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Introduction

La collaboration entre les secteurs, les structures et les niveaux de gouvernement caractérise un nouveau mouvement public : la gouvernance collaborative (Lee & Ospina, 2022, p. 63). L’objectif explicite de ce type de gouvernance est de contribuer à l’amélioration de la démocratie (Doberstein, 2016, p. 822). Celle-ci étant un système qui fonctionne par délégation et représentation (Reddick et al., 2020, p. 1412), le Parlement, représentant du peuple, contrôle l’action gouvernementale et en exige au besoin des justifications. Cette demande de reddition de compte et de tenue de compte est structurée par des normes d’imputabilité (Lee & Ospina, 2022, p. 64) en vue d’établir la confiance du public par l’accessibilité aux informations, la divulgation des informations et la participation accrue des citoyens (Clarke & Dubois, 2020, p. 180). L’imputabilité constitue donc l’une des pierres angulaires d’un système démocratique (Brandsma & Schillemans, 2013, p. 953). Plus explicitement, Reddick et ses collègues avancent que la notion structurelle et pratique de l’imputabilité découle du système de gouvernement de Westminster (2020, p. 1412), dans lequel l’imputabilité doit accomplir trois fonctions fondamentales : la fonction démocratique, la fonction constitutionnelle et la fonction de performance (2020, p. 1418).

Dans la FP québécoise, il est possible d’accéder à la fonction de performance de l’imputabilité par le truchement du rôle du Vérificateur général du Québec (VGQ). En tant qu’institution indépendante dont les activités sont encadrées par la Loi sur le vérificateur général entrée en vigueur en 1985, le VGQ fait des audits financiers et de performance qu’il consigne dans des rapports organisés par tome. Ceux-ci mentionnent les principales constatations assorties de recommandations qui méritent d’être portées à l’attention du Parlement et de la population. Dans cette mission, le VGQ s’intéresse aussi bien aux résultats – la création de la valeur ajoutée – qu’aux processus – la coproduction – tels que prônés par les paradigmes du nouveau service public ou du gouvernement ouvert (Denhardt & Denhardt, 2000, p. 554 ; Palumbo & Manesh, 2021, p. 1). Cette coproduction, qui implique des rapports de collaboration aussi bien dans l’axe horizontal que vertical, est nécessaire à l’atteinte de la performance. Ainsi, selon l’analyse des données longitudinales récoltées par Page et ses collègues (2018, p. 242) dans le cadre d’une étude de cas de sept ans du Minnesota’s Urban Partnership Agreement, l’amélioration de la performance dans la gouvernance collaborative passe par l’incrémentalisme sur la base de décisions éclairées sur l’état du processus collaboratif. À cet égard, une analyse régulière des déficits d’imputabilité relevés par le VGQ revêt toute son importance pour apprécier l’état du processus d’imputabilité dans toutes ses dimensions et y apporter progressivement les ajustements requis, car la présence de toutes les dimensions est nécessaire au fonctionnement optimal de tout le processus (Lee & Ospina, 2022, p. 68). Or, l’évaluation de l’imputabilité dans la gouvernance collaborative en vue de déceler les éventuels déficits et d’y remédier est l’une des questions les moins abordées dans la littérature. Et pour cause, les mécanismes d’imputabilité dans la gouvernance collaborative sont complexes (Lee & Ospina, 2022, p. 63). Ainsi, malgré l’effort constant du VGQ décrit supra pour assurer le fonctionnement optimal du processus d’imputabilité et, par ricochet, de la performance de la fonction publique québécoise, nous n’avons relevé à ce jour aucune étude visant à analyser à plus long terme les déficits d’imputabilité collaborative décelés.

La présente recherche permet d’analyser les déficits d’imputabilité collaborative relevés par le VGQ entre 1988 et 2022 en vue de mettre au jour l’état de chacune des dimensions du processus d’imputabilité collaborative pendant cette période de référence. Pour ce faire, nous présentons d’abord l’état des connaissances sur la gouvernance collaborative ainsi que sur l’imputabilité et son évaluation dans la gouvernance collaborative. Ensuite, nous effectuons à l’aide du logiciel Dedoose une analyse de contenu des rapports du VGQ à l’Assemblée nationale de 1988 à 2022. Enfin, nous discutons les résultats obtenus et soulignons les limites de l’étude.

1. Revue de la littérature

Pour analyser au mieux les déficits d’imputabilité en contexte de gouvernance collaborative, nous faisons un tour d’horizon de la littérature sur la gouvernance collaborative, l’imputabilité ainsi que la mesure de ses déficits.

1.1 La gouvernance collaborative

Deux concepts de base sont associés à la gouvernance collaborative, soit ceux de « gouvernance » et de « collaboration ».

