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Cette introduction porte sur la valeur heuristique des études intermédiales pour comprendre l’action de témoigner[1]. Dans un premier temps, nous présenterons ce qui est communément entendu par témoigner, témoignage, média et intermédialité. Dans un second temps, nous reprendrons chacun de ces termes afin d’en donner une acception plus complexe. Nous soulignerons alors l’importance de notions telles que valeur testimoniale, transmission et agentivité. Pour débuter, nous proposons donc une définition qui sera révisée par la suite. Témoigner est régulièrement considéré comme étant un quasi-synonyme de récit oral ou écrit formulé par un individu qui rend compte d’un événement qu’il a vécu (souvent un événement traumatique[2]). Le sociologue Renaud Dulong a formulé une telle acception dans Le témoin oculaire (1998). Il précise que le témoignage est « un récit autobiographiquement certifié d’un événement passé, que ce récit soit effectué dans des circonstances informelles ou formelles[3] ». Le témoignage renvoie ici à l’attestation, soit au fait de « donner des preuves tangibles de la réalité, de la vérité ou de la véracité d’une chose[4] ». Le terme s’inscrit ainsi principalement à l’articulation entre les domaines historique et juridique[5]. Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricoeur reprend le point de vue développé par Dulong en ajoutant notamment que la spécificité du témoignage repose sur l’autodésignation du témoin qui se traduit par « un déictique triple […] : la première personne du singulier, le temps passé du verbe et la mention du là-bas par rapport à l’ici[6] ». Le philosophe insiste également sur le fait que la fiabilité du témoignage repose sur sa stabilité et son caractère réitérable[7]. Vingt ans plus tard, cette perspective fait toujours autorité[8].
Il est alors relativement simple d’articuler témoignage et médias. Pris dans ce cadre interprétatif, ces derniers sont tout à la fois des supports immatériels et matériels d’inscription et des modes de diffusion. Le témoin s’exprime oralement, couche sur une feuille de papier, enregistre sur une bande sonore, filme sur un fichier numérique un récit lié à ce qu’il a vécu. Le témoignage — cette inscription de l’acte de témoigner sur un support — est ensuite partagé avec d’autres. Les mots qu’il a prononcés sont entendus, les notes inscrites sur la feuille sont lues par les proches ou par un éditeur, la bande-son est diffusée à la radio ou en ligne via un podcast, les images filmées se retrouvent sur les réseaux sociaux ou intégrées à un film. Il est alors entendu que le média — support et mode diffusion — utilisé participe à donner sa forme au témoignage. Ainsi, le théoricien des médias Amit Pinchevski explique, à propos d’entretiens menés par l’équipe de la Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies de l’Université Yale, que « videography does not document testimonies as already formed and self-contained narratives but rather conditions the very structure of their signification[9] ». Il est aussi possible de réfléchir à la manière dont un témoin formule différemment son récit en fonction du média qu’il utilise. Nous proposons alors, en plus de la stabilité du récit testimonial présente chez Ricoeur, de parler de plasticité du témoignage[10].
L’approche intermédiale, qui consiste à étudier les relations entre médias, permet de penser des liens entre témoigner/témoignage et médias (support et mode de diffusion). Plus justement, les relations entre témoigner/témoignage et médias sont considérées comme étant un objet d’étude à part entière[11]. Ainsi, des phénomènes tels que la coprésence et le transfert sont identifiables[12]. Cela signifie qu’un témoignage peut être composé de différents médias ou de références à différents médias. Par exemple, lors d’une captation filmée, un témoin peut se saisir d’un livre et le montrer à la caméra ou citer de mémoire un article de journal. De telles références peuvent aussi être d’ordre intramédiatique, quand, par exemple, dans un livre de témoignage, un autre témoignage écrit est mentionné. Des hypermédias — au sens où ils incluent plusieurs médias — comme une exposition dans un musée, une exposition virtuelle ou une représentation théâtrale sont à prendre en compte. Un témoignage peut également passer d’une forme médiatique à une autre. Par exemple, un témoignage écrit publié sous la forme d’un livre peut être adapté au cinéma ou au théâtre. Enfin, un témoignage se déploie parfois sur plusieurs médias. La notion de transmédialité est utile afin d’étudier de tels dispositifs. L’ensemble de ces manières de concevoir le témoignage conduit notamment à interroger leur présence dans l’écologie des médias. Leur visibilité est alors mise en regard et parfois en concurrence avec d’autres types de récits portant sur le passé qui ne peuvent pas se prévaloir du caractère « autobiographiquement certifié », tels que ceux formulés par les historiens, les auteurs, les journalistes, les experts[13]. Dans ce cadre interprétatif, nous pouvons nous demander si un média est plus adapté qu’un autre à certaines formes de témoignages. André Gaudreault et Philippe Marion parlent à ce sujet de médiativité au sens de « capacité propre de représenter — et de communiquer cette représentation — qu’un média donné possède par définition. Cette capacité est régie par les possibilités techniques de ce média, par les configurations sémiotiques internes qu’il sollicite et par les dispositifs communicationnels et relationnels qu’il est capable de mettre en place[14]. » Cela revient à se demander ce qui se perd et ce qui se gagne en fonction du support et du mode de diffusion choisi. La manière dont l’émergence d’un nouveau média transforme l’expression et la diffusion d’un témoignage (ou de ce que l’on entend collectivement par témoigner) peut constituer un objet d’étude[15]. Les séries culturelles — ou médias en devenir propres à chaque époque — se trouvent alors au centre de l’investigation intermédiale.
De telles questions sont passionnantes. Elles sont, d’ailleurs, centrales dans plusieurs des articles de ce numéro. Toutefois, ce champ d’études intermédiales nous semble trop restreint. Nous proposons de repartir de la définition même du verbe témoigner, car celle-ci a, comme nous venons de le montrer, une influence déterminante sur le choix des sujets dignes d’attention dans le cadre d’une approche intermédiale.
Tout d’abord, nous avons trop facilement accepté le principe d’une forme d’adéquation entre l’action de témoigner et des actes de langages relevant de l’expression orale ou écrite. Or il est essentiel d’étudier le corps et les gestes du témoin. « Beaucoup plus qu’une simple présence physique, le corps du témoin “présentifie l’événement”, à l’instar d’une pièce à conviction, il est le “support matériel du récit attesté”, un médiateur temporel entre passé et présent[16]. » Autrement dit, les études du témoignage n’ont pas à être logocentrées. Elles intègrent les acquis de l’anthropologie et/ou de la sociologie du corps, de la proxémie, d’une forme de synergologie, voire d’une prise en compte d’une forme de mémoire incorporée. Ainsi, un visage silencieux[17], tout comme un corps pris dans une performance (qui peut se situer à l’articulation de la danse, du théâtre et des arts contemporains) ou dans une reconstitution entrent dans le domaine du témoignage[18].
De plus, certains actes de témoignage résultent de gestes créatifs pas toujours narratifs qui passent par le pinceau, le burin, l’appareil photographique, l’usage de logiciels plus ou moins complexes. Il en résulte qu’un témoignage peut être un dessin animé ou fixe présenté dans une BD ou à la télévision, une peinture accrochée dans un musée ou une galerie d’art, un monument dans l’espace public, une photographie partagée sur les réseaux sociaux, un photoreportage dans un magazine, une expérience immersive sur le web. Autrement dit, ni l’expression orale ou écrite ni le récit ne sont des prérequis du témoignage[19].
