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Les enseignants du primaire doivent détenir des savoirs spécifiques sur les genres de textes et sur leur enseignement, qui se distinguent substantiellement du savoir commun entourant la langue orale ou écrite détenu par tout autre adulte (McElhone et al., 2017; Phelps, 2009). En effet, les genres de textes se caractérisent par une structure discursive dominante, des choix énonciatifs et linguistiques ainsi qu’un contenu (De Croix et al., 2017). Ils permettent de regrouper une grande diversité de textes en fonction de ces caractéristiques. En ce sens, ils constituent des outils culturels et didactiques (Dolz et al., 2011). L’enseignement de la compréhension de l’écrit doit donc tenir compte de ces caractéristiques (Catts, 2022) et ceci s’avère particulièrement important pour les textes informatifs, qui sont complexes à comprendre et à enseigner (Kim et Petscher, 2021).

D’ailleurs, l’omniprésence des textes informatifs dans la vie quotidienne et à l’école trouve peu d’écho dans les pratiques d’enseignement au primaire (Conseil national d’évaluation du système scolaire, 2016; Dionne, 2015; Duke, 2000; Jeong et al., 2010; Dreher et Kletzien, 2016; Martel et al., 2012; Renaud, 2020; Reutzel et al., 2016; Schillings et al., 2017). Ainsi, bien que les élèves côtoient ces textes régulièrement, les enseignants sont souvent incertains de ce qu’ils doivent enseigner à leur endroit (Hall et al., 2005; Reutzel et al., 2016), trouvent que leurs caractéristiques sont ambigües et leur dédient peu de temps d’enseignement (Ness, 2011; Schillings et al., 2017). Renaud (2020) indique d’ailleurs que ces textes « souffrent d’un déficit d’enseignement et d’un manque d’outils didactiques. ». En comparaison avec le genre narratif, les enseignants ont ainsi tendance à sous-utiliser les textes informatifs et même à les sous-exposer dans leur bibliothèque de classe (Jeong et al., 2010 ; MacKay et al., 2020). En somme, bien que lire et écrire ces textes nécessite des connaissances spécifiques, l’enseignement leur étant consacré est plutôt rare ou incomplet (Meyer et Ray, 2017).

À ce sujet, une formation initiale des maitres de grande qualité se situe ainsi au coeur de la réussite scolaire en lecture et en écriture puisque des savoirs approfondis sur l’oral et l’écrit sont liés aux pratiques d’enseignement les plus adéquates, en plus de susciter les progrès les plus significatifs chez les élèves (Duke, 2021; Piasta et al., 2020). Or, des recherches traitant de la complexité de l’enseignement de l’écrit mettent aussi en lumière la nécessité de poursuivre la formation des enseignants au-delà de celle initiale (Chiss et al., 2015; Goigoux et al., 2021; Laroui, 2011; Penneman, 2020; Richard et al., 2017; Simard et al., 2019).

Les résultats venant de diverses études évoquent d’ailleurs des conditions optimisant la formation continue chez les enseignants. Celle-ci doit être abordée comme un processus d’apprentissage continu et collaboratif, plutôt qu’adopter la forme de formations ponctuelles et fragmentées (Richard et al., 2017). Elle devrait traiter des contenus, mais aussi de la manière de les enseigner (Bucheton et Soulé, 2009; Penneman, 2020). Les objectifs de cette formation doivent cibler l’apprentissage des élèves et pour y parvenir, les enseignants doivent être soutenus par des leaders pédagogiques reconnus pour leur expertise (Darling-Hammond et al., 2009; Richard et al., 2017). Cet accompagnement devrait se traduire par une aide à la planification et au pilotage des actions (Bélanger et al., 2012).

Plus spécifiquement en lecture et en écriture, les enseignants doivent contribuer à la création et à l’analyse de situations expérimentées (Pella, 2011). L’engagement dans un tel processus est possible si les activités proposées ont le potentiel de faciliter le travail en classe (Giguère, 2020) et incitent à recourir à des outils didactiques (Goigoux, 2007).