En ce qui concerne la gouvernance, bien qu’elle soit considérée par plusieurs auteurs comme un concept « fourre-tout » (Lacroix & St-Arnaud, 2012, p. 21), elle demeure abondamment étudiée et développée sous différents prismes théoriques tels que la conception de la gouvernance des réseaux, la performance des réseaux et la théorie de la gouvernance des réseaux (Wang et al., 2023, p. 35). Il en existe deux principaux types : la gouvernance privée concernant les entreprises ou les associations et la gouvernance publique, qui porte sur les institutions nationales, mondiales ou globales, territoriales ou locales (Pesqueux, 2007 ; Dhahi Sellami, 2012 ; Bakkour, 2013). Dans le secteur public, malgré l’évolution du concept de gouvernance depuis les années 1990 avec l’avènement du New public management (NPM) ou nouveau management public (Hood, 1991), la gouvernance renvoie toujours à un ensemble d’entités décisionnelles, « un système de gouvernance » suivant une structure et un dynamisme. Elle est généralement perçue comme le mode de gouverne le plus indiqué dans un contexte où la démocratie représentative n’arrive plus à combler les exigences des citoyens en matière d’imputabilité et de participation (Lacroix & St-Arnaud, 2012, p. 22). Pour ces auteurs qui ont tenté une définition, la gouvernance désignerait minimalement « l’ensemble des règles et des processus collectifs formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en oeuvre des actions publiques » (Ibid., 2012, p. 26). Les processus collectifs renvoient à des réalités pratiques comme les réseaux. Or ceux-ci sont indéniablement axés sur la collaboration entre les acteurs concernés. Il en résulte que dans la gouvernance se trouve la notion de collaboration.

Le deuxième concept, celui de « collaboration », a quant à lui fait l’objet de plus de 100 définitions différentes dans la littérature (O’Leary et Vij, 2012, p. 508). Pour les fins de cette étude, nous retenons la définition de Thomson et ses collègues (2007, p. 25-28), qui conçoivent la collaboration comme :

un processus dans lequel des acteurs autonomes interagissent par le biais de négociations formelles et informelles, créant conjointement des règles et des structures régissant leurs relations et leurs manières d’agir ou de décider sur les questions qui les ont réunis. C’est un processus impliquant des normes partagées et des interactions mutuellement bénéfiques

p. 28

À l’intérieur d’un gouvernement, la collaboration se développe horizontalement entre différents secteurs (acteurs publics, privés ou à but non lucratif) ou verticalement entre les différents niveaux du même gouvernement. Ainsi, pour Sedgwick (2017, p. 237), la collaboration implique une planification globale et souvent une structure de gouvernance collaborative distincte des organisations individuelles. Dans un contexte de bonne gouvernance dans la fonction publique, la collaboration est un impératif pour les gestionnaires publics, qui peuvent en tirer plusieurs avantages pratiques. C’est ainsi que Mitchell et ses collègues (2015, p. 686), dans une étude qualitative comparative des perspectives des gestionnaires publics sur la collaboration, relèvent trois principales raisons pour lesquelles la collaboration est importante dans une gouvernance. La première tient au fait que les problèmes publics contemporains auxquels sont confrontés l’État et les organismes publics sont plus complexes et que leur résolution efficace nécessite une collaboration au-delà des frontières étatiques et organisationnelles. La deuxième se rapporte à la quête d’efficacité et de performance qui motive les dirigeants publics à rechercher de nouvelles approches novatrices. Enfin, la troisième raison est liée à la rapidité et à l’efficacité du partage d’informations et d’expériences que permettent les moyens technologiques d’aujourd’hui (Ibid., p. 687). En somme, la collaboration pourrait être motivée entre autres par la création de valeur ajoutée, la recherche de la transparence dans les services et le management des agences, le partage et la création de nouvelles ressources, la spécialisation à l’intérieur de l’État, le renforcement de la légitimité, la dérèglementation ou le fait d’accorder plus d’importance à l’efficacité des politiques publiques qu’aux économies (Bazinet, 2017, p. 58). Pour Vangen et Huxham (2013, p. 9), la finalité de la collaboration consiste à réaliser un « avantage collaboratif », c’est-à-dire atteindre un objectif qu’aucune organisation ne peut atteindre seule.

Eu égard à ce qui précède, on s’aperçoit que la collaboration est devenue un outil de gouvernance publique en ce qu’elle est considérée comme la solution adéquate pour permettre aux gouvernements de faire face à la complexité, à l’imprévisibilité et à l’universalité qui caractérisent les problèmes publics contemporains, dont la résolution dépasse la capacité d’un seul acteur (Costumato, 2021, p. 247). La gouvernance collaborative apparaît donc comme « une méthode de prise de décision collective où les agences publiques et non-acteurs étatiques s’engagent mutuellement dans un processus délibératif axé sur le consensus pour inventer et mettre en oeuvre des politiques publiques et des procédures de gestion des ressources publiques » (Doberstein, 2016, p. 820, traduction libre). La gouvernance collaborative suscite donc une question de capacité. Ainsi, la capacité de gouvernance d’un État se mesure entre autres par le fonctionnement de ce processus collaboratif aussi bien à l’intérieur de l’État qu’au-delà de ses frontières géographiques (Emerson & Nabatchi, 2015, p. 6). Dans cette perspective, Mayne et ses collègues (2020, p. 34) identifient la capacité collaborative comme fondamentale pour l’État en matière de gouvernance. Cette capacité collaborative est également mise en évidence dans les trois principales caractéristiques de la gouvernance identifiées par Van Popering-Verkerk et al. (2022, p. 4), à savoir : l’action collective, l’interaction entre différents acteurs et l’échange de ressources.

La gouvernance collaborative fonctionne suivant des normes implicites et explicites telles que les lois, les accords, les mesures de performance, les normes politiques et professionnelles, etc. (Page et al., 2018) auxquelles les parties prenantes sont tenues. Au niveau organisationnel public, les gestionnaires publics y sont contraints et doivent en répondre dans un contexte de désenchantement de la démocratie représentative qui n’arrive plus à combler les exigences des citoyens en matière d’imputabilité. (Lacroix & St-Arnaud, 2012, p. 22).