Par ailleurs, le témoignage — entendu comme une inscription sur un support — n’est que rarement le fait d’un seul individu. Tout d’abord, notons que le témoin n’est pas toujours à l’initiative du témoignage. Le geste d’autoassignation ricoeurien est à relier à la présence d’une demande sociale, voire d’usages économiques et politiques du passé[20] et d’une forme d’injonction à témoigner[21]. Le témoignage peut être sollicité par les membres de diverses institutions (le ministère de l’Immigration dans une procédure d’asile, l’école dans le cadre d’une formation, l’université pour créer d’autres modalités de connaissance, l’association communautaire dans un cadre mémoriel, le journal télévisé dans un mélange de spectacle et d’information, etc.) qui autorisent autant qu’elles normalisent. Ce contexte social cadre forcément ce qu’on entend par témoigner. Ensuite, si le témoin est certes parfois seul face à une feuille blanche (ou avec le microphone de son téléphone intelligent), il est plus souvent question, comme dans le cas d’entretiens filmés, d’une salle où se trouvent un preneur de son, un réalisateur et/ou un interviewer, un opérateur à la caméra. Enfin, la postproduction du contenu audiovisuel (ou l’édition du texte) constitue une étape à prendre en compte[22]. Cela signifie que le témoin est, bien souvent, un acteur parmi d’autres d’un processus collectif débouchant sur la création d’un témoignage. Il est pris dans un ensemble d’enjeux interpersonnels, institutionnels, techniques, artistiques, économiques et politiques dont une approche intermédiale permet de saisir les effets de sens et de présence. Cela revient notamment à se demander, « qui maîtrise les techniques, qui en autorise les effets, qui en assure la diffusion compte autant que l’auteur de telle ou telle oeuvre [ou témoignage dans notre cas], dès lors que l’on considère que les significations ne transitent pas d’un cerveau à un autre de façon immatérielle et immédiate à l’image de la communication angélique[23] ».
Cette attention portée aux modes d’expression du témoignage conduit à mieux saisir leur caractère construit et le fait qu’il est, souvent, le résultat d’un processus complexe. Cela revient à penser tout à la fois le témoignage dans son rapport à une expérience passée comme c’est le cas chez Dulong et Ricoeur, mais aussi aux conditions de fabrication du témoignage lui-même[24].
Cette précision est essentielle, car nous avons moins souvent accès au témoignage en acte — ce que nous appelons « témoigner » — qu’à une production culturelle que nous appelons « témoignage ». En plus de livres et de films dits de témoignage, on peut penser aux formats propres à l’ère du numérique (vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, billets de blogues, webdocumentaires, expériences immersives, etc.), mais aussi à des romans graphiques, à des expositions de peintures et de photographies, à des balados, à des émissions de radio ou de télévision, à des oeuvres d’art contemporain (installations, performances, monuments dans l’espace public, etc.) ou à des pièces de théâtre[25]. Au 21e siècle, ce statut de production culturelle induit, bien souvent, un caractère reproductible, qui fait que les témoignages deviennent, « ubiquistes, visibles, audibles, perceptibles en différents endroits, en des temps mêmes ou des temps autres, s’hybridant et se croisant avec d’autres médias[26] ». Cette diversité de formes médiatiques et leur reproductibilité conduisent au sentiment d’une forme d’omniprésence du témoignage dans l’espace public. C’est précisément ce type de phénomène culturel — tout à la fois le grand nombre de productions médiatiques considérées comme relevant du témoignage, la fortune critique de l’appellation elle-même et le sentiment d’une forme de trop-plein — que l’intermédialité est en mesure de penser.
Ce constat — le témoignage est une production reproductible — nous conduit à souligner une autre limite de la définition généralement acceptée, soit qu’il est là pour « rendre compte » d’une expérience passée. À l’opposé, le témoignage peut être considéré comme un mode d’intervention dans l’espace social. Il constitue parfois une manière d’agir qui vise moins à rendre compte du passé qu’à transformer le présent pour imaginer un autre avenir. Le témoignage est un mode privilégié d’engagement des groupes socialement dominés et/ou en situation minoritaire quand ils veulent faire entendre leurs voix et changer leur statut dans l’espace social[27]. Le témoignage acquiert ainsi non seulement une dimension critique, mais il est aussi conçu comme un mode de revendication pour un collectif[28]. L’usage du singulier et du masculin — un témoin — comme relevant d’une forme d’évidence s’en trouve radicalement remis en cause[29]. On peut, par exemple, penser aux témoignages des femmes, des ouvriers, des précaires, des Afro-Américains et Afro-Européens, des LGBTQ2S+, des personnes en situation de handicap, des Autochtones.
Une dernière limite peut être relevée, soit la présence de la figure du témoin (un individu qui témoigne), voire du grand témoin (dépositaire d’une forme d’autorité immanente à son statut). Celle-ci ne relève pas plus de l’évidence. L’action de témoigner peut renvoyer à des acteurs autres qu’humains tels qu’un objet (qui n’est pas forcément un artéfact[30]), un animal ou un végétal. Un acteur non humain peut témoigner dans la mesure où il a la capacité de transmettre quelque chose de l’ordre d’une expérience sensible du passé[31]. Par exemple, des marques laissées par des intempéries ou l’activité d’animaux sur le tronc d’un arbre qui les transforme ensuite en des éléments de son écorce renvoient, dans son écosystème, à ce qui s’est passé sans avoir besoin d’une quelconque mise en récit par l’humain[32].
Ce dernier point doit être distingué d’un autre rapport entre objet et témoignage. En effet, les ethnologues ont longtemps désigné des artefacts tels qu’un vase, un verre, une lampe, comme étant des objets témoins dans la mesure où ils rendaient compte de l’état d’une société donnée[33]. Il reste de cette conception à présent fortement contestée que tout objet détient, potentiellement, une telle valeur testimoniale qui est activée lors d’usage[34]. Nous parlons de valeur testimoniale, précisément car cette expression renvoie à une capacité à transmettre quelque chose d’une expérience sensible du passé. Par exemple, des minéraux volcaniques présents sur le site de l’abri du Maras (Ardèche, France) sont interprétés par des géologues comme des témoins du passage du vent au Pléistocène supérieur et de son influence sur « la mobilité des populations néandertaliennes de la région[35] ».
Il ressort de ces quelques réflexions que témoigner n’est pas un quasi-synonyme de récit oral ou écrit formulé par un individu qui rend compte d’une situation qu’il a vécue[36]. Toutefois, nous maintenons que la spécificité du témoignage réside dans le lien qu’il entretient avec un phénomène passé. « Le témoin est bien un observateur qui ne participe plus directement à l’interaction qu’il restitue[37]. » L’expérience en question peut donc être très ancienne, comme c’est le cas avec la roche polie par le vent, ou récente, s’il s’agit, par exemple, de la parole des témoins historiques. Ce qui nous intéresse, c’est que le témoignage constitue une forme bien particulière de présence du passé dans le temps présent. Cela revient à dire que ni la sémiotique[38] ni l’herméneutique ne sont suffisantes pour considérer l’ensemble des facettes du témoignage[39]. Elles sont, au minimum, à croiser avec une approche phénoménologique qui assure sa spécificité. Cela correspond à une définition du témoignage « comme une trace, relevant d’une expérience qui, en tant que telle, est irrépétable[40] ». Le témoignage n’est pas un récit de faits inventés qui suit un certain nombre de procédés formels, il devient, sinon, un faux témoignage. Il diffère également des propos des chercheurs ou des experts qui se basent sur l’exploitation de sources ou de témoignages. Les points que nous avons soulevés — rôle du corps, place des acteurs non humains, capacité d’agir au présent, etc. — reviennent simplement à souligner que l’étude du témoignage ne se limite pas forcément à l’analyse des liens entre la figure du témoin, la mise en récit et l’événement passé[41]. Tout le pari de ce numéro consiste à considérer l’approche intermédiale comme constituant une entrée — en complément de la sémiologie, de la phénoménologie et de l’herméneutique — afin d’appréhender l’action de témoigner.
