Corps de l’article

Introduction

Dans les pays africains situés au sud du Sahara, le chômage et l’instabilité politique demeurent deux préoccupations majeures et sont considérés comme des freins au développement. Ce chômage de masse touche majoritairement les jeunes qui, en Afrique subsaharienne représentent 70 % des moins de 30 ans. En effet, l’Organisation internationale du Travail (ILO, 2021) révèle que de 2019 à 2021, l’Afrique subsaharienne a enregistré une augmentation d’environ quatre millions (4 000 000) de chômeurs, lesquels sont passés de 25 000 000 à 29 000 000. En même temps, le rapport sur la gouvernance en Afrique de la Fondation Mo Ibrahim (2017) montre que la sécurité et l’état de droit ont enregistré une détérioration persistante entre 2007 et 2016. Durant cette période, le score moyen à l’échelle du continent a régressé à une cadence moyenne de 0,27 point par an. De même, l’indicateur « troubles sociaux[4] » connait une détérioration, s’établissant à 52,9 en 2017.

Dans la littérature, la relation entre le chômage et l’instabilité politique s’explique, d’un côté, par l’analyse de la décision des agents économiques en incertitude (Alesina et Tabelini, 1989 ; Uguru, 2016), qui montre que l’instabilité politique a des effets néfastes sur l’emploi et, de l’autre côté, par la théorie de la frustration-agression (Grossman, 1991), qui postule que le chômage est une source d’instabilité politique. Ces deux positions ont été vérifiées par plusieurs auteurs, dont certains (Fomba et al., 2022 ; Germain, 2020) montrent que l’instabilité politique a un effet néfaste sur l’emploi, alors que d’autres (Hailu, 2022 ; Riechi, 2019) mettent en évidence les effets néfastes de l’emploi sur l’instabilité politique.

Cependant, il convient de relever que la problématique de l’instabilité politique a donné lieu à une littérature abondante. Aussi, trouve–t–on les travaux qui portent sur l’instabilité politique et la croissance économique (Schmidt et Torsten, 2023 ), la distribution des revenus (Alesina et Perotti, 1996), les prix (Arezki et Bruckner, 2011), la vulnérabilité économique (Bussière et Mulder, 1999), la performance des entreprises (Muhoza et Majune, 2022), le risque pays (Rivoli et Brewer, 1997), l’incertitude des politiques économiques (Feng, 2001), le commerce et les investissements directs étrangers (Seid et al., 2021 ; Malik et Mansur, 2017), l’innovation (Krammer et Kafouros, 2022) et l’emploi (Mohamed et Mansur, 2018 ; Azeng et Yogo, 2013).

Seulement, dans cette littérature, il n’y a pas assez de travaux sur l’emploi. Aucun article n’est exclusivement consacré à la thématique de l’emploi, et moins encore, les derniers travaux cités portent sur la Malaisie et quelques pays en développement où l’Afrique est noyée. Il y a donc un creux dans la littérature sur cette problématique dans les pays africains subsahariens. De plus, la relation entre l’emploi et l’instabilité politique est souvent examinée de façon unidirectionnelle. En conséquence, le présent article contribue à la littérature sur ce sujet dans les pays en développement, particulièrement ceux d’Afrique subsaharienne, dans la mesure où il vient combler un vide, mais aussi examine cette relation de façon bidirectionnelle. Ainsi, la spécificité de ce travail réside dans le fait d’analyser concomitamment ces deux relations afin de répondre à la question suivante : « le chômage et l’instabilité politique se nourrissent-ils mutuellement dans les pays d’Afrique subsaharienne ? ».

Aussi, l’objectif est de faire l’analyse bidirectionnelle de la relation entre le chômage et l’instabilité politique en Afrique subsaharienne. Étant donné la montée du chômage en Afrique subsaharienne (le nombre de chômeurs est passé de 17 millions en 2005 à 26 millions en 2020, selon le rapport sur les perspectives sociales et de l’emploi dans le monde en 2021) et la mise en place, mal maîtrisée, des processus démocratiques s’accompagnant de crises électorales ou des difficultés dans l’alternance au pouvoir (RDC, Burundi, Gambi, Kenya, etc.), il est soutenu dans ce travail que les deux phénomènes se nourrissent mutuellement.

La suite de l’article est structurée en cinq sections. La deuxième est consacrée à la présentation de la situation de l’instabilité politique et de l’emploi en Afrique subsaharienne ; la troisième, à la revue théorique et empirique ; la quatrième, à la méthodologie ; la cinquième, à la présentation et la discussion des résultats, et la sixième, à la conclusion et aux implications de politique économique.