1.2 L’imputabilité dans la gouvernance collaborative

Comme la collaboration et la gouvernance, le concept d’imputabilité est sujet à controverse et ne répond pas à une définition univoque dans la littérature (Brandsma et Schillemans, 2013, p. 954), bien que la question de l’imputabilité ait toujours été au coeur de l’administration publique. En effet, dès 1930, Carl Friedrich et Herman Finer exprimaient des points de vue divergents sur l’imputabilité. Pour le premier, il suffisait d’inculquer des normes et des codes professionnels internes pour assurer l’imputabilité tandis que le second croyait, en vertu de sa vision orthodoxe wébérienne, qu’il était nécessaire de créer des freins et contrepoids externes (Reddick et al., 2020, p. 1412). Cette divergence de vue sur l’imputabilité pose la question de savoir si elle se rattache simplement au sens des responsabilités perçu par les administrateurs eux-mêmes ou à la nécessité d’avoir des structures externes qui légitiment et imposent des mesures coercitives de conformité aux normes (Ibid., 2020, p. 1412-1413 ; Willems & Van Dooren, 2012, p. 1013). Cette question revêt toute son importance dans une imputabilité de performance. Celle-ci renvoie à l’obligation de rendre compte de la manière dont un individu ou une fonction s’acquitte de ses responsabilités en matière de performance, de la mise en place d’indicateurs de performance clés et du développement d’une culture organisationnelle favorisant la reddition de comptes. Dans le cadre d’un projet, l’imputabilité de performance se rapporterait à l’imputabilité des intervenants envers l’atteinte des résultats souhaités. Pour mettre en avant son importance dans la gouvernance, Priliandani et ses collègues (2023, p. 458) déclarent qu’elle est la clé pour parvenir à une bonne gouvernance. Dans le contexte québécois, le rôle joué par le VGQ apparaît comme un contrepoids externe au gouvernement et fonde la légitimité d’une évaluation ex post externe pour le plein exercice des droits d’autorité des élus parlementaires, représentants directs du peuple. Ainsi, l’imputabilité en étude est tout aussi verticale qu’horizontale. Elle loge dans la forme hybride défendue par Reddick et ses collègues (2020, p. 1410). Dans cette forme, les relations hiérarchiques caractérisées par la verticalité sont importantes pour contenir le caractère arbitraire de l’imputabilité. Il en est de même des interactions horizontales pour faciliter l’imputabilité vis-à-vis des pairs, des organisations, des groupes d’intérêts et des citoyens. L’imputabilité englobe aussi bien les relations formelles qu’informelles et comporte cinq dimensions selon les auteurs : transparency (transparence), liability (redevabilité), controllability (contrôlabilité), responsability (responsabilité) et responsiveness (réactivité) (Ibid., p. 1419). L’imputabilité hybride de par ces dimensions faciliterait l’accomplissement des trois fonctions généralement assignées à l’imputabilité dans une démocratie : la fonction démocratique, la fonction constitutionnelle et la fonction de performance (Ibid., p. 1418).

Au regard de ce qui précède et considérant que l’imputabilité est l’une des pierres angulaires de la démocratie qui fonctionne par délégation et représentation (Brandsma et Schillemans, 2013, p. 953), nous retenons la définition de Bovens et ses collègues, qui perçoivent l’imputabilité comme « une relation ou un mécanisme social dans lequel un acteur sent l’obligation d’expliquer et de justifier sa conduite à quelqu’un d’autre » (2014, p. 184). Sentir l’obligation de rendre compte implique la perspective individuelle basée sur les conséquences psychologiques de l’imputabilité. Il serait donc illusoire de penser que les mécanismes d’imputabilité peuvent fonctionner sans que les individus croient qu’ils répondront des actes qu’ils posent (Kamuzinzi & Rubyutsa, 2019, p.  634). D’où la notion d’imputabilité ressentie avec la clarification de qui est imputable de quoi et à qui (Overman & Schillemans, 2022, p. 14-18).

