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Si le catéchisme sert depuis des siècles à la socialisation religieuse, Mélanie Lanouette a voulu montrer que malgré les idées reçues, un effort de « modernisation » de son enseignement a été tenté quelques années avant la réforme du système éducatif des années 1960. La démarche se situait dans un contexte de renouveau pédagogique inspiré à la fois du philosophe de l’éducation américain John Deway et d’une méthode d’enseignement catéchistique développée à Munich. En trois mots, disons simplement que l’enjeu était de développer une façon de faire différente de la mémorisation des questions et réponses, puisque l’on doutait que cette forme d’apprentissage permette la compréhension des contenus enseignés, ni surtout une adhésion réelle au message religieux. La leçon devait devenir vivante, s’inscrire dans le réel, toucher à la vie de l’enfant.
Aussi les Frères des Écoles chrétiennes se mobilisèrent-ils, afin de revoir les pratiques, le matériel utilisé, mais surtout peut-être pour cultiver chez leurs membres un enthousiasme renouvelé. Ils mirent sur pied un véritable programme de perfectionnement professionnel, afin de se rendre aptes à abandonner les pratiques « livresques » du passé. Diverses activités devaient permettre d’étendre ce renouveau à l’extérieur de la communauté. On les vit organiser quelques « semaines de l’enseignement religieux », et tenir des « journées » ou des expositions « catéchistiques ». De 1936 à 1946, les Frères des Écoles chrétiennes publièrent du matériel pédagogique : grands tableaux, livres, cahiers à l’intention des élèves. La série de Mon cahier de religion, imprimée à des dizaines de milliers d’exemplaires, fut l’expression la plus achevée de cet effort.
Pour mettre en relief les imperfections de la série Mon cahier de religion, l’auteure la confronte, avec beaucoup de finesse, à Mes cahiers d’enfants du bon Dieu, de soeur Saint-Ladislas (Marguerite Gauthier, Soeurs de l’Assomption de la Saint-Vierge). À grand renfort de repro-duction de pages entières de ces deux documents, elle met nettement en évidence que les Frères des Écoles chrétiennes, tout en renouvelant les pratiques en classe, conservaient comme objectif premier l’acquisition de « connaissances » par les élèves, alors que la religieuse tentait de s’adresser directement à la sensibilité, à l’affectivité des enfants. Il était permis de penser que cette façon de faire était plus susceptible de marquer à long terme l’attitude de ceux-ci à l’égard du message évangélique et de la religion elle-même. Pour reprendre à mon tour des mots qu’elle a empruntés à Serge Gagnon, il s’agissait là de l’enseignement d’une religion du coeur. L’ouvrage de Mélanie Lanouette, tiré de son mémoire de maîtrise, présente de très grandes qualités. Il est finement écrit, et surtout finement pensé, très agréable à parcourir. Elle a très probablement raison quand elle suggère que l’identité sexuelle des auteurs en cause explique sans doute en partie l’approche plus franchement affective de soeur Saint-Ladislas. En tant que religieuse enseignante, son action touchait d’abord les fillettes, à propos desquelles le discours éducatif des années 1920 aux années 1950 affirmait qu’il était moins important, compte tenu de leur vocation de future épouse et mère, mais aussi de leur nature même, de s’adresser à l’intelligence : avec elles, il fallait viser plutôt le coeur.