1. Relation instabilité politique/emploi (chômage) et présentation de leurs situations respectives en Afrique subsaharienne

Cette section présente d’abord la relation entre l’instabilité politique et l’emploi (ou chômage) à travers les canaux de transmission, puis, la situation de l’instabilité politique et du chômage.

1.1 Relation entre l’instabilité politique et l’emploi

Nous présentons successivement la relation instabilité politique-emploi et la relation chômage-instabilité politique.

1.1.1 Relation instabilité politique-emploi

Il est possible d’illustrer, au moyen d’un schéma, la relation qui existe entre l’instabilité politique et l’emploi. Celle-ci se présente comme suit :

Figure 1

Cercle vicieux de la relation instabilité politique-emploi

Cercle vicieux de la relation instabilité politique-emploi
Source : Adapté par les auteurs à partir de Brady et Paparo (2017)

-> Voir la liste des figures

L’instabilité politique, intimement liée à l’instabilité du processus électoral, affecte négativement la croissance économique. Les faibles performances de croissance économique ont, à leur tour, un impact négatif sur le niveau de l’emploi entrainant une aggravation du chômage du fait de la baisse de l’activité économique (premier canal), la réduction ou la fuite des investissements vers d’autres pays plus stable (deuxième canal). L’aggravation du chômage est aussi le résultat de l’instabilité électorale qui élève le niveau d’incertitude dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

En effet, l’instabilité politique affecte l’emploi à travers trois canaux. Le premier tient au fait qu’elle freine les activités marchandes et interrompt les relations de travail avec un effet averse sur la production et la croissance (Alesina et Perotti, 1996).

Le deuxième est qu’elle réduit le niveau d’emploi du fait de son impact négatif sur l’investissement et le capital humain. Les effets néfastes de l’instabilité politique sur l’investissement ont été mis en évidence dans les travaux de Gwartney et al. (2006). Ceux-ci le justifient par le fait que la violence collective, le terrorisme ou les révolutions et les coups d’État sont une indication de ce que les populations sont enclines à abandonner les activités productrices et les règles de droit (Alesina et Perotti, 1996), ce qui est préjudiciable aux investissements et par conséquent à l’emploi.

Le troisième émane de ce que la probabilité, pour un gouvernement, d’être évincé est élevée lorsque la paix sociale est compromise dans un pays. Cette situation élève le niveau d’incertitude dans la mise en oeuvre des politiques publiques de croissance et de développement et par conséquent nuit à l’emploi. A cet égard, Brada et al. (2006) soulignent que l’atteinte d’un résultat comme la réduction du chômage n’est possible que si les membres d’une société envisagent le progrès économique dans un contexte de stabilité politique.

1.1.2 Relation chômage-instabilité politique

Il s’agit ici de mettre en évidence les canaux par lesquels le chômage peut conduire à une situation d’instabilité politique.

Figure 2

Canaux par lesquels le chômage conduit à une situation d’instabilité politique

Canaux par lesquels le chômage conduit à une situation d’instabilité politique
Source : adapté par les auteurs à partir de la littérature

-> Voir la liste des figures

L’analyse de cette figure met en évidence la manière dont le chômage conduit à une situation d’instabilité politique. En premier lieu, le chômage contribue à une réduction de la production (Uddin et al., 2023). Cette réduction en présence du chômage s’explique entre autres par l’augmentation des coûts de production des entreprises (car elles sont obligées de payer les salaires élevés), la diminution des recettes de l’État (car moins de travailleurs payent les impôts) et par conséquent la diminution des investissements.

En deuxième lieu, la baisse de la production occasionne celle du revenu, qui par la suite amène à une situation de pauvreté et de réduction du capital humain. La pauvreté et le faible niveau du capital humain provoquent chez les personnes concernées un sentiment d’exclusion, de désespoir et de frustration, les poussant ainsi aux actes criminels, de suicide, de pratique du commerce illégal jusqu’à la migration (Chen et al., 2022).

Somme toute, à travers la réduction de la production, la baisse du revenu et du capital humain ainsi que tous les corolaires qui en découlent, le chômage conduit inévitablement à une situation de l’instabilité politique.