Ces conditions proviennent d’une recension de divers travaux, mais n’apparaissent pas ensemble dans une étude, c’est-à-dire de façon rassemblée ou coordonnée. Ainsi, une fois la plupart de ces conditions réunies, qu’en retireraient les enseignants en matière de savoirs et de pratiques ?

Cette recherche-action-formation s’intéresse à cette question en se centrant sur deux axes : celui entourant la formation continue évoqué plus haut et celui sur l’enseignement du texte informatif. Alors que des données d’élèves participants ont déjà été publiées (Turcotte et al., 2018; Turcotte et Caron, 2020), cet article présente les données d’entretien provenant des enseignants.

Cadre conceptuel

Les caractéristiques du texte informatif

L’étude des caractéristiques du texte informatif se centre surtout sur la macrostructure du texte. Dans le modèle de Kintsch (2013), la macrostructure comprend les genres et les thèmes, les structures textuelles, les idées principales des paragraphes, mais aussi les marqueurs de relation qui explicitent les relations entre les idées (Meyer et al., 2018). Plus précisément, les textes informatifs organisent les idées selon des structures stables et récurrentes présentées dans la typologie de Meyer (1975) : la description, la comparaison, le lien cause-effet, le lien problème-solution et la séquence. Les élèves qui maitrisent les composantes de la macrostructure comprennent ainsi davantage comment l’information est organisée (Dymock, 2005; Hebert et al., 2016). En écriture, ces mêmes élèves produisent des paragraphes plus riches et cohérents (Graham et al., 2012; Meyer et Ray, 2017). Puisque cette maitrise de la macrostructure ne survient pas de façon intuitive (Colognesi et Lucchini, 2016), un enseignement des caractéristiques des textes informatifs doit être planifié (Pyle et al., 2017). Le modèle de Kintsch (2013) et la typologie de Meyer (1975) présentent donc des composantes qui se situent au coeur de l’enseignement du texte informatif.

L’enseignement des textes informatifs

Cet enseignement gagne à articuler la lecture et l’écriture ainsi qu’à proposer aux élèves des textes modèles afin de s’en inspirer pour reproduire leurs spécificités dans leurs productions écrites (Shanahan, 2014). Il ne s’agit pas d’une simple immersion à travers des textes modèles, mais d’un guidage et d’une prise de conscience des caractéristiques importantes propres à un genre ou à une structure, desquelles s’inspirer (Colognesi et Luchini, 2018). Or, Doubet et Southall (2018) ont découvert que si les enseignants trouvent important de faire des liens entre la lecture et l’écriture, ils y parviennent difficilement sans formation spécifique et sans soutien d’un expert à long terme. Ceci ramène donc la question de la formation.

L’étude des savoirs des enseignants et de leurs pratiques peut s’attacher à la didactique du français langue première, laquelle s’intéresse aux savoirs disciplinaires issus de la linguistique ou de la littérature et à leur interaction avec l’enseignant et avec les élèves (Gauvin et Boivin, 2012). Dans le cadre de ce projet, les savoirs ciblés sont issus du modèle de Kintsch (2013) et de Meyer (1975). Le triangle didactique, qui comprend les savoirs, l’enseignant et les élèves, permet d’étudier le développement des savoirs issus de modèles par les enseignants, ainsi que les pratiques d’enseignement mises en oeuvre afin que les élèves se les approprient à leur tour (Simard et al., 2019).

À partir de ces intérêts, un projet de recherche-action-formation a donc été mené afin de tenter de répondre entre autres aux questions suivantes : quels savoirs sur les textes informatifs les enseignants rapportent-ils avoir développés dans un projet qui rassemble des conditions de formation dites « optimales » dans la littérature scientifique ? Quelles pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture disent-ils avoir développées ?

Méthodologie de la recherche

La recherche-action-formation a été conçue afin de répondre aux questions des praticiens confrontés aux incertitudes de l’action (Charlier, 2005). Dans ce type de projet, les enseignants sont témoins du travail effectué par le chercheur, aussi formateur, dans la perspective d’explorer son action de formation tout au long de la démarche (Prud’homme et al., 2011). Il s’agit donc de créer le lien entre les théories de l’enseignement, celles de l’apprentissage et les pratiques d’enseignement en mettant à l’essai des dispositifs didactiques en classe. Cet article présente les données recueilles auprès des enseignants à l’aide d’entretiens.

