Résumés
Résumé
Le présent article est une étude minutieuse de la formation des enseignants de l’école primaire au Sénégal. Au-delà des forces et faiblesses du système qui permet aux maîtres de se préparer à leur métier et de l’exercer, on y fait l’analyse d’un dispositif né à partir d’une expérimentation locale, celui des conseillers pédagogiques itinérants (CPI), destiné à assurer un accompagnement des enseignants en formation continue. Elle se fonde sur l’hypothèse que ce dispositif pourrait être optimisé par la démarche du « praticien réflexif » en vue d’améliorer durablement la qualité de la profession enseignante au Sénégal.
Mots-clés :
- Formation,
- profession,
- pratique réflexive,
- accompagnement,
- dispositif
Abstract
This article is a meticulous study about the training of primary school teachers in Senegal. Beyond the strengths and weaknesses of the system that allows teachers to prepare for and practice their profession, it analyzes a device born from a local experimentation that of itinerant pedagogical counselors (CPI), intended to provide support for teachers in continuing education. It is based on the assumption that this device could be optimized by the reflexive practitioner’s approach to sustainably improve the quality of the teaching profession in Senegal.
Keywords:
- Training,
- profession,
- reflective practice,
- accompaniment,
- device
Corps de l’article
Introduction
Beaucoup d’auteurs (Bernard, 2007; Bourgeois et Durand, 2012; Gauthier et Dembélé, 2004; Lessard et Carpentier, 2015; Rasera, 2005; UNESCO, 2014) conviennent que, dans le cadre des systèmes éducatifs, les enseignants constituent les ressources les plus importantes, d’où la nécessité d’agir sur elles pour favoriser la qualité des apprentissages. Même si d’après la Direction de la planification et de la réforme de l’éducation (DPRE, 2013), les pouvoirs publics sénégalais consentent d’énormes efforts pour combler les déficits en personnel, il reste que la problématique soulevée par leur formation et leur accompagnement demeure entière. Il n’est donc pas surprenant qu’au moment de la conception du Programme décennal de l’éducation et de la formation (PDEF) au Sénégal, le ministère de l’Éducation nationale (MEN) ait pu constater avec regret, dès 1998, que : « le temps de formation initiale ayant beaucoup diminué, l’ajustement concomitant de la formation continue n’a pas suivi… Le suivi pédagogique reste préoccupant malgré l’amélioration des moyens des inspections départementales de l’Éducation nationale. » (République du Sénégal, 1998, p. 24).
À travers ce constat du MEN, il est facile de percevoir un système scolaire sénégalais confronté à deux difficultés majeures ayant une incidence négative dans le développement de la qualité de l’éducation : l’insuffisance notoire de la formation initiale des maîtres, et l’absence d’ajustement concomitant de la formation continue. On pourrait se contenter de réagir à cette insuffisance en attendant d’hypothétiques recrutements à venir. Ces derniers sont, évidemment, éminemment souhaitables. Mais pour notre part, nous avons voulu explorer une autre voie. En effet, ne peut-on pas s’inspirer de ce qui a été mis en place plus ou moins empiriquement pour remédier aux difficultés rencontrées? C’est ce qui est à l’origine du présent article : proposer un nouveau modèle de formation continue susceptible de résoudre, au moins partiellement, le problème du déficit de formation des maîtres.
L’urgence d’un nouveau modèle de professionnalisation en formation continue
Au Sénégal, les études réalisées par le Système national d’évaluation des rendements scolaires (SNERS, 2012) révèlent la concentration des efforts sur le recrutement massif d’enseignants et la réduction drastique de la durée de la formation initiale. En effet, selon les études faites par le SNERS (2012), c’est l’accroissement des effectifs des élèves qui a conduit à la création du corps des volontaires de l’Éducation nationale[1] (VEN) pour venir à bout du déficit en personnel. Mais la DPRE (2014) va très vite montrer, dans son rapport sur la situation de l’éducation au Sénégal, des enseignants confrontés à des difficultés d’adaptation dans l’exercice du métier. Ce rapport issu de recherches dans les écoles primaires sénégalaises impute cette situation à la formation initiale de ces volontaires très courte (6 mois au plus), et au niveau académique de recrutement très moyen (classe de 3e au collège).
En outre, l’effectif du corps des inspecteurs ne permet pas d’assurer un accompagnement efficace. En effet, d’après les statistiques de la Direction de l’enseignement élémentaire (DEE, 2015), on retrouve au Sénégal un ratio d’un inspecteur pour 250 maîtres. À ce rythme, il faudra au moins 10 ans pour encadrer tous les maîtres de toutes les circonscriptions. Pour pallier les insuffisances consécutives à l’absence d’accompagnement et répondre au besoin pressant de formation des enseignants très peu formés, les 59 circonscriptions éducatives du Sénégal ont mis en place un modèle inédit d’accompagnement. Il s’agit de l’installation de collectifs locaux de directeurs d’école (CLD), un dispositif institutionnel de réflexion et de concertation engagé dans la formation continue des enseignants.
