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Après avoir fait paraître en 2014, chez le même éditeur, sa thèse de doctorat consacrée à l’histoire contemporaine de la maternité au Québec[1], l’historienne Andrée Rivard nous offre aujourd’hui le revers de la médaille en publiant De la naissance et des pères. Ce nouvel opus, fruit d’un travail de recherche postdoctorale réalisé en 2011-2012 sous la direction de Francine de Montigny—qui postface d’ailleurs l’ouvrage—, s’intéresse en effet au vécu de la naissance par les pères québécois et à l’évolution de leur implication dans la période périnatale au cours des années 1950-1980. À partir d’archives diverses, de publications et d’entretiens, Rivard se propose de suivre la transformation de l’implication des pères au moment de la naissance de leur(s) enfant(s) afin de démontrer qu’elle résulte d’une interaction entre l’évolution de sensibilités masculines à l’égard de la famille et des enjeux politiques et sanitaires. Elle entend, autrement dit, retracer l’histoire du « nouveau » modèle paternel axé sur l’intimité et la relation avec l’enfant, qui se voit valoriser à partir des années 1950-1960. Pour ce faire, elle divise son ouvrage en six chapitres.
Le premier dresse un portrait de la famille québécoise francophone de la classe moyenne du milieu du XXe siècle. Il insiste sur l’hétérogénéité des comportements paternels, et ce malgré l’influence marquée des normes sociales et sanitaires relayant l’image du père idéal en tant que mari pourvoyeur. Le second chapitre montre ensuite comment la médicalisation de la naissance et son déplacement vers l’hôpital participent de l’exclusion du père d’un moment auquel il pouvait pourtant auparavant, si ce n’est contribuer, du moins assister plus ou moins activement selon son envie. Le père se voit ainsi renvoyer à la porte de la salle d’accouchement, n’étant plus accueilli que dans ces cours prénataux qui voient alors le jour pour contrer la solitude de la parturiente. Cette situation n’est pourtant pas du goût de tous et rapidement, des hommes et des femmes, ici qualifiées d’avant-gardes, vont contester les règles hospitalières, comme le rappelle le troisième chapitre. Revendiquant d’autres modes d’accouchement, dit naturel ou conscient, ces couples vont valoriser des méthodes laissant toute sa place au père. De nombreux pères vont aussi lutter pour la reconnaissance de ce qu’ils jugent être un droit, celui d’être présent lors de la naissance de leur enfant ; droit qui va progressivement, comme le précise le chapitre 4, être reconnu au cours des années 1970. Mais ce nouvel accès des pères à la salle de travail impliquera alors de nouvelles normes—détaillées au chapitre 5—auxquelles les hommes vont devoir se soumettre. Le rôle du père se voit de plus en plus défini dans une posture d’accompagnant qui participe à le responsabiliser. Ce nouveau modèle d’accouchement, qui inclut un rôle bien codifié du père, ne satisfait, là encore, pas tout le monde, certains se sentant à l’étroit dans cette fonction imposée d’intervenant auxiliaire policé et souvent policier. Ils sont nombreux à souhaiter pouvoir agir en accord avec leurs valeurs personnelles afin de vivre pleinement et à leur rythme l’intensité de ce moment unique. Cette sensibilité nouvelle s’observe notamment, selon l’auteure, dans l’accueil réservé aux nouvelles méthodes d’accouchement « alternatives », en particulier la « naissance sans violence » du Dr Leboyer qui favorise la multiplication des scénarios comme des lieux d’accouchement selon l’envie des futurs parents. L’installation de chambres de naissance dans certains hôpitaux québécois participera, un temps, de cette ouverture de l’espace médico-hospitalier à la sensibilité des parents et à l’implication souvent corrélative des pères.
Ainsi, de l’exclusion accompagnant la médicalisation des accouchements à l’exigence croissante d’implication, les hommes semblent avoir, entre 1950 et 1980, retrouvé une forme de liberté (potentielle) qu’ils possédaient lorsque les femmes accouchaient majoritairement à domicile. Néanmoins, cette liberté s’accompagne désormais d’une plus grande responsabilisation, qui peut, pour certains, prendre la forme d’une certaine culpabilisation, tant le modèle du bon père inclut désormais une participation active à la période périnatale ainsi qu’une nécessaire expression de ses sentiments à l’égard de l’enfant naissant ou à venir. Une chose est sûre, ces transformations n’auraient pu advenir sans l’engagement actif et prolongé de pères qui souhaitaient voir les choses évoluer pour eux comme pour leurs concitoyens. Ce constat doit inciter à repenser le rôle porteur des hommes en matière de changement social, notamment dans ce domaine où l’on a souvent souligné l’action des femmes, conclut Rivard en modérant ainsi les conclusions de sa précédente étude.
Finalement, ce petit ouvrage riche et agrémenté de nombreuses photographies remplit aisément son objectif en détaillant le changement important qui s’est opéré dans la condition des pères au Québec entre 1950 et 1980. Si l’on peut parfois regretter la brièveté de certaines analyses et conclusions et que l’on aurait souhaité voir certaines affirmations davantage développées, notamment en recourant à des sources plus variées, force est de constater que Rivard produit ici une oeuvre aussi utile qu’intéressante. En plus d’offrir une description claire de l’évolution du rôle des pères dans la naissance, elle contribue en effet de manière originale à l’histoire sociale de la province, notamment en détaillant les sensibilités à l’oeuvre dans ces transformations. Reste à souhaiter que cet opus ouvre la voie à de nouvelles recherches qui permettent de détailler, davantage encore, les éléments historiques importants dévoilés ici.
Parties annexes
Note
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[1]
Andrée Rivard, Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Montréal, Remue-ménage, 2014.