Participants

Cette étude comprenait 11 enseignants ayant entre 10 et 18 ans d’expérience en enseignement auprès des élèves de 9 à 12 ans dans des écoles situées en banlieue de Montréal. Le tableau 1 présente les participants répartis selon les trois niveaux d’enseignement.

Tableau 1

Participantes et participants au projet selon le niveau d’enseignement

Participantes et participants au projet selon le niveau d’enseignement

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Procédure

Pour mener une recherche-action, Guay, Prudhomme et Dolbec (2016) proposent six étapes. La définition des besoins prioritaires (étape 1) et l’identification de l’objectif (étape 2) ont émergé de questionnements venant d’enseignants, recueillis par trois conseillères pédagogiques et deux chercheuses. Ces dernières ont été rejointes par deux bibliothécaires scolaires détenant une expertise sur ces textes et leurs supports écrits. Cette équipe a planifié des actions (étape 3), en débutant par une revue de littérature scientifique sur l’axe de l’enseignement des textes informatifs et sur l’axe de la formation continue, afin de développer un dispositif. Une première version du dispositif (toujours étape 3) a été créée et expérimentée lors d’une première année d’expérimentation. Des entretiens ont été menés auprès d’enseignants réunis en sous-groupes correspondant à leur degré scolaire à la fin de cette même année. Ces données ont permis de réajuster le dispositif et le soutien offert. À cette étape, les enseignants ont évoqué le besoin de recevoir de l’accompagnement et des formations additionnels pour l’an 2. Ceci a contribué à la bonification en cours de projet (étape 4) grâce aux données recueillies auprès des participants (étape 5). La diffusion des résultats (étape 6) prend forme en partie dans cet article.

Formations des enseignants pendant deux ans et accompagnements en classe

Lors de la première année, cinq journées de formation ont été planifiées, abordant la formation comme un processus continu (Richard et al., 2017). Des savoirs provenant des écrits de Kintsch (2013) et Meyer (1975) étaient présentés, en plus d’idées de transpositions et d’applications en classe (Bucheton et Soulé, 2009). Ces formations, réparties entre septembre 2017 et mars 2018, ont touché aux caractéristiques et structures des textes informatifs, aux idées principales et aux marqueurs de relation, puis à l’articulation de la lecture et de l’écriture (Hebert et al., 2016; Colognesi et Lucchini, 2016; Pyle et al., 2017; Shanahan, 2014). Un document était remis aux enseignants à chaque rencontre afin qu’ils conservent des traces écrites des contenus, des idées de planification et de pilotage d’activités (Bélanger et al., 2012). Les chercheuses et conseillères pédagogiques offraient alors du soutien individuel en classe entre chaque formation (Bélanger et al., 2012). De plus, lors des formations, les enseignants partageaient la façon dont elles avaient vécu les activités dans leur classe et ce qu’elles avaient retenu ou compris des contenus, en suggérant des ajustements. Cela permettait de réviser et de bonifier les activités (Pella, 2011) ou de revenir sur certains savoirs.

Lors de la deuxième année du projet, les enseignants ont approfondi les savoirs et les pratiques développées et discutées. À leur demande, cinq journées de formation, réparties entre septembre 2018 et avril 2019, ont été maintenues, de même que le soutien direct en classe.

Instruments

Selon Baribeau et Royer (2012), l’entretien individuel semi-structuré représente un instrument de choix pour recueillir la compréhension d’une expérience d’un participant ou son point de vue à cet égard, en vue de rendre cette compréhension explicite, de la comprendre en profondeur ou d’en apprendre davantage sur un objet donné. En fin de projet, ces entretiens ont donc recueilli des données sur les savoirs et les pratiques développés. Le guide d’entretien comprend des questions selon un ordre préalablement établi, mais n’est pas immuable, en ce sens que chaque entretien pouvait se dérouler selon une dynamique unique (Ruquoy, 1995). L’entretien enregistré en mode audio durait environ 30 minutes. Il comprenait une phase d’accueil et d’introduction afin d’expliquer le but de l’entretien. Ensuite, l’entretien comprenait quatre questions courtes accompagnées de relances, utiles pour l’intervieweur afin de susciter un approfondissement, au besoin. Parmi ces questions, une question introductive visait à amorcer l’échange. Les deux questions suivantes représentaient le coeur de l’entretien, en se centrant sur les savoirs et les pratiques développées. Une dernière question visait enfin à terminer de recueillir les impressions et à s’assurer que la personne interviewée puisse conclure l’entretien sans oublier un aspect lui étant important (voir annexe A).