Le concept de « dispositif » est très usité dans le champ des sciences de l’éducation et de la formation. Blandin (2002) le définit comme « un ensemble de moyens, agencés, en vue de faciliter un processus d’apprentissage » (p. 199). Dans notre étude, nous la considérons comme un ensemble de décisions et de mesures prises au niveau institutionnel pour améliorer la pratique des enseignants.
Selon Sow et Dièye (2002), chaque directeur membre du collectif local assume les fonctions de conseiller pédagogique itinérant (CPI) chargé de la formation continue des enseignants dans une zone qui peut épouser les limites d’une commune ou être simplement un regroupement d’écoles unies par la proximité géographique. Dans le cadre de cette étude, notre conception de la formation renvoie à l’ensemble des modèles, des situations et des moyens didactiques que les CPI mettent en oeuvre pour favoriser le développement des compétences professionnelles des enseignants. Le concept de formation est donc étroitement lié, dans son acception, au cadre du développement personnel et professionnel des adultes. Par ailleurs, l’expression « formation continue » présuppose, le plus souvent, l’existence d’une « formation initiale » déjà reçue. L’une ne peut exister sans l’autre.
L’idée est que la formation initiale n’est jamais suffisante pour répondre à toutes les exigences du métier de l’enseignant tout au long de sa carrière professionnelle. Elle est nécessairement consolidée et complétée par des activités de formation ponctuelle. C’est cette exigence qui fonde tout le sens qu’il faut donner au concept de formation continue. Le qualificatif « continue » exprime la volonté de poursuivre l’action de formation dans la durée. Cette formation s’inscrit dans une dynamique d’accompagnement, concept que Bellenger et Pigallet (2012) considèrent comme : « la fonction qui consiste à suivre un stagiaire, et à cheminer avec lui, durant une période plus ou moins brève afin d’échanger à propos de son action, d’y réfléchir ensemble et de l’évaluer » (p. 2).
À travers cette définition, on entrevoit deux acteurs principaux de notre étude. Le premier est le maître suivi par le second, le directeur, jusque dans sa classe. Il passe un temps bien déterminé avec lui, temps pendant lequel tous les deux profitent des leçons qui servent de prétexte aux échanges. En second lieu, nous retrouvons le conseiller pédagogique qui est un « itinérant » dans notre recherche. En effet, il se déplace dans une localité (une zone, un espace scolaire) pour conseiller, accompagner et former des maîtres. Il vise essentiellement la professionnalisation des enseignants.
Le Boterf (2002) aborde d’ailleurs le champ sémantique de la professionnalisation en la comparant à la formation. Il affirme que :
La formation sert à enrichir et à entretenir le capital des ressources incorporées, à entraîner à leur combinaison et à leur mobilisation. La professionnalisation inclut la formation, mais y ajoute l’organisation des situations de travail pour qu’y soit rendu possible l’apprentissage à agir avec compétence.
p. 33
Cette définition de la professionnalisation correspond bien à l’expérience sénégalaise qui vise le renforcement des compétences des maîtres en exercice. Le rapport de la DEE (2015) montre que l’enseignant sénégalais arrive à son premier poste avec une formation inachevée et des représentations approximatives sur les pratiques réelles. Grâce à l’aide des CPI, il peut apprendre à résoudre ses problèmes pédagogiques. En procédant régulièrement ainsi, l’enseignant sénégalais s’inscrit dans la professionnalisation qui est ce processus de construction progressive du métier.
Problématique de l’étude
Le rapport de la Direction de la formation et de la communication (DFC, 2016) montre que, depuis 2014, la formation initiale qui ne dure que six mois au Sénégal démarre très souvent en fin d’année scolaire. En l’absence des élèves dans les écoles, ces futurs enseignants sont privés de stages pratiques durant leur formation. Ils reçoivent ainsi en un semestre une formation exclusivement théorique avant d’être affectés définitivement. Or, l’intensification du travail de l’enseignant qui se manifeste, au Sénégal, par la multiplication et la complexification des tâches (DPRE, 2014), fait de la gestion de la classe une activité de plus en plus difficile et exigeant des compétences multiples. En effet, comme l’affirment Rayou et Van Zanten (2004) : « Le travail des enseignants est devenu tout aussi émotionnel qu’intellectuel, car il faut mobiliser, outre les savoirs académiques, des connaissances et savoir-faire divers pour assurer des interactions qui rendent possible l’apprentissage » (p. 31). Il est, à cet effet, contradictoire d’attendre de l’enseignant sénégalais, à qui on n’aura offert qu’une formation théorique, qu’il procède et s’adapte à des changements aussi rapides et complexes.
Par ailleurs, des études faites par Auduc (2012) ont fini de montrer que toute formation continue risque d’être très peu efficace si elle ne suscite pas l’implication volontaire de l’enseignant. Contraindre d’ailleurs celui-ci à suivre une formation pendant sa carrière est toujours possible, mais bien souvent source d’inefficacité. Les enseignants peuvent parfaitement écouter les suggestions des CPI sans en tenir compte dans leurs pratiques de classe. Joule et Beauvois ont d’ailleurs souligné, dès 1998, l’autonomie de l’adulte dans l’exercice de son métier. En milieu scolaire, l’enseignant reste toujours libre et détient le choix final, une fois seul dans sa classe. Par conséquent, son implication dans les activités proposées en formation continue s’avère essentielle.
