Résumés
Résumé
La ville de Rome s’est développée dans un rapport étroit avec les eaux douces. À partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., les Romains se dotèrent d’aqueducs pour rendre l’eau plus largement accessible à la population. Cette étude interroge les connaissances romaines en matière d’hydrologie par une analyse de sources littéraires de la République et du Haut Empire. Trois aspects sont abordés : les propriétés des eaux, les manières de trouver et de conduire l’eau de bonne qualité, puis celles d’en consommer. Elle ouvre également des pistes de réflexion sur les rapports culturels entre les Romains et l’eau.
Corps de l’article
Durant la République et le Haut Empire, les Romains ont mis beaucoup d’effort pour rendre l’eau douce accessible à la population de Rome à mesure que la démographie urbaine augmentait. Construits à partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., les aqueducs de Rome (au nombre de neuf au début du IIème siècle) fournissaient un flot constant d’eau douce nécessaire à l’hygiène, l’alimentation, la sécurité, aux loisirs et aux cultes publics de la cité. Bien que l’existence et l’étendue des réseaux d’aqueducs romains soient bien connus, il reste des questions à explorer sur les circonstances de leur construction. Quelles connaissances avaient les savants et les ingénieurs romains des eaux de leur territoire et d’ailleurs ? Comment décrivaient-ils et percevaient-ils leurs différentes propriétés ? Quelles techniques utilisaient-ils pour trouver et acheminer les eaux salubres ? Quelles eaux de Rome étaient considérées les meilleures à consommer ?
Cet article répondra à ces questions en se penchant sur des traités d’auteurs latins spécialisés dans le savoir qualitatif et technique des eaux. Ces ouvrages ont été rédigé durant la fin de l’époque républicaine et le Haut Empire. Nous examinerons principalement le traité de Vitruve, De l’architecture, notamment le livre VIII qui est dédié à l’eau (rédigé vers 30-20 av. J.-C.), les Questions naturelles de Sénèque (publié vers 65 ap. J.-C.), en particulier le livre III qui porte sur les eaux terrestres (De aquis terrestribus), l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien, (publié vers 77 ap. J.-C.), ainsi que le traité de Frontin : Les aqueducs de la ville de Rome (publié en 98 ap. J.-C.), pour ce qui concerne l’administration des eaux[1]. Bien qu’ils aient été accessibles, ces traités de littérature sont destinés aux élites de Rome et des provinces de l’Empire qui peuvent être responsables de la gestion du territoire et de ses ressources[2]. D’autres auteurs anciens et des études spécifiques serviront à approfondir nos arguments.
L’objectif de cette étude est de mettre en relief des passages de la littérature latine qui permettront au lecteur de mieux comprendre les connaissances romaines en matière des eaux terrestres à l’époque où Rome atteint son paroxysme d’expansion démographique et territoriale. Cette étude se présente en deux parties : nous ferons d’abord ressortir différentes qualités des eaux terrestres telles que décrites et expliquées par ces auteurs (médicales, mortifères et extraordinaires), puis nous exposerons les manières de trouver, de conduire et de consommer l’eau potable.
Les propriétés des eaux douces
Tel que l’écrivait le géographe grec Strabon à la fin du 1er siècle av. J.-C., le territoire de l’Italie est riche en eaux douces et en minerais de toutes sortes[3]. Parallèlement à leur conquête de l’Italie et du monde méditerranéen, les Romains ont enrichi les connaissances grecques des eaux douces en les adaptant au territoire de l’Italie, notamment en ce qui concerne les lacs, les cours d’eau, les eaux souterraines et la pluie. Soulignons que l’Antiquité est marquée par l’essor d’écoles de pensées philosophiques qui ont voulu, chacune à sa manière (par observation et/ou abstraction), expliquer les principes élémentaires de la nature (la phúsis en grec). Ces penseurs ont produit des traités de toutes sortes dans lesquels l’eau occupe une place de choix (métaphysique, physique, médecine, technicité, etc.)[4]. Les auteurs romains que nous avons sélectionnés ont voulu s’intégrer dans cette lignée. Il convient d’aborder ces notions de base.
Dans ses Questions naturelles, Sénèque présente un lexique pour étudier les eaux terrestres dans toute leur variété. Selon lui, l’eau peut être stagnante (stant), courante (eunt), elle peut être confluente lorsqu’elle se joint à d’autre cours d’eau (colliguntur), ou provenir de veines souterraines (venae). Sénèque distingue les eaux célestes (caelestes) des eaux terrestres (terrestribus). À la manière des savants grecs, il considère que les diverses propriétés des eaux proviennent du terrain qu’elles parcourent sous terre. Les eaux peuvent être froides (frigidae), chaudes (calidae), troubles (turbidae) et leur poids et leur apparence varient selon la matière qu’elles transportent[5]. Certaines eaux sont considérées « pures » (purae ou sincerae) en raison de leur limpidité. D’après Pline l’Ancien, les eaux « pures » ne doivent pas avoir de goût, de couleur, ni d’odeur[6]. Les eaux agissent sur le corps humain pour lequel elles peuvent être salutaires (salutares), c’est-à-dire bonnes en général, médicinales (medicatae), et à l’inverse, venimeuses (uenena) ou mortelles (mortiferae)[7]. Les Romains font aussi une distinction entre un « torrent » (amnis, parfois un cours d’eau), une rivière (fluvius) et un fleuve (flumen)[8]. Après avoir introduit ces quelques notions lexicales, nous examinerons les effets des eaux sur la santé.
Les eaux favorables à la santé
Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien s’intéresse aux remèdes pouvant être tirés des eaux en se basant sur la médecine de son époque. Selon lui, les médecins sont toujours curieux de savoir quelles eaux sont ingurgitées par les individus et recommandent de boire l’eau courante que l’agitation aura rendue plus claire et salubre que l’eau stagnante[9]. Suivant les principes de la médecine hippocratique, Vitruve et Pline considèrent que l’eau de pluie est malsaine puisqu’elle se corrompt rapidement par l’évaporation (étant chargée d’air) et qu’elle peut causer des maux de gorge et d’estomac. Selon ces auteurs, il faut donc éviter de boire l’eau de pluie recueillie dans une citerne, d’autant plus qu’elle peut être bourbeuse et servir d’habitacles aux moustiques[10]. Pour sa part, Vitruve note que la pluie altère le goût de l’eau en la rendant amère, et c’est pourquoi les aqueducs doivent être couverts en plus de protéger l’eau de l’évaporation[11]. Dès lors, il vaut mieux de boire l’eau courante provenant d’un aqueduc voûté ou d’un cours d’eau salubre que de l’eau « céleste », qui est considérée comme nuisible[12].