Nous proposons à cette fin une nouvelle définition qui est plus inclusive. Témoigner constitue une façon de transmettre une expérience sensible qui appartient au passé. Cette proposition est pensée pour accueillir des témoignages non humains ou tout du moins ne pas partir du présupposé que le témoignage est une propriété exclusivement humaine[42]. Le choix du verbe transmettre — qui a déjà régulièrement été discuté dans les pages (virtuelles) de cette revue[43] — nous amène vers une perspective intermédiale. C’est tout d’abord son caractère polysémique qui retient notre attention. En effet, transmettre renvoie tout à la fois aux notions de passage et de fabrication du commun[44]. Il dérive du verbe latin transmittere « envoyer par-delà, transporter, faire passer ». Son substantif transmissio indique aussi le trajet, la traversée, le passage d’un lieu à un autre de manière très concrète[45]. Mais, c’est surtout le fait qu’il met l’accent sur une forme de mise en relation qui intéresse les chercheurs en études intermédiales. Ce verbe permet également de souligner le caractère temporel du témoignage[46] et son lien avec les études mémorielles[47]. Il s’agit non seulement de s’intéresser à ce qui se joue au moment de la transmission, mais aussi de prendre en compte la socialisation de la mémoire et l’acquisition de nouvelles connaissances, l’évolution de l’interprétation en fonction d’enjeux postérieurs à l’expérience vécue et le travail de l’oubli. Mais transmettre n’est pas seulement une affaire de temps, c’est aussi une question de mise en commun dans le sens où une réflexion sur la transmission implique de prendre en compte une dimension relationnelle[48]. Dans le cadre des études sur le témoignage, cela revient à dire qu’il n’y a pas de témoignage sans acteur humain ou non prêt à être affecté par celui-ci. Il n’y a pas témoignage sans lecteur, sans spectateur, sans environnement ou groupes sociaux culturels prêts à se saisir de l’expérience sensible du passé qui est transmise. Comme l’écrit Ricoeur, « la certification du témoignage n’est complète que par la réponse en écho de celui qui reçoit le témoignage et l’accepte ; le témoignage dès lors n’est pas seulement certifié, il est accrédité[49] ». Il est ensuite possible de se demander ce que le témoignage, une fois qu’il est accrédité, fait à l’environnement, à l’espace social, culturel et politique dans lequel il s’inscrit. Nous allons voir que les études intermédiales permettent de penser de telles questions.
Ces remises en cause viennent sensiblement complexifier le rapport du témoignage aux médias. En effet, il n’est plus possible de penser ces derniers seulement comme des supports pour inscrire un récit, puis le diffuser. Ce modèle ne fonctionne pas si on considère qu’un corps dansant peut témoigner. Il n’est pas non plus adapté à la prise en compte d’acteurs autres qu’humains tels qu’un arbre ou un vase. Il peine également à saisir la dimension processuelle de la création collective de la plupart des productions culturelles que nous appelons communément des témoignages. La définition du média comme étant « une sorte de bricolage évolutif de séries culturelles “fédérées” qui se refléteraient à travers un prisme identitaire dont l’existence ne serait que temporaire[50] » ne fonctionne pas complètement. Il est nécessaire de faire un pas de côté afin de penser en termes de milieu[51], d’environnement médiatique, de configuration médiatique[52], voire de conjoncture médiatrice[53]. Comme l’écrit Méchoulan, le média « ne se situe pas simplement au milieu d’un sujet de perception et d’un objet perçu, il compose aussi le milieu dans lequel les contenus sont reconnaissables et déchiffrables en tant que signes plutôt qu’en tant que bruits[54] ». Ces notions renvoient à l’idée qu’un média correspond à la combinaison d’un espace, d’un temps, d’un ensemble d’actants (humains et non humains) et de supports pris dans des relations entre eux et avec des institutions. Cela peut être utile pour désigner des « micro- » phénomènes tels que la prise de parole d’un individu lors d’une discussion et des objets plus « macro » se situant sur le plan mondial et courant sur plusieurs siècles. Dans ce cadre théorique, l’acte de témoigner est considéré comme une médiation. Dans l’introduction d’un numéro de la revue Protée consacrée à Mémoire et médiations, cette notion y est définie comme « le processus qui consiste à assurer une transmission, un passage constitutif du monde, tel qu’il nous apparaît à un moment donné dans l’histoire[55] ». L’action de témoigner comme médiation est ce qui anime la configuration médiatique en même temps qu’elle lui donne sa consistance. Mais il faut aussi prendre en considération qu’un témoignage (au sens de l’inscription de l’acte de témoigner sur un support) ou un objet témoin (au sens d’un objet qui recèle une valeur testimoniale) peuvent être des supports parmi d’autres pris dans un environnement médiatique beaucoup plus large. Cette perspective conduit à faire émerger de nouveaux types de relations. Ce qui est important pour nous, c’est qu’une telle conception conduit au « passage d’une théorie de la société qui contient les médias — conception généralement établie de nos jours — à une théorie où société, socialités et médias se coconstruisent et se détruisent en permanence[56] ». Elle rend possible de penser la présence d’un corps dansant comme étant un élément d’une configuration médiatique dans laquelle d’autres aspects peuvent être pris en compte. Nous pouvons, par exemple, nous demander où se déroule cette performance, si un public est présent, si sa durée est déterminée, si une amplification du son et/ou un éclairage sont prévus, si une captation filmée a lieu, etc. Une telle perspective permet également de considérer de manière diachronique l’ensemble des gestes mis en oeuvre pour créer un témoignage. Elle ouvre la porte à une philologie ou une génétique médiatique du témoignage[57]. Elle autorise aussi à penser les rôles respectifs d’acteurs humains (ou leur absence) et non humains dans la médiation-témoignage.
Cette approche conduit enfin à penser que dans un environnement médiatique donné, un individu peut se trouver face à un autre individu qui témoigne ou qu’il peut se saisir d’un témoignage (inscription de l’acte de témoigner sur un support) et s’en trouver transformé. Cela pose la question du rôle du témoin du témoin[58]. Dans une perspective diachronique, de telles configurations permettent de prendre en compte le rôle des enfants et petits-enfants de témoins, soit de la question de la postmémoire[59]. À nouveau, nous voyons ici émerger de nouveaux types de relations médiatiques. Sébastien Févry insiste sur ce point, quand il écrit dans Intermédialités, que « la postmemory n’équivaut pas à un réel travail de remémoration. Il s’agit plutôt de s’approprier un passé que l’on n’a pas vécu par un investissement imaginaire qui doit permettre de combler les failles de la mémoire familiale » et que « l’une des stratégies les plus courantes du travail postmémoriel consiste à puiser dans d’autres ressources médiatiques que celles de la mémoire familiale[60] ». Autrement dit, il arrive qu’ils fabriquent des témoignages à partir de ce que les membres de leur famille leur ont transmis (ou non). Par la suite, ces témoignages des témoignages affecteront d’autres individus qui s’en feront les passeurs (ou non).
Cette définition du média comme milieu et les liens que nous venons de tisser avec la notion de témoignage transforment forcément ce qu’on entend par une approche intermédiale du témoignage. En effet, plus rien n’est simple. Il n’est plus possible de penser et de créer des liens entre deux entités nettement distinctes que seraient d’un côté le témoignage et de l’autre les médias. Au contraire, il faut penser le témoignage comme une médiation, l’acte de témoigner comme étant pris dans une configuration médiatique, l’existence d’un néologisme tel que la médiation-témoignage. De tels rapprochements ne débouchent pas sur un flou notionnel ou sur une forme de confusion généralisée. Au contraire, nous avons proposé des définitions précises de chacun des termes que nous avons utilisés dans le but que cet entrelacement entre média et témoignage apparaisse comme un axe de pertinence possible. Pour finir, nous souhaitons en faire ressortir la valeur heuristique. Pour le dire clairement, il s’agit de se demander ce que nous apporte le fait de suivre cet axe de pertinence intermédiale ?
Tout d’abord, nous tenons à souligner que l’intermédialité est une pensée de la complexité[61]. Elle permet d’appréhender ensemble des termes qui semblent opposés tels que récit/ performance, diffusion/ transmission, rendre compte/ intervenir, humain/ non humain, lieutenance/ agentivité, mimesis/ semiosis, herméneutique/ phénoménologie, média comme support/ média comme milieu[62]. Il ne s’agit donc, en aucun cas, de remplacer le premier terme par le second. Au contraire, il est question de penser à partir de la mise en relation de ces termes, dans une forme de tension jamais suspendue.