Analyses

Afin de rendre les données compréhensibles et susceptibles d’apporter des réponses aux questions, l’analyse de contenu a été utilisée à partir de la retranscription verbatim des entretiens. Un premier codage ouvert a été mené sur les verbatims transcrits, en identifiant les savoirs liés aux textes informatifs. Ainsi, à cette étape, des extraits se voyaient attribuer des étiquettes liées aux modèles de Kintsch (2013) et de Meyer (1975), à l’aide d’un logiciel de traitement de textes. Certains codes traitaient de concepts plus génériques (par exemple, les textes informatifs), puisque les participants ne précisaient pas des objets spécifiques, alors que d’autres étaient beaucoup plus précis (par exemple, les marqueurs de relation). Ensuite, ces extraits ont fait l’objet d’un second codage afin de former des catégories. Lors de cette deuxième étape, une première catégorie relative aux savoirs développés par les enseignants a réuni des extraits. Dans cette catégorie, l’enseignement est moins directement abordé ou demeure secondaire. Une deuxième catégorie relative aux pratiques d’enseignement a ensuite réuni plusieurs extraits.

Cette première tentative d’organisation des données a donné à voir que cette catégorie « pratiques d’enseignement » pouvait se diviser à nouveau afin de préciser les deux catégories suivantes : les pratiques d’enseignement du texte informatif et l’articulation de la lecture et de l’écriture de ces textes. Cette façon de procéder, ponctuée d’allers-retours, s’est révélée utile pour clarifier et synthétiser les catégories.

Ce travail a d’abord été réalisé par la chercheuse principale. Une seconde chercheuse dans le domaine de la littératie a procédé également à l’analyse après avoir révisé un verbatim complet d’un participant de façon accompagnée par la chercheuse principale afin de comprendre la procédure de codage. Les dix autres verbatims ont ainsi subi un deuxième codage de la part de cette deuxième chercheuse. Cette procédure contribue à la triangulation des données (Mukamurera et al., 2006). De plus, à la fin de cette étape, les deux chercheuses ont comparé leurs grilles afin de confronter les significations dégagées. Plus de 80% des codes concordaient entre les analyses des deux chercheuses. Pour les codes divergents, les chercheuses discutaient de leur analyse pour en venir à un consensus.

Résultats

Les données venant des entretiens ont été recueillies lors de la deuxième année de participation. Les enseignants ont évoqué principalement trois thèmes : le développement des savoirs sur les textes informatifs, leurs pratiques d’enseignement de ces textes et l’articulation lecture-écriture.

Les savoirs sur les textes informatifs 

Les onze personnes, ayant toutes participé pendant deux années complètes au projet, ont évoqué le développement de nouveaux savoirs liés au modèle (Kintsch, 2013) et à la typologie présentés (Meyer, 1975). Bien que l’enseignement ne semble jamais loin, ces extraits mettent d’abord les savoirs en exergue.

« Aujourd’hui, ce n’est plus un genre nébuleux, je vois des caractéristiques qu’on ne faisait pas remarquer avant. On parlait toujours du schéma de récit, mais pas de textes informatifs parce que finalement, peut-être qu’on n’est pas à l’aise avec ce type de texte. »

Patricia, 5e, lignes 33-34

« J’ai appris des choses que je n’avais jamais appris avant. On n’est pas formé sur ce texte, mais pourtant, c’est difficile. Avec ce projet, j’ai appris ce qu’est un texte informatif, comment l’analyser, puis comment le rendre compréhensible. »

Philippe, 6e, lignes 31 à 33

Les savoirs sur les caractéristiques de ces textes ne sont pas seulement évoqués de façon générale, car les enseignants dévoilent une meilleure connaissance des structures et de la façon d’identifier les idées principales, ce qui rappelle les éléments théoriques du projet.