En ce qui concerne l’évaluation de la performance dans une gouvernance collaborative, deux mécanismes d’imputabilité peuvent être identifiés selon les traditions étatiques. Il s’agit de l’imputabilité procédurale et de l’imputabilité axée sur les résultats (Parrado & Reynaers, 2021, p. 827). Les pays fondés sur un régime très légaliste et hiérarchique peuvent suivre une tradition axée sur les processus, favorisant ainsi l’imputabilité procédurale. Cette forme d’imputabilité consiste à fournir des informations et des documents sur une base régulière (Dawson & Maricut-Akbik, 2021, p. 1719). L’imputabilité procédurale se révèle plus facile, car le devoir principal de l’acteur se limite à suivre un processus préétabli. Elle comporte plusieurs avantages tels que la clarté et la prévisibilité des normes utilisées pour orienter les relations d’imputabilité, l’autonomie et la crédibilité des décisions (Ibid., p. 1719). Cependant, elle présente de véritables limites liées aux asymétries d’information. À l’opposé, les pays influencés par le managérialisme (Pollitt & Bouckaert, 2017) sont enclins à privilégier l’obtention de résultats, ce qui favorise l’imputabilité par les résultats (Parrado & Reynaers, 2021, p. 827). En guise de renforcement de leur logique d’imputabilité, certaines administrations tentent de combiner les mécanismes d’imputabilité procédurale et d’imputabilité axée sur les résultats (Overman et al., 2021 ; Parrado & Reynaers, 2021). Cette logique d’imputabilité s’apparente à l’imputabilitésubstantielle, telle que nommée par Dawson et Maricut-Akbik (2021, p. 1709). Elle est basée sur le mérite des décisions elles-mêmes et oblige les acteurs non seulement à démontrer la transparence des procédures sur la base de documents, mais également et surtout à fournir des informations d’une manière pertinente et opportune sur le volume et la complexité des informations. L’imputabilité substantielle est beaucoup plus coûteuse, voire difficile, car elle exige de la part des organisations chargées de la vérification une certaine expertise pour aller au-delà de la simple vérification de conformité afin d’effectuer une vérification du mérite de l’action elle-même (Ibid., 2021, p. 1722). Il en est de même pour l’imputabilité axée sur les résultats. Ainsi, Schillemans et Busuioc (2015) avancent que les administrations ou institutions qui manquent de connaissances sur les résultats spécifiques qu’elles sont censées atteindre choisissent de se concentrer sur l’imputabilité procédurale. On assiste dans ce cas à un « effet de substitution » de l’imputabilité procédurale à celle axée sur les résultats. Dans le même ordre d’idées, Parrado et Reynaers (2021), dans un article visant à déterminer dans quelle mesure les fonctionnaires néerlandais et espagnols font des compromis entre l’imputabilité procédurale et l’imputabilité par les résultats, arrivent à la conclusion que les administrateurs néerlandais se concentrent sur l’imputabilité par les résultats, tandis que les responsables espagnols optent pour l’imputabilité procédurale. Pour ces auteurs, « l’imputabilité procédurale et l’imputabilité par les résultats ne sont pas nécessairement des substituts » (Ibid., 2021, p. 827). Quel que soit le mécanisme, l’imputabilité dans la gouvernance collaborative sert quatre biens normatifs selon le cadre théorique de Dawson et Maricut-Akbik (2021, p. 1713) à savoir : « openness (transparence) ; non-arbitrariness (caractère non arbitraire) ; effectiveness (efficacité) et publicness (caractère public) ». Dans la même logique et pour mieux contextualiser, Reddick et ses collègues avancent que la notion structurelle et pratique de l’imputabilité découle du système de gouvernement de Westminster (2020, p. 1412) dans lequel l’imputabilité doit accomplir trois fonctions fondamentales : la fonction démocratique, la fonction constitutionnelle et la fonction de performance (Ibid., p. 1418). Ainsi, au Québec, pour que l’imputabilité joue pleinement cette fonction de performance, le Vérificateur général du Québec (VGQ) fait des audits financiers et de performance en s’intéressant aussi bien aux résultats – la création de la valeur ajoutée – (imputabilité axée sur les résultats) qu’aux processus – la coproduction – (imputabilité procédurale) dans les ministères et organismes. Autrement dit, ces derniers doivent non seulement démontrer la transparence des procédures sur la base des documents et informations, mais également justifier le bien-fondé de leurs décisions (imputabilité substantielle).

Il en résulte que l’imputabilité dans la gouvernance collaborative implique des perspectives collectives et individuelles (Kamuzinzi & Rubyutsa, 2019, p.  634) avec des mécanismes axés sur le processus ou les résultats (Parrado & Reynaers, 2021, p. 827) ou encore sur le fond (la substance) de la décision (Dawson et Maricut-Akbik, 2021, p. 1709). Au demeurant, tous les mécanismes de l’imputabilité dans la gouvernance collaborative sont assez complexes et l’évaluation de l’imputabilité pour déceler des déficits se révèle difficile (Brandsma & Schillemans, 2013, p. 954 ; Lee & Ospina, 2022, p. 63). D’où la question de la mesure des déficits d’imputabilité en contexte de gouvernance collaborative.

1.3 La mesure des déficits d’imputabilité dans la gouvernance collaborative

L’évaluation de l’imputabilité dans la gouvernance collaborative pour déceler d’éventuels déficits est l’une des questions les moins abordées dans la littérature. En effet, une grande partie de la littérature se concentre soit sur la recherche de la définition la plus appropriée, soit sur la démonstration de l’effet des asymétries d’information à l’aide d’arguments basés sur la théorie des jeux (Brandsma & Schillemans, 2013, p. 953). Pour cette raison, Brandsma et Schillemans ont proposé un instrument de cartographie tridimensionnelle (information, discussion et conséquences) de l’imputabilité – appelé accountability cube – qui peut non seulement mesurer l’intensité des processus d’imputabilité, mais également aider à localiser les déficits d’imputabilité potentiels (Ibid., 2013, p. 961).

Lee et Ospina (2022, p. 70), également préoccupés par la conception d’un modèle d’évaluation mais en contexte de gouvernance collaborative, ont proposé une grille d’évaluation inspirée du modèle de Brandsma et Schillemans (2013, p. 961). Ce modèle se révèle mieux adapté à la mesure des déficits d’imputabilité dans les administrations publiques qui fonctionnent en contexte de gouvernance publique. En effet, il capte l’évolution des composantes de l’imputabilité de l’administration publique traditionnelle (associée à la bureaucratie) ou leur transition de la gouvernance basée sur le marché (instaurée sous le paradigme du New Public Management) vers la gouvernance collaborative (défendue par le Public Value Governance ou encore le Networked Community Governance) (Lee et Ospina, 2022, p. 65). Ce faisant, les véritables enjeux de la collaboration dans la gouvernance sont révélés. En effet, dans la transition paradigmatique observée au sein des administrations publiques, les relations d’imputabilité passent de bilatérales à multilatérales ; des relations d’imputabilité tant horizontales que verticales sont impliquées ; les normes utilisées sont non seulement formelles, mais également informelles ; les défis en matière d’imputabilité passent des problèmes de contrôles ou d’audit aux problèmes de renforcement de la confiance et de gestion des paradoxes (Ibid., p. 65). Tenant compte de ces mutations, Lee et Ospina (2022, p. 70) proposent un cadre d’évaluation à trois dimensions : information, discussion et conséquences. Ils postulent que ces trois dimensions sont interreliées et doivent être présentes pour assurer le fonctionnement optimal de tout processus d’imputabilité collaborative (Ibid., p. 68).

