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Dirigé par Christophe Gremion et Cathal de Paor, Processus et finalités de la professionnalisation. Comment évaluer la professionnalité émergente ? problématise l’articulation entre l’évaluation et la professionnalité émergente dans les professions adressées à autrui, particulièrement l’enseignement. L’ouvrage regroupe les textes de 27 auteurs et coauteurs, dont la plupart ont participé à un symposium ayant eu lieu à deux reprises en 2020 et où les participants réfléchissaient à la question en sous-titre.
L’introduction (Cathal de Paor et Christophe Gremion) définit la professionnalisation, en présente les différents enjeux, puis décrit plus finement chacune des contributions. Suivant l’introduction, les deux premiers chapitres adoptent un angle philosophique. Le premier (Adda Meharez Frey) définit la professionnalisation en soulignant que la principale vertu du professionnel serait la phronesis, soit la capacité à prendre les bonnes décisions malgré des circonstances imprévisibles. Le deuxième (Alban Roblez) propose l’adoption d’une attitude herméneutique pour évaluer la professionnalité émergente en considérant le dessein identitaire du professionnel. Ce chapitre ouvre la première partie de l’ouvrage sur les moyens d’observation et d’évaluation de la professionnalité.
Les quatre autres chapitres de cette première partie s’articulent autour de constats de recherche. Menée auprès de professionnels de la santé, l’étude du troisième chapitre (Nicolas Fernandez et Nicolas Gulino) élabore des indicateurs pour mesurer chez des étudiants le niveau de maitrise des savoirs d’action nécessaires à la collaboration interprofessionnelle. Le quatrième chapitre (Amandine Huet, Marc Lebeeu, Alexandra Paul et Catherine Van Nieuwenhoven) présente une recherche associant le niveau de bienêtre et la satisfaction des besoins de soutien chez des enseignants « transitants » (en fin de formation initiale, puis dans les premières années d’insertion). Au cinquième chapitre (Cathal de Paor), l’analyse d’un entretien d’accompagnement mené par un conseiller pédagogique auprès d’une enseignante débutante dévoile le potentiel de l’évaluation formative dans la professionnalité émergente, notamment pour la mobilisation des savoirs enseignants et le savoir analyser. Le sixième chapitre (Jean-François Marcel et Dominique Broussal) considère la professionnalité sous l’angle de l’émancipation professionnelle, vue comme le déplacement du professionnel vers une position se rapprochant davantage de ses aspirations. Menée dans le cadre d’une recherche-intervention, l’étude révèle les déplacements individuels et collectifs des enseignants participants.
La deuxième partie du livre rassemble quatre contributions portant sur les processus de professionnalisation. Le septième chapitre (Isabelle Vivegnis) s’intéresse au développement de l’autonomie professionnelle d’enseignants débutants bénéficiant de l’accompagnement d’un enseignant mentor. Le huitième chapitre (Pascalia Papadimitriou, Marc Blondeau, Agnès Deprit, Amandine Huet, Olivier Maes, Alexandra Paul et Catherine Van Nieuwenhoven) expose le point de vue d’étudiantes et de tuteurs de stage sur l’apport d’un dispositif d’accompagnement en stage dans le développement de la professionnalité et sur les indices de cette professionnalité. Le neuvième chapitre (Lorella Giannandrea, Patrizia Magnoler et Fabiola Scagnetti) suit le développement de la compétence « travailler en équipe » dans le parcours universitaire de futurs enseignants par le biais de l’analyse de leurs portfolios. Enfin, le dixième chapitre (Marcos Maldonado) étudie l’évolution du répertoire didactique de stagiaires en enseignement par l’analyse de récits dans lesquels des stagiaires en dialogue avec leurs formateurs et d’autres stagiaires planifient leurs activités et interventions, ou reviennent sur celles passées.
La troisième partie de l’ouvrage regroupe trois contributions identifiant des indicateurs de la professionnalisation. Le onzième chapitre (Georges Modeste Dabové-Foueko et Raquel Becerril-Ortega) considère le parcours scolaire antérieur d’enseignants dans la dynamique de leur engagement professionnel, cet engagement pouvant prendre quatre formes (physique, cognitif, émotionnel, social). Le douzième chapitre (Sophie Vanmeerhaeghe) s’intéresse aux significations que des stagiaires, des maitres de stage et des élèves attribuent au stage en enseignement et met en lumière les indicateurs de la professionnalisation communs à ces acteurs. Enfin, dans le treizième chapitre (Christophe Gremion, Veronika Bürgi, Roberto Gatti et Véronique Le Roy), l’analyse de la littérature spécialisée de la professionnalisation permet de dégager des indicateurs pour observer et identifier le niveau de professionnalisation de personnes.
La conclusion critique (Richard Wittorski) articule l’ensemble des contributions autour de deux pôles. Le premier rassemble ce que Wittorski nomme les « ingrédients » de la professionnalité émergente. Le deuxième relève les indices et les modalités d’évaluation de ces « ingrédients ».
Cet ouvrage se destine à tous ceux qui s’intéressent à la formation professionnelle et continue. Il aborde certains enjeux au coeur des réflexions actuelles, notamment les moyens pour rendre visible la professionnalité et l’évaluer, mais aussi le risque de réduire la professionnalité à un ensemble de critères définis. Vu ces enjeux, l’ouvrage intéressera les concepteurs de programme de formation. Il suscitera aussi l’intérêt des chercheurs et des étudiants par la richesse des perspectives adoptées, notamment sur le plan méthodologique. Si les auteurs mobilisent surtout l’entretien individuel et collectif, l’analyse d’écrits occupe aussi une place de choix, que ce soit dans l’analyse de portfolios (chapitre 9), de récits prospectifs et rétrospectifs (chapitre 10), de la littérature scientifique (chapitre 13), ou des réflexions s’appuyant sur de grands penseurs (chapitres 1, 2).
Enfin, les contributions couvrent un large éventail : elles portent autant sur les stagiaires (chapitres 8, 9, 10, 12, 13) que sur des professionnels plus ou moins avancés dans leur carrière (chapitres 3, 4, 5, 6, 7, 11) en considérant que la professionnalité est toujours en développement. Les recherches présentées se sont déroulées majoritairement en Europe, soit en France (chapitres 5, 6), en Belgique (chapitre 4, 8, 12) ou en Italie (chapitre 9). Or, certaines ont été menées au Québec (chapitres 3, 7), en Argentine (chapitre 10) et au Cameroun (chapitre 12). Cette diversité reflète que les enjeux sous-jacents à la professionnalisation (complexification du travail, désir de reconnaissances des professionnels, besoin d’émancipation des personnes) sont des phénomènes mondiaux. Ces enjeux sont aussi présentés comme ceux de toute profession adressée à autrui. Toutefois, une seule contribution porte sur les professionnels de la santé (chapitre 3), alors que neuf contributions (chapitres 4 à 12) s’intéressent aux enseignants. Néanmoins, trois chapitres (chapitres 1, 2, 13), l’introduction et la conclusion de l’ouvrage abordent la professionnalisation sans la ramener à une profession particulière : ils créent un espace de réflexion pour penser la professionnalisation dans différents horizons professionnels.