1.2 Présentation de la situation de l’instabilité politique et de l’emploi

Le niveau d’instabilité politique est apprécié à partir des indicateurs de Kaufmann et al. (2010). Indicateur de stabilité politique et d’absence de violence, il mesure la perception quant à la probabilité que le gouvernement puisse être déstabilisé ou renversé, soit par des moyens inconstitutionnels, soit par la violence. Les valeurs prises par cet indicateur varient de -2,5 (forte instabilité politique et niveau élevé de violence) à 2,5 (stabilité politique et absence de violence). La situation de cet indicateur dans les pays africains au sud du Sahara se présente comme suit :

Graphique 1

Dispersion des niveaux d’instabilité politique des pays de l’Afrique subsaharienne en 2022

Dispersion des niveaux d’instabilité politique des pays de l’Afrique subsaharienne en 2022
Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des figures

Ce graphique montre que la majorité des pays souffrent de l’instabilité politique et sont aux prises à des violences. Ils affichent un niveau d’indicateur de stabilité en-dessous de zéro. Les pays de l’Afrique subsaharienne (Centrafrique, Mali, Cameroun, etc.) sont toujours en proie à des conflits armés ou des revendications populaires malgré des progrès enregistrés en matière de gouvern5ance au cours de cette décennie (Fondation Mo Ibrahim, 2017).

À côté de cette instabilité politique, ces pays sont aussi caractérisés par des niveaux de chômage importants, comme le montre le graphique ci-dessous :

Graphique 2

Dispersion des taux de chômage dans les pays de l’Afrique subsaharienne en 2022

Dispersion des taux de chômage dans les pays de l’Afrique subsaharienne en 2022
Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des figures

Ce graphique montre que plus de la moitié des pays ont des taux de chômage au-dessus de 5 %, dont environ 37 % sont à de plus de 15 %. Avec une augmentation du taux de chômage (environ 16 %) de 2019 à 2021 (ILO, 2021), les pays africains au sud du Sahara représentent, à plus d’un titre, un champ d’investigation, particulièrement intéressant pour examiner les effets de l’instabilité politique sur le chômage. D’abord, parce que l’Afrique subsaharienne est une région riche en ressources naturelles et, de ce fait, elle est souvent au coeur d’une lutte pour les intérêts stratégiques des grandes puissances. Ensuite, la démocratie est encore jeune ou en construction, avec à la clé des processus mal maîtrisés où l’alternance, en dehors de quelques exceptions, résulte d’insurrections armées ou populaires. Enfin, le risque pays y reste élevé et affecte fortement les investissements directs étrangers.

2. Revue théorique et empirique de la relation entre le chômage et l’instabilité politique

Théoriquement, la relation entre l’instabilité politique et les performances économiques prend appui sur les effets de l’incertitude sur les décisions économiques et sur l’analyse de la frustration-réaction. L’aversion pour le risque des agents économiques est une source d’hésitation dans la prise d’initiatives et un motif de sortie de l’économie pour investir à l’étranger, ce qui est préjudiciable pour l’emploi. Aussi, les investisseurs ont une préférence pour un environnement politique stable. En effet, pour qu’un pays connaisse la croissance, il faut qu’il garantisse le droit de propriété sur les investissements. Si cette confiance n’est pas assurée, cela contribuera à freiner les investissements. Le ralentissement de ces investissements ou leur détournement est néfaste pour l’emploi (Ajaga et Nunnenkamp, 2008).

Plusieurs auteurs (Alesina et Tabelini, 1990 ; Özler et Tabelini, 1991) ont élaboré des modèles qui mettent en évidence le comportement d’un gouvernement face à l’incertitude. L’idée commune de ces modèles est que l’instabilité politique conduit à l’inefficience économique (Uguru, 2016).

Aussi, Grossman (1991) dans son analyse économique des révolutions à travers la théorie de frustration-réaction, stipule que dans les pays caractérisés par une faiblesse des lois, la probabilité de révolution est élevée. A contrario, dans un pays caractérisé par le respect des lois, celle de réussite des révolutions est très faible et les individus privilégient les activités de marché plutôt que des activités révolutionnaires (Murphy et al., 1991).

La seconde grille de lecture se présente sous la forme d’objections à la première grille. La première objection tient au fait que la forte propension au changement d’un gouvernement peut être perçue favorablement par les agents économiques. En effet, lorsque le gouvernement en place est incompétent ou corrompu, les possibles successeurs sont perçus comme étant à même de faire évoluer la situation économique et sociale de façon favorable. Or, dans la plupart des cas, les modèles développés dans la première grille de lecture supposent que la compétence du futur gouvernement n’est pas plus élevée que celle du gouvernement en place ; ce qui n’est pas toujours le cas.