Dans une telle perspective, nous estimons que cette implication et cette liberté d’action que nous voulons voir émerger en formation continue des maîtres peuvent être stimulées dans l’utilisation par les CPI du paradigme du « praticien réflexif » développé par Donald Schön (1994). Toutefois, nous reconnaissons qu’il n’est pas toujours évident d’intégrer brutalement un nouveau paradigme comme celui du « praticien réflexif » dans le système de formation continue des enseignants sénégalais sans étudier, au préalable, l’existence des conditions qui pourraient favoriser son intégration et permettre son développement. Donc, si notre intention est, par-dessus tout, de proposer la pratique de la réflexivité pédagogique dans la formation continue des enseignants afin d’en améliorer l’efficacité, la question centrale reste alors de savoir si le modèle de formation préconisé par les CPI peut constituer un levier pour la mise en oeuvre de ce nouveau paradigme.
Le paradigme du « praticien réflexif »
Le « praticien réflexif » est un paradigme à lier au contexte éducatif duquel il est issu et où il se déploie. Ses caractéristiques et ses compétences spécifiques sont fonction de la préoccupation du pays qui projette de le mettre en oeuvre. Notre modèle de la réflexivité trouve sa pertinence dans un contexte particulier, obéit à des fondements théoriques qui lui sont propres et porte sur une démarche fondée essentiellement sur cinq phases étroitement liées au « praticien réflexif » sénégalais.
Contexte de mise en oeuvre
Plusieurs études (Hensler, Garant et Dumoulin, 2001; Perez-Roux, 2012; Vacher, 2011) ont tendance à considérer la pratique réflexive comme une compétence à développer en formation initiale. Nous estimons, pour notre part, que son intégration comme nouveau paradigme dans le contexte de formation continue des enseignants sénégalais n’est pas à écarter. D’abord, le modèle du « praticien réflexif » n’a cours que depuis quinze à vingt ans. Le référentiel de formation initiale des élèves-maîtres (DEE, 2011) ne prend pas en compte la pratique réflexive comme compétence à acquérir. Ensuite, c’est un paradigme qui s’acquiert nécessairement dans la durée. En effet, on ne peut prétendre le maîtriser dans un temps court; la formation initiale étant très insuffisante au Sénégal pour l’installer profondément, durablement et efficacement. De plus, comme l’affirment Numa-Bocage, Marcel et Chaussecourte (2014), les théories de référence ne sont pas figées. De nouvelles théories émergent à tout moment et viennent apporter des angles d’attaques et d’analyses différents. Enfin, dans le cadre de l’enseignement, Barbier (1990) montre bien que l’évaluation des effets d’une formation exige l’identification d’indicateurs qui prouvent que les pratiques se sont effectivement transformées, ce qui n’est pas sans soulever des obstacles méthodologiques redoutables qu’on ne peut résoudre en définitive que pendant la formation continue, qui, elle, s’inscrit dans la durée. Le dispositif institutionnel des CPI peut bien être, comme le dit Houpert (2005), un dispositif de réflexion, de théorisation et d’expérimentation à long terme sur des pratiques, un cadre d’expression et d’exploitation du paradigme de la réflexivité pédagogique fondé sur des caractéristiques propres à l’enseignant sénégalais.
Les fondements théoriques
Au Sénégal, le « praticien réflexif » est un paradigme fondé sur deux dimensions fondamentales : la dimension technique (la réflexivité pédagogique) et la dimension affective (un engagement volontaire dans la pratique de la réflexivité), préalable à l’appropriation de la première dimension citée. Comme le dit Vinatier (2012), la dimension technique est de l’ordre de l’objectivement observable et mesurable. Elle est, par conséquent, plus facile à analyser et à évaluer contrairement à la dimension affective, qui, elle, est de l’ordre de la motivation intrinsèque de l’enseignant. Partant de cette interpénétration de ces deux dimensions, nous parlerons au Sénégal de réflexivité pédagogique engagée qui porte sur quatre principes directeurs exigeant chacun des compétences spécifiques.
Premièrement, la réflexivité pédagogique engagée est un schème construit. En effet, comme l’affirme Beaupré (2014), le conseiller pédagogique entraîne le maître à la remise en cause permanente de sa pratique et au refus catégorique d’accepter, sans études préalables, des pratiques pédagogiques justifiées ou imposées exclusivement par l’habitude et/ou par la hiérarchie. Perrenoud (2005) insiste d’ailleurs sur l’aspect identitaire du « praticien réflexif » qui envisage des alternatives, remet en cause ce qui va de soi dans les écoles.
Deuxièmement, la réflexivité pédagogique engagée vise le changement dans une dynamique interactive. En effet, Perrenoud (2012) considère « qu’il n’y a pas de véritable formation sans changement, sans remise en cause identitaire, sans travail de l’habitus » (p. 198). Les études de la DEE (2015) montrent que les enseignants sénégalais aiment plutôt la routine et s’identifient à des modèles stéréotypés. Ils travaillent seuls dans leur classe sans échanges avec leurs collègues. Or, le changement des pratiques ne s’opère que dans le groupe, au sein de l’équipe pédagogique, dans la cellule pédagogique, ou encore avec le CPI. Le pédagogue Freire (1974) dit en substance que personne ne se (trans)forme seul sans l’aide de personne, personne n’est en mesure de (trans)former son prochain; c’est ensemble qu’on observe la véritable transformation.
