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Introduction

Bien que la nécessité de développer la compétence numérique des étudiant.es postsecondaire ne constitue pas un sujet nouveau, il semble que la formation actuelle offerte dans les institutions québécoises d’enseignement supérieur soit toujours déficiente à cet égard (Conseil supérieur de l’éducation (CSE), 2020, 2021). Par conséquent, les étudiant.es postsecondaire seraient mal outillé.es pour entrer sur le marché du travail (CSE, 2020), qui subit présentement des transformations majeures (World Economic Forum, 2020). La question redevient d’actualité avec l’adoption du cadre de référence de la compétence numérique (MÉES), première mesure du plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur. Ainsi, cette chronique, qui est la première d’une série de trois portant sur cette thématique, a pour but de souligner l’importance d’être suffisamment compétent avec le numérique pour évoluer dans différentes sphères de la société au 21e siècle, l’importance de développer une instrumentation pour la mesure de cette compétence numérique, et, éventuellement, de décrire ou illustrer des pratiques permettant de développer la compétence numérique.

La compétence numérique au XXIe siècle

Plusieurs référentiels de compétences du XXIe siècle présentent celles qui seraient les plus importantes à maîtriser pour évoluer dans le marché du travail actuel et futur (Finegold et Notabartolo, 2016). Dans une recension de plus de 70 référentiels portant sur la compétence numérique, les compétences informationnelles et les compétences du XXIe siècle, Tremblay et Poellhuber (2022) ont montré l’omniprésence du numérique dans toutes les habiletés décrites par cette littérature. Parmi celles-ci, on retrouve la capacité à rechercher et à évaluer l’information à l’aide du numérique, à agir de façon responsable et à interagir adéquatement avec les autres dans l’espace numérique, à utiliser des outils numériques variés, ainsi qu’à être en mesure d’apprendre ou d’enseigner avec le numérique (Tremblay et al., 2022). Cette recension a servi de base pour l’élaboration du Cadre de référence de la compétence numérique (MEES, 2019), qui la présente en la déclinant en douze dimensions reflétant des habiletés ayant un lien avec le numérique. Cela inclut « exploiter le potentiel du numérique pour l’apprentissage », « développer et mobiliser sa culture informationnelle », « mettre à profit le numérique en tant que vecteur d’inclusion », notamment. La dimension centrale correspond à la capacité d’agir de façon éthique dans l’espace numérique. En somme, ce Cadre illustre une tendance actuelle observée dans la littérature selon laquelle la compétence numérique dépasse largement le simple usage d’outils numériques ou technologiques (Tremblay et Poellhuber, 2022). En effet, il intègre plusieurs dimensions associées à des soft skills (collaboration, communication, pensée critique, résolution de problèmes, créativité).

L’importance d’être compétent.e avec le numérique

Considérant son omniprésence dans la société, il devient donc crucial pour tout.e citoyen.ne de développer sa compétence numérique. En effet, les transformations récentes observées sur le marché du travail impliquent des changements majeurs quant à la nature des tâches effectuées par les travailleur.ses (Pereira et Romero, 2017 ; World Economic Forum, 2020). Par exemple, le phénomène de l’Industrie 4.0 où la chaîne de valeur est transformée par l’usage de l’intelligence artificielle implique que les travailleur.euses soient capables d’utiliser des applications dotées de cette technologie pour accomplir leurs tâches (Pereira et Romero, 2017). Aussi, ils et elles doivent être suffisamment compétent.es pour exploiter adéquatement les outils numériques nécessaires au télétravail et à la décentralisation des organisations (World Economic Forum, 2020). Le numérique modifie la façon dont se font la recherche, l’évaluation et l’utilisation de l’information (ACRL, 2016). En enseignement supérieur, l’usage pédagogique d’outils et de ressources numériques a connu une hausse fulgurante depuis la pandémie de la COVID-19 (Poellhuber et al., 2021), ce qui devrait se maintenir à long terme (EDUCAUSE, 2022 ; Pelletier et al., 2021).

Bref, il est essentiel d’être suffisamment compétent.e avec le numérique pour évoluer dans la société actuelle en tant que travailleur.se, citoyen.ne, étudiant.e et surtout, enseignant.e, qui doivent soutenir le développement de la compétence numérique de leurs étudiants. Comme le CSE (2021) le souligne, les étudiant.es doivent pouvoir développer leur compétence durant leur parcours de formation pour réduire les inégalités liées au numérique. Ainsi, en offrant une formation adéquate et adaptée aux besoins des étudiant.es, les institutions d’enseignement supérieur peuvent contribuer à réduire ce que Collin (2013) nomme des inégalités de l’ordre du savoir, qui représentent les écarts en matière d’habiletés liées aux usages du numérique et qui, conséquemment, pénalisent systématiquement ceux et celles qui ont un niveau de compétence numérique plus faible (Collin, 2013).

Le besoin d’améliorer la formation à la compétence numérique en enseignement supérieur

Bien que plusieurs institutions d’enseignement supérieur offrent des formations pour développer la compétence numérique de leurs étudiant.es, une simple recherche sur le web montre qu’elles sont très variables en matière de contenus et de dimensions abordées. De plus, il semble qu’elles comportent certaines limites qui justifient le besoin de les améliorer. Tout d’abord, certaines ont été conçues avant la publication du Cadre de référence et n’ont pas été mises à jour depuis. Elles peuvent donc être limitées à certaines dimensions plus techniques sans les aborder dans leur ensemble ou proposer une formation insuffisante au phénomène de l’intelligence artificielle, alors que son usage s’est accéléré depuis la pandémie. En outre, ces formations sont pour la majorité facultatives ou volontaires, ce que dénonce le CSE (2021) en mentionnant qu’elles sont généralement plus consultées par les étudiant.es de milieux aisés comparativement à ceux et celles issu.es de milieux modestes, ce qui contribuerait à maintenir les inégalités sociales.

En résumé, tout comme le propose le CSE (2021), il semble nécessaire d’intégrer la compétence numérique aux programmes d’études et d’établir des profils de sortie pour concevoir des formations adéquates. La présence de cours spécifiques dans les curriculums serait à renforcer. Toutefois, l’absence de données décrivant le niveau de compétence numérique actuel des étudiant.es postsecondaire du Québec ne permet pas de déterminer si les formations offertes répondent à leurs besoins. En effet, la dernière enquête de grande envergure portant sur la compétence numérique des étudiant.es de niveau collégial a déjà 10 ans (Poellhuber et al., 2012). Au niveau universitaire, la dernière étude de ce type a été effectuée en 2011 (Venkatesh et al., 2016). Ainsi, nous avançons qu’il serait très utile pour le réseau et les établissements d’enseignement postsecondaires de réaliser une enquête visant à mesurer le niveau de compétence actuel des étudiant.es québécois.es, en se basant sur les douze dimensions du Cadre de référence de la compétence numérique. Cela pourrait alors guider les institutions dans les dimensions à privilégier et le type de formation à considérer.

Nous reviendrons sur la thématique de la compétence numérique dans de prochaines chroniques, en proposant des pistes de réflexion pour améliorer cette formation, en s’inspirant d’initiatives et de pratiques observées ailleurs au Canada et à l’international.