« Avant, je voyais ça comme un genre de texte qui changeait tout le temps. Maintenant, j’y vois tout de suite ses caractéristiques spécifiques. Je connais maintenant avec précision les structures. »

Josée, 4e, lignes 21-22

« Mes connaissances sont meilleures sur la lecture et l’écriture de textes informatifs. Je sais à quoi ressemble maintenant un bon paragraphe avec une idée principale, autant en lecture, autant pour le corriger quand c’est un élève qui vient de l’écrire. C’est clair maintenant. »

Évelyne, 6e, lignes 28 à 31

Ainsi, les savoirs des enseignants à l’égard des textes informatifs se mobilisent lorsqu’ils lisent des textes, notamment ceux des élèves. Or, c’est le cas aussi dans les activités d’écriture de cinq d’entre elles, dont Jacinthe et Lucie.

« Je me sens plus compétente pour écrire un texte informatif moi-même ! Ce que j’ai montré aux élèves, je l’utilise moi aussi. En devenant une meilleure auteure de texte informatif, je suis une meilleure enseignante. »

Jacinthe, 5e, lignes 21 à 23

« Comment ça personne ne m’avait parlé de l’idée principale avant ? J’écris maintenant de textes bien mieux organisés. Il me semble que cela m’aurait aidée pendant mes études à l’université. »

Lucie, 4e, lignes 23 à 25

Ces savoirs construits progressivement pendant deux années se révèlent également dans les extraits portant sur les pratiques d’enseignement.

Pratiques d’enseignement des textes informatifs et de leurs caractéristiques 

Tous les participants ont indiqué avoir changé leurs pratiques pour intégrer davantage et de façon plus précise le texte informatif et ses caractéristiques. Les enseignants ont mentionné accorder plus de temps d’enseignement au texte informatif puisqu’il était maintenant mieux connu et plus maitrisé, en plus d’être inséré dans des séquences complètes. À propos, voici ce que Sébastien a relevé comme prise de conscience liée à la place du texte informatif en classe.

« Avant, je ne faisais presque pas lire des textes informatifs en dehors des manuels en science et en univers social. J’ai compris dans ce projet que ces textes, c’est aussi une partie du programme de français. »

Sébastien, 6e, lignes 58 à 60

En plus d’accorder une plus grande place aux textes, les enseignants précisent les contenus visés dans les activités.

« Je cible des choses précises maintenant lorsque j’aborde le texte informatif, comme l’idée principale. Je ne dis plus seulement qu’on va travailler sur un texte, mais qu’on va travailler l’idée principale et ses idées secondaires. C’est vraiment plus clair. »

Philippe, 6e, lignes 74 à 76

« Avant, je ne mettais pas l’accent sur les marqueurs de relation, je n’étais pas consciente de leur importance. Maintenant, ils font partie de mon enseignement au quotidien. »

Paula, 4e, lignes 45-47

L’accent sur ces spécificités est lié aux nouveaux savoirs. Patricia trace un lien entre ce qui était mis de l’avant dans le projet et la façon dont elle a transposé ses savoirs en classe à travers ce qu’elle nomme des « procédures » d’enseignement.

Dans ce projet, on passait du temps à analyser le squelette du texte. On ne parlait pas juste du sujet du texte, mais des procédés. Aujourd’hui, il m’arrive souvent de demander aux élèves de trouver des indices qui dévoilent la structure du texte lu. Ils me disent des fois que je fais des mathématiques. C’est parce que mes procédures sont devenues très précises quand on lit ou écrit des paragraphes.

Patricia, 5e, lignes 45 à 50

En somme, les praticiens révèlent un lien entre le développement de savoirs et de nouvelles pratiques. Dans la même veine, des extraits éclairent aussi le développement d’activités combinant la lecture et l’écriture, un autre aspect important du projet.