Selon Pline, différentes eaux procurent des remèdes à de nombreux maux, soignant tantôt les nerfs, les douleurs aux pieds, aux hanches, à la tête, aux oreilles, ou encore les dislocations ou les plaies. Pline écrit qu’après la mort de Cicéron (43 av. J.-C.), une source pouvant guérir ceux qui sont atteints d’une maladie des yeux jaillit de la terre près de la villa du défunt en Campanie[13]. Selon Sénèque, c’est en se rapprochant du feu souterrain que les eaux se réchauffent, ce qui fait que les eaux chaudes varient selon les substances qu’elles transportent (ferrugineuses, nitreuses, alumineuses, etc.)[14]. Notons que les Romains prisaient les eaux thermales pour leurs vertus thérapeutiques. L’eau sulfurique, par exemple, est considérée bonne pour soigner les maux de nerfs, tandis que l’eau alumineuse sert à combattre la paralysie et les traumatismes nerveux[15]. Comme en témoignent les nombreux thermes romains (thermae et balnea), les Romains et les Romaines étaient des adeptes du thermalisme, visitant ces lieux presque chaque jour, autant en ville qu’à la campagne (à l’instar des Aquae Apollinares près du lac Bracciano), ce que l’on peut décrire comme « une médecine plaisante »[16].
D’autre part, certaines eaux gazéifiées froides pouvaient avoir des propriétés curatives, à l’image des eaux blanchâtres à Albula, non loin de Tivoli (Aquae Albulae), qui soignent les plaies, et les eaux de Cutilie en Sabine (Aquae Cutiliae), favorables à l’estomac, à l’ensemble du corps et qui sont parfois prises en boisson[17]. À partir de la fin du Ier siècle av. J.-C., les bains dans l’eau froide se popularisent à travers l’Empire après qu’Auguste fut guéri par le médecin Antonius Musa en 23 av. J.-C. au moyen d’une thérapie par l’eau froide[18]. Par exemple, Sénèque, près d’un siècle plus tard, se définit comme un « intrépide amant de l’eau glacée », lui qui avait l’habitude prendre un bain dans l’eau froide de l’aqueduc Virgo chaque Nouvel An (1er janvier)[19]. D’après ces auteurs, l’eau courante est donc la plus favorable à la santé et certaines eaux mélangées aux sols peuvent avoir des propriétés thérapeutiques. En revanche, d’autres eaux sont très nuisibles.
Les eaux néfastes et mortifères
L’eau qui voyage sous terre se mélange parfois à des matières nuisibles (maleficum sucum), comme du soufre, du bitume ou de l’alun, qui procurent à l’eau des propriétés malsaines[20]. Ingurgiter de telles eaux peut alors causer divers malaises aux nerfs et à l’estomac, voire même causer la mort. Sénèque qualifie ces eaux de « mortifères » et « vénéneuses ». Il rapporte que certaines eaux malsaines ne se détectent ni à l’odeur ni au goût, « opérant telles des empoisonneurs dont les méfaits ne sont révélés que par la mort des victimes »[21]. Vitruve, Sénèque et Pline rapportent notamment l’existence d’une telle source en Arcadie qui porte le surnom de Styx en raison du lieu où se rendent ceux qui s’y abreuvent. Cette source froide semble à première vue claire et limpide, mais cause rapidement la mort en nouant les voies respiratoires après avoir été consommée[22]. Les exhalaisons des eaux stagnantes chargées de matière peuvent parfois s’avérer nuisibles ou fatales pour ceux qui les respirent, et notamment pour les animaux. Par exemple, certains lacs de l’Italie centrale ont des exhalaisons sulfuriques si nuisibles que l’air tue les oiseaux qui les survolent. C’est le cas du lac Ampsanctus, aux frontières de l’Hirpinie (au sud-est de Rome), où les victimes sacrifiées à la patronne des lieux, la déesse Méfitis, étaient laissées à proximité des exhalaisons gazeuses[23]. Pline observe ce même phénomène au lac Averne près de Cumes en Campanie. C’est à cet endroit que se trouve l’entrée des Enfers dans l’épopée de Virgile[24]. Selon le poète épicurien Lucrèce, ce phénomène peut s’expliquer par le fait que les vapeurs du lac dissipent les atomes d’air à sa surface, ce qui fait que les oiseaux ne peuvent plus voler à cet endroit et tombent dans l’eau sulfureuse[25].
Par ailleurs, Vitruve et Pline rapportent qu’une source de la vallée de Tempé en Thessalie est si nuisible que nul animal n’ose s’en approcher ; ses eaux peuvent traverser les métaux et empêchent la végétation de s’épanouir aux alentours. En Macédoine, le tombeau du poète Euripide (480-406 av. J.-C.) se trouve entre deux sources, l’une très salubre et prisée des visiteurs et l’autre réputée être mortelle[26]. Ajoutons que certaines eaux prises en boisson peuvent causer des nuisances moindres telles que le sommeil, l’ivresse ou un gonflement de gorge. Ces effets variés des eaux comptent parmi les diverses irrégularités de la nature. Ils sont parfois salutaires, néfastes et peuvent sortir du commun.
Les phénomènes particuliers des eaux
Selon ces spécialistes, certaines eaux ont des capacités spéciales, voire étonnantes. C’est le cas des propriétés pétrifiantes des eaux. Sénèque et Pline rapportent que certaines eaux terrestres peuvent transformer en pierre le territoire qu’elles bordent ou les objets qu’elles contiennent, comme c’est le cas, dans le monde grec, de sources à Perperènes en Phrygie et à Delium en Eubée, ainsi que des eaux provenant des mines de l’île de Scyros, qui pétrifient les arbres qu’elles arrosent. Ces auteurs ne manquent pas de noter qu’en Campanie, près de Sorrente, un rameau laissé dans l’eau d’un lac se transforme en pierre en quelques jours[27]. Selon Sénèque, ce phénomène s’explique par la couche de sédiments qui entoure et cimente les corps. C’est pourquoi les eaux sulfureuses et ferrugineuses, comme à Albula, forment une croûte solide dans les bassins et les canalisations[28]. Ainsi, Sénèque croit qu’il ne faut pas trop s’en étonner.
