Résumés
Résumé
Le personnage de Melville, Bartleby, a été rappelé à la littérature contemporaine grâce à l’écrivain catalan Vila-Matas (Bartleby et compagnie, 2002). Prolongé comme effet-bartleby sur cette littérature, il n’est pas seulement la touchante imagerie d’un personnage au refus extrême. Le refus qu’il exprime prend corps non seulement dans la littérature mais se déploie ailleurs, dans l’expérience du monde. Son rayon d’action agrandi, sa prodigalité en matière de négation, ont interpellé Georges Perec, sensible aux arguments de Bartleby. Précurseur de Vila-Matas, Perec utilisa les ressources littéraires de cette figure, à la fois la même et une autre. Les perspectives qui en résultent peuvent alors devenir nouvelles.
Abstract
Melville’s Bartleby character returned to contemporary literature in the 2002 Bartleby & Co. by Catalan writer Vila-Matas. With its protracted “Bartleby effect” on such literature, it is more than just the affecting depiction of an extreme denier. This denial not only arises from literature but also permeates one’s experience of the world. Both its broad scope and expression had appealed to Georges Perec, attuned to Bartleby’s arguments. As Vila-Matas’ precursor, Perec exploited the literary resources of the character, both as himself and someone else, thereby giving rise to potentially new perspectives.
Corps de l’article
Qui ne connaît Bartleby, le personnage de Melville silencieux et obstiné, pathétique jusque dans sa mort ? Depuis le roman de l’écrivain catalan Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie[2], on a pu constater qu’il existe un « effet-bartleby » dans la littérature. Disséminé dans des romans, des nouvelles et des essais, le personnage de Bartleby s’enrichit ou s’appauvrit, comme s’il demeurait rétif à apporter une définition franche de son existence. Le personnage de Melville continue ainsi à poursuivre de sa formule énigmatique, I would prefer not to, la vie secrète de l’écriture et l’intimité obscure des écrivains. Il est alors intéressant d’interroger, dans les vastes plis de la littérature, une partie de cet effet-Bartleby et de mesurer l’importance de ses signaux actifs. La vitalité de l’interpellation de Bartleby n’a pas éliminé les questions qu’elle pose. De Georges Perec à Enrique Vila-Matas, une dissémination se poursuit, à la limite, parfois, de la labilité mais toujours pour contraindre chacun, dans le vaste territoire littéraire, à confondre son masque. Ce trajet pourrait être l’objet d’une dislocation et d’un émiettement de la puissance de Bartleby. C’est au contraire une figure puissante qui naît, qui s’y construit avec force et qui entraîne des attentes renouvelées. La figuration de Bartleby puis ses variations de contenu dans la littérature apportent la preuve d’une puissance de « conviction » souveraine et active de Bartleby devenu figure quasi atemporelle. Ce processus se détache des motivations de Melville bien que celles-ci en soient la source même. Malgré les interprétations changeantes, Bartleby semble diffuser sa puissance sans éparpiller les conditions de son apparition et de son identité. Il incarne ainsi quelque chose d’élevé retranché dans le négatif.
Le négatif, affirmait Hegel[3], doit être aussi à même de se percevoir en tant que positif et c’est ce qu’exprimera Guy Debord, dont la critique de la totalité[4] s’oppose dialectiquement au spectacle de la représentation. Cette théorie permet d’entrevoir les ramifications d’un langage de la négation. Celui-ci serait l’élaboration d’un langage commun qui ne soit ni dissolution ni écran culturel fictif entre le sujet et le monde. Une telle lecture du monde et de la culture révèle des vérités oubliées comme le sens originel et les tensions authentiques d’une communication loyale associés aux fondements de la création littéraire. À quoi servent en effet l’inspiration poétique, l’imaginaire, sa possibilité d’extension du réel et quel sens donner au langage dans une culture industrielle en conflit avec tous ses termes et qui engendrent des spectateurs ?