Enseignement articulé de la lecture et de l’écriture de textes informatifs 

Les enseignants disent avoir adopté des pratiques pour articuler la lecture et l’écriture, en planifiant les activités, les enchainant et les équilibrant.

« Maintenant, je sais que mes élèves doivent se mettre à la place de l’écrivain quand ils lisent et vice-versa. Ils deviennent critiques en lisant sur le plan de l’organisation des idées de l’auteur. C’est vraiment tout un changement. »

Patricia, 5e, lignes 105 à 107

« J’ai découvert que je n’avais pas un équilibre entre mon enseignement de la lecture et de l’écriture auparavant. Je faisais beaucoup plus de lecture. Là, je sais mieux comment équilibrer. »

Nadia, 4e, lignes 110 à 113

Pour y arriver, les outils présentés lors des journées de formation ont été repris en classe par une majorité de personnes. Paula et Jennifer évoquent comment elles ont transposé des outils de formation en outils didactiques pour mieux articuler la lecture et l’écriture.

Avant, je ne pensais pas qu’un texte pouvait prendre forme dans un schéma. En le faisant, on peut percevoir la façon dont l’auteur l’a planifié et les élèves ont l’impression de découvrir son squelette. Après, en écriture, on réutilise la même technique et le même schéma. Cela aide énormément à comprendre l’organisation.

Paula, 4e, lignes 82 à 86

Maintenant, je planifie mes activités de lecture et d’écriture côte à côte. Je sors mes schémas, mes marqueurs de relation, mes thèmes. On dirait que je vois toutes les interactions entre les activités, en commençant par les plus faciles jusqu’aux plus difficiles.

Jennifer, 5e, lignes 105 à 108

Enfin, l’articulation des activités de lecture et d’écriture n’apparait pas seulement comme une nouvelle façon de penser des activités ponctuelles. Les enseignants ont plutôt appris à déterminer une séquence à travers laquelle les connaissances s’enchainent, comme l’expliquent Évelyne et Lucie.

Au départ, tu as besoin de textes pour alimenter tes élèves. C’est correct de prendre du temps pour ça, faire de l’exploration et préciser les structures. Après, on y revient en écriture. Cela devient plus dur parce que les élèves deviennent des auteurs, ils doivent tout contrôler, mais ils ont des exemples et ils ont des critères. C’est progressif.

Évelyne, 6e, lignes 178 à 180

J’ai appris comment enchainer des activités qui sont toujours plus complexes en passant de la lecture vers l’écriture. Tout le monde disait qu’il fallait faire ça, mais je n’avais pas un exemple concret. C’est facile à dire : fais une séquence d’activités qui fait interagir la lecture et l’écriture ! Maintenant que j’ai vu comment on procède, là je trouve ça facile.

Lucie, 4e, lignes 97 à 100

Ces entretiens ont ainsi permis de décrire les savoirs acquis par les participants liés aux structures, aux idées principales et aux marqueurs de relation, de même que les pratiques nouvelles déclarées à leur égard : un temps d’enseignement augmenté, une planification plus rigoureuse, l’utilisation de nouveaux outils et l’intégration d’une articulation lecture-écriture dans l’enseignement des textes informatifs.

Discussion

Les enseignants ayant participé à ce projet ont reçu 10 journées de formation sur deux ans afin d’aborder cette formation comme un processus d’apprentissage continu et collaboratif (Richard et al., 2017). Ces formations visaient le développement de connaissances sur des objets précis et sur des pratiques d’enseignement qui leur correspondent (Bucheton et Soulé, 2009).

En plus de ces formations, ce projet assurait un accompagnement direct en classe par des conseillères pédagogiques et les chercheuses afin de soutenir la planification et le pilotage des actions (Bélanger et al., 2012 ; Darling-Hammond et al., 2009). En développant des séquences d’activités à expérimenter, le développement professionnel mis de l’avant ciblait l’apprentissage des élèves à partir de situations d’apprentissage concrètes ayant le potentiel de faciliter le travail en classe (Giguère, 2020). Ces conditions réunies ont donné lieu aux résultats suivants :

Les savoirs sur les textes informatifs ont été bonifiés. À la fin du projet, les participants évoquent des savoirs plus solides sur ces textes lorsqu’ils les lisent et les écrivent, en décrivant plus précisément leurs structures, les marqueurs et les idées principales. Ceci est intimement lié au modèle présenté (Kintsch, 2013) ainsi qu’à la typologie étudiée (Meyer, 1975) lors des formations et à partir desquels les séquences d’activités étaient créées.