Ensuite, nous considérons que l’ensemble des éléments que nous avons mentionnés viennent rejoindre la boîte à outils des chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales qui trouvent face à l’omniprésence et à la diversité des témoignages. L’intermédialité les conduit à sortir leurs études d’une perspective centrée sur le récit et la mimesis plus ou moins directe avec la situation passée tout en conservant sa spécificité (dimension phénoménologique). Elle mène, aussi, à envisager les implications médiatiques de ces enjeux sans restreindre l’usage du terme média au média de masse ou aux « nouveaux médias » numériques. Elle sert surtout à interpréter la performativité, la présence, les formes, la fabrique des témoignages. Ou, plus justement, elle permet de penser que le témoignage est toujours travaillé par des relations entre ces différents éléments. Autrement dit, l’approche intermédiale conduit à explorer les liens entre expériences sensibles et témoignage, entre témoigner et témoignage, entre les divers modes d’expression du témoignage et, enfin, entre le témoignage comme médiation et le milieu dans lequel il s’inscrit et qu’il participe à faire advenir. L’intermédialité propose ainsi de placer des questions de politique médiatique telles que le vivre-ensemble au coeur du sujet. Johanne Villeneuve invite à poursuivre cette piste en se demandant : « Ne faut-il pas alors prendre le problème frontalement, en liant la matérialité des médiations humaines (les supports, mais aussi les dispositifs techniques) à l’idéal de la médiation qui consiste à “vivre ensemble” ?[63] »
Enfin, l’approche intermédiale dans sa capacité à penser la complexité et à fournir des outils aux chercheurs et chercheuses constitue une façon d’appréhender des cas. Ces études peuvent porter sur des entrelacements extrêmement complexes entre différentes productions culturelles et/ou médias, mais aussi sur un ou des objets en apparence beaucoup plus simples. Ainsi, un seul témoignage — entendu comme une médiation —peut faire l’objet d’une étude intermédiale, car il permet de soulever des enjeux de transmission entre l’expérience passée et le témoignage, mais aussi de faire ressortir une multiplicité de relations médiatiques entre des dimensions techniques, politiques, culturelles, économiques propres à la configuration médiatique dans laquelle il s’inscrit. La revue Intermédialités accueille principalement ce type de travaux[64]. Plus justement, l’intermédialité permet de penser le témoignage par cas[65]. Cela signifie que l’objet étudié est mis au service d’une réflexion plus large. En effet, le cas constitue une entrée pertinente dans la mesure où il permet la remontée en généralité. Ainsi, les témoignages qui se trouvent abordés dans ce numéro sous la perspective intermédiale permettent de penser, de manière compréhensive et critique, la place que cette notion et que ses objets ont acquise dans nos sociétés contemporaines.
L’appel à contribution que nous avons rédigé pour ce numéro sollicitait plus précisément des réflexions reliant la notion de témoignage à l’étude des formes médiatiques qui participent à sa production et à sa réappropriation, par exemple sous la forme de productions culturelles singulières. Les articles de ce numéro appréhendent ainsi l’étude de différentes formes de diffusion du témoignage, de sa circulation dans l’espace public aux modalités de son inscription dans différentes institutions (centre d’archives, musée, salle de cinéma, tribunal, université́, etc.). Et, en plus de considérer le témoignage d’après sa définition traditionnelle de quasi-synonyme de récit oral ou écrit, les chercheurs et chercheuses l’envisagent également d’après différentes formes liées, par exemple, à un cadre théâtral ou muséal et inscrit dans divers environnements médiatiques, numériques ou non. C’est d’ailleurs ce déplacement vers une forme parfois dépersonnalisée du témoignage, c’est-à-dire de témoignages sans témoin, que les lecteurs remarqueront certainement en premier en parcourant les contributions réunies dans ce numéro. Ce glissement est permis par l’approche intermédiale qui va de l’interprétation de récits portant sur un événement passé à la transmission d’une expérience sensible qui appartient au passé.
Les articles inscrits dans le domaine de la muséologie et de l’anthropologie se penchent notamment sur cette question. En raison de sa fonction patrimoniale, de la relation qu’il entretient avec le passé, et donc avec la disparition, le cadre muséal représente un terrain privilégié pour étudier les effets de sens produits par le rapprochement entre l’objet et la fonction testimoniale. L’étude de cette combinaison en relation aux mises en scène muséales de la disparition est au coeur du texte de Luba Jurgenson. Si, d’une part, l’objet témoin partage avec le témoin le rôle de médiateur d’une expérience passée, d’autre part, souligne Jurgenson, la reconnaissance de sa valeur testimoniale s’avère dépendante d’une série de médiations et surtout de son inscription dans un contexte, celui de la mise en scène muséale, qui permet au spectateur de l’interpréter. Il faut considérer que l’objet témoin, en vertu de sa relation au passé et des émotions qu’il suscite, notamment lorsqu’il s’inscrit dans les scénographies muséales consacrées à l’histoire des génocides, est aussi un objet exposé, parfois même théâtralisé, c’est-à-dire inséré dans un parcours qui le rend coprésent avec d’autres productions culturelles. Cette « mise en scène », dotée d’une valeur pédagogique et heuristique, crée un réseau de relations qui contribuent à sa compréhension, y compris lorsque ces objets sont remplacés par des écrans numériques. Qu’est-ce qui se joue, demande Jurgenson, dans ce transfert de l’objet témoin à sa représentation écranique, et qu’est-ce que cela produit quant à la portée testimoniale de l’objet ?
Également intéressé par la problématique de l’objet témoin, Baptiste Aubert l’aborde du point de vue de l’anthropologie visuelle. Son étude, issue d’une démarche en recherche-création, présente la conception du film dont il est le réalisateur (La place des choses), et réfléchit précisément à ce qui se passe, entre l’objet témoin — une collection de navettes témoin du passé de la ville post-industrielle de Verviers en Belgique —, et son inscription dans une forme cinématographique. Ceci inclut une réflexion sur le processus de création du film et sur la spécificité de cet objet en tant que porteur d’une valeur testimoniale en relation à la ville. Son propos consiste, en effet, à faire ressortir, à travers une série de témoignages des vendeurs de ces objets, la mémoire collective de la cité de Verviers. L’approche intermédiale de ce cas permet de faire émerger d’une part, la chaîne de médiations dont ces navettes sont l’objet et, d’autre part, les mécanismes de transmission de la mémoire qu’elles suscitent et que la création filmique capte et transmet à son tour.
L’idée que les lieux, tout comme le motif de la ruine, puissent également jouer le rôle du témoin se retrouve aussi dans le texte de Matthieu Péchenet qui porte sur la figure du témoin et le rapport à l’histoire du cinéma de la réalisatrice Claire Angelini. Il montre comment le documentaire La guerre est proche (2010) retrace la mémoire du camp de Rivesaltes, dont la particularité relève de différents groupes qu’il a accueillis de 1936 à 2007 : « Espagnols de la Retirada, Juifs de la Seconde Guerre mondiale, Harkis à la fin de la guerre d’Algérie, puis étrangers en situation irrégulière entre 1986 et 2007[66] ». Pour ce faire, explique-t-il, Angelini s’attache notamment « à ce qui raconte la voix de celles et ceux qui enregistrent, orientant ses mises en scène vers une articulation voix/lieux ».
L’attention à la portée testimoniale des objets produit un autre effet, à savoir la réévaluation de la culture matérielle et de la dimension vernaculaire du témoignage. Ce dernier n’est donc plus seulement considéré comme la porte d’accès à l’Histoire, ou la trace des événements majeurs qui la traversent. Il se décline aussi d’après la notion de récit de vie. Sa puissance testimoniale liée à la « production de présence, d’émotion et de résistance[67] » parvient même à remettre en question les structures consolidées des institutions muséales qui sont visiblement plus à l’aise dans le traitement d’objets ou de documents qu’avec des prises de parole sous la forme de témoignages filmés.
Partant de la portée déstabilisante de ces paroles, mais aussi de la grande opportunité qu’elles représentent pour la société québécoise contemporaine, le texte de Doriane Biot nous parle aussi des enjeux et des défis d’une muséologie décoloniale en relation à l’exposition C’est notre histoire : Premières Nations et Inuit du XXIe siècle présentée en 2013 au Musée de la civilisation (Québec). Considérés d’après la forme particulière du témoignage filmé-exposé, une combinaison dont l’approche intermédiale permet de relever les implications aussi bien sur le plan formel que muséal, Biot se demande dans quelle mesure ces prises de parole portées par les communautés autochtones « peuvent donner lieu à une véritable négociation de la transmission du patrimoine[68] ». Autrement dit, comment peut-on inscrire ces témoignages dans un parcours d’exposition en respectant et en valorisant la dimension identitaire dont ils sont porteurs ? Ces réflexions contribuent, entre autres, à rappeler l’importance de l’écoute en relation au témoignage, notamment là où la langue constitue un lieu pour réaffirmer une culture et un ensemble de liens au territoire.