Certaines eaux ont des propriétés tinctoriales extraordinaires pour les troupeaux qui s’y abreuvent, pouvant les faire passer du blanc au noir ou vice-versa, comme c’est le cas de deux rivières en Béotie. Pline rapporte qu’en Macédoine, les moutons blanchissent lorsqu’ils sont près du fleuve Haliacmon, alors qu’ils noircissent lorsqu’ils sont conduits au Pénée. Pour sa part, Sénèque dit tenir de « bons auteurs » qu’un fleuve en Galatie (Asie Mineure) change la couleur des animaux qui s’y abreuvent, et qu’un fleuve de Cappadoce change la robe des chevaux qui s’y baignent[29]. D’après Pline, certains cours d’eau modifient les traits physionomiques des individus, comme c’est le cas dans le sud de l’Italie où les gens qui boivent du Crathis sont plus « mous » et ont les cheveux lisses, tandis que ceux qui boivent du Sybaris ont les cheveux gras et sont plus « robustes »[30].
Ajoutons que certaines eaux peuvent modifier les caractères psychologiques de ceux qui s’y abreuvent. L’eau de la Fontaine rouge, en Éthiopie, rend les gens fous. En revanche, les eaux de la fontaine de Sinuesse en Campanie peuvent guérir les hommes de la démence, tandis que les femmes s’y rendent pour guérir de la stérilité. En Cilicie, les eaux du Nus donnent la sagacité, tandis que les sources de l’île de Chio rendent les gens abrutis. En Béotie, la source de Mnémosyne ramène la mémoire et celle de Léthé la fait perdre. Notons qu’un cours d’eau près de Zama en Afrique Proconsulaire a le pouvoir d’embellir la voix[31]. Pour les Anciens, les eaux ont toutes sortes d’effets physiques et moraux.
Aux yeux des Romains, les variations et les mouvements des eaux étaient parfois perçus comme des présages, et ils avaient alors recours aux spécialistes des signes pour interpréter les changements drastiques ; par tradition, ils avaient recours aux haruspices étrusques, consultaient les Livres sibyllins ou envoyaient une ambassade à Delphes. Le débordement du lac Albain de 393 av. J.-C., qui nécessita l’avis d’un haruspice, et l’inondation du Tibre vers l’an 16, alors que Tibère choisit de ne pas construire de digues pour laisser libre cours à la volonté du fleuve, sont des exemples littéraires qui témoignent de ces dialogues entre les Romains, la nature et les dieux[32]. Pour revenir à nos spécialistes des eaux, Sénèque et Pline associent parfois les mouvements des eaux avec le destin (la fortuna). Pline rapporte par exemple qu’en Cantabrie (Hispanie citérieure), trois sources sont à proximité l’une de l’autre et se réunissent parfois pour ne former qu’un seul cours, mais elles tombent subitement à sec pendant quelques semaines. Celui ou celle qui s’y rend et les trouve à sec sera frappé par la malchance. Ce qui arriva au légat de la province Lartius Licinius qui mourut sept jours après avoir visité ces lieux (vers 70)[33].
La disposition naturelle et les mouvements des eaux douces pouvaient donc avoir un impact sur les superstitions des Romains, qui étaient sensibles aux forces invisibles des dieux (les numina)[34]. Quant à la mer que les Romains ont conquise progressivement comme une province étrangère, nous n’aborderons pas la controverse chez les Anciens sur le fait qu’elle ne déborde jamais, mais retenons que Sénèque et Pline lui accordent la propriété de digérer les immondices (les sordes)[35]. Pour Sénèque, qui se veut aussi moraliste, l’érosion progressive sur les côtes de l’Italie est un signe que le monde sera englouti par la mer lorsque l’humanité sera châtiée pour ses moeurs décadentes[36].
En somme, ces exemples montrent les Romains entretenaient des rapports ambivalents avec les eaux terrestres ; parfois associées à une menace (la fortune de Rome ou d’un individu), et parfois à un bienfait (la santé générale ou la cure particulière). Suivant l’approche de John Scheid, les Romains avaient une certaine fascination pour les phénomènes « étonnants » des eaux, suscitant parfois la crainte ou l’admiration propre à vouer un culte[37]. Une lettre de Sénèque illustre bien cette coutume de vénérer différents lacs et cours d’eau du sol de l’Italie[38]. Pline, quant à lui, écrit sur le domaine des eaux « qu’en aucune partie de la nature ne se rencontrent plus grandes merveilles »[39].
Ainsi, ces auteurs, notamment Vitruve, Sénèque et Pline, ont démontré un intérêt particulier à vouloir décrire, répertorier (souvent indirectement des textes grecs) et parfois expliquer les propriétés des eaux terrestres qui sont aussi variées que les terrains qu’elles côtoient. Ces traités servent parfois des fins pragmatiques, mais ils informent également sur la pensée philosophique des auteurs. Selon Sénèque, par exemple, l’étude de la nature et de ses phénomènes permet de mieux comprendre ses complexités et, par prolongement, les mécanismes de l’homme dans celle-ci[40]. Bien que les phénomènes présentés puissent parfois sembler farfelus à notre esprit de moderne, ces auteurs ont voulu les expliquer comme toute anomalie naturelle, sans distinction entre la sphère divine et une « science » de la nature (une distinction de l’époque des Lumières). Après avoir examiné ces diverses propriétés des eaux terrestres, nous aborderons de plus près l’usage de l’eau potable.
Gérer, acheminer et consommer l’eau douce
Dans la société romaine, conduire des eaux salubres au moyen d’aqueducs et les rendre accessibles au public est à la base du modèle d’urbanisme qui se développe durant la République et le Haut Empire romain. Tel que l’indique l’homme politique Frontin, la charge civile d’administrateur des eaux de Rome, le curator aquarum, qu’il occupa en 97 sous Nerva, est fondamentale à la gestion de la cité[41]. En effet, celui qui occupe cette magistrature prestigieuse doit veiller à ce que l’eau soit suffisante à l’hygiène des habitants de la cité, ainsi qu’aux autres besoins du public (loisirs et cultes), des particuliers et de la maison impériale. L’eau des fontaines ne doit également pas faire défaut pour lutter contre les incendies, en particulier lors des chaudes canicules de l’été, lorsqu’ils sont plus fréquents[42].
Pour évacuer les eaux troubles de la cité, les Romains se sont dotés d’un grand égout, la Cloaca Maxima, qui fut entretenu sur plus de 600 ans selon Pline l’Ancien (construit à partir de l’époque royale)[43]. La Cloaca et les autres égouts de Rome envoyaient les eaux usées vers le fleuve, le tout s’acheminant vers la mer qui, nous l’avons souligné, avait des propriétés autonettoyantes aux yeux des Romains. La « bonne gestion » des eaux urbaines est donc essentielle à longévité de Rome et de ses habitants. Pour cela, il faut savoir la localiser et l’acheminer adéquatement.
