Corps de l’article

1. Introduction

Dans quelle mesure la littérature en administration publique permet-elle d’enrichir et de compléter la critique de l’option diaspora ? Pour répondre à cette question, nous traitons dans cet article du recours à l’option diaspora par le Cameroun, un pays dont l’histoire pré et post-indépendance est marquée par des relations conflictuelles entre autorités publiques et diaspora. La nécessité pour le Cameroun de mobiliser sa diaspora pour soutenir son développement a émergé à un moment où le pays était en quête de ressources supplémentaires pour financer son économie (Ntienjom Mbohou, 2023).

Cet article s’inscrit dans le sillage d’un nombre croissant d’analyses critiques sur les migrations et le développement, et en particulier sur le potentiel de développement que représentent les diasporas. En effet, selon certains chercheurs, notamment en économie politique, l’option diaspora devrait être abordée de manière plus critique, car la célébration actuelle des stratégies consistant à utiliser la diaspora comme vecteur de développement masque leur orientation néolibérale sélective ainsi que la manière subtile dont ces politiques déplacent la responsabilité de la transformation sociale, de l’État vers les populations migrantes (Gamlen, 2010 ; Pellerin & Mullings, 2013). Nous cherchons donc dans ce texte à comprendre ce qu’il advient de l’option diaspora lorsque l’on étudie sa mise en politique. Pour ce faire, nous faisons appel principalement à la notion de « concept magique » comme outil d’analyse pour enrichir et compléter la critique de l’option diaspora, telle qu’elle a été notamment proposée en économie politique. Cet outil d’analyse sera présenté à la section 1.3, après une mise en contexte sur l’option diaspora (1.1) et sur la situation du Cameroun (1.2).

1.1 L’option diaspora : genèse et application

L’option diaspora, apparue à la fin des années 1990, désigne l’émergence de politiques ayant pour objectif de mobiliser à distance les intellectuels vivant à l’étranger afin qu’ils contribuent à des programmes scientifiques et culturels dans leur pays d’origine (Meyer et al., 1997). Depuis le début des années 2000, l’option diaspora vise à attribuer aux diasporas un rôle dans le développement de leur pays. Il s’agit d’un ensemble d’orientations stratégiques et politiques visant à utiliser non seulement le capital humain et social, mais également et surtout le capital économique des migrants afin de dynamiser les flux d’investissements et de compétences ainsi que le développement dans leurs pays d’origine (Pellerin & Mullings, 2013).

L’option diaspora peut être considérée comme une « industrie de la croissance » (Klijn, 2008) dans la mesure où elle attribue aux diasporas une diversité de potentiels sur les plans économique et financier (Awang, 2013 ; Gnimassoun & Anyanwu, 2019), politique (Böcü & Baser, 2022 ; Koslowski, 2004), humanitaire et social (Brinkerhoff, 2004 ; Lubkemann, 2008), culturel et civique (Sørensen, 2007) ainsi que technique, technologique et industriel (Kuznetsov, 2010 ; Wescott & Brinkerhoff, 2006). Depuis le début des années 2000, de nombreux pays en développement, notamment les pays africains, mettent en place des politiques visant à capter les ressources et à attirer les investissements de leurs diasporas. Les pays qui ont connu un essor économique et technologique ces dernières années ont bénéficié du lobbying, du réseautage et du rapatriement des richesses et des transferts de technologies par leurs diasporas basées dans les pays développés (Patterson, 2006). À titre illustratif, pour le cas de l’Afrique, les envois d’argent de la diaspora constituent une portion non négligeable du PIB de nombreux pays (Égypte 8 % ; Gambie 28,9 % ; Maroc 7 % ; Sénégal 9 % ; Nigéria 5 %, etc.). Ces transferts sont plus importants que les flux d’aide publique au développement et d’investissements directs étrangers, et plus stables que les investissements de portefeuille (World Bank & KNOMAD, 2022).

Les raisons qui expliquent cet intérêt croissant pour l’option diaspora sont nombreuses, mais c’est par-dessus tout la crise économique, qui a contraint de nombreux États et agences de développement à revoir leurs modèles économiques et de gouvernance. L’émergence de l’option diaspora découle d’un certain nombre de changements macro-économiques et politiques majeurs dans la conception du développement économique des années 1990 (Pellerin & Mullings, 2013, p. 94). Le premier changement majeur est survenu avec l’échec du Consensus de Washington, une approche de développement axée sur la croissance par la réduction du périmètre d’intervention de l’État et la montée en puissance du libre marché. Cette stratégie n’a pas été en mesure de générer les niveaux de stabilité, d’investissement et de croissance escomptés avec, à titre illustratif, la chute drastique des volumes d’investissements directs étrangers en direction des pays en développement (Gamlen, 2010 ; Rodrik, 2003). Le second changement majeur est l’avènement des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), dont l’objectif fondamental était de réduire les obstacles à la croissance et d’améliorer la résilience des pays en développement aux chocs en stimulant les flux d’investissements et de compétences en direction de ces pays (Naïr, 1998 ; Pellerin & Mullings, 2013).