La question du rapport à la langue dans laquelle se produit le témoignage, et dont le choix de la part du témoin agit soit comme outil de territorialisation soit de distanciation du témoignage lui-même par rapport à l’événement raconté, mérite d’être soulignée. La problématique de la traduction en relation à l’acte de témoigner représente, d’ailleurs, un enjeu majeur non seulement pour la thématique de ce dossier, mais aussi pour l’approche intermédiale, ne serait-ce que par les multiples médiations qu’elle comporte. Si cet aspect n’est pas traité de manière explicite par un article du numéro, il est, par contre, sous-jacent à plusieurs d’entre eux.
Ce rappel de la centralité de l’écoute de la parole du témoin conduit à s’interroger sur ce qui se passe entre ses paroles, soit les silences, les non-dits. Marie-Aude Baronian, aborde cet enjeu dans son étude comparée des installations Entre l’écoute et la parole. Auschwitz-Birkenau 1945–2005 (2010) de l’artiste israélienne Esther Shalev-Gerz et Chorus (2015) du cinéaste canadien d’origine arménienne Atom Egoyan. Nous retrouvons ici l’objet du témoignage filmé. Mais plus que sa connotation visuelle, bien que Baronian déplie le concept d’image-témoignage, c’est dans la dimension verbale et son absence signifiée par le silence, que l’on entrevoie la possibilité d’une rencontre entre témoin et spectateur. Rencontre qui s’avère possible seulement si ce dernier est disposé à l’écoute du récit du témoin et de ce qu’il ne dit pas. Baronian nous rappelle à ce propos les mots de Derrida : « le témoin parle en se taisant, en lui taisant quelque chose. En taisant, en gardant le silence, il s’adresse encore[69] ». Les deux installations s’avèrent d’ailleurs converger dans la monstration du silence « aussi bien comme défection de sons que comme cris désespérés[70] ».
Et si le travail de montage d’un film consistait aussi dans l’écoute de ces silences ou dans l’expression de ce qui n’est pas dit ? C’est ce qui souligne Catherine Hébert dans le dossier d’artiste quand elle revient sur l’expérience de réalisation du documentaire qu’elle a consacré à la figure de Ziva Postec, monteuse du film Shoah (1985) de Lanzmann[71]. Elle le fait à travers les mots d’Annie Jean, sa monteuse, qui au sujet des entretiens avec Postec remarque : « Lorsque quelqu’un est filmé, il y a ce qui est dit, et ce qui est tu, ce qui est exprimé, et ce qui est retenu. En fait, la matière contenue entre les mots est tout aussi précieuse que les mots eux-mêmes. Un silence donne parfois beaucoup plus à entendre qu’une parole[72]. » Encore une fois, dans ce cas pour le travail de montage, il est question d’un entre, soit d’interstices qui s’installent entre les mots et les images et désignent un espace médian qui, loin d’être vide, s’avère porteur de sens.
Dans le cadre de son étude intermédiale du commentaire de Jean Cayrol pour Nuit et Brouillard de Resnais, Ariane Santerre se penche, elle, sur la question du montage à travers la figure du « montage-témoignage » en tant que travail d’écriture filmique. Il est question de la notion barthésienne du « grain de la voix », en l’occurrence celle de Michel Bouquet qui lit le commentaire de Cayrol en évacuant toute émotion. Sa performance « sert bel et bien de vecteur de transmission indispensable[73] », car elle est porteuse de quelque chose de l’ordre d’un témoignage. En s’appuyant sur la figure rhétorique de la prétérition, les mots indiquent (paradoxalement) ce qui ne peut pas être exprimé, car, souligne Santerre avec Karla Grierson « qui dit indescriptible est déjà dans la description[74] ».
Quoi qu’il en soit, la voix, affirme Johanne Villeneuve, doit être considérée comme « un matériau pour le film qui la porte ». La référence renvoie de nouveau au film Shoah et tout particulièrement aux séquences consacrées au témoignage de Filip Müller. Accompagnée de mouvements du corps et des gestes, la voix vient en quelque sorte incarner l’image et matérialiser le geste de la transmission. L’exemple des transformations médiatiques du témoignage de Müller étudiées par Villeneuve, et dont l’approche intermédiale souligne les implications sur le plan épistémologique, esthétique et médiatique, conduit à des problématiques qui s’avèrent particulièrement actuelles. Qu’est-ce qui se passe lorsque la voix du témoin n’est plus « audible », c’est-à-dire lorsque le témoin n’est plus ? Comment garder, et surtout comment transmettre ces voix, au sens aussi bien littéral et que métaphorique ? Comment faire résonner ces paroles pour qu’elles demeurent toujours vivantes ? Et enfin, quel rôle peut-on reconnaître aux humanités numériques à ce propos ?
Cette dernière question, qui concerne, par ailleurs, les racines testamentaires du témoignage, représente également l’axe principal du projet de Marie Lavorel, Living archive/Archives Vivantes qu’elle a développé au sein du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de l’Université Concordia de Montréal. Cette recherche collaborative en histoire orale vise à collecter, archiver et à rendre disponibles sur une plateforme en ligne 28 témoignages de survivants montréalais du génocide contre les Tutsis au Rwanda et d’en proposer « une écoute profonde » et « interactive ». Rendre ces archives vivantes revient, entre autres, à exploiter le potentiel des outils numériques afin d’offrir aux usagers la possibilité d’interagir avec ces paroles, soit notamment d’annoter les récits de vie audiovisuels avec l’outil pédagogique Celluloid. On voit bien se profiler, alors, les différentes chaînes de médiations dont ce projet est la résultante : « médiation avec les êtres humains, de même qu’avec les entités machines[75] » que la plateforme met en relation. Enfin, la notion intermédiale de milieu, expression d’une théorie où socialité et médias « se coconstruisent en permanence[76] », nous semble trouver ici une illustration fort significative.
De toute évidence, il est impossible aujourd’hui d’ignorer le rôle de plus en plus important que jouent les humanités numériques dans les modalités d’archivage et de transmission des témoignages. La réalisation d’une base de données et d’une exposition virtuelle dans le cadre du projet Mémoire musicale et résistance dans les camps dirigé par Philippe Despoix autour de l’opérette Verfügbar aux Enfers, de Germaine Tillion, constitue un autre cas. À l’origine de cet hypermédia, se trouve la nécessité de rendre accessibles au grand public les résultats d’un projet de recherche axé sur l’identification des sources musicales coprésentes dans l’opérette de Tillion. Si l’exposition virtuelle permet de rendre visible précisément le complexe réseau de relations médiatiques (écrites, sonores et visuelles) qui traversent le Verfügbar aux Enfers, la base de données oeuvre sur le plan documentaire en offrant un outil pour les indexer.
La problématique de la transmission des résultats d’une recherche soulève un dernier point d’ordre méta abordé dans ce numéro : serait-il possible d’accorder au chercheur le statut de témoin ? C’est ce qu’affirment, bien qu’en adoptant des angles différents, les contributions de Frédérique Berthet et d’Anne Klein. C’est sous la forme d’un entretien que le texte de Berthet revient sur l’enquête présentée dans son ouvrage La voix manquante (2018) « qui retrace l’apparition » de Marceline Loridan-Ivens dans le film Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin. Au cas spécifique étudié par Berthet, s’ajoutent le travail interprétatif des « dires » de Marceline Loridan-Ivens, ainsi qu’une réflexion sur l’expérience de l’entretien autour de la « présence du passé » qui figure de manière centrale dans son travail d’enseignant-chercheur.
Centrée sur l’exposition de Boltanski Faire son temps présentée au Centre Pompidou en 2013, la contribution d’Anne Klein s’installe délibérément dans la forme du témoignage. Ceci revient concrètement à produire une réflexion s’appuyant plus sur les souvenirs de la visite de cette exposition que sur la documentation produite à son sujet. Son interprétation de la parole de Boltanski se fait au croisement de la figure du témoin et de celle du conteur, les deux ayant en commun le geste de transmission basé sur la prise de parole liée à une expérience passée. De la nécessité inhérente au geste de transmission, partagée par la témoin, la chercheuse et l’artiste, nous parle de l’oeuvre elle-même de Boltanski en affirmant que « la seule manière de survivre, c’est de transmettre[77] ».