Comment trouver l’eau douce
Pour trouver l’eau salubre, il faut savoir reconnaître les indices dans la nature. Selon Vitruve, certains signes se remarquent sur les plantes marécageuses qui ne peuvent vivre sans humidité souterraine. Si elles se trouvent là où il n’y a pas de marais, par exemple, alors c’est qu’il y a une bonne quantité d’eau en dessous[44]. D’après Vitruve et Pline, mieux vaut chercher l’eau douce près des montagnes car elles en contiennent grande quantité. Selon ces auteurs, l’eau des montagnes est de bonne qualité puisqu’elle est le résultat d’un long processus de filtration à travers les sédiments. L’eau qui coule à flanc de montagne est aussi de bonne qualité parce que l’ombrage des arbres empêche les parties limpides de s’évaporer. S’il faut se limiter aux plaines, alors il convient de chercher à l’intersection des pentes, où l’eau qui voyage sous terre aura conservé sa fraicheur[45]. C’est donc dans les régions montagneuses que se trouve l’eau la plus « pure ».
Une fois le terrain établi, il faut creuser pour voir s’il y a bel et bien de l’eau. Il sera donc utile de savoir reconnaître les différentes propriétés des sols. Selon Vitruve et Pline, certains terrains sont à éviter, comme le calcaire, où l’eau est mauvaise et de faible quantité. Le sable, en général, n’est pas un endroit prospère aux eaux puisqu’il y mélange trop de sa substance. Quant au gravier, il offre une bonne eau, mais de quantité incertaine. En revanche, un sol de terre noire compacte, où l’eau s’infiltre lentement en hiver, procure de l’eau de très bonne qualité[46]. Selon Pline, l’eau qui se trouve sous un fond argileux est toujours très douce, comme c’est le cas sous le tuf, « il rend l’eau douce très légère et, en la filtrant, il en retient les impuretés »[47]. D’autres sols, comme ceux en pierres rouges, peuvent également être favorables. Les outils qui s’enfoncent de plus en plus facilement dans la terre en creusant sont un bon signe. Ainsi, toute connaissance en botanique ou en géologie s’avère profitable pour la recherche d’eau douce.
Si ces signes sont absents, Vitruve et Pline décrivent quelques astuces pour trouver de l’eau. Par exemple, il sera utile de creuser un trou de cinq pieds de profondeur et d’y introduire une lanterne. Si le lendemain elle est éteinte et qu’il reste de l’huile, c’est qu’il y a de l’eau. Une autre technique consiste à se coucher à plat ventre juste avant l’aube, le menton contre le sol, pour observer attentivement l’humidité qui s’élève au lever du soleil. Pline en ajoute une autre plus avancée : « Il est encore un moyen particulier, connu seulement des experts : au plus fort de l’été et aux heures du jour les plus chaudes, on examine comment le soleil est réfléchi en chaque endroit » [48]. D’après ce dernier, il faut également savoir observer la faune. Par exemple, une grenouille qui reste longuement à plat ventre est un indice de présence d’eau. Ou encore, une multitude d’anguilles qui nagent au fond de l’eau indiquent qu’elle est propre à la consommation[49]. Une fois qu’une eau salubre a été trouvée, elle doit être menée jusqu’en ville.
Conduire les eaux douces
À partir de fonds privés et publics, les ingénieurs romains ont traversé forêts, rivières, montagnes et collines, pour faire parvenir l’élément vital dans les centres urbains. Une entreprise coûteuse qui s’avérait bénéfique en raison des multiples bienfaits apportés par l’accessibilité à l’eau douce, mais qui était aussi rentable parce que le département des aqueducs fournissait une source de revenus stable à l’État. Penchons-nous d’abord, en nous appuyant sur le traité de Vitruve, sur les trois façons utilisées par les Romains pour acheminer l’eau douce : par aqueducs de maçonnerie, tuyauteries de plomb et au moyen de conduits en terre cuite.
La première façon, plus coûteuse, consiste à ériger des aqueducs en pierre qui permettent d’acheminer l’eau à grande échelle et sur une grande distance. Ces structures doivent être voutées pour empêcher le soleil d’évaporer les parties limpides de l’eau et supportées solidement pour conduire l’eau par dénivellation en conservant une pente idéale d’un demi-pied. Arrivé aux murailles de la cité, l’aqueduc doit se déverser dans un grand bassin de pierre qui contient trois réservoirs avec des robinets pour chacun. Ceux-ci doivent être disposés pour que les réservoirs des extrémités puissent alimenter celui du milieu s’ils ont un surplus. Selon Vitruve, chaque réservoir a ses fonctions propres : l’eau du milieu alimente les fontaines publiques et les lavoirs, tandis que l’eau d’une des extrémités sert aux bains publics et ne peut être détournée. Le troisième réservoir approvisionne les particuliers, mais ceux-ci devront payer des impôts pour l’entretien des aqueducs s’ils veulent la recevoir à domicile[50].
De cette manière, les Romains ont développé un système efficace et rentable pour distribuer l’eau à grande échelle. Les taxes d’eau permettaient à l’État, par l’entremise du curator aquarum, d’entretenir le réseau hydraulique, mais aussi de rentabiliser les investissements civils et de démarrer de nouveaux projets. Soulignons qu’à Rome, qui compte près d’un million d’habitants au Ier siècle, l’eau vive des aqueducs rythme et conditionne de nombreuses facettes de la vie quotidienne, dont la sécurité, l’hygiène, la santé, l’alimentation, les loisirs (les thermes et les jeux) et l’esthétisme urbain (en alimentant les jardins et les fontaines majestueuses)[51]. L’eau des aqueducs, en plus d’être une marque de prestige, est un agent social qui influence la vie urbaine et son développement ; elle est l’un des carburants de la cité.
La seconde façon d’acheminer l’eau douce est par la tuyauterie de plomb. Selon Vitruve, les tuyaux en plomb emboités ensemble doivent être proportionnels à la quantité d’eau qu’ils acheminent. Ils présentent l’avantage de pouvoir contourner certains obstacles en faisant monter ou descendre l’eau sans support de maçonnerie[52]. Cependant, Vitruve juge que cette pratique devrait être évitée parce que ce type de tuyaux est nuisible à la santé[53]. En effet, Vitruve faisait bien de se méfier du plomb employé pour les canalisations, car ses propriétés toxiques sur le corps sont connues aujourd’hui. Par contre, nous savons que la contamination nocive de l’eau par le plomb se fait à l’air libre et que c’est donc dans leurs cuisines que les Romains s’intoxiquaient le plus[54]. La troisième façon consiste à acheminer l’eau par des conduits en terre cuite. Ce système conduit l’eau à plus petite échelle, mais il a l’avantage d’être facile à réparer et de conduire une eau qui est très agréable à boire[55].