La seconde objection stipule que si la propension d’un gouvernement à être changé est très élevée, l’incertitude sur les politiques peut se trouver considérablement réduite, dès lors qu’il va devenir certain que le gouvernement en place va être changé. L’incertitude sur les politiques est conditionnelle. Celle-ci n’est importante que si les caractéristiques ou même l’identité des successeurs au gouvernement en exercice ne sont pas connues avec certitude ou qu’une augmentation de la propension de changement d’un gouvernement bien connu par un autre moins connu.

Sur le plan empirique, on distingue d’un côté, la littérature consacrée aux effets de l’instabilité politique sur l’emploi et, de l’autre côté, celle relative aux effets du chômage sur l’instabilité politique. Concernant les effets de l’instabilité politique sur l’emploi, Kaufmann (2010) relève que dans le cas d’une forte instabilité, les décideurs ont tendance à éviter les réformes structurelles et optent pour les politiques de wait and see qui sont de nature à limiter les désagréments avec la population et les autres acteurs de la vie politique. Dans cette optique, le gouvernement peut faire des choix tels que la poursuite de la même politique économique, en dépit, de ce qu’elle soit caduque pour éviter les mouvements de masse qui le fragiliseraient davantage. Une telle option freine l’activité économique et l’emploi.

À propos de l’inférence du chômage sur l’instabilité politique, Collier (2000) estime qu’une jeunesse au chômage constitue un réservoir de soldats pour les mouvements de rébellion. De même, Colino (2012) relève que si le marché du travail n’absorbe tous les jeunes demandeurs d’emploi, la frustration qui en résulte peut alimenter les troubles sociopolitiques, source de l’instabilité politique. Aussi la synthèse des travaux de Justino (2010) conclut que la persistance des niveaux élevés de chômage peut faire du métier de soldat un moyen de gagner sa vie lorsque les autres moyens non violents offrent des opportunités limitées.

En définitive, cette revue de la littérature permet d’établir trois limites. La première dérive de l’existence d’une controverse toujours présente dans la littérature. La deuxième porte sur le fait que la majorité des travaux analysent de façon unidirectionnelle la relation qui lie l’instabilité politique à l’emploi et vice-versa. La troisième, quant à elle, tient du fait que dans les travaux empiriques recensés, la majorité met l’accent sur le chômage des jeunes. Peu de ces travaux s’intéressent au chômage de manière globale, ce dernier représentant une situation non négligeable dans les pays de l’Afrique subsaharienne.

3. Modélisation de la relation entre l’instabilité politique et le chômage

Cette section s’articule en deux points. Le premier porte sur le modèle mettant en relation l’instabilité politique et le chômage. Le second est consacré aux sources des données et à la description des variables.

3.1 Modèles

Deux modèles sont utilisés. Le modèle de l’emploi (ou du chômage) et le modèle de l’instabilité politique. Le premier émane des travaux d’Islam et Nazara (2000) et se présente comme suit :

ω est le terme de l’erreur et les indices i et t représentent respectivement le pays et le temps. Les vk sont les paramètres de l’équation. Le PIB représente le produit intérieur brut, et polstab, l’instabilité politique et l’absence de violence. X est un vecteur de variables de contrôle alors que β est le vecteur des paramètres des variables de contrôle. Suivant les travaux de Nwosa et al. (2020) et Abdullah et al (2022), dans ce travail le vecteur X est constitué de l’ouverture commerciale (open) ; du niveau de l’éducation approximé par le taux brut de scolarisation au primaire (Tbsp) ; de l’indice des prix à la consommation (ipc) et de la formation brute du capital fixe (fbcfcrt). La prise en compte de ces variables permet de formuler l’équation (1) ainsi :

Le modèle de l’instabilité politique, quant à lui, prend appui sur les travaux de Miguel et al. (2004) et de Colino (2012), qui mettent en relation l’instabilité politique et les facteurs susceptibles de l’expliquer. Ainsi, il est possible de suggérer la formulation suivante :

μ est le terme de l’erreur et Z, un vecteur de variables de contrôle qui comprend les variables chômage, indice de prix à la consommation, fa formation brut du capital fixe, produit intérieur brut ; l’ouverture commerciale et le contrôle de la corruption.