Certainement, la question de la transmission apparaît comme le fil rouge qui relie, et même structure, les différentes contributions de ce numéro. En effet, s’il est vrai que la transmission est au coeur de l’acte de témoigner, elle occupe aussi une place privilégiée au sein des études intermédiales, au point que l’on pourrait affirmer que, en derrière instance, l’intermédialité est une question de transmission[78]. Originaire, cette notion concerne la communication depuis ses débuts et d’après ses multiples implications linguistiques, médiatiques, sociales et politiques. Au final, nous formulons l’hypothèse que les études de cas qui composent ce numéro constituent autant d’outils permettant, en plus de réfléchir à l’acte de témoigner, de saisir les caractéristiques de l’approche intermédiale, la notion de transmission étant ce qui permet d’articuler l’objet et l’approche.
Parties annexes
Notes biographiques
Rémy Besson a mené une thèse en histoire à l’EHESS portant sur la mise en récit du film Shoah de Claude Lanzmann (1985). Celle-ci a été publiée (MkF Éditions) et a conduit à la réalisation d’un documentaire de Catherine Hébert : Ziva Postec, la monteuse derrière le film Shoah (2018) dont il est le conseiller historique. Il a été chercheur postdoctoral au CRIalt (2012–2014), puis au LLA-CREATIS (Toulouse, 2014–2015) et à TECHNÈS (2016–2020). Il travaille actuellement à l’Université de Montréal dans le cadre du partenariat international de recherche TECHNÈS.
Claudia Polledri a obtenu à l’Université de Montréal un doctorat en littérature comparée consacré aux représentations photographiques de Beyrouth (1982–2011). Elle a été coordinatrice du CRialt (2015–2018) et chercheuse invitée au LLA–CRÉATIS (Toulouse, 2016). Actuellement, elle est chercheuse postdoctorale dans le cadre du partenariat international de recherche TECHNÈS et chargée de cours au département d'histoire de l’art et d’études cinématographiques (Université de Montréal). Poursuivant ses recherches sur la photographie contemporaine et le cinéma au Moyen-Orient, elle a été commissaire de l’exposition « Iran. Poésies visuelles », présentée au Québec en 2019.
Notes
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[1]
Il est entendu que l’intermédialité est avant tout considérée comme étant une approche et non comme étant une propriété constitutive du témoignage.
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[2]
La centralité de ces phénomènes — les guerres, génocides et massacres du 20e siècle — est d’ailleurs, très représentée dans ce numéro. Toutefois, comme nous le verrons par la suite, leur cadre d’interprétation s’éloigne de l’attestation de faits historiques.
-
[3]
Renaud Dulong, Le témoin oculaire : Les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1998, p. 43.
-
[4]
Trésor de la Langue Française informatisé, entrée « Témoigner », http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2222667210, (consultation le 22 juillet 2021).
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[5]
Hannah Arendt situe également la question à l’articulation entre philosophie et politique, quand elle entend distinguer vérité de fait et opinions : Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972.
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[6]
Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 204.
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[7]
Il serait évidemment possible de développer ces premières réflexions en les reliant aux enjeux de l’épistémologie du témoignage : Marion Vorms, « La valeur probante du témoignage : perspectives épistémologique et juridique », Cahiers philosophiques, vol. 142, n° 3, 2015, p. 21–52, disponible sur Cairn.info, https://doi.org/10.3917/caph.142.0021, (consultation le 23 juillet 2021).
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[8]
Elle est, par exemple, reprise, en 2020, dans le numéro thématique que la revue A contrario a consacré aux « Regards sur le témoignage » : A contrario, « Regards sur le témoignage », vol. 1, n° 30, 2020, disponible sur Cairn.info, www.cairn.info/revue-a-contrario-2020-1.htm, (consultation le 23 juillet 2021).
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[9]
Amit Pinchevski, « The Audiovisual Unconscious: Media and Trauma in the Video Archive for Holocaust Testimonies », Critical Inquiry, vol. 39, n° 1, 2012, p. 147.
-
[10]
Rémy Besson, « La plasticité du témoignage : le cas Inge Deutschkron », Magali Uhl (dir.), Les récits visuels de soi. Mises en récit artistiques et nouvelles scénographies de l’intime, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2015, p. 125–138.
-
[11]
Éric Méchoulan, « Intermédialités : le temps des illusions perdues », Intermédialités, n° 1, « Naître », 2003, p. 9–27, disponible sur Érudit.org, https://doi.org/10.7202/1005442ar, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[12]
Rémy Besson, « Prolégomènes pour une définition de l’intermédialité à l’époque contemporaine », Carnet de recherche Cinémadoc, 2014, disponible sur Hal.archives-ouvertes.fr, https://hal-univ-tlse2.archives-ouvertes.fr/hal-01012325v2, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[13]
Il est ici moins question d’une concurrence des victimes (Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes : Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997) que d’une concurrence entre les types de discours sur le passé pour accéder à la visibilité médiatique. Il est à noter que la distinction entre chaque catégorie susmentionnée (témoin, historien, journaliste, etc.) ne relève pas de l’évidence (François Hartog, Évidence de l’histoire : Ce que voient les historiens, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005).
-
[14]
André Gaudreault et Philippe Marion, « Transécriture et médiatique narrative. L’enjeu de l’intermédialité », André Gaudreault et Thierry Groensteen (dir.), La Transécriture. Pour une théorie de l’adaptation, Québec, Angoulême, Nota bene, Centre national de la bande dessinée et de l’image, 1998, p. 48.
-
[15]
Un tel questionnement renvoie au fait que l’intermédialité a pour objet l’émergence de nouveaux médias. Rick Altman explique, « l’intermédialité devrait désigner, à mon avis, une étape historique, un état transitoire au cours duquel une forme en voie de devenir un média à part entière se trouve encore partagée entre plusieurs médias existants, à un point tel que sa propre identité reste en suspens », Rick Altman, « De l’intermédialité au multimédia : cinéma, médias, avènement du son », Cinémas, vol. 10, n° 1, automne 1999, p. 38, disponible sur Érudit.org, https://doi.org/10.7202/024802ar, (consultation le 23 juillet 2022).
-
[16]
Claudia Polledri, « La figure du témoignage dans l’art contemporain libanais », Histoire de l’art, n° 80, 2017, p. 137. Les citations intégrées au propos sont de Dulong, 1998, p. 192.
-
[17]
Nous pensons ici à l’installation à trois écrans Entre l’écoute et la parole (Esther Shalev-Gertz, 2005), disponible sur le site de l’artiste, https://www.shalev-gerz.net/portfolio/between-listening-and-telling/, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[18]
Nous renvoyons au sujet de la reconstitution à l’introduction d’Anne Bénichou dans le n° 28–29 d’Intermédialités, « Refaire », automne 2016–printemps 2017, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2016-n28-29-im03201/1041075ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
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[19]
Paul Bernard-Nouraud et Luba Jurgenson, Témoigner par l’image, Paris, Petra, 2015.
-
[20]
Maryline Crivello, Concurrence des passés : usages politiques du passé dans la France contemporaine. Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2017.
-
[21]
Élise Pestre, « Le réfugié : un sujet en péril psychique et politique (note de recherche) », Asylon(s), n° 9, juin 2012, disponible sur Réseau-Terra, www.reseau-terra.eu/article1246.html, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[22]
Le rôle des traducteurs/trices est bien souvent central.
-
[23]
Méchoulan, 2003, p. 17.
-
[24]
À ce sujet, Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira écrivent, que « restituer la puissance de témoignage des écrits du passé suppose de considérer ceux qui les ont produits à la fois comme les témoins de ce qu’ils rapportent et comme les témoins de leur pratique d’écriture, qu’il faut prendre en considération comme une médiation pleinement historique entre la réalité passée et ses représentations ». Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira, Histoire, Littérature, Témoignage, Paris, Gallimard, 2009, p. 15.
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[25]
Chacun de ces types de productions culturelles (parfois désignées par l’expression d’oeuvres d’art) est lié au terme « documentaire ». Il y a effectivement un théâtre documentaire, des bandes dessinées documentaires, etc. Toutefois, c’est à l’appellation distincte « de témoignage » que nous faisons ici référence.