Troisièmement, la réflexivité pédagogique engagée exige un travail collaboratif dans la construction d’outils et de méthodes d’analyse permettant une plus grande objectivité dans l’exploitation des séquences pédagogiques. À ce niveau, la collaboration avec le CPI est, à plus d’un titre, importante dans ce contexte de formation continue.
Quatrièmement, la réflexivité pédagogique engagée considère les savoirs procéduraux et conditionnels comme des moyens permettant l’orientation de l’action éducative dans le sens de la maîtrise de savoirs théoriques et pratiques nouveaux. Comme l’atteste Perrenoud (2012), les compétences du maître sont dans ses capacités à intégrer des savoirs disciplinaires théoriques reçus pendant la formation initiale (psychologie cognitive, psychologie sociale, psychanalyse, pédagogie, sociologie) et des savoirs pédagogiques pratiques (ils sont issus, le plus souvent, des instructions officielles du Sénégal, des guides pédagogiques du curriculum de l’Éducation de base et des cellules pédagogiques) dans une situation de production de nouveaux savoirs théoriques et pratiques.
Objectifs et hypothèses de la recherche
Cette problématique et notre travail renvoient à la difficulté du Sénégal à mettre en place un dispositif de formation continue favorisant véritablement l’adhésion de tous les acteurs du primaire et l’amélioration effective de la pratique de classe des maîtres. Pour cela, nous voulons voir si la stratégie d’accompagnement assurée par les conseillers pédagogiques itinérants réunit les conditions d’une possibilité de l’émergence d’un nouveau paradigme du « praticien réflexif ». Nous tenterons également de montrer que cette formation continue assurée par les CPI pourrait, si elle était délibérément centrée sur ce nouveau paradigme, accroître sa pertinence. Le dispositif de formation des CPI pourra donc être ressaisi et finalisé par le paradigme du « praticien réflexif » pour constituer un véritable modèle de développement alternatif de la formation continue dans le système éducatif sénégalais.
Méthodologie
Après nous être beaucoup interrogé sur la méthodologie de recherche, nous avons décidé de choisir la méthode du questionnaire avec une prédominance des questions ouvertes. Les réponses à ces questions sont souvent qualitatives et riches en informations. La trame de notre questionnaire définitif se subdivise en trois sections : l’expérience du métier des enseignants et des conseillers pédagogiques itinérants; l’organisation et le contenu des leçons présentées par les maîtres; les entretiens personnels entre CPI et maîtres. Notre méthodologie se caractérise également par le recours à l’analyse des données textuelles nous permettant de trouver de nouveaux angles d’analyse et d’enrichir, par la même occasion, nos approches se revendiquant de la sociologie de l’éducation.
Du point de vue des stratégies de questionnement, en nous fondant sur les travaux de Lebart et Salem (1994), nous avons construit des questions ouvertes qui nous ont permis de différencier des niveaux de réponse (citation, mémorisation, discours), mais aussi des types de discours (question ouverte « projective », « argumentative », etc.). Concernant les stratégies d’analyse, nous avons approfondi selon les cas les approches en termes d’analyse de contenu et/ou de discours. Celles-ci articulent entre elles de nombreuses questions linguistiques, mais aussi statistiques. Elles impliquent en outre une exploitation rigoureuse des logiciels d’analyse des données textuelles et leurs attendus théoriques.
Description de la population
Nos questionnaires ont été distribués au début du mois de juin 2014 auprès de 1 040 enseignants et enseignantes du primaire et de 87 directeurs conseillers pédagogiques itinérants. Les deux questionnaires ont été remplis et retournés à la mi-novembre par 960 enseignants « craie en main » et 80 CPI. Par nos moyens personnels, nous avons fait parvenir tant bien que mal, à tous les enseignants et à tous les CPI des inspections de l’Éducation et de la Formation du département de Rufisque et de la ville de Rufisque, un questionnaire en précisant, à chaque fois, la date à laquelle nous allions passer pour le récupérer. Sur la liste officielle des circonscriptions du département de Rufisque et de la ville de Rufisque, il y a au total 1 097 enseignants intervenant dans une classe régulière et 86 CPI occupant simultanément des fonctions de directeur. En comparant le nombre de maîtres et de CPI (1 127) ayant reçu le questionnaire et celui ayant effectivement rendu une réponse (1 040), nous obtenons un taux de réponse très satisfaisant de 92,3 %.