A contrario, les oeuvres qui acceptent le risque de leur propre subversion s’opposent clairement au monde tel qu’il est. Elles ne se soumettent pas à la mise « en scène de la fausse sortie d’un autisme généralisé[5] ». L’empreinte d’une telle littérature rappelle alors qu’il est possible et souhaitable de pratiquer une créativité littéraire en dehors de toute considération économique et de toute finalité publicitaire et médiatique — de penser liberté plutôt que capitulation. Cette conscience exigeante d’une littérature non compromise ou défaillante suggère évidemment un renversement de perspectives. Une littérature vouée au divertissement, maîtrisée par l’industrie culturelle est le fidèle soutier d’une adhésion positive à un monde envahi par la contemplation, se situant ainsi aux antipodes du projet initial de la littérature, c’est-à-dire de son pouvoir de rendre les choses magiques et proches, de donner une plénitude de sens aux choses et aux individus. Elle demeure piégée par l’édition et l’imagerie tautologique d’un destin sans autres ennemis qu’elle-même, rythmé par les images cathodiques des écrivains contemporains.
Le prédicat original de l’écriture, ses déterminations et son sujet, en fait sa substance convoque la plénitude et la complexité d’un sujet (lecteur, écrivain ou personnage comme ici Bartleby et sa charge réflexive) de façon à ce qu’il ne soit jamais perdu mais au contraire constamment intégré à une expression littéraire qui entend retrouver la vitalité d’un langage commun, rendre accessible sa convocation insistante via les promesses de l’écriture parmi les tentacules de la réalité. Le brigand de Robert Walser, les anti-héros de Kafka, les essais et les poésies de Jean-Pierre Issenhuth, les héros exilés de Joseph Roth, le Tchitchikov de Gogol, Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal, les aventures dans l’irréalité Immédiate de Max Blecher, le Wakefield de Hawthorne, le cheval noir de Joseph Brodsky, Bartleby, participent parmi d’autres de cette prose du monde qui ne peut ni ne veut s’intégrer au triomphe de la positivité, « car elle se confronte, sans frein d’aucune sorte, à des vérités parfois intolérables, qui ne peuvent pas être voilées[6] ».
Vila-Matas a montré qu’il avait travaillé non pas sur une disparition mais sur un enrichissement et un parcours. Il existe donc une figure de Bartleby qu’il convient de comprendre pour en apprécier les stimuli et la pertinence dans la littérature. Les intentions négatives de Bartleby, ses formes d’absence et de refus, ne rendent pas le son d’une forme vide ; le scribe ne disparaît pas dans la littérature mais au contraire se vivifie avec elle, tant la littérature tente d’endiguer la crise qui la secoue avec les arguments de sa propre négation. Cette figure rappelle à nouveau sa signification initiale et la puissance de Bartleby déborde la figure sans s’y pétrifier. Elle évolue, produite, prête à se détacher de la littérature contemporaine, à produire des désaffections souterraines mais quoiqu’il en soit engendrée par l’histoire littéraire. Elle propose un projet, des déterminations et un territoire de la négativité. Elle se nimbe de jugements sur la littérature qu’il faut approcher et comprendre pour percevoir où va la littérature actuelle. La dissémination de ses lignes de force s’appuie sur le mouvement intérieur de la littérature vers elle-même, sur les regards que plusieurs écrivains élèvent vers elle et la validité du silence et celle de l’absence face au territoire des mots. Il n’est donc pas sans intérêt de chercher s’il existe un élément de stabilité ou de déclin dans la reprise de Bartleby par la fiction, par exemple dans Un homme qui dort de Georges Perec.
Un exemple d’utilisation et de réécriture de Bartleby
Entre Perec et Vila-Matas, aucun lien direct ne semble s’instituer de prime abord, l’écrivain catalan ne faisant jamais référence à Perec ; par contre chacun a travaillé à partir du texte de Melville, Bartleby, le scribe. Perec a revendiqué explicitement l’utilisation de la nouvelle de Melville à plusieurs reprises[7], et nous venons de voir dans ce qui précède que Vila-Matas y fait constamment référence comme socle fondateur de ses recherches pour Bartleby et compagnie. Perec a écrit une fiction, Vila-Matas, une création hybride entre essai et fiction. L’approche de Vila-Matas crée une problématique de la négation en littérature avec des arguments crédibles. L’interprétation de Perec est bien sûr antérieure à celle de Vila-Matas, et si elle relève de la fiction, sa cohérence et la démarcation qu’elle instaure par rapport à la nouvelle de Melville sont remarquables. Le Bartleby de Melville n’est pas abandonné pour autant, seulement suspendu, alors que les conséquences de son évocation, de sa reprise, fécondent la solitude et l’errance de l’homme qui dort.
