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Cet ouvrage propose une analyse engageante et bien documentée du droit et des traditions juridiques, des pratiques de gouvernance et de l’organisation sociale des Anishinaabe. S’appuyant sur son travail de pionnière sur les réseaux de parenté, Bohaker illustre la complexité et le dynamisme de la tradition du doodem anishinaabe et la façon dont le doodemag a structuré les relations inter et intra-groupes dans les Grands Lacs aux 17e, 18e et 19e siècles.
Bohaker commence par positionner le doodem, anglicisé et couramment écrit comme totem, comme une « catégorie d’appartenance particulière et spécifiquement anishinaabe » (p. 44). Semblable mais non analogue aux systèmes de parenté européens, l’identité d’un doodem signale l’inclusion dans un groupe de parents dont l’origine, les responsabilités et les territoires traditionnels peuvent être identifiés dans les histoires orales anishinaabe et particulièrement dans les aadizookaanag (histoires sacrées). Les membres d’un doodem, par exemple le doodem de l’ours, du loup, du castor ou du rat musqué, descendent d’êtres autres qu’humains qui occupent une place centrale dans les histoires sacrées, et ils entretiennent des relations avec ces êtres en plus de leurs proches humains du doodem qui sont considérés comme des parents immédiats.
Dans le chapitre deux, « La famille dans les quatre sens », Bohaker examine le réseau de parenté qui relie les Anishinaabe aux ancêtres, aux descendants et aux relations de parenté doodem. L’identité doodem est héritée du côté paternel, mais les liens maternels et paternels sont importants et on peut compter sur eux pour l’alliance, le commerce et le soutien matériel. En juxtaposant les conceptions européennes et anishinaabe de la parenté et des relations sociales qui en découlent, Bohaker explore davantage l’identité doodem telle qu’elle structure les pratiques de mariage, la formation d’alliances entre différents doodem et l’adoption de nouveaux venus dans la société anishinaabe. Par exemple, les voyageurs français étaient parfois incorporés au doodem des Martens ou Martres, une identité associée à la chasse et à la guerre, comme moyen d’inclusion sociale et d’interconnexion solide. Dans d’autres cas, les enfants nés d’un partenariat entre Européens et Autochtones étaient adoptés dans un doodem, ou recevaient l’identité doodem par le biais d’une cérémonie, dans le cadre de leur incorporation à une communauté donnée. Ces discussions réaffirment l’importance de l’identité du doodem pour la vie et l’organisation sociale des Anishinaabe, tout en donnant un aperçu de l’éthique sociale de la réciprocité et de l’interdépendance qui sous-tend la prise de décision des Anishinaabe.
Dans les chapitres trois et quatre, « Le constitutionnalisme anishinaabe » et « La gouvernance en action », Bohaker établit un lien entre la tradition du doodem et les pratiques de gouvernance anishinaabe, les relations intergroupes, la diplomatie et la négociation avec les États euro-américains. En analysant les aadizookaanag, les traités de l’époque coloniale et les écrits d’auteurs anishinaabe éminents comme Peter Jones et George Copway, Bohaker démontre de manière convaincante que les Anishinaabe se réunissaient régulièrement en conseils communs et régionaux pour débattre, négocier et résoudre des questions d’intérêt commun. Les Ogimaag, chefs et dirigeants des communautés anishinaabe, jouaient un rôle majeur dans ces négociations, mais ils n’agissaient pas indépendamment. En effet, les lecteurs constatent que les discours et les décisions prises en conseil reflétaient la volonté de l’ensemble des communautés anishinaabe, et que les ogimaag tenaient compte de l’avis et du point de vue des conseils de guerriers et de femmes lorsqu’ils prenaient des décisions importantes. Cependant, on se demande dans quelle mesure les femmes et les guerriers ont façonné les conseils, et comment les désaccords et les conflits ont été résolus au sein des communautés avant leur participation à des discussions plus larges avec les peuples anishinaabe apparentés.
L’une des principales interventions de Bohaker consiste à remettre en question l’utilité de termes tels que nation, tribu, village et bande comme descripteurs de l’organisation sociale anishinaabe. À leur place, Bohaker propose une « forme politique distinctive des entités politiques anishinaabe, avec leurs géométries politiques en forme de toile consistant en des noeuds de sites de feux de conseil occupés de façon saisonnière, reliés par des réseaux de relations doodem et de parenté alliée qui se chevauchent, se croisent et sont mobiles » (p. 122). En somme, pour apprécier pleinement et récupérer les stratégies et les mouvements politiques des peuples anishinaabe des Grands Lacs, nous devons considérer leurs actions à travers le prisme de la tradition du doodem et des réseaux de doodem et de parenté qui reliaient les feux de conseil et les peuples anishinaabe habitant un vaste territoire.
Des images représentatives des symboles doodem provenant de traités historiques, de pétitions, de titres de propriété et d’objets matériels tels que des casse-têtes et des sacs fournissent une grande partie des preuves de Bohaker. Elles sont, comme elle le souligne à juste titre, « l’articulation propre aux peuples anishinaabe d’une catégorie politique et juridique cruciale » (p. 40). L’analyse de la forme, de la configuration et du positionnement des marques de doodem sur les documents coloniaux, ainsi que la discussion du déclin et de la revitalisation de leur utilisation, illustrent clairement l’objectif plus large de l’ouvrage : la centralité du doodem dans l’identité et la culture anishinaabe passées, présentes et futures. De nombreuses illustrations sont incluses dans le texte, donnant un aperçu des différentes formes visuelles du doodem. Ces images complètent le recours de Bohaker aux écrits fondamentaux de Peter Jones, George Copway, Basil Johnston, John Borrows et d’autres historiens et spécialistes de l’histoire, de la gouvernance et de la pensée juridique anishinaabe. En même temps, il est clair que Bohaker s’est engagée dans une consultation significative avec les peuples anishinaabe dans la création de cet ouvrage important. En ce sens, Doodem and Council Fire est un modèle d’érudition et un ouvrage d’un grand intérêt qui est recommandé aux lecteurs intéressés par le droit et la gouvernance autochtones, l’histoire des conflits entre Autochtones et régimes impériaux et coloniaux, l’ethnohistoire, l’anthropologie et les études culturelles.