Puisque cette expertise fut employée avec beaucoup de matériaux et d’argent par les Romains, la ville de Rome, au tournant du IIe siècle, consommait une grande quantité d’eau douce pour pourvoir à tous les besoins de la population, et ce même selon nos modèles de consommation actuels[56]. Les structures qui tiennent encore témoignent du zèle des Romains à conduire l’eau douce, à conserver sa qualité, et à la rendre accessible à grande échelle.
Les meilleures eaux douces de Rome et l’eau comme boisson
Dans les sections précédentes, nous avons déterminé que l’eau douce, pour être considérée « pure », doit avoir été en mouvement, être claire et inodore. Nous avons aussi souligné que l’eau de bonne qualité doit avoir cheminé sous l’ombre pour demeurer fraiche et limpide. Idéalement, elle doit venir des montagnes sous lesquelles s’opère un long processus de filtration, ou encore provenir d’une terre noire ou d’autres sols favorables. Elle est meilleure lorsqu’elle est acheminée par des conduits en terre cuite, mais cela ne permet pas de la faire venir en aussi grande quantité qu’avec les aqueducs en maçonnerie. Selon les spécialistes des eaux, il faut aussi savoir repérer les signes de contamination. Par exemple, toute odeur ou coloration n’est pas un bon signe. L’eau ne doit pas laisser de taches sur les vases de cuivre, elle doit bien cuire les légumes sans qu’elle ne forme de croûte en surface, ni laisser de dépôt au fond après avoir bouilli[57]. Pline explique que le moyen de purifier une eau malsaine est de l’amener à ébullition jusqu’à ce qu’elle réduise de moitié[58].
Considérant ces facteurs, Vitruve, Pline et Frontin s’entendent sur le point qu’à Rome, la meilleure eau d’aqueduc à boire est celle de l’Aqua Marcia (inauguré en 140 av. J.-C.), qui prend sa source à environ cent kilomètres au nord-est de Rome et qui devance de près celle de l’Aqua Claudia (inauguré en 52)[59]. D’après Pline, l’eau de la Marcia est la meilleure au goût, mais l’eau de l’Aqua Virgo, inauguré par Agrippa en 19 av. J.-C., est la plus agréable au toucher. Selon ce dernier, cet aqueduc fut ainsi nommé parce qu’il évite un ruisseau d’Hercule qui se trouve sur sa route, mais Frontin attribue son éponyme à une jeune fille qui aida à trouver sa source[60]. Quoi qu’il en soit, rappelons que c’est dans l’eau de la Virgo, froide et agréable au toucher, que Sénèque prenait son bain chaque Nouvel An. En revanche, d’après le médecin Oribase (IVe siècle), l’eau de l’Aqua Alsietina (inauguré en 2 av. J.-C.) était considérée imbuvable et n’était conséquemment utilisée que pour les moulins, l’arrosage et le drainage des égouts[61].
L’eau était consommée de diverses manières dans la société romaine. Le savant Pline assure qu’une eau bouillie est meilleure par défaut : « ce qui est une invention très utile que l’eau qui a été chauffée refroidit davantage »[62]. Même si l’eau se buvait ordinairement fraiche à table, les Romains préféraient la boire tiède, ce qu’ils estimaient plus favorable au goût et à la digestion. L’eau tiède (aqua calda) était servie sur les tables fines des Romains et pouvait être agrémentée d’herbes et d’aromates[63]. Comme les Grecs, les Romains avaient la coutume de mélanger l’eau au vin. Les proportions du mélange pouvaient varier selon les goûts. Il est possible de se demander s’ils appliquaient la règle du savant Xénophane (570-475 av. J.-C.) : « Que personne ne s’avise de verser d’abord le vin dans les coupes pour y ajouter l’eau ; c’est l’eau qu’il faut verser en premier lieu, et par-dessus le vin pur »[64].
En définitive, les ouvrages que nous avons examinés ont fait ressortir certains aspects du savoir romain sur les eaux douces. Si l’on peut se permettre d’extrapoler le contenu de ces textes à la société romaine de la fin du Ier siècle av. J.-C. et du Haut Empire, il nous a semblé que les Romains portaient une attention soutenue aux particularités des eaux de l’Italie et du reste de l’Empire sur lesquelles ils avaient une mainmise politique. Ces derniers considéraient l’élément liquide plus souvent pluriel en raison de sa grande variété dans la nature et ils attribuaient parfois les propriétés étonnantes des eaux et de leurs décors naturels à des divinités agissantes sur le monde des hommes.
Pour leur part, les spécialistes romains des eaux, Vitruve, Sénèque et Pline l’Ancien, ont transposé en latin le savoir de philosophes et de médecins grecs, savoir auquel ils ont ajouté certaines notions qui leur étaient propres, notamment en ce qui concerne le parcours, les phénomènes et les qualités des eaux. Dans l’ensemble, les propriétés des eaux décrites et explicitées par ces auteurs témoignent d’un vif intérêt pour les bienfaits des eaux douces sur leur environnement, le corps humain et les animaux, ainsi que pour leurs effets contraires. Selon Pline et Sénèque, il y a aussi une leçon morale à tirer d’une étude de la nature qui permet de réfléchir sur la place de l’homme au sein de cet organisme complexe[65].
Quant à l’eau potable et utilitaire, les traités de Vitruve et de Pline ont montré que les Romains développèrent une expertise des différents terrains pour la trouver, la conduire et la rendre accessible à grande échelle. Selon eux, l’eau montagnarde doit toujours être privilégiée pour sa fraicheur et sa pureté, une notion qui avait déjà été avancée par Aristote[66]. Cependant, ces savants romains ont ajouté des solutions techniques et pragmatiques pour que l’eau salubre soit conduite vers les centres urbains et les villas. Dans la ville de Rome, les eaux des aqueducs rythmaient de nombreuses activités de la vie sociale, permettaient de lutter contre les incendies et participaient à l’embellissement urbain.
Concernant l’usage de l’eau pour l’hygiène et l’alimentation, tel que l’écrit Vitruve, il était de coutume de penser que la santé des habitants d’une cité allait de pair avec la qualité des eaux de son territoire[67]. Comme toute société, les élites romaines durent donc se soucier de rendre des eaux salubres accessibles à la population—une ressource dont ils devinrent des consommateurs avertis. Bien que l’Aqua Marcia remporte la Palme d’or pour la qualité des eaux pures de Rome d’après ces auteurs, et que ce ne sont pas toutes les eaux urbaines qui sont propices à boire, il n’en demeure pas moins que les Romains préféraient l’eau tiède lorsque venait le temps de consommer cette ressource vitale avec finesse.