3.2 Sources et description de données

Les données proviennent des bases de données de la Banque mondiale Jobs et Gouvernance (disponible sur http://databank.worldbank.org) et couvrent la période de 2002 à 2022. Le choix de cette période est dicté par la disponibilité des données, et les variables émanent de la revue de la littérature.

  • Instabilité politique et absence de violence : elle émane des travaux les plus répandus de Kaufmann et al. (2010). Elle est mesurée au moyen d’un score variant de -2,5 à +2,5 et présente la perception des populations sur la probabilité de déstabilisation ou de renversement du régime en place par les moyens inconstitutionnels ou la violence motivée politiquement et le terrorisme. D’après Brada et al. (2006), la réduction du chômage n’est possible que dans un contexte de stabilité politique. Dans ces conditions, on s’entend à ce que l’instabilité politique augmente le niveau du chômage.

  • Taux brut de scolarisation au primaire : c’est le rapport entre le nombre d’inscriptions au primaire, peu importe l’âge et le nombre de personnes officiellement scolarisables au primaire. D’après Mincer (1991), le principal avantage de l’éducation est sa contribution à la réduction du risque de chômage, ce qui met en évidence une relation inverse entre le chômage et le niveau d’éducation.

  • Ouverture commerciale : Elle définit la capacité d’une économie à commercer avec l’étranger en considération de la production interne. Elle est déterminée par la part des importations et des exportations dans le produit intérieur brut. Le taux d’ouverture commerciale fort fait référence à une économie extractive contrairement au taux faible qui révèle une situation d’autarcie. Les travaux de Nwosa et al. (2020) mettent l’accent sur l’importance de l’ouverture commerciale dans la réduction du chômage.

  • Indice de prix à la consommation : Il mesure l’évolution générale des prix des biens et services de consommation. Il renseigne sur le phénomène d’inflation lorsque les prix augmentent (indice supérieur à 100) ou de déflation lorsque les prix diminuent (indice inférieur à 100). Les résultats des travaux réalisés par Abugamea (2018) concluent que le niveau d’inflation a un impact positif et significatif sur le niveau du chômage.

  • Produit intérieur brut. Les travaux de Chand et al. (2017) montrent que la croissance économique affecte négativement le chômage.

  • Formation brut du capital fixe : Elle correspond à la valeur des biens durables acquis par les unités de production pour être utilisés pendant au moins un an dans le processus de production. Eggoh et Kobbi (2021) montrent qu’un niveau d’investissement élevé est associé à une réduction de l’instabilité politique.

  • Chômage : il représente l’état d’inactivité des personnes en âge de travailler. D’après le Bureau International du Travail (BIT), trois critères déterminent l’état d’une personne en chômage : être sans travail, être disponible à travailler et avoir fait des démarches en vue de trouver un emploi. Azeng et Yogo (2013) montrent que le chômage est de nature à amplifier l’instabilité politique.

Après cette présentation des sources des données et la justification de leurs choix, les descriptions sont présentées dans le tableau ci-dessous de manière globale, et les statistiques par groupe de pays (pays à revenu faible et pays à revenu intermédiaire) sont présentées en annexe.

Tableau 1

Description des données d’ensemble

Description des données d’ensemble
Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des tableaux

Il ressort de ce tableau qu’au cours de la période 2002-2022, le PIB moyen est de 4,71E+12 $USD. Avec un écart important à la moyenne, ce PIB varie entre 3,70E+11 $USD et 2,20E+13 $USD. Pour ce qui est du chômage, l’observation faite est que les pays africains au sud du Sahara font preuve d’une grande hétérogénéité. Le taux moyen de chômage sur la même période est de 5,62 % pour un minimum de 0,32 % et un maximum de 23,8 %. Quant au taux brut moyen de scolarisation au primaire, il est de 6,262 % et fluctue entre 0,171 % et 44,43 %.

En moyenne, l’indice des prix à la consommation est de 100,203 avec un minimum de 29,726 et un maximum de 38 796,60. La moyenne supérieure à 100 suggère que l’Afrique subsaharienne est généralement caractérisée par une situation d’inflation. Le niveau moyen de stabilité politique est de -0,538. Ce score moyen négatif prouve la situation d’instabilité observée dans la majorité des pays de l’Afrique subsaharienne. La formation brute du capital fixe est en moyenne de 4,09E+09 $USD, et fluctue entre 3,26E+07 $USD et 3,23E+10 $USD Enfin, la moyenne de l’ouverture commerciale des pays africains au sud du Sahara est de 60,89 % du produit intérieur brut pour un minimum de 2,69 % et un maximum de 127,20 %.

