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Le livre de Timothy Foran présente l’évolution des catégories d’indigènes dans le Nord-Ouest, telles qu’elles ont été définies par les missionnaires catholiques. Il fonde son analyse sur l’histoire de la mission catholique de l’Île-à-la-Crosse située dans le nord de la Saskatchewan, depuis son établissement en 1845, jusqu’à l’arrivée de l’État fédéral en 1898. Ce livre, issu de sa thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université d’Ottawa, porte une attention minutieuse à la gestion de la mission et au rôle des Oblats dans la construction sociale des populations autochtones. Son étude utilise des documents inédits provenant de la mission Saint-Jean-Baptiste, tel qu’un codex historicus et un liber status animarum. Ces documents décrivent l’histoire de la mission et offrent un recensement de la population. Le livre, qui se veut une micro-histoire, lève le voile sur des faits nouveaux et apporte des réflexions innovatrices sur les études missionnaires du Nord-Ouest canadien.
Foran reconstruit en détail le réseau de circulation des peuples, de l’information, de l’argent et des biens sur les bassins hydrographiques des rivières English, Athabaska, North Saskatchewan et South Saskatchewan. Les Oblats ont établi ce réseau complexe pour soutenir leurs activités missionnaires. En raison de son emplacement géographique, l’Île-à-la-Crosse devient le centre régional à partir duquel sont offerts les services de scolarisation, de santé et de pastorale. En 1860, cette communauté devient la résidence principale de l’évêque coadjuteur de Saint-Boniface. Malgré l’attention portée à ce lieu spécifique, il est important de noter que Foran ne présente pas une simple histoire régionale, puisqu’il explore aussi l’importance du réseau de communication, des liens économiques et des relations de pouvoir qui existent entre Île-à-la-Crosse, Paris, Montréal et Saint-Boniface.
Au coeur de ce livre repose la thèse selon laquelle les Oblats ont joué un rôle de premier plan dans la définition et la classification des Autochtones. À cette fin, il conteste l’interprétation ethno-historiographique de Marcel Giraud qui, dans son livre Le Métis Canadien (1945), considère l’interprétation oblate comme neutre et objective. Foran soutient que les Oblats sont loin d’être impartiaux et que leurs écrits révèlent le point de vue des rédacteurs plus que celui des peuples qu’ils décrivent. Bien que les historiens aujourd’hui décrivent l’Île-à-la-Crosse comme l’une des plus vieilles communautés métisses, ce n’est qu’en 1860, soit 15 ans après leur arrivée, que les Oblats reconnaissent l’existence d’une population métisse sur les lieux. Foran explique que lors de leur arrivée dans la région, les Oblats ne perçoivent pas les habitants comme des Métis, mais plutôt comme des « sauvages », et démontre que la conception oblate de la population évolue avec le temps. Foran soutient que les Oblats ne distinguent pas les Métis et les « Sauvages » selon des caractéristiques raciales, mais plutôt par leur « proximité à la civilisation ». En somme, Foran offre une analyse critique des épistémologies missionnaires.
La division entre Métis et « Sauvages » a des répercussions sur les communautés autochtones. Foran écrit : « [l]es missionnaires catholiques n’ont pas simplement découvert et décrit une population métisse, mais ils ont aussi joué un rôle prépondérant dans la production conceptuelle et la délinéation de ses caractéristiques collectives (p. 4, notre traduction). » Les Oblats sont donc impliqués dans la construction d’une identité qui divise les « sauvages » et les « métis ». Pour les Oblats, les Métis servent d’intermédiaires dans la transition des « sauvages » vers des êtres « civilisés ». Les missionnaires ont traité la population métisse comme des agents de la mission civilisatrice. Mais cette vision est remise en cause lorsque, selon les Oblats, les Métis sont devenus « corrompus » par la civilisation moderne. En d’autres mots, la mission d’inculquer une civilisation chrétienne a été confrontée à la civilisation moderne.
Depuis les travaux de Raymond Huel, Robert Choquette, Claude Champagne, Donat Levasseur et la publication des quatre volumes des Études Oblates de l’Ouest, on comprend l’importance des Oblats dans l’histoire du Nord-Ouest. L’étude de Foran apporte des nuances importantes à ces travaux. Par exemple, il démontre que la mission paroissiale, au coeur de la pratique missionnaire de l’Île-à-la-Crosse, suit le rythme saisonnier de la traite des fourrures. Ainsi, les services spirituels et liturgiques sont organisés de manière bisannuelle soit une mission à l’automne et une mission au printemps. Cette pratique contraste avec la mission itinérante décrite par Raymond Huel, où les prêtres suivent les Métis lors de la chasse aux bisons. Une autre nuance proposée par Foran est de reconsidérer l’interprétation qu’ont fait les historiens des relations entre les Oblats et la Compagnie de la Baie d’Hudson, relations généralement présentées comme plutôt harmonieuses et stratégiques. Pour sa part, Foran démontre que ces relations sont plutôt complexes et parfois tendues. Les Oblats dévoilent certainement une volonté de raffermir la loyauté des Autochtones envers la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais les bourgeois de la Compagnie estiment néanmoins que les missionnaires sont responsables des arrêts de travail lors des fêtes religieuses.
Malgré les révélations importantes de la recherche de Foran, son étude comporte certaines lacunes. Par exemple, l’auteur néglige d’explorer les réactions des Métis et des autres Autochtones à cette mission civilisatrice. Il serait pertinent de se demander comment les Métis ont participé, résisté, négocié ou se sont adaptés à cette mission de civilisation. Foran nous donne des exemples d’Autochtones qui sont devenus des missionnaires, comme Sara Riel, mais il ne considère pas les tensions qui ont pu se développer entre ces missionnaires Métis et la population métisse.
Avec cet ouvrage, Foran établit les bases d’une discussion importante concernant de grandes questions historiographiques dans l’étude des communautés métisses, un champ d’études en pleine croissance. Son livre est clair, lucide et bien documenté. Ses observations sur le rôle de la « civilisation » ont de profondes implications pour mieux comprendre le processus de colonisation. Enfin, Defining Métis offre d’importantes réflexions à quiconque s’intéresse au concept de « civilisation » dans l’histoire de l’Amérique du Nord.