1.2 Relations entre gouvernement et diaspora au Cameroun : continuités et ruptures

L’émergence et l’institutionnalisation de l’option diaspora au Cameroun marquent une rupture significative dans la longue histoire conflictuelle entre les pouvoirs en place et la diaspora (Ntienjom Mbohou, 2023). Rappelons que les années 1950-1970 au Cameroun ont été marquées par une insurrection nationaliste menée par l’Union des populations du Cameroun (UPC) (Joseph, 1986). Ce mouvement social interne bénéficiait d’un large soutien des populations locales en raison de sa revendication d’une indépendance complète et immédiate et de son ancrage initial dans les luttes syndicales des communautés agro-industrielles en faveur de l’égalité de traitement entre les planteurs et ouvriers africains et européens (Terretta, 2013). La répression féroce de cette insurrection par l’administration coloniale française jusqu’en 1960, année de l’indépendance du Cameroun, et par les autorités camerounaises à partir de 1960, a eu pour corollaire le départ en exil de nombreux dirigeants de l’UPC et d’autres opposants, qui organisaient l’action armée et la contestation du régime en place à partir de l’étranger (Deltombe, Domergue, & Tatsitsa, 2016). Ces événements ont influencé négativement la perception de la diaspora par les autorités publiques, et réciproquement. Dans la même veine, au début des années 1990, la répression des revendications démocratiques a entrainé une nouvelle vague massive d’exils, notamment d’étudiants, d’avocats et d’autres professionnels impliqués dans les mobilisations de 1991 à 1993 (Pommerolle, 2008). Ces étudiants et professionnels deviendront les figures de proue de l’action publique contestataire de la diaspora camerounaise avec la création de diverses organisations basées notamment en Occident (Tchingankong Yanou, 2018). Les rapports entre le gouvernement et la diaspora s’en sont trouvés encore plus détériorés.

L’émergence de l’option diaspora dans l’agenda politique au Cameroun s’est faite en plusieurs étapes dont le point d’orgue correspond à l’adoption en 2014 du programme public intitulé « Gestion des Camerounais de l’étranger ». En 2005, le gouvernement a commencé par créer une Division des Camerounais de l’étranger au sein du ministère des Relations extérieures avec pour mission, entre autres, d’élaborer des politiques et stratégies de mobilisation des Camerounais de l’étranger en faveur du développement de leur pays d’origine (PRC, 2005). Par la suite, le gouvernement a adopté en 2009 le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) ainsi que la Vision d’émergence du Cameroun à l’horizon 2035. Ces deux documents appellent à mobiliser la diaspora comme source de financement de la stratégie nationale de développement (MINEPAT, 2009a), mais également en qualité d’agent de promotion du commerce extérieur et vecteur de renforcement des capacités nationales en matière d’innovation (MINEPAT, 2009b). Enfin, en 2014, les pouvoirs publics ont mis en place un programme public afin d’offrir aux Camerounais de l’étranger un encadrement adéquat et de proximité pour les inciter à prendre une part active dans le développement socioéconomique du pays (MINFI-MINEPAT, 2014). Ce programme constitue un changement de paradigme dans la mesure où il marque le passage d’une action publique d’exclusion et de méfiance vis-à-vis de la diaspora à une ouverture et un appel à la collaboration avec la diaspora en faveur du développement du Cameroun. Sur le plan politique, il importe de mentionner l’adoption en 2011 d’une loi octroyant aux Camerounais de l’étranger le droit de vote aux élections présidentielles et référendaires. Il convient également de souligner les divers cadres de concertation et forums mis en place par le gouvernement en vue de mobiliser les ressources de la diaspora vers les investissements productifs, l’emprunt public ainsi que l’innovation technologique et scientifique. Pensons notamment aux Journées d’excellence de la recherche scientifique et de l’innovation au Cameroun (organisées tous les 2 ans depuis 2007) ; au Forum économique et commercial avec la diaspora (2010) ; au Forum de la diaspora (2017) ; et au Grand dialogue national (2019). Par ailleurs, les autorités publiques camerounaises participent aux forums organisés par des organisations de la diaspora. On peut citer le Forum Draw a Vision of Cameroun (DAVOC) organisé par le Réseau des compétences camerounaises à l’étranger depuis 2008 ainsi que le Forum international des investissements de la diaspora au Cameroun organisé par le Club Dias’Invest 237, une autre fédération d’associations de la diaspora.

Malgré cette rupture significative, de nombreux problèmes de gouvernance politique et administrative freinent la mise en oeuvre des réformes sociales, économiques, politiques et institutionnelles susceptibles de faciliter la mobilisation de la diaspora en tant qu’agent de développement (Kakdeu, 2015). Par ailleurs, depuis la fin de l’année 2016, le Cameroun connaît une crise sociopolitique et sécuritaire majeure dans sa partie anglophone, un conflit dans lequel des acteurs de la diaspora jouent un rôle déterminant (Nkuitchou Nkouatchet, 2022 ; Tchingankong Yanou, 2018). Au final, la confiance mutuelle entre gouvernement et diaspora demeure fragile dans la mesure où de nombreuses doléances exprimées par cette dernière, lors notamment du Forum de la diaspora de 2017 et du Grand dialogue national de 2019 (p. ex., la révision du Code de la nationalité en vue de légaliser la plurinationalité ; la représentation de la diaspora au sein du Parlement et la création d’un ministère chargé de la diaspora), sont restées lettre morte (Keutcheu, 2021 ; Nkuitchou Nkouatchet, 2022).