4. Estimation des modèles et discussion des résultats

Nous présentons dans un premier temps, la procédure d’estimation et la présentation des résultats, et dans un deuxième temps, l’interprétation des résultats.

4.1 Estimation du modèle et présentation des résultats

Avant de procéder à l’estimation des équations (2) et (3), il est indispensable d’effectuer les tests pré-estimations (stationnarités) pour s’assurer que non seulement les séries sont stationnaires, mais aussi de bien choisir la méthode ou technique appropriée afin d’éviter les régressions fallacieuses qui conduiraient aux résultats biaisés.

Dans ce travail, les tests Levin, Lin et Chu (2002) et Im, Pesaran et Shin (2003) sont retenus. Le premier dit de la première génération porte sur la spécification homogène de la racine autorégressive, permettant ainsi le contrôle d’hétérogénéité du panel.

Contrairement au premier test, le deuxième autorise sous l’hypothèse alternative non seulement une hétérogénéité de la racine autorégressive, mais également une hétérogénéité relative quant à la présence d’une racine unitaire dans le panel (Hurlin, 2004). Il est à noter que le test de racine unitaire de Levin, Lin et Chu (2002) inspiré de celui de Dickey et Fuller (1979), ne permet pas de prendre en compte l’autocorrélation des résidus. Cette insuffisance est corrigée par le test de Im, Pesaran et Shin (2003) qui est construit sous le modèle du test de Phillips et Perron (1988). L’application de ces deux tests donne les résultats synthétisés dans le tableau 2, ci-dessous.

Tableau 2

Résultats de la racine unitaire

Résultats de la racine unitaire

* ; ** et *** représentent la significativité respectivement aux seuils de 1 %, de 5 % et de 10 %.

ln est le logarithme népérien

Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des tableaux

Ces résultats indiquent que seule la variable indice des prix à la consommation, (ipc) est stationnaire en première différence, les autres étant stationnaires en niveau. Il en résulte que les variables sont intégrées des ordres différents I(0) et I(1), et qu’aucune n’est intégrée d’ordre 2. De ce fait, le modèle autorégressif à retards échelonnés (ARDL) est justifié. Cette approche est caractérisée par une multiplicité d’avantages. D’abord, elle offre la possibilité de faire les estimations en présence des variables avec différents niveaux de stationnarité (Kuma, 2018). Ensuite, elle permet d’estimer simultanément la relation de court terme et de long terme ainsi que le coefficient de correction d’erreur. Enfin, elle apparait plus appropriée en présence de petits échantillons et permet de corriger les problèmes d’endogénéité.

La démarche d’estimation consiste à estimer les trois modèles (Pooled Mean Group [PMG], Mean Group [MG] et Dynamic Fixed Effect [DFE]), et à identifier le plus approprié à l’aide du test de Hausman. L’application de la présente technique aux données de cette recherche donne les résultats synthétisés dans le tableau 3 ci-dessous.

Tableau 3

Résultats d’estimation d’un ARDL en panel

Résultats d’estimation d’un ARDL en panel

* ; ** et *** représentent la significativité respectivement aux seuils de 1 %, de 5 % et de 10 %.

a, test entre PMG et MG

b, test entre PMG et DFE

Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des tableaux

Les différents résultats du test de Hausman montrent que le modèle PMG est approprié pour la discussion, car les probabilités associées à la statistique de Chi2 sont supérieures à 0,05.

4.2 Discussion des résultats

Les résultats obtenus permettent de tirer un enseignement à savoir : la relation entre le chômage et l’instabilité politique est unidirectionnelle. Elle va du chômage à l’instabilité politique. Il découle de cet enseignement deux conséquences dans l’analyse de la relation entre le chômage et l’instabilité politique en Afrique subsaharienne. La première est que le chômage est un lubrifiant de l’instabilité politique ; la seconde est que le chômage est une conséquence marginale de l’instabilité politique.

4.2.1 Chômage en Afrique subsaharienne : un lubrifiant de l’instabilité politique

Ce résultat a des fondements statistiques dans la mesure où le coefficient associé à la variable chômage a un signe négatif et significatif au seuil de 5 % à long terme. Une augmentation du taux chômage d’un point, toute chose égale par ailleurs, s’accompagne d’une augmentation du niveau d’insécurité politique (dégradation du niveau de l’indicateur) de 0,026 point. Ce résultat confirme les analyses de Collier (2000) et Colino (2012) qui montrent la forte propension des chômeurs à s’engager dans les activités conduisant à l’instabilité politique.