La dimension information de l’imputabilité collaborative permet d’examiner dans quelle mesure les structures partagent l’information fréquemment et inclusivement entre elles et avec le public (Lee et Ospina, 2022, p. 70). Elle vise donc à analyser les déficits d’imputabilité liés à l’identification des rôles et responsabilités ainsi qu’à la communication et au partage d’information. La dimension discussion concerne les mesures prises par les structures pour évaluer leur collaboration entre elles et les ajustements quelles opèrent sur la base des résultats obtenus (Ibid.). Elle permet d’analyser entre autres les déficits d’imputabilité liés au désaccord sur les mesures, au mauvais alignement des indicateurs et au manque de suivi des résultats de performance. La dimension conséquences consiste pour sa part à déterminer dans quelle mesure la collaboration permet d’utiliser et de mettre en oeuvre les sanctions et récompenses. Elle mobilise pour ce faire des indicateurs susceptibles d’analyser les déficits d’imputabilité liés à l’insuffisance de ressources pour accorder des récompenses ou appliquer des sanctions (Ibid.).

2. Grille d’analyse de l’étude et méthodologie

Cette étude s’appuie sur la grille d’évaluation de l’imputabilité proposée par Lee et Ospina (2022, p. 70). Nous la récapitulons dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1

Cadre d’analyse de l’imputabilité collaborative

Cadre d’analyse de l’imputabilité collaborative
Adapté de Lee et Ospina (2022, p. 70)

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Compte tenu du rôle crucial du VGQ en matière d’imputabilité dans la fonction publique québécoise, nous avons choisi, pour atteindre l’objectif de notre étude, d’effectuer une analyse de contenu qualitative des rapports d’audit de performance dans les ministères et institutions de l’État sur la période de 1988 à 2022. Il s’agit d’une analyse déductive basée sur la matrice d’analyse de Lee et Ospina (2022). L’unité d’analyse correspond aux déficits d’imputabilité collaborative relevés dans les rapports du VGQ. Ces déficits ne sont pas si explicites. C’est pourquoi Brandsma et Schillemans (2013, p. 971), évoquant les difficultés que rencontrent les chercheurs à évaluer l’imputabilité, soulignent que « l’imputabilité est la variable indépendante qui, dans la conception des recherches, reste souvent implicite ». Nous nous intéressons à ce contenu latent en interprétant les constatations et recommandations formulées dans les rapports du VGQ (Hsieh & Shannon, 2005, p. 1283). Dans cette démarche méthodologique analytiquement flexible, non intrusive et surtout pertinente (Duriau et al., 2007, p. 6), nous avons procédé au codage de chacun des déficits d’imputabilité collaborative à la lumière de la grille d’analyse retenue.

2.1 Collecte des données

Nous utilisons les rapports d’audit financier et de performance du VGQ transmis à l’Assemblée nationale entre 1988 et 2022. Pour des raisons de faisabilité et surtout pour éviter la redondance, nous avons opté pour l’analyse d’au moins un rapport général sur une période de deux ans. Certains rapports généraux se limitent à une seule année tandis que d’autres couvrent deux années. Afin de mettre en oeuvre une méthode d’échantillonnage probabiliste, nous avons constitué un échantillon incluant ces deux types de rapports. Nous avons analysé un total de 18 rapports généraux, comme indiqué dans le tableau 3 des médias.

2.2 Stratégie de codage

Nous avons adopté une stratégie d’analyse de contenu dirigée (directed content analysis) consistant à « commencer le codage immédiatement avec des codes prédéterminés » (Hsieh & Shannon, 2005, p. 1282). Ainsi, les dimensions identifiées dans la grille d’analyse sont considérées comme des codes parents et les composantes, comme des codes enfants. Quelques rapports ont été sélectionnés de façon aléatoire et lus en profondeur (Creswell & Poth, 2018). Ce faisant, nous avons réalisé que les déficits relevés par le VGQ se retrouvent le plus souvent sous les sections « constatations » ou « recommandations » des rapports. Cet exercice nous a permis de définir, à la lumière du cadre d’analyse, les indicateurs susceptibles de rendre compte des déficits de collaboration. Ci-dessous, le tableau récapitulatif des codes et indicateurs.

Tableau 2

Définition des codes et indicateurs

Définition des codes et indicateurs
Adapté de Lee et Ospina (2022, p. 70)

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Tous les segments de textes spécifiquement reliés à ces indicateurs (Ryan & Bernard, 2003 ; Blais & Martineau, 2022) ont été soigneusement codés dans le logiciel Dedoose.

3. Résultats

L’analyse de contenu présente les résultats sous trois angles : la multidimensionnalité, la longitudinalité et la co-occurrence.

