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Le livre de David Meren, professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal, est tiré de sa thèse de doctorat déposée à l’Université McGill (en toute transparence, David Meren est un des quatre directeurs d’un livre à paraître en anglais sur la politique internationale du Québec, livre dans lequel j’ai proposé deux articles).
Comme le suggère le titre, le livre porte sur la relation triangulaire entre le Canada, le Québec et la France entre 1944 et 1970. Ce sujet constitue, sans aucun doute, le thème le plus étudié de l’histoire des relations internationales du Québec. Meren justifie l’originalité de son livre par le fait qu’il resitue l’action dans le contexte national et international. Pour l’auteur, resituer les rapports entre le Canada, la France et le Québec « in larger international and transnational narratives » est l’élément clé du livre qui permet de mieux comprendre les motivations des différents acteurs (p. 5). Pour lui, il s’agit de l’originalité fondamentale du livre. Ce dernier est divisé en trois parties et onze chapitres. La première partie porte sur les relations triangulaires entre 1944 et 1960 ; la seconde sur les sources des tensions dans la relation triangulaire (culture, la question de l’indépendance et la situation géopolitique) ; alors que la dernière partie porte sur les tensions des années 1960-1970.
Pour donner de la cohérence à son approche, l’auteur fait des allusions à des théories des relations internationales sans les expliciter fondamentalement en introduction. La première théorie mobilisée est celle de l’interdépendance complexe ou de la transnationalisation de la scène internationale développée par l’économiste Richard Cooper à la fin des années 1960 et ensuite théorisée par Joseph Nye et Robert Keohane au début des années 1970. La seconde théorie s’inscrit plus largement dans les paramètres de l’interprétation des théoriciens réalistes de la théorie sur la stabilité hégémonique à la suite des travaux de Charles Kindleberger. La première théorie stipule que les pays sont de plus en plus interdépendants sur de multiples enjeux, ce qui accentue la coopération entre eux, alors que la seconde prétend que lorsqu’une puissance hégémonique émerge, comme les États-Unis au XXe siècle, d’autres pays auront tendance à se liguer contre cette dernière afin d’équilibrer sa puissance, ce qui expliquerait notamment le comportement de la France envers les États-Unis.
Si, comme l’auteur le prétend, cette partie du livre constitue sa principale contribution aux débats, le lecteur peut être déçu. David Maren n’a pas proposé de cadre théorique dans son livre, il a plus simplement énoncé en introduction quelques postulats qui vont guider la lecture des autres chapitres. Il s’agit ici d’une lacune importante. S’il avait creusé un peu, il aurait compris que les théories de l’interdépendance complexe et la version réaliste de la théorie de la stabilité hégémonique sont incompatibles. Ces deux théories ne peuvent pas être mobilisées en même temps pour expliquer le même phénomène puisqu’elles s’opposent. La première soutient qu’il existe une interdépendance croissante entre les États, alors que les théoriciens réalistes comme Robert Gilpin ou encore Stephen Krasner contestent cette idée. Gilpin a même déjà écrit que la nature des relations internationales n’a pas réellement changé depuis 1000 ans ! Bref, la mondialisation et l’interdépendance sont des mythes. La confusion du lecteur est accentuée par le fait que l’auteur cite, tout au long du livre, divers auteurs (Paul Kennedy, Immanuel Wallerstein, Stephen Krasner ou James Rosenau) qui ont des conceptions théoriques fondamentalement différentes du système international (néomarxiste, libéral et réaliste…).
Sur le terrain empirique, il est également assez difficile de soutenir, comme le fait l’auteur, qu’entre 1944 et 1970, le monde est interdépendant à un point tel que cette interdépendance influence fondamentalement les relations entre le Canada, la France et le Québec. Les études sur l’histoire de la mondialisation sont sans équivoque sur ce point : ce n’est que dans les années 1990 que la mondialisation de l’économie et de la finance va atteindre un niveau d’ouverture comparable à la fin de celle du XIXe siècle. Les années 1950 et 1960 représentent même l’âge d’or du keynésianisme ou des économies nationales puisque l’ouverture n’était pas très grande pour la majorité des pays. Même de nos jours, les échanges économiques et financiers entre le Canada et la France sont minimes. Les entreprises canadiennes exportent plus de nos jours vers Home Depot aux États-Unis que vers la France…
Cela dit, cette lacune est moins importante que ne le soutient l’auteur, il ne s’agit pas ici de sa contribution fondamentale au débat. On pourrait supprimer toutes les références à ces théories dans l’introduction et divers chapitres et le livre se tiendrait tout de même. L’essentiel du livre est de facture plutôt classique et nous propose une lecture descriptive et factuelle basée sur de nombreuses archives et sources premières et secondaire variées. Il s’agit ici d’un travail maîtrisé et de grande qualité même si, au final, on ne retrouve rien d’explosif dans ce livre comme, par exemple, dans les travaux de l’historien Frédéric Bastien.
Au final, la thèse de l’auteur vient plutôt confirmer les travaux précédents notamment ceux de Dale Thomson, De Gaulle et le Québec (Montréal, Éditions du Trécarré, 1990), ou encore le livre d’introduction que j’ai dirigé en 2006, Histoire des relations internationales du Québec (Montréal, VLB éditeur). Les passages les plus intéressants concernent les réactions des hauts fonctionnaires du gouvernement du Canada, notamment Marcel Cadieux, face aux développements de relations internationales du Québec.
En conclusion, la quatrième de couverture cite John English qui encense le livre en le qualifiant de « definitive history of the Canada-Québec-France Triangle », alors que Jean Lamarre qualifie le livre de sophistiqué et d’original. Mon impression est que ces deux auteurs ne sont pas au fait de la littérature, car l’interprétation de Meren est, somme toute, assez classique même si la facture générale du livre est de qualité.