Dans cet article, nous avons voulu montrer que l’Antiquité peut offrir un prisme d’analyse pertinent, que ce soit par l’étude des textes ou l’archéologie, pour étudier d’anciens rapports socioculturels avec l’environnement naturel et qui continuent parfois de résonner dans nos manières d’interagir avec la nature, comme c’est le cas pour la gestion des eaux publiques[68]. Depuis les temps les plus reculés de l’histoire, les humains durent composer avec les problèmes associés aux eaux, notamment ceux qui sont liés à la salubrité et l’accessibilité. Il serait intéressant, à des fins de comparaison, d’étudier la façon dont d’autres sociétés urbaines de l’Antiquité ont su tirer avantage des eaux.
Parties annexes
Notes
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[1]
Nous avons privilégié ces éditions bilingues parues chez les Belles Lettres : Vitruve, De l’architecture (Pierre Gros, 2015), Sénèque, Questions naturelles (Paul Oltramare, 2003, 1929c) ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle (livre XXXI : Guy Sebat, 2003, 1972c), Frontin, Les aqueducs de la ville de Rome (P. Grimal, 2003, 1947c).
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[2]
Selon Michael Peachin, par exemple, le traité sur les aqueducs de Frontin (30-103 ap. J.-C.), est destiné aux élites romaines qui reçoivent la majorité des eaux des aqueducs de Rome (seulement 9 % des fontaines desservent les quartiers populaires), et qui pouvaient détenir des charges administratives des eaux, Frontinus and the curae of the curator aquarum, Stuttgart, Steiner, 2004, pp. 36-37 ; 130.
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[3]
Comme Grec venu à Rome d’Asie Mineure, Strabon (63 av. à 23 ap. J.-C.) ne manque pas de relever l’abondance des eaux italiques en parlant des causes de la puissance romaine : « À ces circonstances si favorables s’ajoutent encore la longueur et le nombre de ses cours d’eau et de ses lacs, puis, en tant d’endroits, ses sources d’eaux chaudes ou froides naturellement propres à la santé, enfin la richesse et la variété de ses mines », Géographie, 6, 4, 1.
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[4]
À partir du VIème siècle av. J.-C., des philosophes grecs se sont intéressé à l’eau en tant que principe divin de la nature et ont voulu comprendre ses phénomènes, notamment Thalès de Milet qui place l’eau comme premier principe et ses successeurs Anaximandre et Anaximène qui se sont penchés sur les phénomènes météorologiques. L’eau occupe aussi une place de choix dans la physique élémentaire d’Empédocle d’Agrigente et dans l’atomisme de Démocrite, pour ne nommer que ces quelques exemples connus grâce aux doxographes grecs et latins, voir Jean Voilquin, Les penseurs Grecs avant Socrate : de Thalès de Milet à Prodicos, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, pp. 46-46 ; 122 ; 163. Durant les siècles suivants, Platon (env. 428-348 av. J.-C.) fait de l’eau l’un de ses cinq solides élémentaires (Timée, 55d—56b), tandis qu’Aristote (384-322 av. J.-C.) s’intéresse aux complémentarités entre les qualités élémentaires et ne néglige en rien l’étude des phénomènes aquatiques (voir par exemple, Météorologiques, 1, 3 ; 4, 1). Notons que Pline l’Ancien (23-79 ap. J.-C.) se rapproche de la tradition aristotélicienne, tandis que Sénèque (env. 4 av. à 65 ap. J.-C.) se rattache de plus près au stoïcisme.
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[5]
Sénèque, Questions naturelles, 3, 1-3 ; 15. Pour une explication similaire, voir Aristote, Météo, 2, 3 (359b).
-
[6]
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 31, 22, 37.
-
[7]
Sénèque, Quest. Nat., 3, 2.
-
[8]
Brian Campbell, Rivers and the Power of Ancient Rome, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2012, p. 34.
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[9]
Pline insiste sur ce point pour réfuter l’opinion des médecins qui recommandent l’eau de citerne (31, 21).
-
[10]
Ibid. ; Voir aussi Vitruve (env. 90-20 av. J.-C.), De l’architecture, 8, 2. Selon Hippocrate (IVe siècle av. J.-C.), la pluie et l’eau stagnante sont propices à donner la bile, Traité des Airs, des Eaux et de Lieux, 7-8.
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[11]
Vitruve, De l’architecture, 8, 6, 1.
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[12]
La grêle et la neige sont également néfastes puisque la congélation chasse les parties ténues et salubres de l’eau, Pline, 31, 21. Voir aussi Hippocrate, Airs, Eaux et Lieux, 8. Au IIe siècle, le compilateur Aulu-Gelle (env. 125-180), se référant à Aristote et à la médecine courante, rappelle au moyen d’une anecdote que l’eau provenant de la neige est nuisible à la santé, Nuits attiques, 19, 5.
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[13]
« Puisqu’on le lit (Cicéron) sans fin dans le monde entier, il fallait aux yeux, plus nombreuses, des sources pour les guérir », Pline, 31, 3.
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[14]
Sénèque dit s’inspirer du savant Empédocle d’Agrigente (env. 495-430 av. J.-C.), Quest. Nat., 3, 24.
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[15]
Pline l’Ancien, 31, 32.
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[16]
Le thermalisme concilie la cure avec les plaisirs des Romains, Marie Guérin-Beauvois, « Les pratiques du thermalisme dans les villes de l’Italie romaine », Histoire urbaine, no 1 (2001), p. 141.
-
[17]
Pline l’Ancien, 31, 6.
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[18]
Alain Malissard, Les Romains et l’eau, Paris, Les Belles Lettres, 1994, pp. 112-113.
-
[19]
Sénèque, Lettres à Lucilius, 83. Celui qui apprécie les bains froids est dit « psychroluta » (du grec ψυχρολουτέω-ῶ, prendre un bain froid), Voir A. Malissard, Ibid. ; En ce qui concerne le Nouvel An romain, il était célébré le 15 mars, pour marquer le début de l’année agraire, jusqu’à ce qu’il soit déplacé au 1er janvier en 153 av. J.-C. pour représenter l’entrée en fonction des deux consuls de Rome. John Scheid, La religion des Romains, Paris, Armand Colin, 2010, p. 46.