1.3 Les « concepts magiques » comme outil d’analyse de la mise en politique de l’option diaspora au Cameroun

Pollitt et Hupe (2011) ont développé la notion de « concepts magiques » pour désigner des termes très généraux dotés d’une forte charge normative positive et prétendant à une application universelle ou quasi universelle (Pollitt & Hupe, 2011, p. 643). S’ils laissent peu de place à la contradiction, ces termes sont en même temps si vagues qu’ils n’apportent pas nécessairement de solutions aux véritables problèmes qui se posent (Carey & Malbon, 2018, p. 170). La valeur rhétorique des concepts magiques réside dans leur capacité à faciliter de nouvelles orientations, de nouveaux programmes ou de nouvelles stratégies de recherche, à stimuler des campagnes pour amasser des ressources supplémentaires, à enthousiasmer les personnels, ou à soutenir de nombreuses autres actions (Pollitt & Hupe, 2011, p. 652).

Pollitt et Hupe ont établi quatre critères permettant d’identifier les concepts magiques :

  • Le caractère trop général : les concepts magiques se singularisent par leur applicabilité à grande échelle, une valence élevée ainsi qu’une portée très étendue.

  • L’attractivité normative : il est ardu d’argumenter contre les concepts magiques en raison de leur connotation extrêmement positive.

  • Leur fondement sur l’hypothèse du consensus, qui camoufle les intérêts et les logiques contradictoires.

  • La vendabilité : les concepts magiques sont notoires et mobilisés dans des outils de communication qui les présentent comme une solution à divers problèmes.

On trouve dans la littérature plusieurs concepts magiques répandus dans les politiques publiques, tels que « performance », « participation », « innovation », « gouvernance », « redevabilité » ou « réseaux » (Bragaglia, 2021 ; Kettl & Kelman, 2007 ; Pollitt, 2003 ; Pollitt & Hupe, 2011). En examinant les concepts de « gouvernance », « redevabilité » et « réseaux », Pollitt et Hupe (2011) démontrent que ces notions sont omniprésentes et possèdent systématiquement une connotation totalement positive, sans pour autant fournir d’orientation spécifique significative. Le fait toutefois de qualifier ces concepts de magiques n’a pas pour but de remettre en cause leur robustesse ou celle des cadres théoriques sur lesquels ils s’appuient, mais constitue plutôt une mise en garde quant à la possibilité qu’ils puissent être mobilisés dans une logique magique. De même, la perspective des concepts magiques permet de comprendre pourquoi et comment certaines notions font l›objet d›une attention croissante de la part des décideurs politiques (Bragaglia, 2021, p. 104).

Les concepts magiques peuvent s’apparenter en principe au concept de « totem » utilisé par Durkheim (2013). Pour reprendre les termes de Le Bart (2000), concepts magiques et totems sont en effet des objets fondamentalement ambigus, ambivalents, « ouverts ». Ils sont un bien commun et ils sont ce que les membres d’une communauté se partagent, mais surtout ce par quoi ils se distinguent des autres. Comme le concept magique qui prétend à une applicabilité universelle, le totem rend concevables les appropriations les plus larges possibles et peut engendrer une pluralité de lectures (ibid., p. 179). À l’image du totem qui gomme systématiquement les antagonismes internes et euphémise les antagonismes « objectifs » (Le Bart, 2000), le concept magique s’appuie sur une hypothèse de consensus qui masque les intérêts et logiques opposés. Toutefois, l’on ne trouve pas le fondement religieux inhérent aux totems dans la logique des concepts magiques, même si ce qui est religieux chez le totem peut s’assimiler dans une certaine mesure à la forte charge normative positive du concept magique dont la vendabilité en est le corollaire.

Carey et Malbon (2018) ont démontré que les critères d’identification des concepts magiques élaborés par Pollitt et Hupe (2011) pouvaient s’appliquer à l’échelle d’un contexte spécifique afin de repérer des solutions structurelles « magiques » dans un programme public, une réforme ou un ensemble de pratiques. En outre, le recours aux concepts magiques étaye l’allégation selon laquelle les bureaucrates cherchent à établir de nouveaux organismes ou à déployer d’autres solutions structurelles pour résoudre des problèmes complexes au lieu d’essayer de régler les problèmes qui se posent dans les organismes existants, ce qui pourrait avoir un effet domino sur les problèmes complexes identifiés (Carey et al., 2017 ; Carey & Malbon, 2018 ; Howlett & Rayner, 2013).

La mise en contexte sur l’option diaspora et sur le Cameroun soulève la question de la pertinence et de l’applicabilité de cette stratégie de développement dans un contexte où les défis et contraintes à surmonter pour une valorisation effective des potentiels de la diaspora sont nombreux et non complètement pris en charge par les autorités publiques.

La section suivante aborde les aspects relatifs à la méthode et aux données qui sous-tendent cet article.