Plusieurs des motifs de Un homme qui dort[8] de Georges Perec reprennent ceux de la nouvelle d’Herman Melville : l’isolement, le mutisme, un travail de conscience, mais aussi la négation ; le refus, le désir d’absence et l’impossibilité de pactiser avec la réalité sociale figurent tout au long de la quête individuelle du personnage. Dans le roman, le narrateur utilise les possibilités du ressassement. Il joue avec les variations de l’abandon. Grâce à l’utilisation continue d’un « tu » interpellant, la proximité intentionnelle de l’homme qui dort nous semble plus voisine et simultanément plus accessible que celle d’un Bartleby toujours tenu à distance par la narration de l’avoué. Pourtant la crise révélée dans les deux cas — refus social et aspiration à l’absence pour le moins — conduit l’homme qui dort à un état limite de flottaison entouré d’abîmes alors que pour Bartleby, l’irréductibilité devant l’univers vital devient l’élément de son triomphe et de la distinction qui le submerge. De l’un à l’autre, l’altération se concrétise, semblant intarissable et multiple pour l’homme qui dort, un aimant mystérieux et contrôlé pour Bartleby. Désagrégation, émiettement, fragmentation affectent grandement le récit de Perec ; la crise générale de l’homme qui dort marque son impossibilité à se libérer de la malédiction du monde, de ses valeurs et de son essence avec comme corollaire la dissolution de tous liens véritablement vivants. Lesté de cette infortune dans laquelle il se délite, victime de la violence du monde, il sera défait et réduit par elle. L’homme qui dort vit dans un cadre dégradé dont il a conscience mais il y tourne en rond, jusqu’à ce que l’impossibilité d’en sortir devienne évidente.
Bartleby prend conscience de son impossibilité à être compte tenu de l’emprise du cadre, social, professionnel, humain, dans lequel il évolue. Il ne prétend pas se libérer mais conserver l’intégrité de sa conscience sans avoir à fuir. Melville projette donc dans le champ de bataille de Bartleby les éléments mêmes de la crise rencontrée par l’homme qui dort mais le suicide de la parole permet à son personnage de faire dévier les impacts cumulés de la violence du monde qui tendent tous à le nier. Il saisit la l’unique voie qui lui permet de demeurer lui-même, la formule (I would prefer not to) et le silence qui est aussi une manière de dire, de réfuter, voire de retrouver une intégrité par nature volatile dans le dévoilement dû à la langue. Indissociable du monde de Wall Street que décrit le roman, et du non-sens du travail, la dégradation conduit Bartleby à cette réplique – I would prefer not to – dans laquelle loge ce qui lui est retiré et le refus. En elle se comptabilise ce qui lui était retiré, le refus qui désemprisonne le rend vrai.
Ainsi, quête, solitude, déchirures, si elles donnent lieu aux mêmes angoisses, ne vont pas à la même conclusion dans le roman de Perec : l’angoisse est porteuse de défaite dans un cas, de victoire dans l’autre.
L’utilisation — ou le détournement — par Perec du personnage de Melville comme source d’inspiration pour son roman est bien connue.
Le collage pour moi, c’est comme un schème, une promesse et une condition de la découverte. Bien sûr, mon ambition n’est pas de réécrire le Quichotte, comme le Pierre Ménard de Borges, mais je voulais par exemple refaire la nouvelle de Melville que je préfère, Bartleby the Scrivener. C’est un texte que j’avais envie d’écrire : mais comme il est impossible d’écrire un texte qui existe déjà, j’avais envie de la réécrire, pas de la pasticher, mais de faire un autre, enfin le même Bartleby, mais un peu plus… comme si c’était moi qui l’avais fait. […] C’est la volonté de prendre en compte toute la littérature du passé[9].