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[26]
Suzanne Paquet, « Introduction. Le multiple et le transmissible », Intermédialités, n° 17, « Reproduire », printemps 2011, p. 10, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2011-n17-im1817262/1005745ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[27]
Ainsi, la troisième section de l’ouvrage de Delphine Letort et Erich Fisbach (dir.), La culture de l’engagement au cinéma, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, est consacrée à L’engagement par le témoignage.
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[28]
C’est une manière de sortir les études du témoignage de « la prégnance de l’idéologie individualiste et identitaire moderne qui consiste en ce que la construction de notre identité passerait non seulement par une présentation de soi et un récit sur soi, mais aussi par le regard de l’autre et par la confirmation que cet autre en donne ». Florence Descamps, « Et si on ajoutait l’image au son ? Quelques éléments de réflexion sur les entretiens filmés dans le cadre d’un projet d’archives orales », Bulletin de l’AFAS, n° 29, été–automne 2006, disponible sur OpenEdition.org, https://journals.openedition.org/afas/34, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[29]
Cet élargissement des types de témoins doit aussi, en retour, nous conduire à « déranger la tendance des chercheurs à oublier leur propre responsabilité dans les processus d’exclusion à l’oeuvre quand il s’agit de définir ce qui compte comme connaissance », Donna Haraway, « Le témoin modeste : diffraction féministe dans l’étude des sciences », dans Le Manifeste cyborg et autres essais. Sciences-Fictions-Féminismes, Anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Éditions Exils, 2007, p. 327.
-
[30]
Comme l’écrit le muséologue Fabrice Grognet, « La définition même du mot ‘‘ objet ’’ dans la langue occidentale pose également d’autres problèmes. Il ne faut pas restreindre celui-ci à l’artefact, comme le montrent les échantillons minéraux ou végétaux présents dans les chaînes opératoires », Fabrice Grognet, « Objets de musée, n’avez-vous donc qu’une vie ? », Gradhiva, n° 2, 2005 : disponible sur OpenEdition.org : https://journals.openedition.org/gradhiva/473, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[31]
Croiser la notion d’agentivité avec celle de résonance développée par le philosophe Hartmut Rosa serait certainement utile pour approfondir cette piste, Hartmut Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, 2018.
-
[32]
Un tel cas d’étude entre parfaitement dans le cadre du paradigme indiciaire, soit de l’interprétation des traces par l’enquêteur (historien ou chasseur). Toutefois, le principe consiste, ici, à tenter de percevoir cet écosystème d’un point de vue non anthropocentrique. Il s’agit de prendre en compte les acquis du nouveau matérialisme performatif et de l’ontologie orientée objet. Sur les liens entre ces approches et l’intermédialité, lire Hervé Guay, Jean-Marc Larrue et Nicole Nolette (dir.), Théâtre et les Nouveaux matérialismes, à paraître en 2021 aux Presses de l’Université de Montréal.
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[33]
Sur ce sujet, on consultera le point de vue critique de Thierry Bonnot, « Itinéraire biographique d’une bouteille de cidre », L’Homme, n° 170, 2004, p. 139–163, disponible sur OpenEdition.org, https://journals.openedition.org/lhomme/24809, (consultation le 22 juillet 2021).
-
[34]
Il est aujourd’hui admis que l’objet témoin considéré doit lui-même être inscrit dans le temps et dans l’espace. Il est utile de considérer l’ensemble de ces usages depuis sa création jusqu’à sa conservation et sa valorisation dans l’espace public. À ce sujet, lire l’article de Baptiste Aubert dans ce numéro.
-
[35]
Simon Puaud et al., « Minéraux volcaniques et alpins à l’abri du Maras (Ardèche, France) : témoins de vents catabatiques dans la vallée du Rhône au Pléistocène supérieur », Comptes Rendus Palevol, vol. 14, n° 4, juin 2015, p. 339–340, disponible sur Sciencedirect.com, https://doi.org/10.1016/j.crpv.2015.02.007, (consultation le 23 juillet 2021).
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[36]
Il faut ici préciser qu’il arrive, comme dans le format testimonial du récit de vie, que l’individu s’exprime moins au sujet d’une expérience vécue qu’à propos de sa propre trajectoire biographique. L’individu témoignage alors de ce qu’il a été dans le passé.
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[37]
Sarah Cordonnier (dir.), Trajectoire et témoignage : Pour une réflexion pluridisciplinaire, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2015, p. 14.
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[38]
Ce sujet a été l’objet de vifs débats, notamment entre Paul Ricoeur et Algirdas-Julien Greimas. À ce sujet lire la biographie de François Dosse, « Un “combat amoureux” avec Greimas », Paul Ricoeur. Les sens d’une vie (1913–2005), Paris, La Découverte, 2008. Ce débat s’inscrit dans le même temps que la publication de Saul Friedlander (dir.), Probing the Limits of Representation: Nazism and the “Final Solution”, Harvard University Press, 1992.
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[39]
Pour aller plus loin dans l’étude des liens entre herméneutique et intermédialité, lire Éric Méchoulan, « Intermédialités, ou comment penser les transmissions », colloques en ligne, « Création, intermédialité, dispositif », Fabula, 2017, www.fabula.org/colloques/document4278.php, (consultation le 22 juillet 2021).
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[40]
Emmanuel Alloa, « Du témoignage ou de l’ininterprétable », Études Ricoeuriennes/ Ricoeur Studies, vol. 6, n° 1, 2015, p. 104, https://doi.org/10.5195/errs.2015.274, (consultation le 23 juillet 2021).
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[41]
Il faut, comme le propose Étienne Pouliot, sortir de l’étude des « variations sur un seul et même motif qui est celui de la vérité-transparence mimétiquement exhibée [du témoignage] », Étienne Pouliot, « Au travers de la représentation du témoignage », Laval théologique et philosophique, vol. 71, n° 1, 2015, p. 36, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/en/journals/ltp/2015-v71-n1-ltp02142/1033685ar/, (consultation le 22 juillet 2012).
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[42]
La notion d’expérience sensible, qui renvoie aux travaux de Rancière sur le partage du sensible (Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique éditions, 2000) et à une ouverture aux autres sens que la seule vue, demeure, peut-être, trop anthropocentrique. Elle renvoie aussi à l’histoire des sensibilités et nous permet ainsi de faire signe vers le fait que nous considérons que l’imaginaire peut également être pris en compte. Pris dans ce cadre, il est possible de témoigner d’une expérience sensible qui renvoie à des idées, des rêves, des fantasmes, des mensonges. Nous avons surtout souhaité éviter l’usage du terme événement, dont on sait, au moins depuis De Certeau (1968) qu’il ne renvoie pas seulement au fait passé. À ce sujet, lire Michel de Certeau, « Pour une nouvelle culture : prendre la parole », Études, tome 329, juin–décembre 1968, p. 29–42, disponible sur Gallica.bnf.fr, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441829m/f30.item, (consultation le 23 juillet 2021). Il faudrait aussi interroger plus longuement le fait que ce que l’on appelle « expérience sensible » est, elle-même sujet à une transformation de l’environnement médiatique. Comme l’écrit Silvestra Mariniello, « il s’agit, encore, du problème lié à la transformation de l’expérience dans ce même environnement, de la redéfinition de l’expérience historique et, en général, des problèmes relatifs à la transition d’un système de valeurs à un autre, encore indéfini. Il s’agit, enfin, du problème concernant l’émergence d’un milieu-réseau renvoyant à un sujet et à une mémoire qui ne semblent plus les mêmes que le sujet et la mémoire habitant l’écriture ». Silvestra Mariniello, « Commencements », Intermédialités, n° 1, « Naître », 2003, p. 48, disponible sur Érudit, www.erudit.org/fr/revues/im/2003-n1-im01243/1023523ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
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[43]
Le numéro 5 de la revue a été consacré à l’étude de ce verbe. Intermédialités, n° 5 « Transmettre », printemps 2005, sous la direction de Éric Méchoulan, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2005-n5-im1814660/, (consultation le 23 juillet 2021).