2. Méthode et données

Cet article s’appuie sur des données collectées dans le cadre d’une recherche doctorale sur l’émergence et l’institutionnalisation de l’option diaspora au Cameroun. En cherchant à savoir pourquoi et comment l’option diaspora est devenue un enjeu des politiques publiques au Cameroun, cette recherche approuvée par le comité d’éthique de l’université met en lumière les motivations qui ont conduit les décideurs à accorder une attention à cette stratégie et à mobiliser les structures de l’État pour sa mise en oeuvre (Béland & Howlett, 2016).

Pour réaliser ce travail, deux techniques de collecte de données qualitatives ont été utilisées, à savoir l’analyse documentaire et les entrevues semi-dirigées. Premièrement, l’analyse documentaire a permis de clarifier le contexte et d’identifier des questions supplémentaires à poser aux répondants. Un large éventail de documents a été examiné : des documents de stratégie, des actes législatifs et réglementaires, des rapports du gouvernement, d’organisations internationales et non gouvernementales, divers manuels et guides. Deuxièmement, les entretiens avec les élites ont permis, d’une part, de cerner les perspectives et représentations des acteurs qui ont joué un rôle politique majeur et, d’autre part, de retracer les processus qui mènent aux grandes décisions politiques (Boucher, 2017 ; Ntienjom Mbohou & Tomkinson, 2022).

Des entretiens semi-structurés (N=15) ont été menés avec les acteurs clés de la politique de l’option diaspora au Cameroun. Il s’agit de responsables administratifs et politiques, mais également d’experts et de professionnels d’organisations internationales et non gouvernementales. Ces participants appartiennent ou ont appartenu à des organismes qui ont potentiellement contribué au développement de l’option diaspora au Cameroun. Certains ont été désignés par leur administration tandis que d’autres ont été référés au chercheur en raison du rôle qu’ils ont pu jouer et de leur expertise sur le sujet de l’étude. Les questions posées aux participants tournaient notamment autour des enjeux ci-après :

  • Les circonstances de l’émergence de l’option diaspora au Cameroun (pourquoi – motivation et pertinence ; comment – mise à l’agenda, formulation et adoption) ;

  • L’évaluation de la collaboration entre services de l’État (cohérence et cohésion de l’action de l’État) d’une part, et entre les services de l’État et la diaspora d’autre part.

Tableau 1

Participants à la recherche

Participants à la recherche
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Les entretiens ont été enregistrés et transcrits. Une analyse thématique a été effectuée dans un premier temps pour identifier les motivations à l’origine du développement de l’option diaspora au Cameroun. Dans un second temps, le cadre analytique des concepts magiques a été mobilisé pour examiner l’option diaspora en tant que solution au problème du sous-développement au Cameroun.

L’objectif de cette recherche doctorale est de comprendre pourquoi et comment l’option diaspora a émergé et a été institutionnalisée au Cameroun. Pour ce faire, des entretiens ont été réalisés auprès des acteurs qui ont joué un rôle dans ce processus. Ceux-ci ont été identifiés par le biais de l’analyse documentaire et des entretiens. Cette recherche doctorale démontre qu’en raison du contrôle strict du processus de développement de l’option diaspora au Cameroun par les pouvoirs publics, les acteurs de la diaspora ont été délibérément tenus à l’écart. C’est sur la base de ce constat que le choix de concentrer l’étude sur la construction politique/étatique de l’option diaspora au Cameroun s’est imposé.

Parce que toute méthode de production de données ne peut aboutir qu’à une vision partielle et biaisée de la réalité, il est indiqué d’expliciter ses limites tout en les prenant en compte dans l’interprétation des matériaux produits (Bongrand & Laborier, 2005). Le recours à l’analyse documentaire et aux entretiens semi-dirigés a notamment permis, d’une part, de constater des écarts entre certains rapports gouvernementaux et les affirmations de certains participants et, d’autre part, de documenter la pratique de la mise à l’écart des organisations de la diaspora par les pouvoirs publics. En effet, contrairement à ce que certains participants (fonctionnaires) ont affirmé, l’examen de rapports tant gouvernementaux que d’organisations de la diaspora[2] montre qu’aucune organisation de la diaspora n’a pris part aux consultations nationales qui ont conduit à l’adoption du DSCE et de la Vision d’émergence.

L’analyse documentaire et les entretiens ont permis de dégager trois axes d’attentes du gouvernement vis-à-vis de la diaspora : (1) financement de la stratégie nationale de développement ; (2) promotion du commerce extérieur, intermédiation et influence ; (3) transfert de technologies, de compétences et de savoirs. Toutes ces attentes semblent faire de l’option diaspora la solution à tous les problèmes qui freinent l’essor socioéconomique du pays dans un contexte ou il reste encore de nombreux défis et contraintes à surmonter pour une valorisation effective et efficiente des potentiels de la diaspora.

Ce que l’on peut retenir de l’analyse de la mise en politique de l’option diaspora au Cameroun à l’aune des concepts magiques (section 3) précèdera la mise en exergue des conditions de l’émergence de l’option diaspora au Cameroun (section 4). Enfin, la dernière section est dédiée à ce que nous dit l’adoption de l’option diaspora dans les politiques publiques camerounaises (section 5).

