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J’ai le plaisir de vous présenter ce numéro hors thème de Francophonies d’Amérique, mon avant-dernier à titre de directeur de la revue. En prenant la direction de la revue en 2017, je m’étais fixé deux objectifs principaux : rattraper les retards accusés dans la parution des numéros, puis ramener la pratique de publier chaque année un numéro hors thème.
À mon sens, les numéros sans thématique précise sont importants, car l’habilitation est une démarche à la fois collective et individuelle. La capacité d’agir sur un champ de recherche et, plus généralement, sur les communautés s’exerce par des groupes, des collectifs, mais aussi par des individus. Si le numéro thématique permet à plusieurs chercheurs et chercheuses de contribuer à une question ou un thème commun, le numéro hors thème soutient les collègues qui poursuivent des projets de recherche individuels.
Francophonies d’Amérique a une longue tradition de publier des numéros hors thème. En 2001, la revue passait d’une fréquence de parution d’un numéro par année à deux numéros, notamment dans le but d’encourager la publication plus régulière de numéros sans thématique précise. Le raisonnement derrière cette décision, selon ma compréhension, était de consacrer un premier numéro aux actes d’un colloque touchant à la francophonie canadienne, notamment celui du Réseau de la recherche sur la francophonie canadienne, puis d’en consacrer un deuxième à une thématique spécifique ou encore à un numéro hors thème.
Si l’idée de produire un numéro hors thème par année fait son chemin et s’implante tranquillement, c’est notamment parce que la revue ne cesse de recevoir d’excellents articles individuels, comme en font foi les trois numéros hors thème publiés depuis 2019, y compris le présent numéro.
Le numéro s’ouvre avec un article signé par Anne Gilbert, professeure émérite de géographie à l’Université d’Ottawa, qui revient sur la sempiternelle question de la place et du statut du français dans la capitale nationale. Malgré la présence « plutôt timide » du français dans l’affichage public, surtout à l’extérieur du secteur public qui est réglementé par des lois sur l’affichage, l’autrice ne se veut pas alarmiste, s’appuyant sur la géographie du bien-être pour émettre l’hypothèse que la relative invisibilité du français ne nuit pas au « bien-être linguistique » des francophones d’Ottawa.
Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s, signe le deuxième article du numéro sur la relation entre le Québec et les communautés francophones dans les autres provinces et territoires. L’article propose une analyse de tous les mémoires déposés par le procureur général du Québec dans des causes de droits linguistiques depuis 1982. Selon la chercheuse, le Québec reste d’abord et avant tout un « acteur stratégique » devant la Cour suprême du Canada, en visant prioritairement à protéger ses propres compétences législatives.
Dans le troisième article, Sylvain Bérubé propose une analyse passionnante des mémoires de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) dans le dossier de la modernisation des langues officielles. Selon le doctorant en études politiques à l’Université d’Ottawa, la FCFA a développé une nouvelle vision des droits linguistiques au pays, une vision inspirée de la philosophie politique néorépublicaine et surtout de son principe directeur de la non-domination. L’article propose un aperçu de cette philosophie politique avant de s’attarder à l’analyse des fondements théoriques et normatifs des principales recommandations émises par l’organisme.
Le dernier article du numéro propose une réflexion sur les symboles identitaires de la francophonie de l’Ouest canadien, notamment de la francophonie manitobaine, à travers une analyse de la célébration de la fête de Dollard des Ormeaux. S’appuyant sur des archives jamais exploitées dans l’étude des fêtes nationales au Canada, Dominique Laporte, professeur agrégé au Département de français, d’espagnol et d’italien de l’Université du Manitoba, suggère que l’importation de la fête de Dollard à Saint-Boniface et ailleurs au Manitoba s’inscrit dans un contexte politique et social bien particulier, soit celui de la loi Thornton abolissant les écoles bilingues de la province. Selon le chercheur, le culte de Dollard devient « un moyen de résistance symbolique » pour la jeune génération franco-manitobaine, avant d’être éclipsé par d’autres symboles identitaires dont La Vérendrye, les coureurs des bois et, surtout, Louis Riel.
En terminant, je remercie et félicite les quatre chercheurs et chercheuses pour leurs contributions au champ de recherche sur la francophonie canadienne et je souhaite une bonne lecture aux lecteurs et lectrices assidus de la revue.