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[44]
Ce terme de communauté est central en études intermédiales, car comme l’écrit Caroline Bem, « la revue [Intermédialités et le CRIalt de manière plus générale] ancre d’emblée le fait médiatique du côté de l’humain, dans un champ relationnel qui dépasse largement celui d’une simple technicité de la transmission », Caroline Bem, « Introduction. L’intermédialité est la carte autant que le territoire », Intermédialités, n° 30–31, « Cartographier (l’intermédialité) », automne 2017–printemps 2018, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/en/journals/im/2017-n30-31-im03868/1049943ar/, (consultation le 22 juillet 2021). Concernant la notion de communauté, lire aussi, Marion Froger, Le cinéma à l’épreuve de la communauté. Le cinéma francophone de l’Office national du film 1960–1985, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2009.
-
[45]
Marie Treps, « Transmettre : un point de vue sémantique », Ethnologie française, vol. 30, n° 3, 2000, p. 362.
-
[46]
Le rôle du temps dans les études intermédiales a notamment été abordé dans le numéro 33 de la revue. Intermédialités, n° 33 « Restituer (le temps) », sous la direction de Vincent Bouchard et Ira Wagman, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2019-n33-im04907/, (consultation le 23 juillet 2021). Lire également, Sabina Loriga, « La pluralité du passé », L’Atelier du Centre de recherches historiques, n° 21, 2019, disponible sur OpenEdition.org, https://journals.openedition.org/acrh/9706?lang=en, (consultation le 22 juillet 2021).
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[47]
Sur ce point, lire Sébastien Fevry, « Le geste intermédial dans une cartographie des études mémorielles », Intermédialités, n° 30–31, « Cartographier (l’intermédialité) », automne 2017–printemps 2018, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/en/journals/im/2017-n30-31-im03868/1049948ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
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[48]
Autrement dit, la transmission consiste à créer un tissu de relations à travers lequel la communauté elle-même prend forme. David Berliner, « Anthropologie et transmission », Terrain, n° 55, 2010, p. 4–19, disponible sur OpenEdition.org, https://journals.openedition.org/terrain/14035, (consultation le 22 juillet 2021).
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[49]
Ricoeur, 2000, p. 205.
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[50]
André Gaudreault et Philippe Marion, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, 2013, p. 213.
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[51]
Jean-François Vallée revient sur cette notion dans « Intermédialité et écologie des médias : essai de cartographie comparative », Intermédialités, n° 30–31, « Cartographier (l’intermédialité) », automne 2017–printemps 2018, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/en/journals/im/2017-n30-31-im03868/1049947ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
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[52]
Pour la chercheuse, la configuration médiatique « est constituée de réseaux dynamiques de gestes, d’images, d’actes de langage ou de discours, ancrés dans des pratiques qui mobilisent des entités humaines et non humaines, naturelles et artificielles, dans des processus de communication élaborés sur des croisements symboliques », Marion Froger, « Le centre de recherche sur l’intermédialité (CRI) de l’Université de Montréal », Visio. Revue internationale de sémiotique visuelle, vol. 6, n° 2–3, été–automne 2001, p. 320.
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[53]
Jean-Marc Larrue et Marcello Vitali-Rosati, Media do not exist: performativity and mediating conjunctures, Amsterdam, Institute of Network Cultures, 2019.
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[54]
Méchoulan, 2003, p. 15.
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[55]
Marie-Pascal Huglo et Johanne Villeneuve, « Présentation : Mémoire et médiations », Protée, vol. 32, n° 1, printemps 2004, p. 4, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/en/journals/pr/2004-v32-n1-pr896/011019ar/, (consultation le 22 juillet 2021).
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[56]
Silvestra Mariniello, « L’intermédialité : un concept polymorphe », Célia Vieira et Isabel Rio Novo (dir.), Intermedia. Inter Media : littérature, cinéma et intermédialité, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 13.
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[57]
Il est possible d’articuler cette piste avec la génétique des archives audiovisuelles. Rémy Besson « Penser la présence des images absentes dans les écritures cinématographiques de l’histoire », Albert Jiatsa Jokeng, Roger Fopa Kuete et François Guiyoba (dir.), Intermédialité. Pratiques actuelles et perspectives théoriques, Nîmes, Lucie Éditions, 2020, p. 31–44.
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[58]
Froma Zeitlin, « The Vicarious Witness: Belated Memory and Authorial Presence in Recent Holocaust Literature », History and Memory, vol. 10, n° 2, 1998, p. 5–42.
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[59]
Marianne Hirsch, The Generation of Postmemory: Writing and Visual Culture After the Holocaust, New York, Columbia University Press, 2012.
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[60]
Fevry, 2017–2018.
-
[61]
Edgar Morin, La Méthode, Paris, Seuil, coll. « Opus », 2008.
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[62]
Nous espérons que certains de ces rapports dialectiques viendront se placer au côté des rapports (déjà quelque peu usés) propres à l’ère du témoin (1961–1990, selon Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998) entre histoire / mémoire, subjectivité / objectivité, témoignages / documents, contemporanéité / a posteriori, représentable / irreprésentable, ainsi que dans le domaine de l’intermédialité : transparence / opacité et coprésence / transfert.
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[63]
Johanne Villeneuve, « La symphonie-histoire d’Alfred Schnittke : intermédialité, cinéma, musique », Intermédialités, n° 2, « Raconter », automne 2003, p. 56, disponible sur Érudit.org, https://doi.org/10.7202/1005454ar, (consultation le 23 juillet 2021).
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[64]
Nous renvoyons, sur ce sujet, au n° 30–31 d’Intermédialités, « Cartographier (l’intermédialité) », automne 2017–printemps 2018, sous la direction de Caroline Bem, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2017-n30-31-im03868/, (consultation le 23 juillet 2021).
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[65]
L’usage de cette formule est une référence à l’ouvrage de Jacques Revel et Jean-Claude Passeron (dir.), Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.
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[66]
Matthieu Péchenet, « Les enjeux politiques du témoignage dans quelques essais de Claire Angelini », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 19.
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[67]
Doriane Biot, « Voix off et voix vive sur fond rouge. Témoignages et images en mouvement dans l’exposition C’est notre histoire : Premières Nations et Inuit du XXIe siècle », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 12.
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[68]
Ibid., p. 28.
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[69]
Jacques Derrida, Poétique et politique du témoignage, Paris, L’Herne, 2005, p. 77–78.
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[70]
Marie-Aude Baronian, « Entre les visages : l’image-témoin en glissement », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 16.
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[71]
Catherine Hébert (réal.), Ziva Postec. La monteuse derrière le film Shoah, 92 min., Les Films Camera Oscura, Québec, Canada, 2018.
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[72]
Catherine Hébert, citant les propos d’Annie Jean, « Témoigner : l’expérience du tournage de Ziva Postec. La monteuse derrière le film Shoah », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 6.
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[73]
Ariane Santerre, « Le commentaire de Jean Cayrol pour Nuit et brouillard d’Alain Resnais : au confluent du témoignage et de l’intermédialité », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 20.
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[74]
Ibid., p. 22, cite Karla Grierson, « Indicible et incompréhensible dans le récit de déportation », Daniel Dobbels et Dominique Moncond’huy (dir.), Les camps et la littérature. Une littérature du XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 121.
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[75]
Marie Lavorel, « Faire résonner les récits de vie : la plateforme numérique “Archives vivantes” », Intermédialités, n° 36 « Témoigner », printemps 2021, p. 27.
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[76]
Mariniello, 2011, p. 13.
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[77]
Arnaud Laporte (réal.), « Mort de Christian Boltanski : “La seule manière de survivre, c’est de transmettre” », Affaires culturelles, France Culture, 4 février 2021, émission radiophonique, www.franceculture.fr/emissions/affaires-culturelles/christian-boltanski-est-linvite-daffaires-culturelles, (consultation le 23 juillet 2021),
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[78]
On rappelle, à ce propos, les mots d’Éric Méchoulan dans l’introduction du numéro d’Intermédialités, n° 5, « Transmettre », printemps 2005 : « il serait même possible de voir le développement récent de nos enquêtes intermédiales comme l’utile résurgence de cette question originaire de la transmission », p. 20, disponible sur Érudit.org, www.erudit.org/fr/revues/im/2005-n5-im1814660/, (consultation le 22 juillet 2021).