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Le sujet de cet « essai biographique », Marie-Catherine Peuvret, épouse puis veuve d’Ignace Juchereau Duchesnay, avait eu droit à bien peu de place dans les ouvrages historiques et biographiques sur la période de la Nouvelle-France. Pourtant, son rôle a été majeur dans le développement de la seigneurie de Beauport et elle illustre bien la place que pouvaient prendre les femmes dans l’économie coloniale après le décès de leur mari. Benoît Grenier a le mérite de lever le voile sur la vie d’une femme de l’élite de la colonie et, aussi, de permettre au lecteur de mieux comprendre le fonctionnement du régime seigneurial de l’époque.
Marie-Catherine Peuvret naît à Québec en 1667 ; ses parents, Jean-Baptise Peuvret Demesnu et Marie-Catherine Nau de Fossambault, occupent une place de premier plan dans la colonie, même si Peuvret n’est pas noble. Elle épouse à l’âge de 16 ans Ignace Juchereau, roturier également mais d’une famille très prestigieuse puisque le père de famille sera anobli en 1692, quelques mois avant son décès. Au moment de son mariage, Marie-Catherine quitte Québec pour s’établir dans la seigneurie de Beauport qui est donnée au couple le 16 février 1683, jour du contrat de mariage, par Joseph Giffard, fils de Robert. Installée au manoir, Marie-Catherine mettra au monde 17 enfants entre 1683 et 1712, dont 4 mourront avant l’âge d’un an. Ignace Juchereau meurt en 1715 et sa veuve prend alors beaucoup de place dans l’établissement de ses enfants et la gestion de la seigneurie.
L’auteur de ce livre est un historien chevronné, ce qui rend son texte très clair et solide. Aussi, il donne au lecteur des informations complémentaires pertinentes dans des notes explicatives insérées au travers du texte. On retrouve par exemple une explication de la différence entre seigneurs et nobles (p. 53), une description de la milice en Nouvelle-France (p. 74) ou de la banalité de moulin (p. 133). De plus, les documents iconographiques pertinents présentés au fil des pages de l’ouvrage permettent de transmettre des renseignements supplémentaires dans les textes des légendes. Ainsi, l’auteur se sert d’une gravure de l’Hôpital Général pour décrire la différence entre celui-ci et l’Hôtel-Dieu (p. 103), alors qu’une photo du Chemin royal à Beauport au xixe siècle l’amène à discuter de l’obligation des censitaires d’entretenir le chemin du roi passant sur leurs terres (p. 147).
La lecture de cette biographie est également rendue très intéressante par l’ajout de la transcription complète de documents d’archives importants dans la vie de Marie-Catherine Peuvret : les lettres de noblesse de Nicolas Juchereau, le contrat de mariage avec Ignace Juchereau Duchesnay, le testament où elle déshérite son fils Antoine Juchereau, son inventaire après décès. L’auteur présente aussi des documents représentatifs d’ensembles plus vastes comme cette concession à un « Huron de Lorette » (p. 130-131), cet engagement d’un domestique (p. 132) ou d’un meunier (p. 135).
L’écriture de l’auteur est très belle et imagée, alors que les notes de fin de volume révèlent l’ampleur des recherches et l’utilisation des ouvrages les plus récents en histoire de la famille. Benoît Grenier tente de comprendre son personnage et de nous présenter sa façon de vivre, de le replacer dans son milieu et son environnement. Il évite cependant d’aller trop loin et de déduire des comportements ou des attitudes que les documents ne nous permettent pas de connaître. Dans le débat actuel sur le roman historique, cet ouvrage nous amène à constater qu’il est possible de faire revivre un personnage des siècles précédents sans trahir la « science historique ». Il intéressera autant les historiens et historiennes spécialistes de la Nouvelle-France, de sa société ou de son économie, que ceux et celles voulant mieux connaître l’histoire des femmes aux siècles passés.
Il est important de donner une place aux femmes dans l’histoire, mais cela n’est pas évident lorsqu’on remonte à des périodes où elles ont laissé peu d’écrits et de traces dans les documents d’archives. Il faut féliciter Benoît Grenier d’avoir relevé le défi de faire revivre un personnage important de la Nouvelle-France, Marie-Catherine Peuvret, femme puis veuve d’Ignace Juchereau Duchesnay.