Interprétation des résultats relatifs à la réflexivité
L’interprétation des résultats s’est faite sur la base de notre modèle de réflexivité que nous avons conçu à cet effet. Il y a d’abord la pratique de classe dans laquelle l’enseignant est personnellement et directement impliqué (phase de recours à l’expérience) et dont il déduit un certain nombre d’observations sur lesquelles il réfléchit selon ses propres représentations afin de leur donner un sens (phase de réflexion sur les faits). L’intervention de la réflexion permet de trouver les problèmes rencontrés et de les catégoriser (phase d’analyse réflexive des problèmes). Cette identification des problèmes conduit à apporter des clarifications sur les résultats obtenus (phase de motifs explicatifs des résultats). Ces motifs explicatifs fournissent le matériel nécessaire pour élaborer des solutions (principes, règles, lois, etc.) permettant de généraliser à plus d’une situation (phase de théorisation et d’identification de solutions). Des implications pratiques ou des hypothèses peuvent alors être déduites et validées dans l’action (phase de retour à l’expérience concrète).
Repérage des indices renvoyant à l’émergence de la réflexivité pédagogique
L’identification des tendances conduisant à l’émergence de la réflexivité pédagogique se fait grâce à une interprétation synthétisée des résultats de nos enquêtes. En tenant compte des profils de réponses que les enseignants et les CPI ont fournis aux différentes questions ouvertes sous forme de fréquences et de profils d’attitudes, nous cherchons à repérer les indices qui présagent la transmission du modèle du « praticien réflexif » dans cette formation continue. Les résultats issus des deux grandes rubriques de notre questionnaire (2. Organisation et contenu des prestations pédagogiques / 3. Entretien avec le maître) sont analysés en fonction des liens qu’ils entretiennent avec la réflexivité pédagogique. Le repérage des indices se fera en identifiant les phases de notre modèle de réflexivité présentes ou non dans les réponses fournies aussi bien par les enseignants que par les conseillers pédagogiques.
Des indices du recours à l’expérience concrète
Ces indices sont analysés à partir des informations recueillies sur les étapes de l’entretien notamment dans les contenus abordés aussi bien par les enseignants que par les CPI. Les indices « du recours à l’expérience concrète » regroupent selon Altet, Paré Kaboré et Sall (2015) surtout des énoncés qui réfèrent à la description de la leçon, la pratique de classe, l’intervention et l’activité dans sa planification (avant), sa réalisation (pendant) et son évaluation (après). Dans ce modèle de formation continue, la description de ces faits par l’enseignant permet leur extériorisation et leur conceptualisation devant le CPI. La déclaration des enseignants sur la consigne leur demandant de « décrire les faits issus de leur prestation pédagogique » est confirmée dans les résultats de l’enquête des conseillers pédagogiques. Soixante-seize (76) parmi eux reconnaissent avoir posé des « questions de clarification » lors des entretiens post-séances et dont l’une consistait à décrire « le déroulement de leur leçon, de leur préparation à leur réalisation ». En fait, pour tous ces répondants, l’enseignant a les aptitudes nécessaires pour restituer fidèlement ses propres actions après les avoir réalisées. La reconstruction verbale des faits de l’expérience concrète est donc considérée par 95 % des CPI comme une condition nécessaire à l’analyse des pratiques pédagogiques, un support sur lequel se construit la réflexion avec le maître. On remarque cependant que 5 % des conseillers pédagogiques n’ont pas choisi de poser des questions de clarification aux enseignants qu’ils ont accompagnés, ce qui signifie que les indices de la réflexivité relatifs au recours à l’expérience concrète n’ont pas été observés dans cette minorité de CPI.
Des indices de l’analyse réflexive
Ces indices sont repérables sur les différents points de l’entretien ainsi que sur les contenus abordés à chaque point. Selon Vinatier et Altet (2008), les indices de l’analyse réflexive regroupent surtout les énoncés liés à l’analyse distanciée et critique des différentes étapes de l’intervention. Il s’agit précisément de voir si les enseignants en formation ont été amenés par les conseillers pédagogiques à analyser eux-mêmes leur leçon. Au niveau des points abordés avec les CPI, l’énoncé portant sur « l’analyse des différentes étapes de la leçon » a été retenu par la quasi-totalité des enseignants. Cet énoncé est interprété comme une intention résultant des CPI et qui incite les enseignants à analyser de manière critique les différentes étapes de leur intervention en vue d’identifier les problèmes. Doyon, Legault et Paré (2008) faisaient d’ailleurs observer dans ce sens que le meilleur moyen de pratiquer la réflexivité pédagogique, c’est de regarder sa pratique dans une perspective pragmatique de résolution de problèmes. Par conséquent, l’identification du problème est un aspect essentiel de la pratique réflexive.
Toutefois, dans la rubrique des consignes données par les CPI et portant sur « l’analyse des étapes de la leçon », nous avons relevé une très faible fréquence (6,2 %) des énoncés ayant trait à l’analyse des objectifs de la leçon, des moyens mis en oeuvre et de la démarche par les enseignants eux-mêmes. Cela signifie que dans les faits, seuls 60 enseignants sur les 960 interrogés ont été effectivement amenés par les conseillers à effectuer une analyse réflexive et critique des principaux points des leçons en vue d’identifier les problèmes majeurs. De ce point de vue, une étape essentielle de notre modèle de la réflexivité pédagogique n’a pas été respectée par la majorité des CPI. En effet, en nous référant aux « réactions des CPI face aux problèmes posés par les enseignants », « aux désaccords », « aux erreurs commises » et aux « suggestions », on se rend compte qu’environ 40 % des conseillers analysent eux-mêmes la pratique des maîtres qui se contentent le plus souvent d’écouter et de prendre note. Or, cette posture des CPI fait obstacle à la réflexivité pédagogique. Comme le dit Perrenoud (2012), une conception cohérente de la formation de « praticiens réflexifs » ne saurait ignorer le « savoir-analyser » comme un modèle, comme un cadre éventuel de réflexion professionnelle et personnelle en vue d’identifier les problèmes.