De plus, les enseignants ont abordé de nouvelles pratiques. Ils passent plus de temps à enseigner ces textes et leurs composantes, à étudier les procédés d’écriture, puis à susciter le questionnement et le raisonnement chez leurs élèves en ce qui concerne les caractéristiques des textes informatifs. Ces pratiques sont d’ailleurs recommandées dans une méta-analyse sur les pratiques d’enseignement du texte informatif (Pyle et al., 2017).

L’articulation de l’enseignement de la lecture et de l’écriture était aussi visée dans ce projet. Les participants ont dévoilé leur nouvelle façon de combiner la lecture et l’écriture de textes informatifs, en planifiant des allers-retours entre ces activités, en réutilisant les schémas de textes et en s’inspirant des procédés des auteurs. Ils ciblent plus facilement les composantes de la compréhension à travailler avec les élèves et sélectionnent des activités d’écriture qui leur correspondent (voir Hebert et al., 2013). Enfin, les enseignants disent maintenant développer des séquences qui enchainent des activités simples à complexes.

En somme, les enseignants nomment des savoirs plus justes sur les textes informatifs et disent avoir développé des pratiques d’enseignement plus rigoureuses, qui leur correspondent. En ayant la possibilité de tester des dispositifs, de piloter des situations et d’y réfléchir, ils évoquent une plus grande aisance à articuler des contenus. Il semble donc que l’importance d’amener les enseignants à sélectionner les contenus, à les agencer et à les répartir à moyen et à long terme (Simard, 1997) demeure présente en didactique.

Contributions à l’avancement des connaissances

Plusieurs écrits ont traité du développement professionnel des enseignants en lecture et en écriture (Giguère, 2020 ; Goigoux et al., 2021). Or, les conditions suscitant ce développement n’apparaissaient pas de façon coordonnée et rassemblée dans une étude traitant de textes informatifs. Dans la même veine, plusieurs chercheurs avaient démontré l’intérêt d’enseigner les composantes de la macrostructure du texte (De Weck et Schneuwly, 1994; Ecalle et al., 2013) ou la contribution de différentes activités d’écriture sur les habiletés en lecture (Graham et Hebert, 2011). Néanmoins, peu de recherches portaient sur une formation permettant à des praticiens d’articuler consciemment les connaissances partagées en lecture et en écriture de textes informatifs, des objets complexes et peu maitrisés (Hall et al., 2005; Reutzel et al., 2016). Ainsi, cet article donne à voir que les conditions réunies et mises en place ont favorisé l’appropriation progressive de connaissances et de pratiques nouvelles liées à l’enseignement du texte informatif. Il est important de rappeler, à ce chapitre, qu’après une première année de participation à ce projet, les enseignants disaient avoir toujours besoin de formation et de soutien complémentaires.

Limites

Ainsi, bien que les participants aient rapporté de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques en ce qui a trait au texte informatif, il est important de se pencher sur les limites d’une telle étude. En effet, des chercheuses, des conseillères pédagogiques et des bibliothécaires ont travaillé de près avec les praticiens pendant deux ans. Après une année complète, les enseignants demandaient toujours des formations et des accompagnements complémentaires.

De telles conditions appuyant la formation continue comportent aussi des limites. En effet, de telles ressources ne sont plus nécessairement accessibles dans les milieux scolaires avec la pénurie de personnel qualifié dans les écoles du Québec. Les résultats peuvent sembler intéressants, mais s’ils sont difficilement reproductibles, ils s’en tiendront à un contexte de recherche loin de la réalité du terrain. En ce sens, des questions doivent être soulevées au sujet des moyens que le Québec se donne actuellement pour répondre à ses ambitions touchant la formation initiale et continue de grande qualité auprès des enseignants, puis de la réussite scolaire des élèves.