3.1 La multidimensionnalité

Sous cet angle, nous présentons l’imputabilité collaborative dans ses dimensions et composantes en tenant compte des indicateurs prépondérants.

Tableau 3

Récapitulatif médias, descripteurs et codes

Récapitulatif médias, descripteurs et codes
Source : Auteur

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Le tableau 3 illustre que, selon les 18 rapports généraux analysés, 1 022 déficits de collaboration ont été relevés par le VGQ dans la FP québécoise de 1988 à 2022.

Ces déficits, désagrégés par dimension selon la grille d’analyse de Lee et Ospina (2022), se retrouvent en majorité dans la dimension discussion (54 %), suivie de la dimension information (43 %). La dimension conséquences ne représente que 3 % des déficits.

L’examen des six composantes de ces dimensions révèle que la plus problématique dans la fonction publique québécoise est l’évaluation de la performance avec 35 % des déficits, suivie de la communication et du partage d’information (30 %), du système de rétroaction (19 %), de l’identification des rôles et responsabilités (2 %) et des sanctions (2 %). Les déficits liés à la prévision et à la mise en oeuvre des récompenses sont quasi inexistants avec 1 %.

Étant donné que plusieurs indicateurs rendent compte des déficits d’une seule composante, nous approfondissons l’analyse en nous intéressant aux indicateurs évoqués le plus souvent dans les rapports du VGQ. Nous les récapitulons comme suit :

Tableau 4

Occurrence pertinente désagrégée

Occurrence pertinente désagrégée
Source : Auteur

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Ainsi, selon le tableau 4 ci-dessus, le manque, la non-pertinence et l’absence d’information ressortent comme les indicateurs les plus dominants tandis que ceux relatifs à l’existence ou à la prévision de récompenses/bénéfices sont quasi inexistants. Le fait que ces indicateurs dominants soient liés à la dimension information plutôt qu’à la dimension discussion, qui est pourtant la plus affectée, s’expliquerait par le grand nombre d’indicateurs de cette dimension classés dans la catégorie « autres ». Autrement, la dimension information serait la plus problématique des trois.

Nous récapitulons la visée multidimensionnelle de l’analyse en trois points :

  • La dimension discussion est la plus affectée tandis que la dimension conséquences est la moins abordée dans les rapports ;

  • L’évaluation de la performance est la composante la plus déficitaire, alors que la composante relative à la prévision et la mise en oeuvre des récompenses est quasi absente ;

  • Les indicateurs les plus dominants se rapportent au manque, à la non-pertinence et à l’absence d’information tandis que ceux relatifs à l’existence ou à la prévision de récompenses/bénéfices sont quasi inexistants.

3.2 La longitudinalité

Pour répondre aux exigences de cet angle d’analyse, nous avons collecté les informations analysées dans les rapports généraux d’audit de performance publiés par le VGQ de 1988 à 2022. Toutefois, comme la Loi sur l’administration publique (LAP) adoptée en 2000 a institutionnalisé une gestion axée sur les résultats (GAR) (Côté & Mazouz, 2005) et que cette dernière est liée à l’imputabilité dans la fonction publique, nous explorons l’évolution des composantes de l’imputabilité autour de l’année 2000.

Figure 1

Évolution des composantes de l’imputabilité collaborative

Évolution des composantes de l’imputabilité collaborative
Source : Auteur

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Le graphique ci-dessus montre qu’aucune composante de l’imputabilité collaborative n’est restée stable dans le temps. À partir de l’année 2000, qui correspond à l’entrée en vigueur de la Loi sur l’administration publique (LAP), quatre résultats majeurs s’affichent. Premièrement, le VGQ a relevé que la FP québécoise présente plus de défauts de communication et de partage d’information. Deuxièmement, la FP s’est montrée plus soucieuse de la performance avec moins de déficits relevés sur cette composante. Troisièmement, la reddition de comptes au Parlement, via le système de rétroaction, pose plus de problèmes dans la FP que jamais sur la période 1988 à 2022. Quatrièmement, les rôles et responsabilités étaient moins définis dans la FP québécoise.

3.3 La co-occurrence

Dans cette section, nous analysons la présence simultanée de plusieurs codes dans un même énoncé. Nous utilisons les plus dominants.

Figure 2

Co-occurrences prépondérantes

Co-occurrences prépondérantes
Source : Auteur

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Quatre résultats ressortent de l’analyse des co-occurrences prépondérantes. Ils ont été interprétés entre parenthèses dans la figure et meublent la dernière partie de la section Discussion ci-après.

4. Discussion

La prédominance des déficits relevant de la dimension discussion est l’un des résultats majeurs découlant de cette étude. En effet, dans la transition entre l’administration traditionnelle et la gouvernance collaborative, les composantes de l’imputabilité ont été particulièrement affectées par le passage des relations du bilatéralisme au multilatéralisme (Lee & Ospina, 2022, p. 65). Ainsi, la multiplicité d’acteurs implique beaucoup de discussions. Cet état de choses pourrait expliquer aussi bien les difficultés éprouvées par les ministères et organismes que l’intérêt particulier porté à cette dimension par le VGQ. Dans la même logique, dans leur étude sur la camitology dans l’Union européenne, Brandsma et Schillemans (2013, p. 966) trouvent cette phase comme l’une des plus développées. Elle serait, selon les auteurs, l’axe de liaison entre l’application unilatérale des sanctions par le mandant dans la phase conséquences et la fourniture unilatérale des données de l’imputabilité par l’agent dans la phase conséquences. En ce sens, plus les collaborateurs discutent, plus ils partagent leurs préoccupations et réflexions les plus profondes sur la manière dont une tâche est exécutée et moins ils ont recours à l’utilisation de la dimension conséquences, car beaucoup de discussions préviendraient les sanctions (Ibid., p. 955).