3. Leçons de l’analyse de la mise en politique de l’option diaspora au Cameroun sous le prisme des « concepts magiques »

Cette section présente les enseignements tirés de l’utilisation de la notion de « concepts magiques » comme outil d’analyse de la mise en politique de l’option diaspora au Cameroun.

3.1 L’option diaspora : un couteau suisse

Au Cameroun, l’éventail des missions rattachées à l’option diaspora couvre un vaste champ d’activités allant de la promotion des productions nationales en dehors du pays à la conquête des marchés étrangers, en passant par le renforcement des capacités nationales en matière d’innovation et dans les négociations internationales, l’amélioration de l’image du pays à l’extérieur sur le plan politique (MINEPAT, 2009b, p. 18) et le financement de l’économie par le biais notamment de la canalisation des transferts d’argent vers les investissements productifs et les emprunts publics (MINEPAT, 2009a, p. 86). L’élasticité et la malléabilité de l’option diaspora font de celle-ci un caméléon qui s’adapte à tous les problèmes. Elle est présentée comme une « recette anti-crise » et une solution gagnant-gagnant à presque tous les maux du Cameroun. En outre, parce qu’elle repose sur de nouvelles alliances et collaborations afin de faire face à la rareté des ressources et garantir la stabilité du pays, l’option diaspora semble pouvoir faire fi d’un contexte marqué par une longue histoire conflictuelle entre la diaspora et les autorités publiques.

La diaspora a un rôle important. On ne peut plus aujourd’hui faire sans elle sur tous les plans économique, social, politique, scientifique et diplomatique.

Entrevue avec Participant 2, CAMER-CAP, 20 novembre 2019

Pourquoi ne pas tendre la main à cette diaspora qui est très dynamique et qui peut apporter une solution à tous les problèmes que nous rencontrons depuis une dizaine d’années… ? Je parle des problèmes de sécurité, économiques, de lutte contre la pauvreté et le chômage, etc.

Entrevue avec participant 6, MINREX, 28 novembre 2019

3.2 La forte confiance des décideurs dans une stratégie apparemment incontournable

Parce qu’elle fait suite à des stratégies de développement qui n’ont pas produit les effets escomptés dans les pays les moins avancés, l’option diaspora se positionne comme une méthode moderne et progressiste. Il devient par conséquent difficile de s’opposer au concept. Dans le discours politique au Cameroun, l’aura positive de l’option diaspora est souvent amplifiée et épouse les contours d’une panacée.

Laisser la diaspora à l’écart, franchement cela ne préfigurait rien de bon pour l’émergence parce qu’en fait, la vision c’est l’émergence en 2035. On ne peut pas émerger sans prendre en considération cette force. C’est impossible. C’est tout simplement impossible.

Entrevue avec Participant 1, MINREX, 19 novembre 2019

L’option diaspora est reliée à l’idée d’amélioration d’une situation antérieure. Elle suscite de ce fait un grand consensus. C’est une idée puissante qui séduit tout le monde ; d’où sa propagation dans le débat public et politique (Trotz & Mullings, 2013, p. 157). Pellerin et Mullings affirment que les meilleures pratiques sur lesquelles repose l’option diaspora fonctionnent comme des « régimes de vérité » (2013, p. 94). C’est en fait dans la vision abstraite de l’option diaspora comme une « idée qui marche » (Mulgan, 2006) que ce concept séduit autant le gouvernement camerounais et les agences de développement.

Il s’agit d’une activitéstratégique porteuse d’innovation et susceptible de booster la création d’emplois et de réaliser le développement du pays. Tout le monde est conscient aujourd’hui qu’on en a besoin...

Entrevue avec Participant 13, MINEPAT, 6 janvier 2020

3.3 Le Cameroun non indemne de l’expansion de l’option diaspora

La Banque mondiale a joué un rôle crucial dans la vendabilité globale de l’option diaspora. Elle a produit une masse considérable de connaissances sur les migrations et le développement et a mis sur pied un partenariat mondial de connaissances sur la migration et le développement (KNOMAD). Cela lui permet d’entretenir des formes d’influence basées sur les réseaux et le partage de connaissances. Le Cameroun n’échappe pas à cette influence.

L’identification de la diaspora comme une source de financement de la stratégie (...) C’est l’idée du Cameroun confortée par ce qui se passe à côté en Afrique de l’Ouest et appuyée par la Banque mondiale...qui a les données sur les transferts de la diaspora.

Entrevue avec Participant 8, MINEPAT, 11 décembre 2019

Au Cameroun, l’option diaspora s’est matérialisée sur le plan institutionnel par la création d’une Division des Camerounais à l’étranger au sein du ministère des Relations extérieures et par la mise en place en 2014 du programme « Gestion des Camerounais de l’étranger ». Cette division comptait à sa création cinq hauts fonctionnaires et une vingtaine de fonctionnaires, cadres et autres agents. L’enveloppe allouée au programme était de 1 593 000 000 FCFA, soit environ 3 575 000 $ CA et l’équivalent de 5,33 % du budget imparti au ministère des Relations extérieures (MINFI-MINEPAT, 2014, p. 27). Par ailleurs, depuis 2009, plusieurs administrations camerounaises ont mis sur pied des plateformes de collaboration avec la diaspora à travers des forums ainsi que des projets et programmes impliquant la diaspora, avec l’appui d’organisations internationales et d’agences de développement (Okouda, 2015).