Indices des motifs explicatifs
Dans la rubrique portant sur les entretiens personnels, nous avons relevé au point relatif à l’identification des causes des problèmes survenus dans la leçon, des indices de motifs explicatifs. Dans ce point, 636 enseignants affirment avoir reçu comme consigne « Identifier les causes des problèmes rencontrés dans la gestion du temps, de la classe et de la démarche ». À travers cet énoncé, il est fort probable que les CPI veuillent amener les enseignants à expliquer les causes des problèmes liés à « la démarche de la leçon ». De ce point de vue, ces conseillers pédagogiques cherchent à rendre les enseignants réflexifs. Ils confirment les propos de Schön (1994) qui propose que le praticien s’applique à « restructurer le problème et, dans cette tentative nouvelle [qu’il appellera] une expérience de structuration, il tentera d’imposer sa volonté » (p. 91). Toutefois, pour qu’il y ait restructuration du problème, le raisonnement seul ne peut suffire. C’est la mise en oeuvre des hypothèses de l’enseignant lui-même qui peut la réaliser.
On peut également repérer des indices des motifs explicatifs à travers l’énoncé « Trouver les causes des problèmes de gestion de la matière et de la classe ». Cependant, pour cette consigne assez générale dans son libellé, seuls 13,5 % des enseignants déclarent l’avoir reçue. Les enquêtes ont également révélé que 57 % des conseillers pédagogiques se contentent de trouver des explications aux problèmes rencontrés dans les séquences d’enseignement-apprentissage tandis que 11,5 % d’entre eux donnent plutôt aux enseignants des prescriptions, des recommandations, des suggestions. Azarre (2014) explique autrement la véritable posture du formateur : « Guider l’accompagné à travers les questionnements et les difficultés, pas d’imposer une route ou un rythme ni de proposer des raccourcis. L’accompagnateur doit permettre à l’enseignant de découvrir son propre style, de devenir autonome professionnellement » (p. 28). Le CPI doit donc éviter d’être au-devant de la scène, d’imposer ses idées pour ne pas mettre l’enseignant dans une posture de récepteur et constituer ainsi un obstacle à la réflexivité.
Indices de théorisation des résultats et des solutions
L’objectif de cette étape est de vérifier d’une part si les motifs des résultats de l’analyse ont été interprétés en identifiant des choix d’action possibles par rapport à ce que l’on sait de nouveau. D’autre part, il s’agit de voir si des modalités (intention, stratégie, dispositif, etc.) ont été retrouvées dans la pratique à mettre en oeuvre ou à maintenir. À partir de nos enquêtes, nous avons observé que les énoncés « Rompre avec une pratique routinière », « Tendre vers une meilleure gestion du temps, des contenus », « Concevoir correctement une situation problème didactique », « Adapter les objectifs au niveau des élèves » constituent des enseignements nouveaux que 77,5 % des maîtres ont tirés des résultats obtenus de leurs leçons. C’est un premier niveau de théorisation opératoire qui est intimement lié à l’analyse réflexive. En effet, les interrogations des CPI sur les difficultés rencontrées permettent aux enseignants de présenter les résultats de leurs leçons. Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud (1996) disaient en guise d’illustration que : « l’enseignant-professionnel se caractérise principalement par sa capacité à résoudre en autonomie des problèmes rencontrés, à produire des solutions originales – seul et en collaboration – dans la poursuite en autonomie d’objectifs complexes » (p. 21).
Dans les résultats de nos enquêtes, les indices de l’identification d’une solution sont repérés à partir des types de solutions proposées et des rectificatifs envisagés pour les prochaines leçons. 67 CPI ont posé, au moins, une question relative aux solutions apportées par les enseignants face aux divers problèmes rencontrés. Parmi les points de l’entretien personnel, on retrouve « La recherche de solutions » et « Le débat autour des solutions ». L’existence de ce point dans les discussions est également confirmée par 874 enseignants. Dans la recherche de solutions aux problèmes rencontrés par les maîtres, deux catégories de CPI se dégagent. D’une part, on retrouve ceux qui se chargent eux-mêmes de résoudre des problèmes didactiques à la place des enseignants. D’autre part, il y a des formateurs qui réfléchissent avec les maîtres, collaborent avec eux pour trouver ensemble des solutions aux problèmes. Ces derniers CPI corroborent les propos de Bouchamma et Michaud (2011) considérant que : « L’accompagnement ne vise pas à enfermer l’enseignant dans un cercle vicieux de dépendance. Il doit le libérer pour qu’il devienne autonome, capable de s’approprier le savoir technique en le faisant sien » (p. 408). Le CPI ne doit jamais réfléchir à la place du maître. C’est une posture qui constitue un obstacle à la réflexivité pédagogique.
