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Le livre de Marie-Pier Bouchard, issu de son mémoire de maîtrise en histoire à l’Université Laval, comble une double lacune dans l’historiographie du Québec du XXe siècle. D’une part, elle s’intéresse à la région de Charlevoix, qui a fait l’objet de peu d’études d’historiens et d’historiennes. D’autre part, elle met de l’avant les femmes, absentes des quelques recherches sur la région. En outre, l’histoire de ces femmes a souvent été cachée ou occultée par l’image traditionnelle de la femme de campagne que ce soit dans les recherches ou dans les oeuvres de fiction. Il y a donc lieu, selon l’autrice, de faire une analyse approfondie des femmes de Charlevoix qui avaient la particularité de devoir composer avec une absence prolongée de leur mari.
Marie-Pier Bouchard s’est intéressée à la période de 1940 à 1980. La limite étant fixée d’un côté par les sources orales et de l’autre par les mutations socio-économiques qui ont profondément et durablement modifié le paysage de Charlevoix. L’autrice croit que les migrations périodiques des hommes, forcées par l’instabilité économique de la région et le manque de ressources exploitables, ont marqué le tissu social durablement, au point où plusieurs ont parlé de « paroisses de femmes[1] ».
À travers ce livre, l’historienne souhaite observer les différentes situations qui varient selon les régions, mais aussi dégager les points communs de l’existence de ces femmes. Pour ce faire, elle s’est tournée vers les sources orales pour combler le silence des sources écrites. Elle souhaite faire parler ces femmes de leur expérience afin de faire ressortir leur propre agentivité. Marie-Pier Bouchard a interviewé 17 femmes aujourd’hui âgées de 65 à 90 ans et a décidé de retranscrire leurs mots tels quels, comme porte d’entrée dans leur réalité. Ces femmes peuvent être réparties en deux groupes, celles ayant vécu les migrations saisonnières du mari et celles dont la mère a vécu les migrations saisonnières du mari.
L’historienne a divisé sa recherche en trois chapitres qui ne sont pas mutuellement exclusifs, mais qui constituent des vases communicants. Le premier dresse un portrait des conditions économiques et environnementales, notamment en lien avec la nécessité de la pluriactivité et, corollairement, des migrations. Le second aborde l’espace familial et les différents rôles occupés par les femmes durant l’absence de leurs maris. Enfin, le troisième chapitre se concentre sur l’espace communautaire, où il est question des réseaux sociaux auxquels participaient ces femmes. Cette structure permet de comprendre la raison de l’utilisation de l’expression « paroisse de femmes », employée pour décrire Charlevoix. En plus de ces trois chapitres, nous retrouvons une bibliographie, une carte de la région en annexe 1 ainsi que des tableaux détaillés des participantes en annexe 2. Il y a deux types de tableaux. Le premier présente le profil sociodémographique des participantes et le second, les types de migrations saisonnières. Ces divers tableaux constituent une aide précieuse pour le lecteur puisqu’ils permettent de suivre plus facilement le déroulement du livre en se référant au parcours des participantes.
Parmi les points positifs de cet ouvrage, notons l’utilisation d’une littérature extérieure à la région de Charlevoix par l’autrice. Marie-Pier Bouchard n’hésite pas à faire appel à des textes portant entre autres sur l’Ontario, le Portugal et le Mexique, régions marquées elles aussi par les migrations saisonnières des hommes à une certaine époque. Ces comparaisons permettent de suppléer au manque de sources portant sur les Charlevoisiennes et de comprendre que cette situation, bien que particulière, n’est pas unique en son genre.
Marie-Pier Bouchard atteint l’objectif qu’elle s’est fixé en réalisant une fine analyse des ressemblances et des différences entre les femmes interviewées. Il s’agit du point fort de son livre. Après la lecture de son ouvrage, nous sommes en mesure de saisir les subtiles différences entre ces femmes au destin semblable. Elles sont tout d’abord causées par la provenance des femmes originaires des diverses régions de Charlevoix, mais également par l’occupation de leur mari. Ensuite, plusieurs différences importantes s’observent entre les femmes plus âgées issues de la première cohorte et les plus jeunes issues de la deuxième cohorte. Avec les améliorations technologiques, les tâches ménagères des femmes s’allègent, ce qui permit à plusieurs femmes de la deuxième cohorte d’investir le marché du travail pour aller chercher un revenu supplémentaire pour leur famille. Aussi, l’amélioration des moyens de communication et des moyens de déplacement rendait la distance parfois moins pesante pour les femmes de la deuxième génération.
La lecture de ce livre, bien que succinct, s’avère une nécessité compte tenu du manque de travaux sur les femmes en histoire du Québec, et ce, même si elles sont de plus en plus mises de l’avant par les historiens et les historiennes ces dernières années.
Parties annexes
Note
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[1]
Marie-Pier Bouchard, Vivre au coeur de « paroisses de femmes » dans la région de Charlevoix, 1940–1980, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 3