En effet, lorsque les chômeurs n’arrivent pas à assurer leur subsistance et à subvenir aux besoins de leur famille à cause du chômage, ils peuvent se sentir abandonnés à eux-mêmes et confrontés à l’incertitude (Hilker et Fraser, 2009). Cette situation qui est une source profonde de frustration amène souvent ces derniers à recourir à la violence ou à s’engager dans les activités de contestation et de déstabilisation des institutions. Une autre explication, dans une optique plus sociologique, est que dans les sociétés en mutation comme la plupart des sociétés africaines, les chômeurs souffrent d’une absence de considération et se sentent marginalisés. Cette situation les place dans une position de recherche d’une acceptation par les aînés, ce qui peut les pousser à l’hypermasculinité et à des actes de violence (Plummer et Geoffroy, 2010). En faisant allusion au même phénomène dans le Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo, Lwambo (2013) indique que l’indépendance financière est essentielle pour montrer qu’un jeune est devenu adulte. Ainsi, le fait pour ce jeune de ne pouvoir être financièrement indépendant peut le conduire à la nécessité de montrer qu’il est adulte en posant des actes d’hypermasculinité comme la violence. Cette violence née de l’incapacité pour le chômeur de répondre à ses obligations et donc de jouer son rôle dans la société peut dans la cellule familiale exacerber la violence selon le genre.

Le tableau 4 présente quelques caractéristiques des pays ayant connu une rébellion active ou un coup d’État (pays instables) et les pays n’ayant connu aucune rébellion active ni de coup d’État (pays stables).

Tableau 4

Caractéristiques de quelques pays africains subsahariens

Caractéristiques de quelques pays africains subsahariens
Source : Adapté par les auteurs à partir des données extraites de https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators

-> Voir la liste des tableaux

Il ressort de ce tableau que les pays instables affichent un niveau de vie supérieur à 4000 $USD, alors que ceux qui en sont épargnés ont un niveau de vie inférieur à 2500 $USD. Mais, socialement, les pays stables affichent les meilleures performances. Ils affichent environ cinq (5) années d’espérance de vie de plus que les pays instables. Dans ces conditions, même si l’instabilité peut être attribuée aux inégalités dans la répartition de la rente des matières premières (Collier et Binswanger, 1999), aux rivalités ethniques ou régionales (Carment, 1994), aux oppositions religieuses, à la faible maîtrise des processus démocratiques (Snyder, 2000), il n’est pas possible d’arrêter de penser au chômage qui touche, en majorité, les jeunes qui, dans ces conditions, constituent un levier d’expression de toutes les frustrations. Le chômage est, de ce fait, comme une mère nourricière pour la criminalité, l’exode des jeunes vers l’occident qui les répugne, l’enrôlement dans les bandes armées, etc. Le sahel est ainsi devenu, comme le relève le rapport de la Coalition islamique militaire contre le terrorisme (2021), l’une des régions d’Afrique subsaharienne où le djihad prospère[5].

4.2.2 Chômage en Afrique subsaharienne : une conséquence marginale de l’instabilité politique

Estimer que le chômage est une conséquence marginale de l’instabilité politique sous-entend que le niveau et la nature de l’instabilité politique ne permettent pas d’expliquer le chômage dans les pays africains au sud du Sahara. En effet, les résultats obtenus montrent que le coefficient associé à l’indicateur d’instabilité politique est négatif et non significatif au seuil de 5 %. Ces résultats relativisent les analyses effectuées par Clague et al. (1996) sur le comportement des décideurs et celles de Murphy et al. (1991) sur la qualité des politiques publiques en période d’instabilité politique.

Le chômage est une conséquence marginale de l’instabilité politique, car, malgré la perturbation de l’activité productive, l’effet de ce phénomène sur l’emploi reste marginal. Le chômage qui a cette caractéristique est un chômage structurel qui est insensible aux fluctuations de l’activité et, donc, ne dépend que de la structure de l’économie (la population en âge de travailler, sa qualification, etc.), des facteurs institutionnels (le niveau de corruption, le niveau du salaire minimum, l’action syndicale) et technologiques.

