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Voici un beau livre, grand format, papier glacé, illustré en couleurs, issu de la collaboration de « dix-sept institutions ou organismes » ayant entrepris de « débusquer les traces d’une présence occultée » que les huguenots et franco-protestants auraient laissées dans la mémoire actuelle et exhibées en 2008 lors d’une exposition ayant fait « la lumière sur cette page méconnue de l’histoire ». Puisque, explique-t-on, « peu de traces demeurent de la présence huguenote en Nouvelle-France, […] le travail historique s’est enclenché […] en interrogeant les mémoires » en vue d’« exposer l’absence ». Assimilant réminiscences et fragments d’histoire, l’ouvrage cherche à éclairer « certains aspects » du franco-protestantisme dans une sorte de catalogue regroupant 17 articles, 18 capsules et 250 éléments iconographiques. Ces propositions d’une présence huguenote effacée de l’histoire de la Nouvelle-France, de la rareté des sources pouvant la documenter, et des quelques fragments subsistants qu’un groupe d’experts serait parvenu à débusquer rendent le lecteur mal à l’aise en le prenant à témoin d’une histoire paradoxale : celle d’une présence qu’une quasi-absence de manifestations rendrait en quelque sorte plus manifeste…
Font aussi problème l’affirmation « de traits culturels huguenots chez les descendants des familles passées au catholicisme depuis plusieurs générations » et la conviction que l’histoire du franco-protestantisme du Québec actuel serait en filiation avec celle des huguenots de la Nouvelle-France, « mais sans pouvoir évidemment apporter de preuves historiques », comme avoué dans l’avant-propos. La présence de croix huguenotes serait un indice de cette continuité qui n’est pas autrement expliquée que par la présence d’une de ces croix dans l’exposition. Le fait aussi de trouver le nom de Péron brodé en 1931 sur une courtepointe commémorative ne saurait être une preuve convaincante de continuité entre les anciens huguenots de France et les protestants d’aujourd’hui, ni entre les baptistes portant ce patronyme et le marchand huguenot François Perron. Cette affirmation de « survivance inattendue d’une communauté marginale et pérenne » reste dénuée d’évidences et repose parfois sur certaines inexactitudes lorsqu’on fait, par exemple, référence au classique de Marc-Antoine (sic) Bédard. Il y a, au contraire, deux occurrences différentes, et manifestement discontinuité, entre Guy (sic) Chauvin et autres huguenots de la Nouvelle-France et l’arrivée dans les années 1830 de missionnaires français et suisses ayant établi les premières communautés franco-protestantes qui allaient se multiplier et se diversifier jusqu’à nos jours.
Dans cet ouvrage, seule l’étude de Didier Poton, sur l’implication des milieux d’affaires rochelais et de marins huguenots dans l’activité économique, se rapporte véritablement à l’histoire de Nouvelle-France. Les communications sont regroupées en quatre chapitres dont les deux premiers portent presque exclusivement sur l’histoire du protestantisme en Europe. À propos de la Nouvelle-France, il y est seulement mentionné que la famille de Jacques Cartier comptait plusieurs huguenots, que Roberval était d’allégeance réformée et que Champlain avait fondé Québec deux ans avant l’assassinat d’Henri IV, lequel ferait « trait d’union entre le destin de la France et celui du Québec ». Rien de plus, à part peut-être deux vagues allusions à Dugua de Mons et à l’intendant Bigot…
On reprend avec beaucoup d’insistance l’assertion de F.-X. Garneau voulant que Richelieu aurait interdit aux protestants de résider de façon permanente en Nouvelle-France où ils auraient été « interdits mais tolérés ». C’est plutôt l`édit de Nantes qui avait limité en 1598 les droits des huguenots et qui prohibait l’exercice de leur culte à certains endroits comme à Paris et en Nouvelle-France. Mais cela ne les empêchait nullement, en tant que sujets du roi, d’être présents à Paris ou d’aller en Nouvelle-France sans pouvoir y exercer leur culte. Il n’existe en réalité aucun « décret royal [ayant défendu en 1627 que] des huguenots demeurent au Québec ». La charte de la compagnie des Cent Associés n’a fait que se conformer aux prescriptions de l’édit de Nantes en rappelant cette année-là que seul le catholicisme devait être célébré en Nouvelle-France et que, conséquemment, celle-ci devait être peuplée de « naturels Français catholiques ». La charte d’une simple compagnie privée, qui n’a duré qu’un certain temps et qui n’a d’ailleurs pas respecté plusieurs de ses obligations, n’était pas un « décret royal » et n’ajoutait aucun autre effet à l’égard des huguenots. Ceux-ci étaient considérés au Canada comme des « naturels Français catholiques » au même titre que les Anglais, Écossais, Irlandais, Autrichiens, Hollandais, Italiens, Suisses et esclaves noirs que la compagnie allait aussi y faire venir.
Les huguenots qui, en France, voulaient vivre librement leur foi émigraient dans les pays du Refuge, mais pas dans une colonie sous l’autorité du roi très chrétien et dans laquelle les conditions de pratique religieuse restaient les mêmes qu’en métropole. Ceux présents en Nouvelle-France, et sur lesquels cet ouvrage ne dit rien de leur spécificité, ne ressemblaient vraisemblablement pas à l’archétype du huguenot que la ferveur de sa foi et la répression dont il était victime plaçaient sur la route de l’émigration. La pratique du protestantisme, l’appartenance à des Églises et à des communautés protestantes, de même que les institutions ayant laissé le patrimoine dont cet ouvrage expose les marques n’allaient véritablement apparaître et s’implanter au Canada français qu’au XIXe siècle.
Le collectif Huguenots et protestants francophones du Québec. Fragments d’histoire reste intéressant par plusieurs de ses articles, mais demeure dans l’ensemble plutôt éparpillé, insuffisamment nuancé et parfois discutable. On croira y déceler le désir de la communauté franco-protestante de raviver sa mémoire, de montrer la profondeur de ses racines, de valoriser son patrimoine et d’affirmer sa pérennité et son identité. Sans être occultée, l’histoire du franco-protestantisme est certainement méconnue, surtout pour l’époque de la Nouvelle-France. L’image qu’il projette, la discrétion des marques qu’il a laissées et de la place qu’il occupe dans la mémoire collective témoignent de sa nature et appartiennent à son histoire.