Indices du retour à l’expérimentation
Cette étape consiste à repérer, à travers nos enquêtes, les indices présageant la mise en oeuvre de nouvelles pratiques et attitudes construites dans un travail réflexif. Les indices que nous cherchons à identifier ici ne sont pas des faits déjà réalisés lors de la séance d’analyse des pratiques. Il s’agit plutôt de voir si, dans les entretiens, comme le dit Schön (1994), les décisions prises vont dans le sens d’une planification de nouvelles interventions pour tester des solutions et des modalités en vue de les mettre en oeuvre expérimentalement. Quelques « recommandations » reçues par les enseignants vont dans le sens d’un retour à l’expérience concrète. Il en est de même des « décisions » prises par les CPI pour les prochaines interventions. Si 307 maîtres sont contraints de reprendre les mêmes leçons en corrigeant les erreurs commises, 585 d’entre eux sont invités à en faire de nouvelles en prenant en compte les solutions aux problèmes résultant de leurs analyses réflexives antérieures. Par conséquent, il y a, dans notre population, des enseignants qui cherchent à mettre en oeuvre d’autres stratégies, d’autres approches conceptualisées à partir des séquences réalisées. Cela confirme les propos de Beaupré (2014) qui considère la réflexivité comme le développement des savoirs procéduraux et conditionnels fondés sur des principes d’orientation de l’action éducative et permettant la maîtrise de nouveaux savoirs théoriques et pratiques. Cependant, 20 % des conseillers pédagogiques affirment se préoccuper davantage des erreurs qu’ils ont eux-mêmes repérées pour leur trouver des solutions. Par ailleurs, les comptes rendus de leçon réclamés par certains CPI cherchent surtout à vérifier si les enseignants ont bien retenu leurs recommandations. En se limitant à ces comptes rendus, il y a fort à croire que les prochaines leçons ne soient pas réalisées dans le sens de tester des solutions et des modalités pratiques des enseignants.
Apports éventuels de la réflexivité pédagogique dans le dispositif CPI
Les données recueillies à partir de nos questionnaires ont partout montré des tentatives de prise en compte de la réflexivité pédagogique par les formateurs. Ce paradigme a été un atout assez bien exploité dans le duo maître/CPI. En effet, il est ressorti des entretiens que 67 % des formateurs posent des questions aux maîtres, instaurant avec eux des débats, des discussions autour des pratiques. Ces conseillers pédagogiques se sont départis de cette fonction d’évaluateur jadis confiée aux inspecteurs de l’enseignement et dont la tâche renvoyait à des questions/réponses, des consignes, des prescriptions ou des recommandations. Le travail du CPI a été pertinent quand, dans le duo, il est parvenu à entraîner le maître à une réflexion personnelle sur sa propre pratique. C’est un dispositif qui, selon Dolz et Leutenegger (2015), conduit l’enseignant à prendre un recul par rapport aux leçons qu’il vient d’effectuer et à apprendre à analyser lui-même les situations et à chercher, pour son propre compte, des solutions appropriées. Il constitue un levier important pouvant intégrer le paradigme du « praticien réflexif » et améliorer, par la même occasion, la pratique de classe des enseignants.
En premier lieu, le dispositif peut permettre d’identifier et de comprendre les difficultés rencontrées par le maître dans l’exercice de ses fonctions. Il amène ce dernier à prendre conscience, sur le plan cognitif, des objectifs visés, des choix opérés, des modalités et des moyens adoptés, et de la portée de sa communication dans ses interactions avec les élèves. Selon Legault (2004), si l’enseignant veut comprendre ce qu’il fait en classe, s’il veut améliorer véritablement ses pratiques d’enseignement en y apportant des changements éventuels, s’il veut, donc, mieux enseigner pour faciliter l’apprentissage de ses élèves, il a besoin de trouver les problèmes auxquels il a été confronté durant ses prestations, de les décrire, de les analyser et d’en déterminer les causes ou les origines. Dans ce but, il doit prendre du recul, de la distance par rapport à ses actions, aux situations d’enseignement-apprentissage vécues. Comme le dit Vacher (2011), la fonction enseignante requiert donc une analyse réflexive, consciente, objectivée et orientée, au préalable, dans le repérage et l’interprétation des difficultés majeures de la leçon.
En second lieu, le dispositif institutionnel des CPI peut ouvrir à une critique raisonnée personnelle de la pratique. En effet, dans le duo, le conseiller pédagogique est la personne qui, par ses interrogations, peut amener le maître à poser un regard critique sur son expérience dans l’action et sur l’action. Comme l’affirment les auteurs (Altet, Desjardins, Étienne, Paquay et Perrenoud, 2013), la pensée réflexive porte, avec certaines nuances, sur l’analyse critique systématique et le questionnement, par le retour sur la leçon. C’est donc l’invite du CPI à la réflexion personnelle qui peut déclencher, chez le maître, cette distanciation par rapport à sa leçon, lui permettant d’en faire un objet d’étude par le retour de la pensée sur elle-même. Par conséquent, la critique raisonnée et personnelle sur la pratique n’est que la prise de conscience d’une démarche réflexive du maître qui a pour résultat l’émergence de savoirs nouveaux explicites ou implicites établissant des liens avec les savoirs préalablement acquis. Hensler et al. (2001) révèlent que l’attitude réflexive conduit au changement de ou dans sa pratique, c’est-à-dire la modification durable, consciente, fondée de ses pratiques enseignantes sous ses différents aspects, dans une perspective de mieux-être professionnel.