Dans une lettre adressée à Denise Getzler, Perec explique longuement son intérêt pour la nouvelle de Melville. Il écrit notamment que Bartleby « est, si l’on veut, la fin d’un livre dont nous ne connaîtrions pas le début, ce qui a pour effet de donner à l’irrémédiable une portée plus grande, une espèce d’universalité[10] ». Plus loin, Perec précise encore :
Il faudrait lier ces deux pôles : l’ennui, le vide, le creux, le rien, d’un côté (Melville déchu scribouillant des contes pour survivre) et la contestation, la négation. Voir comment ils se complètent, s’organisent, débouchent sur une vision du monde. Car enfin ce n’est pas parce que Melville était fauché ni parce qu’il avait des tendances homosexuelles que Bartleby nous touche. Ce n’est pas non plus parce que c’est « bien écrit », ni parce que c’est économe[11].
Enfin, parmi les nombreuses idées énoncées dans cette lettre par Perec, notons celle-ci : « Une seconde remarque ; tous les détails du récit tournent autour de l’écriture. La Chancellerie, si je ne m’abuse, s’occupe des archives ; le Bureau des Lettres au rebut ; l’étude du juriste[12] ». De sa lecture, Perec retient ainsi l’importance de l’écriture dans la nouvelle, la négation et la contestation, la mélancolie et le vide, puis l’universalité de la résistance de Bartleby. De Melville, le désespoir et l’échec, la vision désespérée du monde mobilisent son intérêt. Perec note dans cette même lettre que Bartleby résiste à tout : l’argent, l’amitié, la menace, la gentillesse, un salaire. Thèmes que nous retrouverons constamment disponibles, à l’égal d’aspirations invariantes, de constats têtus redéfinis par les bartlebys en tant qu’instances de leurs parcours et comme constituants essentiels de leur agraphie. Autant de contraintes et de points de départ pour rassembler leurs discours disparates, leurs non-discours d’écrivains négatifs. Autant de lieux où se visualisent et se démultiplient ces énoncés, variations d’angoisse, extensions et reconfigurations qui hantent l’écrivain négatif, associés à des contextes sociaux, culturels et individuels contrastés[13].
L’influence de la nouvelle de Melville se continuera dans La vie mode d’emploi dont le nom du héros, Bartlebooth, emprunte à Bartleby une partie de son nom et l’autre à Barnabooth de Valéry Larbaud. Perec précisait par ailleurs, dans un article de la revue L’Arc, que la nouvelle de Melville « jalonne l’espace fictionnel dans lequel tout autant que dans l’autre, j’essaie de me mouvoir[14] ». Parmi de multiples influences et emprunts du texte puzzle de Un homme qui dort (Kafka, Joyce, Dante, Sartre, Barthes, Rimbaud, Diderot, etc.), Melville se détache nettement par des références littéraires appuyées ainsi que par une atmosphère poétique qui se rapproche ou s’inspire de sa nouvelle.
Pour mon dernier livre qui s’appelle Un homme qui dort, j’ai fait la même chose [que dans Les choses son précédent roman où il utilisait les romans de Flaubert] en me servant principalement de deux auteurs, l’un est Kafka, l’autre est Herman Melville […]. De la même manière pour Un homme qui dort, la lecture, à outrance, enfin, pendant des semaines et des semaines, d’une nouvelle de Melville qui s’appelle Bartleby the Scrivener et des Méditations sur le péché, la souffrance et le vrai chemin de Kafka, enfin du journal intime de Kafka, m’a conduit presque nécessairement, comme à travers une espèce de voie royale et tout à fait étroite, m’a conduit au livre que j’ai produit[15].
Compte tenu de l’impact déterminant du personnage de Melville sur le processus créatif de Perec, il est important de comprendre de quelle façon l’utilisation particulière de Bartleby the Scrivener lui permet de réécrire le texte sans le pasticher tout en le faisant sien. La lumière et les qualités de sensibilité que confère Perec aux thèmes attribués à la figure ombrée de Bartleby dégagent de cette figure de l’employé voué aux écritures, des profondeurs et des dispositions qui amplifient la rumination solitaire et originale du personnage de Melville. Perec dirige l’expansion de Bartleby à la manière d’une initiation qui se soustrait à l’emprise de valeurs atteintes et soudain distanciables. Cette attitude postule même une vague parenté avec le créateur du « Péquod[16] » en utilisant une science de son oeuvre et des thèmes où la reconnaissance change de nom pour se découvrir ébranlement, hymne ou métamorphose à cause d’un écrivain célèbre, aimé et sans doute intimement compris comme Melville.