Le faible recours à la dimension conséquences dans le processus d’imputabilité collaborative rejoint ainsi les résultats auxquels sont parvenus Brandsma et Schillemans, qui ont trouvé, selon le cube de l’imputabilité, que le processus d’imputabilité ne fonctionne pas de manière uniforme (2013, p. 971) et que les dimensions information et discussion sont plus développées que la dimension conséquences. Autrement dit, la présence des trois dimensions est nécessaire pour le fonctionnement de l’ensemble du processus (Lee & Ospina, 2022, p. 68). Hood (2007) avance pour sa part que les gestionnaires publics utilisent trois stratégies principales d’évitement de blâme, soit la stratégie de présentation, la stratégie d’agence et la stratégie politique. Ces éléments pourraient expliquer la quasi-inexistence de la dimension conséquences.

La prédominance de la composante évaluation de la performance s’explique quant à elle par l’importance capitale de l’évaluation pour la dimension discussion de l’imputabilité, selon Lee et Ospina (2022, p. 71). L’évaluation de la collaboration est soutenue par les théories d’échange en ce sens que les collaborateurs partagent leurs buts, leurs résultats et les objectifs à atteindre (Mayne et al., 2020, p. 34).

Pour ce qui est de la prépondérance des indicateurs liés aux déficits d’information, Gulick et Urwick (1937, p. 88) nous font comprendre au moyen de l’acronyme POSDCORB (Planning, organizing, staffing, directing, coordinating, reporting and budgeting) que c’est l’une des fonctions du manager public de rendre compte publiquement des résultats de son organisation et, mieux, de sa performance. Le VGQ s’est beaucoup préoccupé de cette dimension dans son rôle d’imputabilité de performance, car la diffusion des informations de gestion revêt une importance capitale dans la gouvernance collaborative et témoigne de la performance d’un gestionnaire public (Ibid., p. 88). Cependant, signalons que le déficit dans la dimension informationnelle peut entraîner des ruptures dans une gouvernance collaborative. On peut citer en exemple l’ouragan de Katrina, où des lacunes informationnelles et le manque de clarté dans les rôles et responsabilités de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) et de la Croix-Rouge ont conduit à des manquements à l’imputabilité (Lee & Ospina, 2022, p. 69). Les conséquences du manque de communication et d’information sont désastreuses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation. À titre illustratif, jusqu’en 1997, le gouvernement du Québec ignorait l’état d’avancement de la mise à jour des systèmes informatiques dans les réseaux et les entreprises gouvernementales. Il se trouvait face à un problème de coordination interne. Il n’était pas non plus en mesure de rassurer la population ni le Parlement sur la livraison de services de qualité par les entités concernées. De la même manière, le manque de communication avec l’extérieur peut entraver l’efficacité des décisions prises à l’interne. Le cas du ministère du Revenu du Québec (MRQ) concernant la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires en est un exemple. En l’absence de politique de diffusion de l’information propre au Fonds des pensions alimentaires, en 1997, le MRQ a failli à son devoir de diffuser l’information aux bureaux d’avocats spécialisés en droit familial et au greffe civil. En conséquence, il manquait aux personnes concernées certaines informations essentielles pour prendre une décision éclairée, notamment en ce qui concerne la possibilité d’être exempté du régime pour les couples[2].

Le deuxième angle de notre analyse, la longitudinalité, s’observe certes à travers tous nos résultats dès lors que ceux-ci concernent toute la période de référence de notre étude. Cependant, un petit exercice sur la recherche des mots clés issus des indicateurs que nous avons définis (avec les touches Control + F de l’ordinateur) montre que la performance était le maître-mot dans la FP québécoise dans les années 2000. Cet indicateur a été employé 17 fois, soit plus souvent que tous les autres. Et pour cause, puisque la Loi sur l’administration publique (LAP) instaure la gestion axée sur les résultats (GAR), dont le principe de la transparence expliquerait tous les quatre résultats que nous avons obtenus sous cet angle d’analyse. En effet, par ce principe, le VGQ pouvait accorder une attention particulière à la communication et au partage d’information ainsi qu’à la clarté des rôles et responsabilités, d’où l’augmentation des déficits relevés pour ces composantes. Par ailleurs, la reddition de comptes est également un principe de la GAR. Ainsi, les nombreux déficits relevés à ce niveau reflètent l’importance que le VGQ a accordée à cette composante. De plus, les nombreuses réformes que la GAR a favorisées obligeaient l’administration à travailler davantage à la définition des rôles et responsabilités. Ainsi, selon Luchi (2015), la GAR a permis la mise en place de plusieurs réformes favorisant la reddition de comptes et l’amélioration de la performance.

La co-occurrence est le troisième angle sous lequel les résultats issus du logiciel Dedoose ont été analysés. Dans l’ensemble, tous les quatre résultats que nous avons trouvés et représentés dans la section précédente démontrent simplement une co-occurrence de deux dimensions : information et discussion. Cet état de choses est partagé par Mayne et ses collègues (2020), qui trouvent que l’évaluation de la collaboration (dimension discussion) est soutenue par les théories d’échanges. Or, celles-ci privilégient l’information. Par ailleurs, Lee et Ospina (2022) précisent que dans la dimension discussion de l’imputabilité, l’évaluation occupe une place capitale.