Le tableau ci-après résume l’application de la grille d’analyse des concepts magiques à l’option diaspora.

Tableau 2

Analyse de la mise en politique de l’option diaspora à l’aune des concepts magiques

Analyse de la mise en politique de l’option diaspora à l’aune des concepts magiques
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4. Que la magie du concept opère ! Les conditions d’émergence de l’option diaspora au Cameroun

La déconstruction de l’option diaspora dans les caractéristiques typiques des « concepts magiques » n’implique pas qu’elle est exclusivement assignée à cette catégorie. L’option diaspora séduit les décideurs politiques qui sont à la recherche de nouvelles solutions aux problèmes économiques et sociopolitiques contemporains. C’est à travers la compréhension de l’option diaspora comme une « recette magique » que les institutions remodèlent leurs schémas de gouvernance avec des implications économiques, sociales et politiques évidentes.

Dans le cas du Cameroun, il importe de relever que le choix de l’option diaspora comme solution structurelle au problème du développement s’opère dans un contexte de totémisation de l’option diaspora par les institutions financières internationales (section 4.1). En outre, l’option diaspora semble en mesure de déclencher de nouvelles alliances et collaborations entre le gouvernement et la diaspora malgré des rapports marqués par une défiance réciproque et des confrontations radicales (section 4.2).

4.1 La totémisation de l’option diaspora par les institutions internationales

L’Afrique a été le champ d’expérimentation et de déploiement de l’option diaspora sous l’égide de la Banque mondiale notamment. Dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement, qui s’est matérialisé par la création de l’Institut multilatéral d’Afrique, la Banque mondiale a en effet joué un rôle majeur dans la conception et l’élaboration de techniques, d’activités et d’incitations visant à engager plus fortement les diasporas africaines en faveur du développement. En outre, en intégrant la diaspora dans son Plan d’action pour l’Afrique, la Banque mondiale a développé en 2007 l’Initiative pour la diaspora africaine, qui sera renommée en 2010 Programme pour la diaspora africaine. Ce programme engageait les pays en développement sur trois principaux chantiers, à savoir : identifier, contacter et mobiliser les groupes et individus afin d’encourager l’entrepreneuriat ; initier des réformes en vue d’améliorer les relations entre les États et leurs diasporas ; et tirer avantage des capitaux économique, humain et social des membres de leurs diasporas (Pellerin & Mullings, 2013, p. 98, 100).

Dans la foulée, de nombreux pays africains ont mis sur pied des ministères et autres formes d’organisations en vue de renforcer les relations avec leurs diasporas (Mohamoud, 2010). De même, plusieurs pays africains ont accordé à leurs diasporas la possibilité d’obtenir la double nationalité ou des cartes spéciales leur conférant des droits spécifiques, sur la base d’études empiriques démontrant la plus grande prospérité économique des pays qui permettent la double nationalité, car celle-ci facilite le transfert par leurs diasporas de ressources vitales qui génèrent une croissance économique durable et le développement (Siaplay, 2014). Dans la même veine, certains pays africains ont ouvert le droit de vote à leurs ressortissants, tandis que d’autres ont octroyé des sièges aux représentants de la diaspora au sein de leur parlement (Plaza & Ratha, 2011, p. 26). Sur le plan des investissements, l’idée d’émettre des emprunts obligataires pour la diaspora afin de financer les grands projets structurants a fait son chemin et a trouvé des terrains d’expérimentation et de mise en oeuvre dans plusieurs pays en développement, avec notamment des appuis techniques et financiers de la Banque mondiale (Pellerin & Mullings, 2013, p. 109).

La Banque mondiale est rejointe sur ce terrain par de nombreuses autres organisations intergouvernementales et non gouvernementales ainsi que des agences de développement. Le Programme des Nations unies pour le développement, qui a créé le programme TOKTEN (un acronyme dont la traduction en français signifie « Transfert des connaissances par l’intermédiaire des expatriés nationaux »), ainsi que l’Organisation internationale pour les migrations, qui a lancé le programme Migrations pour le développement en Afrique (MIDA), en sont des exemples (Goethe & Hillmann, 2008, p. 198). Citons aussi l’Agence française de développement et son projet d’appui à la création d’entreprises au Cameroun par les Camerounais de la diaspora de même que l’agence allemande de Coopération technique, qui chapeaute les programmes Migration pour le développement et Migrations & Diasporas.

Dans ce contexte, l’option diaspora n’est plus uniquement assimilable à un concept magique. On assiste plutôt à une mise en totem (Durkheim, 2013) de la diaspora, qui devient la « chose commune » (Le Bart, 2000) à tous les pays en quête de capital financier, humain et social pour réaliser leur essor socioéconomique. Les données probantes produites par les institutions financières internationales et agences de développement servent à asseoir la croyance des pays en développement envers la capacité de la diaspora à stimuler la croissance dans leur pays d’origine.