Entre pastiche et faux littéraire, entre plagiat et intertextualité, le puzzle de Perec prend pourtant forme comme un travail original. Une telle pratique s’inspire d’enchevêtrements d’histoires innombrables de la littérature, et Perec, tout en imitant, se trouve confronté à l’exigence de l’originalité. Il se dégage ainsi dans ce roman une esthétique du plagiat qui s’avoue, pour, en quelque sorte, immédiatement se déconstruire dans le faisceau de sa preuve. Perec se propose ainsi de ne pas s’arrêter à une pratique intelligente du plagiat. Il s’agit pour lui de déployer dans la fiction une spéculation mémorielle et scripturale dont la capacité de révéler et d’interpréter un mythe comme Bartleby se charge sans cesse de significations nouvelles. Un homme qui dort va au-delà de la simple réappropriation et montre, par là, la capacité résonnante de Bartelby. Perec veut faire vivre la figure. Cette vie permanente, revendiquée par la fictionnalisation d’un Bartleby figuré en mythe intarissable explore les limites de la dérive de cet homme qui dort dans un Paris étale et sans grandeur où sont submergées les valeurs populaires de la jeunesse de Perec. Travail mémoriel, travail de codification des indices possibles, travail de dissimulation des emprunts possibles à d’autres récits et, par là, travail de décodage de l’héritage littéraire que sous-tend la narration de Un homme qui dort, tous ces indices montrent une continuité équivoque. L’incertain conféré à une réécriture qui au départ tente d’inventorier et d’appliquer les thèmes et la symbolique d’un récit initiateur devient un prétexte au puzzle assembleur d’un travail de mémoire. Puzzle littéraire, puzzle mnémonique, Un homme qui dort comporte de nombreuses couches de compréhension. Par la structuration du récit en courts fragments, par l’interpellation du « tu » qu’adresse le narrateur au personnage, sommation dont la répétition insistante rend un son inquiétant et direct, enfin par le découpage du récit en fonction des itinéraires empruntés par l’homme qui dort, le récit de Perec s’objective de plus en plus nettement en dehors de la figure de Bartleby. Il le dote d’aptitudes différentes, d’une subjectivité autre, d’une configuration imaginaire qui renvoient certes à Bartleby, mais à un Bartleby redéfini dont les névroses et les fantasmes ouvrent sur le XXe siècle et ne s’appliquent visiblement pas à la conscience du monde de New York en 1853. Cette décomposition ou ce nouvel assemblage, psychologique, symbolique, structurel, narratif, du récit construit des clés de lecture naissantes. Une transposition prend forme du même pas que l’homme qui dort s’autonomise de Bartleby. Elle désarticule les critiques éventuelles préoccupées de relever les termes d’une simple permutation du personnage de Melville par Perec et de noter les reprises des atmosphères de Kafka. Latent, un certificat littéraire d’authenticité cherche ses marques en explorant non pas ce qui naît ou ce qui meurt, mais plutôt l’itinéraire impossible d’un souvenir littéraire qui mute malgré lui, d’une empreinte tenace appelée à disparaître par les termes scripturaux de sa nouvelle énonciation. C’est en effet par l’exploration des multiples facettes de Bartleby, au sein des motifs de l’indifférence et de l’oubli traités par l’ouvrage, que pouvait surgir un éventuel recommencement de la figure. Impossible figuration à l’identique mais transgression souple et liberté d’interprétation se réfèrent pourtant à un objet unique dans ce mouvement aléatoire de la création littéraire qui rend mouvants et instables tout renouvellement et utilisation de la même figure. La tentative de Perec — évoquer et s’éloigner simultanément de l’intégrité de Bartleby — permet de tester les valeurs de Bartleby tout en lui conférant une posture d’autorité inédite. De plus, la constante dissonance des « bruits » littéraires utilisés (emprunts, plagiats, détournements, références) donne une valeur exemplaire à la vérité et à la continuité du refus et de l’absence de ce personnage qui s’accomplit dans la fiction. Cette exemplarité tient précisément au fait que sa volonté négative est systématisée tout au long du roman jusqu’à l’impasse du trottoir de la place Clichy, non-aboutissement qui clôt la dérive vers l’ailleurs de l’homme qui dort.