-
[20]
Vitruve, 8, 3, 15.
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[21]
Sénèque, Quest. Nat., 3, 25.
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[22]
Ibid. ; Voir également Vitruve, 8, 3, 16 ; Pline l’Ancien, 31, 19.
-
[23]
D’après Servius (IVe siècle), Commentaire de l’Énéide, 7, 563. Voir Olivier de Casanove, « Le lieu de culte de Méfitis dans le Ampsancti ualles », O. De Casanove, J. Scheid (éd.), Sanctuaires et sources dans l’antiquité, Naples, Centre Jean Bérard, 2003, p. 156.
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[24]
Pline l’Ancien, 31, 18 ; Virgile, L’Énéide, 6, 1-263.
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[25]
Lucrèce (env. 94-55 av. J.-C.), De la nature, 6, 737-839.
-
[26]
Vitruve, 8, 3, 16 ; Pline l’Ancien, 31, 19. Est-ce possible que la source mortelle était contaminée par le tombeau à proximité ? Mais les auteurs n’abordent pas cette hypothèse.
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[27]
Sénèque, Quest. Nat., 3, 20, 4 ; Pline l’Ancien, 2, 106 (§ 226).
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[28]
Sénèque, Ibid.
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[29]
Pline l’Ancien, 31, 9-10, Sénèque, Quest. Nat., 3, 25, 4.
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[30]
Pline l’Ancien, Ibid.
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[31]
Ibid., 31, 4-5 ; 11-12 ; Vitruve, 8, 3, 17.
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[32]
Pour ces épisodes, voir notamment Tite-Live, 5, 15-17 (Lac Albain) et Tacite, Annales, 1, 76-79 (inondation sous Tibère). Selon Martine Chassignet, « les catastrophes naturelles sont perçues comme des manifestations de la colère des dieux et sont traitées comme telles. Elles sont par conséquent considérées comme des prodiges », il s’agit donc d’avertissements (ou présages) signalés aux hommes et qui se doivent d’être considérés par l’État, « Les catastrophes naturelles et leur gestion dans l’Ab Urbe condita de Tite-Live », dans Robert Bedon, Ella Hermon (éd.), Concepts pratiques et enjeux environnementaux dans l’Empire romain, Limoges, Presses Universitaires de Limoges (Caes. 39), 2005, pp. 346-347. Pour une liste des inondations du Tibre (de 414 av. à 398 ap. J.-C.) répertoriées par les auteurs anciens, voir le Joël Le Gall, Le Tibre, fleuve de Rome dans l’antiquité, Paris, PUF, 1953, p. 29.
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[33]
Pline l’Ancien, 31, 18 (§ 24). Pline est contemporain de cet événement. Selon son neveu Pline le Jeune (Lettres, 2, 14, 9 ; 3, 5, 17), il connaissait bien ce Licinius auquel il avait proposé d’acheter ses carnets de notes. Guy Serbat, dans Pline l’Ancien, Histoire naturelle : livre 31, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 121 (note 2).
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[34]
Ces « forces » abstraites des divinités (numina) pouvaient être perçues dans la disposition même des espaces naturels, laissant croire aux Romains qu’une divinité avait choisie et disposée elle-même sa demeure à cet endroit, par exemple, une clairière naturelle dans les bois, des eaux entourées de roseaux, un lac insondable, une grotte, etc. Une fois ces propriétés reconnues, les Romains vouaient un culte aux divinités des lieux, J. Scheid, La religion des Romains, p. 65 ; 128-131. Pour un exemple d’un sanctuaire aquatique romain organisé au tournant du Ier siècle, voir la description de Pline le Jeune du sanctuaire du Clitumne (dieu-fleuve d’Ombrie), Lettres, 8, 8.
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[35]
Selon Sénèque, la mer possède son propre système de nettoyage qui renvoie périodiquement ses déchets sur les côtes, Quest. Nat. 3, 26, 7.
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[36]
Ibid., 28, 1-4. Voir aussi Donald J. Hughes, Environmental Problems of the Greeks and Romans: Ecology in the Ancient Mediterranean, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, p. 196.
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[37]
Pour ce constat, voir J. Scheid, A. Ben Abed, « Sanctuaire des eaux, sanctuaire de sources, une catégorie ambiguë : l’exemple de Jebel Oust (Tunisie) », dans O. De Casanove, J. Scheid (éd.), p. 13.
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[38]
« Nous vénérons la source des grands fleuves ; des autels marquent la place où une rivière souterraine a soudain largement jailli. On honore d’un culte les sources thermales. La sombre couleur, l’insondable profondeur de leurs eaux ont conféré à certains étangs (ou lacs) un caractère sacré », Sénèque, Lettres à Lucilius, 41.
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[39]
Pline l’Ancien, 31, 18.
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[40]
Soulignons cette analogie faite par le philosophe : « J’estime que la nature gouverne la terre et qu’elle l’organise à la façon du corps humain » ; en résumé : comme le corps, la terre a des artères et des réseaux de veines (arteriae et venae) dans lesquels circulent l’air et l’eau; elle respire, transpire ou boit par ses conduits. Comme le corps, la terre est composée de liquides différents, pouvant être périodiques, et dont certains sont plus indispensables que d’autres ; ses vaisseaux sont tantôt pleins, tantôt humides, tantôt secs, et ils peuvent présenter des anomalies ; les courants se seront alors altérés en se mélangeant à d’autres matières, Sénèque, Quest. Nat., 3, 15, 1-4.
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[41]
Le titre de curateur des eaux, un charge civile appointée par le sénat (sous recommandation du Princeps), pour une période d’un à cinq ans, fut institué en 11 av. J.-C., un an après la mort d’Agrippa qui fut chargé de la gestion des eaux sous Auguste, Campbell, pp. 237-238. À partir de la fin du Ier siècle, l’administration des eaux est centralisée sous la personne de l’empereur qui chapeaute les droits et les concessions des eaux. Au IIe siècle, le bureau central des eaux (Statio Aquarum) était joint à celui de l’annone sur le Champ de Mars dans de portique de Minucius, jusqu’à ce qu’il soit déplacé sur le forum romain au IVe siècle, dans Malissard, p. 204 ; 277.
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[42]
Frontin, Les aqueducs de la ville de Rome, 1 ; 23.