Le gouvernement était en quête de ressources additionnelles à la suite de la contraction des flux d’aides au développement et la raréfaction des investissements directs étrangers. Le peu qui était mis à disposition était assorti de conditionnalités si drastiques et de taux d’intérêt élevés… Le gouvernement avait tout intérêt à prendre cette idée de la diaspora à bras-le-corps, surtout que les concours de la diaspora informels n’étaient assortis d’aucune conditionnalité (...) Les montants apportés par la diaspora sont largement supérieurs à l’aide publique au développement.

Entrevue avec Participant 5, MINREX, 27 novembre 2019

4.2 Une relation historiquement conflictuelle entre gouvernement et diaspora

Les années 1950 à 1970 au Cameroun ont été marquées par une insurrection nationaliste dont les principaux dirigeants étaient très actifs depuis l’étranger.

La diaspora, initialement, c’était le vivier de l’opposition sous le régime du président AHIDJO. Elle était totalement mise de côté. On n’a jamais pensé qu’elle pouvait jouer un rôle autre que celui de la déstabilisation du pays. Ce qui fait que l’idée qu’elle puisse apporter une contribution au développement est nouvelle.

Entrevue avec Participant 5, MINREX, 27 novembre 2019

Des mesures législatives et réglementaires restrictives avaient d’ailleurs été adoptées afin de minimiser l’influence et la capacité de nuisance de la diaspora. Pensons notamment à la Loi du 11 juin 1968 portant Code de la nationalité camerounaise, dont la principale mesure consistait à interdire la plurinationalité (Tsimi Essono, 2012).

Au début des années 1990, les revendications démocratiques ont provoqué une nouvelle vague d’exils politiques tout en détériorant davantage la perception mutuelle diaspora/gouvernement. Cette crise de confiance marquée par une rupture entre le gouvernement et la diaspora pourrait expliquer l’émergence tardive de l’option diaspora en comparaison avec les autres pays africains.

Le contexte politique ne permettait pas de parler de diaspora. Aujourd’hui, le contexte politique… de multipartisme et d’ouverture démocratique…le permet même si le problème n’est pas résolu. On commence à dire non, il faut que la diaspora participe et il faut faire sauter le verrou. Que ce soit arrivé tard, ce n’est pas le fait qu’on n’y pensait pas. C’était dû au fait qu’on ne pouvait pas en parler.

Entrevue avec Participant 8, MINEPAT, 11 décembre 2019

La multiplication des discours politiques d’ouverture en direction de la diaspora depuis le milieu des années 2000 marque une rupture dans la perception de la diaspora entre les deux régimes que le Cameroun a connus depuis son indépendance. Il s’agit d’un choix politique du régime en place qui, dans une perspective utilitariste et électoraliste, a voulu se démarquer du régime précédent, considéré comme plus autoritaire et opposé à tout rapprochement vis-à-vis de la diaspora :

Je crois que c’est essentiellement politique ; à un moment donné, on a commencé à penser à cela…un ministre a donné des éléments pour faire démarquer la politique du président BIYA de celle d’AHIDJO qui était répressive ; et montrer qu’il traite la diaspora différemment de son prédécesseur. Cet élément-là a pesé lourdement.

Entrevue avec Participant 3, MINREX, 21 novembre 2019

Cette prise de position est d’autant plus décisive que l’on connaît la prépondérance de la fonction présidentielle dans l’architecture institutionnelle du Cameroun.

Pour des questions aussi cruciales que celle de la diaspora, franchement, il fallait que l’impulsion vienne du haut. Donc le chef de l’État a donné son OK, les choses ont commencé à être mises en place.

Entrevue avec Participant 1, MINREX, 19 novembre 2019

Au vu de ce qui précède, le rétablissement d’une confiance mutuelle et de rapports cordiaux entre diaspora et gouvernement apparaît comme un prérequis majeur pour la mise en oeuvre de l’option diaspora au Cameroun.

Je pense que l’implication de la diaspora dépend aussi largement de la façon dont le pouvoir va gérer les questions politiques comme la double nationalité. Ils sont attendus là-dessus ; ce sont des questions qui, de prime abord, sont économiques, mais qui, on le sait très bien, sont des enjeux politiques...

Entrevue avec Participant 1, MINREX, 19 novembre 2019

L’apaisement des relations gouvernement/diaspora au début des années 2000 a créé le terrain favorable pour une main tendue du pouvoir à l’endroit de la diaspora. Toutefois, les relations se sont de nouveau détériorées en raison de la crise sociopolitique qui secoue le pays depuis 2016 et est alimentée par de nombreux activistes de la diaspora (Kakdeu, 2015 ; Nkuitchou Nkouatchet, 2022 ; Tchingankong Yanou, 2018).

5. Ce que nous dit l’adoption de l’option diaspora dans les politiques publiques camerounaises : un enjeu aux multiples facettes

La prise en compte de l’option diaspora dans les politiques publiques au Cameroun soulève le problème de son applicabilité au regard d’importants problèmes de gouvernance et de mise en oeuvre (section 5.1). Elle apparaît en outre comme un enjeu de légitimité et de visions contrastées dans un contexte de forte politisation de la question de la diaspora (section 5.2).