Nous terminons cette discussion de nos résultats en faisant valoir que le cadre d’analyse de Lee et Ospina (2022) que nous avons utilisé manque de précision sur certains indicateurs, en l’occurrence ceux se rapportant à la reddition de comptes, qui est un élément important dans la gouvernance collaborative. Selon la matrice, ces indicateurs peuvent se retrouver au niveau de la dimension information ou des systèmes de rétroaction, selon le cas. À titre d’exemple, lorsque le compte rendu se trouve dans l’axe horizontal (entre structures de même niveau hiérarchique), il s’agit simplement d’un partage d’information (dimension information). Par contre, il intègre la composante « système de rétroaction » de la dimension discussion lorsque l’administration rend compte au Parlement (reddition de compte). Or, le but visé par un compte rendu est souvent le partage d’information. Cet état de choses crée une certaine confusion et pourrait exposer les utilisateurs à des biais d’interprétation.

5. Limites de l’étude

Bien que la confusion théorique discutée précédemment soit quelque peu maitrisée au moyen du codage selon le sens, quelques limites méthodologiques méritent d’être soulignées dans cette étude.

En effet, l’étude aurait pu gagner beaucoup plus en validité des données si quelques entrevues avaient été réalisées avec l’équipe du VGQ en plus de l’analyse de contenu des rapports, dans un objectif de triangulation. Ce souci de validation interne renforcerait la crédibilité des résultats et serait une preuve de rigueur scientifique (Gohier, 2004 ; Mucchielli, 1996). Cependant, l’étude ayant une visée longitudinale, il serait fastidieux, voire irréaliste, de mener des entretiens susceptibles de fournir des informations sur chacune des années d’une si longue période de référence.

Par ailleurs, bien que nous ayons sélectionné les rapports généraux à travers une méthodologie précise dans un devis qualitatif, le nombre de rapports analysés pourrait être considéré insuffisant, ce qui pourrait biaiser les résultats dans sa dimension longitudinale.

Une autre limite réside dans l’interprétation des déficits pour leur catégorisation dans une dimension ou composante. Cet exercice nécessite une bonne maîtrise de la matrice et une bonne capacité d’analyse. Ainsi, quelques divergences pourraient s’observer d’un chercheur à un autre.

Conclusion

L’objet de notre analyse, l’imputabilité dans ses déficits, est complexe, souvent implicite de sens et difficile à évaluer (Brandsma & Schillemans, 2013, p. 954 ; Lee & Ospina, 2022, p. 63 ; Reddick et al., 2020, p. 1412). Dans cette étude basée sur l’analyse de contenu qualitative des rapports du VGQ, nous avons identifié et analysé, à la lumière de la grille d’évaluation de Lee et Ospina (2022), les déficits d’imputabilité collaborative qui ont été relevés par le Vérificateur de 1988 à 2022 en vue de mettre au jour l’état de chacune des dimensions du processus d’imputabilité collaborative dans la fonction publique québécoise. Nous sommes parvenus à des résultats que nous avons analysés sous trois angles. Le premier révèle que, contrairement à la dimension conséquences, la dimension discussion de l’imputabilité collaborative se trouve la plus affectée, suivie de la dimension information. Cet état de choses met en évidence une culture de gouvernance de la FP québécoise caractérisée par un faible recours aux récompenses et sanctions et un processus d’imputabilité beaucoup plus déficitaire en matière d’évaluation des performances et de communication et partage d’information. Le deuxième révèle que depuis l’entrée en vigueur de la LAP en 2000, la FP québécoise a présenté plus de défauts de communication et de partage d’information et s’est montrée plus soucieuse de la performance. La reddition de comptes au Parlement a posé plus de problèmes et les rôles et responsabilités étaient moins définis. Troisièmement, le logiciel Dedoose nous a permis de faire une analyse de co-occurrence dont les résultats prédominants révèlent que le défaut de compte rendu est surtout lié à la défaillance du système de rétroaction.

La présente recherche, qui offre des pistes en vue de corriger les déficits d’imputabilité pour améliorer les aspects de performance et d’information voire de démocratie au sein des institutions, présente quelques limites essentiellement méthodologiques que nous avons relevées. Dans une certaine mesure, la grille d’analyse mobilisée peut être jugée plus convenable au fonctionnement des réseaux. Puisque ceux-ci sont moins formels et plus axés sur l’horizontalité, les membres sont vraiment confrontés aux différents dilemmes parce qu’ils doivent choisir. Dans un processus de collaboration dans l’administration publique, les structures n’ont pas forcément le choix en tout.

D’autres recherches sont nécessaires pour fournir des arguments empiriques d’infirmation ou de confirmation de ces résultats ou pour bien approfondir un ou plusieurs niveaux de ces résultats. Par exemple, comment expliquer le faible recours de la FP québécoise aux récompenses et sanctions et le fort taux de déficit dans l’évaluation des performances ? Quelles sont les conséquences du sous-développement de la dimension conséquences du processus d’imputabilité dans la FP québécoise ? Comment peut-on expliquer l’importance accordée à la communication et au partage d’informations dans la FP québécoise ? Dans le contexte administratif québécois, quelles peuvent être les stratégies de réduction des déficits d’imputabilité identifiés ?