De même, les récentes situations d’instabilité politique ayant entrainé les changements de régime en Gambie (départ du président Yahya Jammeh, après 25 ans de pouvoir), en République démocratique du Congo (départ du Président Joseph Kabila, après 18 ans de pouvoir) et au Zimbabwe (départ du Président Robert Mugabe après 30 ans de pouvoir) témoignent du faible lien entre le niveau de pauvreté et l’instabilité politique. Le tableau 5 suivant illustre cet argument.

Tableau 5

Situation sociale en Gambie, en RDC et au Zimbabwe

Situation sociale en Gambie, en RDC et au Zimbabwe
Source : Rapport sur le développement humain du Pnud (2018)

-> Voir la liste des tableaux

Ce tableau montre que les situations d’instabilité politique qui ont pris corps dans ces trois pays s’appuient sur des situations sociales en état de dégradation. Les populations y sont, en grande partie, pauvres et il y a de fortes inégalités de revenu. Sur le marché du travail, les statistiques officielles montrent que le chômage est préoccupant, surtout au sein de la couche juvénile de la population. La jeunesse ni scolarisée ni employée représente plus de 20 % de jeunes. Une telle situation est un terrain fertile au développement de l’instabilité politique (ce qui corrobore le premier enseignement de ce travail), mais la réciproque n’est pas évidente dans ce tableau, car ici, l’instabilité politique n’a pour effet que d’aggraver une situation qui a pris racine dans les difficultés structurelles que ces pays connaissent.

Conclusion et implications pour les politiques économiques

L’Afrique subsaharienne fait face à des situations d’instabilité politique dans un contexte de chômage de masse. A ce sujet, la littérature économique n’est pas partagée sur la relation entre les deux phénomènes. Certains auteurs pensent que c’est l’instabilité politique qui est la source du chômage, alors que d’autres pensent le contraire. Ainsi, l’objectif de ce travail consistait à étudier la relation entre l’instabilité politique et le chômage. Pour ce faire, le modèle autorégressif à retards échelonnés en donnée de panel et les données qui couvrent la période de 2002 à 2022 sont utilisés. Les résultats montrent que la relation entre l’instabilité politique et le chômage est unidirectionnelle. Elle va du chômage vers l’instabilité politique. Ce résultat, tout en confirmant partiellement l’hypothèse de ce travail, permet de soutenir que, d’une part, le chômage est un lubrifiant de l’instabilité politique et que, d’autre part, ce chômage est une conséquence marginale de l’instabilité politique.

Au regard de ces résultats, les pays africains au sud du Sahara doivent fournir des efforts pour rompre le cercle vicieux (chômage-instabilité politique) qui fait obstacle à leur processus de développement. Les mesures à prendre peuvent porter sur l’élaboration et l’implémentation des politiques publiques susceptibles de promouvoir la croissance économique et l’emploi.

En effet, dans le cas des pays africains au sud du Sahara, qui connaissent une modification de la structure des âges qui est dominée par un nombre important des jeunes en âge de travailler (UNFPA et AFIDEP, 2015), l’instabilité politique est un enjeu important de son développement. Avec des perspectives économiques favorables (African Development Bank, 2023), et pour éviter l’enchaînement chômage-instabilité, ces pays auront à gagner en faisant des investissements appropriés dans le capital humain et dans les services sociaux de base au profit de cette jeune population.

Ces gains potentiels peuvent être réalisés grâce au dividende démographique, qui désigne l’accélération de la croissance économique que les pays peuvent tirer profit grâce au changement de la structure des âges à la suite de la transition démographique. En raison de la réduction de la charge de la dépendance des enfants et des coûts des services à l’enfance, l’épargne augmente et les ressources sont libérées pour accroître les dépenses par habitant dans des services de santé et d’éducation de qualité pour la formation de capital humain afin de stimuler davantage la croissance et l’emploi et ainsi couper le grand vivrier de l’instabilité politique qu’est une jeunesse au chômage et désoeuvrée.

Toutefois, si les résultats mettent en évidence la relation unidirectionnelle allant du chômage vers l’instabilité politique, peut-on conclure que le chômage est le principal facteur conduisant à l’instabilité politique observée dans la région ? Ladite relation est-elle linéaire ou non linéaire ? Les réponses à ces questions qui constituent les limites de ce travail ouvrent les pistes de nos futures recherches qui porteront respectivement sur l’analyse des facteurs explicatifs de l’instabilité politique et sur l’analyse d’existence ou non d’un seuil du chômage à partir duquel le chômage devient une source d’instabilité dans les pays de l’Afrique subsaharienne.