5.1 L’applicabilité de l’option diaspora dans le contexte d’une gouvernance économique et politique problématique

De nombreux problèmes de gouvernance économique, financière ou politique constituent des freins à la mobilisation de la diaspora en faveur du développement du pays. La corruption et le climat des affaires qui limitent l’arrivée des investissements étrangers en général et de la diaspora en particulier en sont un exemple (Okouda, 2015). Au demeurant, ces problèmes de gouvernance impactent aussi bien les Camerounais vivant au Cameroun que ceux vivant à l’étranger. À cet égard, l’amélioration de la performance des administrations publiques de manière à créer les conditions idoines pour que tous les Camerounais, y compris ceux de la diaspora, puissent contribuer au développement de leur pays reste une condition sine qua non pour l’opérationnalisation de l’option diaspora.

Il y a des problèmes de gouvernance qui tiennent aux capacités de nos administrations à réaliser le pas. C’est une chose de vouloir et c’en est une autre de mettre en oeuvre. Et le tout n’est pas un slogan. Ce n’est pas un décret où on dira aux gens de « venir investir ! ». Il y a des choses qu›il faut mettre en place pour capter les ressources de la diaspora.

Entrevue avec Participant 4, MINREX, 25 novembre 2019

Comme le soulignent Carey et Malbon (2018, p. 180), les décideurs recourent aux concepts magiques pour résoudre des problèmes complexes plutôt que de chercher à avoir une compréhension plus claire des rôles et responsabilités des organismes gouvernementaux existants face à ces problèmes. L’option diaspora au Cameroun représente à cet égard un enjeu de définition d’objectifs pertinents et de mise en oeuvre des réformes de gouvernance et de performance organisationnelle.

5.2 Un enjeu de légitimité et de visions contrastées dans un contexte de forte politisation

L’adoption de l’option diaspora dans les politiques publiques camerounaises est confrontée à un fractionnement de la diaspora, qui est partagée entre une diaspora dite « patriotique » ou « alliée » et une diaspora qualifiée de « contestataire ». Tandis que la première est courtisée par le pouvoir en raison de son alignement sur la politique des autorités en place, la seconde est combattue parce qu’elle conteste la légitimité du pouvoir et exprime son opposition vis-à-vis des politiques menées au pays. Ce contexte de crise de légitimité et de contestation de la vision des pouvoirs publics par une partie de la diaspora a des répercussions sur la mise en oeuvre de l’option diaspora au Cameroun.

The diaspora…They themselves know the part they can play in the country. Though recently many have become violent against the country. That is also making the government to think otherwise on engaging them... Some are acting against the institutions and the flag of the country… The interest the government wanted to show them is affected…Government may think it is dangerous…If you bring in these guys, they can do something that is not really good. So, (…) the government’ policies towards them would become slow and slow. But it is not everybody that is engaged in that. The good and serious ones are there. The ones that are development-oriented are there. So, we might not think of the minority bad ones and then affect the general hundred of thousand of the good ones. The government is still looking for that type of diaspora.

Entrevue avec Participant 10, AN, 25 novembre 2019

La crise qui secoue la partie anglophone du pays depuis la fin de l’année 2016 met bien en lumière cette volonté du pouvoir de contrôler la diaspora à travers un discours et des mécanismes visant à coopter et rendre plus audible la diaspora prorégime tout en réduisant la capacité de nuisance de la diaspora contestataire (Keutcheu, 2021).

6. Conclusion

Au regard des défis et des attentes auxquels elle est appelée à répondre d’une part, et des problèmes structurels sous-jacents susceptibles de limiter son efficacité d’autre part, l’option diaspora doit être examinée de manière plus critique dans le contexte du Cameroun. En effet, les concepts magiques en tant qu’outil d’analyse montrent comment la mobilisation de l’option diaspora passe sous silence des problèmes et tensions qui lui sont inhérents, sans pour autant fournir de recettes détaillées pour l’action ou la solution (Carey & Malbon, 2018, p. 180). La magie des concepts magiques est divertissante et entretient la discussion, mais au final de nombreux choix difficiles restent à faire (Pollitt & Hupe, 2011, p. 654) ; il en va de même pour la mise en politique de l’option diaspora au Cameroun.

Cet article sur l’émergence de l’option diaspora au Cameroun permet de comprendre la tendance des administrations publiques à recourir à des concepts magiques comme solution structurelle face à des problèmes complexes de gouvernance et de mise en oeuvre. Il contribue à un nombre croissant d’analyses critiques sur les migrations et le développement, et en particulier sur les diasporas et leur potentiel pour le développement. En effet, d’autres chercheurs s’intéressant à l’option diaspora, en économie politique notamment, sont parvenus à des conclusions similaires sans pour autant mobiliser le même outil d’analyse. Ces chercheurs estiment que l’option diaspora devrait être abordée de manière plus critique pour qu’on puisse cerner tous les enjeux qu’elle soulève (Gamlen, 2010 ; Pellerin & Mullings, 2013).