En dernier lieu, la pratique des CPI peut contribuer à un développement professionnel autonome si elle intègre la démarche réflexive, ouvrant à une véritable « formation tout au long de la vie ». En effet, selon Vinatier et Altet (2008), la réflexivité pédagogique n’est pas acquise en début de carrière. Elle se développe tout au long de l’expérience d’enseignement, et très souvent, dans une très lente maturation professionnelle. C’est pourquoi les débutants, esseulés, et n’ayant pas accumulé beaucoup d’expérience dans la pratique du métier, deviennent difficilement des enseignants réflexifs. Ils ne peuvent d’ailleurs le devenir véritablement que si on les y entraîne. Nous estimons que les CPI, en tant qu’enseignants expérimentés, peuvent former à cette réflexivité pédagogique qui permettra aux maîtres de transformer leurs pratiques impulsives en des pratiques intelligentes et réfléchies pour des prestations futures. Ainsi, la pratique réflexive favorise-t-elle une meilleure compréhension des problèmes survenus dans les leçons, des buts à atteindre et des moyens pour y parvenir. À la longue, c’est un maître qui parvient à exercer un contrôle permanent sur sa pratique en la développant progressivement. D’ailleurs, à un moment donné de son évolution dans la réflexivité, il sera en mesure de travailler, seul, sans l’aide du CPI et de s’inscrire ainsi dans un développement professionnel autonome.
Au terme de cette analyse, la typologie des apports des CPI que nous avons réalisée et tirée des résultats de nos enquêtes exprime, d’une part, assez nettement, la relative efficacité de ce dispositif institutionnel de formation continue. D’autre part, elle a fini de montrer tout l’intérêt de la pratique réflexive, notamment dans le renforcement du dispositif institutionnel, le développement des compétences professionnelles des maîtres, la mise en question des principes et des valeurs qui sous-tendent les pratiques, l’identification des pistes de solutions ou des perspectives innovatrices dans l’enseignement. En conséquence, il existe un enjeu important à analyser le développement et la mise en oeuvre du paradigme du « praticien réflexif » en formation continue des maîtres au Sénégal.
Conclusion
En définitive, les enjeux de la formation que nous venons d’analyser nous permettent d’entrevoir des perspectives en matière de retombées concrètes pour la pratique. D’abord, ces travaux contribuent à une meilleure connaissance du dispositif institutionnel de formation continue des CPI dont l’action professionnelle peut avoir une forte incidence sur les enseignants du primaire au Sénégal (efficacité de l’enseignement, qualité des apprentissages, développement professionnel des maîtres). Ensuite, cette recherche peut renforcer l’efficacité des actions des autorités responsables de la formation initiale et continue des enseignants en leur assurant une connaissance plus fine de nouveaux paradigmes de formation susceptibles d’améliorer considérablement les pratiques pédagogiques. C’est aussi une étude qui rend visible les actions pouvant modifier les comportements pédagogiques considérés comme inadéquats, ou en empêcher la réalisation. Enfin, dans notre recherche, nous avons proposé une panoplie d’outils d’analyse des pratiques portant sur la réflexivité pédagogique et pouvant servir de support pour rendre plus pertinent le dispositif institutionnel des CPI.
Dans nos études, nous avons aussi tenté de montrer implicitement l’existence d’un lien manifeste entre formation continue et changement des pratiques. Mais nos enquêtes nous permettent-elles de nous prononcer de manière catégorique sur la notion de changement de pratiques opéré effectivement par les maîtres? Ces derniers ont peut-être répondu aux questions relatives à leurs prestations auxquelles ils sont attachés pour de multiples raisons. Alors, ont-ils véritablement associé à cette formation continue le changement de comportement pédagogique auquel elle invite, les conséquences pratiques et relationnelles qu’elle entraîne et les aptitudes qu’elle demande? Les résultats de nos enquêtes montrent manifestement des maîtres qui ont évolué dans leurs postures, leurs attitudes et leurs comportements pédagogiques au cours des séances d’enseignement-apprentissage. Toutefois, l’exigence de rigueur nous impose, quand bien même, d’être prudent et d’orienter nos futures recherches dans une perspective d’observation et de caractérisation des véritables changements de pratiques qui se sont opérés dans les classes.
Parties annexes
Note
-
[1]
Volontaires de l’Éducation nationale (VEN) : Au Sénégal, enseignants recrutés à partir du Brevet, ayant reçu une formation initiale comprise entre 1. et 6 mois et percevant, au début du projet, une allocation mensuelle de 50 000 FCFA, environ 76,33 euros.
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