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[43]
Pline l’Ancien, 36, 24. La Cloaca Maxima est l’artère souterraine principale de la cité, mais plusieurs autres égouts complètent celui-ci. À partir de la fin du 1er siècle sous Trajan, l’administration des égouts est placée sous la charge des curateurs des rives du Tibre (alvei et riparum Tiberis) ; J. D. Hughes, p. 177. Notons que les auteurs Romains ont parfois tendance à décrire la ville de Rome par analogie au système anatomique ; le Capitole étant perçu comme la tête et le système digestif se trouve sous la Subura, le quartier populaire des auberges et des boutiques (tavernae) situé entre l’Esquilin et le Viminal, Emily Gowers, « The Anatomy of Rome : from Capitol to Cloaca », Journal of Roman Studies, vol. 85 (1995), pp. 24-25.
-
[44]
« Ce sont les petits joncs, les saules sauvages, les aunes, l’agnus-castus, les roseaux, tes lierres et les autres plantes de même nature », Vitruve, 8, 1, 3.
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[45]
Aristote soulevait déjà le caractère favorable des zones montagneuses pour l’abondance et la qualité des eaux douces qui s’y trouvent, Météo, 1, 13, 350a. Vitruve ajoute à cette explication que l’ombrage des forêts contribue à maintenir « la douce qualité des sources montagnardes », 8, 1, 2 ; ce qui est repris par Pline l’Ancien, 31, 26.
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[46]
Vitruve, 8, 1, 2, Pline l’Ancien, 31, 27-28.
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[47]
Pline l’Ancien, 31, 28.
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[48]
Vitruve, 8, 1, 4-5 ; Pline l’Ancien, 31, 27 (trad. Littré pour cette citation).
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[49]
Pline l’Ancien, 31, 22 ; 27.
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[50]
Vitruve, 8, 6, 1-2. Cette règle, annoncée par Agrippa (Aq. 83), s’inscrit dans les réformes augustéennes, Louis Callebat, dans P. Gros (éd.), Vitruve, De l’architecture, Paris, Les Belles Lettres, 2015, pp. 554-555. Toutefois, il est difficile, faute de preuves archéologiques, de savoir si ce système fut appliqué à la lettre, A. Malissard, p. 204.
-
[51]
Comme l’écrit Frontin, les eaux des aqueducs, qui servent à multiples usages (Aq. 1 ; 23), vinrent supporter les anciennes eaux salubres de la cité : « Pendant 441 années après la fondation de Rome, les Romains se contentèrent de l’eau qu’ils puisaient au Tibre, aux puits ou aux sources. Le souvenir des sources est encore conservé avec vénération, et on leur rend un culte; on croit qu’elles donnent la santé aux malades, comme la source des Camènes, la source d’Apollon et celle de Juturne », Aq. 4.
-
[52]
Vitruve, 8, 6, 5.
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[53]
Vitruve écrit que le plomb forme de la céruse (carbonate de plomb) dans les tuyaux ; « matière que l’on dit être très nuisible au corps de l’homme », et que les plombiers ont souvent le teint pâle, 8, 6, 10-11.
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[54]
Selon Malissard, les Romains subissaient parfois les effets de l’intoxication au plomb, notamment ceux de l’encéphalopathie saturnine, qui provoque des délires et des crises épileptiques, mais le véritable danger venait de la nourriture : les Romains faisait macérer plusieurs aliments, vin, olives et sirops de raisins (sapa) dans des récipients de bronze recouverts d’une couche de plomb, appelée stagnum, qui, comme le dit Pline l’Ancien, « les rend plus agréables au goût » (34, 48), dans A. Malissard, pp. 208-209.
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[55]
Vitruve, 8, 7, 11, Pline l’Ancien, 31, 31.
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[56]
Au temps de Frontin (fin du 1er siècle, 9 aqueducs), Rome recevait 993 000 mètres cubes d’eau par jour, ce qui équivaudrait, selon certains calculs relevés par Malissard, à 1100 litres par citoyen (sur env. 1 million d’habitants au 1er siècle), par jour (en considérant les infrastructures), p. 18 ; 191. Par comparaison, les habitants du Québec de nos jours consomment environ 400 l/j/p en comptant les infrastructures.
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[57]
Vitruve, 8, 5, 1-2, Pline l’Ancien, 31, 22.
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[58]
Pline écrit que, selon le savant Épigène de Byzance (IIIe-IIe av. J.-C.), une eau corrompue qui est bouillie sept fois n’est plus susceptible de se corrompre, 31, 21.
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[59]
Vitruve, 8, 3, 1 ; Pline l’Ancien, 31, 24 ; Frontin, Aq., 13.
-
[60]
Pline l’Ancien, 31, 24 (§ 42). Frontin considère que l’aqueduc Virgo fut nommé en l’honneur d’une jeune fille qui aida les soldats à dénicher un filon prospère d’eau, Ibid., 10. D’après Pierre Grimal, cette version semble la plus plausible car l’auteur invoque l’autorité des archives de l’État, riches sur la période d’Agrippa, Frontin, Les aqueducs de la ville de Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1961, pp. 9-10, note 31.
-
[61]
Oribase (325-395 ap. J.-C.), Collection médicales, 7, 7. 7, dans Hughes, p. 176.
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[62]
Pline l’Ancien, 31, 23 (§ 38). Il s’agit d’un autre principe hippocratique (Aphorismes, 5, 26), G. Serbat, p. 131 (note 2).
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[63]
Des dispositifs servaient à garder l’eau tiède, comme des verres à foyer intégré, Malisssard, p. 40.
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[64]
Fragment de Xénophane, Athénée, 11, 18, dans Voilquin, p. 63.
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[65]
Selon Pline l’Ancien : « une seule chose est certaine, c’est que rien n’est certain, et que l’homme est ce qu’il y a de plus misérable ou de plus orgueilleux. Les autres animaux n’ont qu’un soin, celui de leur nourriture, et la bénignité de la nature y pourvoit spontanément ; condition bien préférable à tous les biens, quand elle ne le serait que par ne penser jamais à la gloire, à la richesse, à l’ambition, et surtout à la mort » (trad. Littré), 2, 5 (§ 9).
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[66]
Supra note 45.
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[67]
Vitruve écrit que « des membres robustes, un teint coloré, des jambes saines, des yeux purs sont les meilleures preuves de la bonté des eaux », 8, 5, 1. Il reprend ici une explication de la médecine hippocratique voulant que les irrégularités des eaux seront reflétées dans le corps humain, Hippocrate, Du régime, 4, 90.
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[68]
Pour une introduction à histoire environnementale de l’antiquité gréco-romaine et aux concepts qui peuvent servir de bases pour d’éventuelles recherches dans ce champ (natura, disastro, vastus, etc.), voir Lukas Thommen, An Environmental History of Ancient Greece and Rome, Cambridge—New York, Cambridge University Press, 2012.