audio, The National Archives, 2011, https://media.nationalarchives.gov.uk/index.php/no-place-for-ladies-the-untold-story-of-women-in-the-crimean-war/ (consultation le 23 juin 2022), 46 min. 55”.
-
[36]
Site web de l’artiste : http://angelagrauerholz.com/archives-installations/1986/krim-crimea/ (consultation le 27 juin 2022).
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[37]
Une phrase décalquée au mur, « je ne peux pas voir ton visage et vivre / laisse-moi donc voir ton visage et mourir », laisse croire que le régime des images remplace celui des mots, en termes de croyance. Passage retrouvé dans La Bible du semeur, Exode, chap. 33 : paragr. 20, disponible sur operabiblica.com https://www.operabiblica.com/Exode.33 (consultation le 29 juin 2022).
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[38]
Tandis que Sherrie Levine opère un retour sur l’histoire et déplace le geste photographique avec After Walker Evans (Metro Pictures Gallery, New York, 1981), que Vicky Alexander et Richard Prince rephotographient des images issues de la culture populaire, ajoutant leur point de vue aux images extraites de leur contexte publicitaire ou cinématographique. Au sujet de la Picture Generation : Craig Owens et Scott Stewart Bryson, Beyond Recognition: Representation, Power, and Culture, Berkeley, University of California Press, 1992.
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[39]
Roger Fenton, The Valley of the Shadow of Death, photographie, H. 28,4; L. 35,7 cm, Musée d’Orsay, Paris, 1855.
-
[40]
Tomas, The Text-caption and the Photograph. A supplementary Reading, 1984.
-
[41]
Susan Sontag insiste — « toute image est vue dans un cadre particulier ». Devant la douleur des autres, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2003, p. 128.
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[42]
Si le flou des images rephotographiées de l’installation Krim (Crimea) résulte du temps de pose lent et du grain photographique, il comporte aussi une part volontaire : Grauerholz trafique une image de la série en y effaçant deux véhicules de guerre d’une scène (le flou est créé à la peinture en aérosol, rephotographié) et expose les deux états de l’image. Ce flou volontaire, récurrent chez Grauerholz, s’articule aux qualités épistémologique (des images-écrans contingentes) et éthique du projet. À ce sujet, voir Portraits (1984–1985), dont les planches-contacts consultées dans le Fonds d’archives mettent en évidence les multiples prises de vue et la relation aux femmes photographiées. Fonds Angela Grauerholz, Bibliothèque et Archives, Musée des beaux-arts du Canada, boîte 40, dossiers 6 et 7 (Portraits (rejets)).
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[43]
« Penser la situation comme un pli du temps, dans lequel dispositifs sensibles et dispositions intelligibles sont contractés, est justement ce que l’intermédialité devrait prendre en charge. », Méchoulan, 2010, p. 42.
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[44]
Texte extrait de légendes tapuscrites sur acétate issu d’un montage de photographies familiales et de lettres manuscrites (Russland 5.9.44 « Lieber Papa »; Russland 12.12.47 « Liebes Brüderchen »; une enveloppe est identifiée « Hamburg — 16.4.1944 Gefreiter Hans Grauerholz 13289A »). « I often wonder. The strange thing is, people who never knew me live with a certain image of me, and talk about me as if they do know me. My mother doesn’t talk about me, nor does she talk about my father. He is dead./I was born December 5, 1923. I was the first son. My father was very fond of me. According to my brother, my childhood was normal. I manage school very easily—better than him. It was in 1942, right after my Abitur, that I was drafted to the German Army. During my training to become a soldier, I got a serious disease in my eyes. They had to take me to the hospital. We had great hope that I would not have to go to the front. But—in Russia, the Germans had to retreat and every man that was able to march had to go to defend the fatherland ». Travail inachevé qui préfigure l’installation Krim (Crimea) de 1986, réalisé lors des études de maitrise de Grauerholz à l’Université Concordia, entre 1976 et 1980. Fonds Angela Grauerholz, Bibliothèque et Archives, Musée des beaux-arts du Canada, boîte 50 (Krim).
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[45]
Joanne Silver écrit, au sujet du travail de Grauerholz : « For all their echoes of the past, from the chandelier in “Café” to the sepia tones of a number of works, these photographs are indeed of the present. Their mood may be haunting, chilling, or charged like a forest before a thunderstorm. It is never nostalgic », Joanne Silver, « Time, memory blur all things in photographer’s foggy images », Boston Sunday Herald, n° 51, 31 octobre 1993. Chris Kraus, qui mène une enquête au sujet de la nécessité d’éviter l’épithète nostalgique, conclut : « Nostalgia implies the irrevocable. The act of remembering, rather than recover the lost to consciousness, serves only to activate the longing to return… […] The emphasis is on the self, and on a desired image of oneself. The people and places in the memory are stilted, frozen in history and in relationship to the self, which has been—which has been—which has been lost », « Bad Nostalgia », Video Green. Los Angeles Art and the Triumph of Nothingness, New York, Semiotext(e), 2004. Je remercie Vincent Bonin de m’avoir éclairée sur ce moment fort de la critique d’art et d’avoir partagé cet extrait avec moi.
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[46]
Marshall McLuhan, Quentin Fiore et Jérome Agel, The Medium is the Massage. An Inventory of Effects [1967], Londres, Penguin Books, 2008.
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[47]
Ibid., p. 48.