Un homme qui dort, issu du souvenir de Bartleby (or, le souvenir est toujours suspecté d’interprétation et de transformations détaillées) et des données brutes des lectures marathon de Perec, sillonne avec incertitude le tracé de sa genèse. Les sinuosités d’une origine construite entre méthode littéraire et capacité de connaissance, entre les piliers vagues de la constance et l’errance littéraire, entre l’ordinaire du quotidien décrit et l’aspiration à la répétition de l’indifférence au monde, placent volontairement la narration entière dans une situation similaire à la formule de Bartleby : « I would prefer no to ». En effet, alors que l’énonciation demeure souvent indéterminable, l’indécidable ou même l’anonymat et l’inaccessibilité revendiqués par le narrateur rendent toute communication avec le monde parcouru chimérique. L’homme qui dort est inaccessible, il fait du sur-place tout comme Bartleby et déverse ses critères de parenté avec les valeurs négatives tout au long des étapes du roman :
Nulle hiérarchie, nulle préférence. Ton indifférence est étale : homme gris pour qui le gris n’évoque aucune grisaille. Non pas insensible mais neutre. L’eau t’attire comme la pierre, l’obscurité comme la lumière, le chaud comme le froid. Seule existe ta marche, et ton regard, qui se pose et glisse, ignorant le beau, le laid, le surprenant, ne retenant que des combinaisons de formes et de lumières qui se font et se défont sans cesse, partout dans ton oeil, aux plafonds, à tes pieds, dans le ciel, dans ton miroir fêlé, dans l’eau, dans la pierre, dans les foules[17].
Plus loin :
Tu es le maître anonyme du monde, celui sur qui l’histoire n’a plus de prise, celui qui ne sent plus la pluie tomber, qui ne voit pas la nuit venir[18].
Dans ce roman, les murailles de la disparition brillent aussi d’un éclat insoutenable, car le travail romanesque de Perec consiste à chercher pour disparaître, à trouver sans trouver le lieu de cette disparition, à identifier d’autres passages possibles, à énoncer des itinéraires en fonction d’une cartographie urbaine spécifique. La valeur intemporelle d’un texte écrit au présent engloutit, comme un souvenir battu en brèche, le Paris évoqué. Ce travail sur l’oubli et l’indifférence, ce sont autant de points de tension littéraire. Il faut leur rajouter la capacité prodigieuse de Perec à utiliser la littérature, les oeuvres de Melville, de Kafka et d’autres. Sa maîtrise du collage fait oublier le puzzle des motifs et des phrases empruntés, et ce travail n’est-il pas une forme d’accession à la disparition, que ce soit des oeuvres ou une manière de revisiter la fonction d’auteur en la tenant à distance, une façon de se déprendre de la littérature, de la « digérer » et de l’aider à disparaître ? Toutefois, la structure du collage implique des fissures à colmater. Elle comble des vides là où Melville donnait comme mission à son personnage de créer des fissures, de montrer sans dire, d’ouvrir comme des clairières au service du doute ce qu’il entendait défaire dans l’écriture et l’Empire commercial de Wall Street, de montrer des non-objectifs et rendre toute combinaison impossible, d’insérer une certaine dose d’imprévisibilité et de travail créatif dans une réflexion où éclate la détermination du NON.
Avec Un homme qui dort, nous avons accès à une intimité habituellement opaque qui est celle de la restitution, d’une lecture avide qui rend possesseur et des accentuations qui travaillent la lecture. Le faisceau resserré de l’appropriation / restitution de l’imaginaire du texte, son rythme, la musique particulière du désoeuvrement du personnage qui vit de lui-même, travaillent l’accessibilité à ce que Perec a retenu ou dérobé de Melville. Quelles sont les aptitudes de l’homme qui dort ? Un rapide inventaire du texte permet d’isoler les composantes de son aspiration au sommeil par delà la disparition progressive et l’oisiveté qui gagne. « L’absence des gestes » (p. 18), l’attente (p. 24), « la contemplation de l’oubli » (p. 26), « ne plus entendre, ne pas être atteint » (p. 27), « ne pas se payer de cette perpétuelle indigestion de mots » (p. 42), « regarder sans voir, apprendre à être une ombre, à rester assis, couché, à rester debout » (p. 55), « laisser les actions dans un terrain neutre » (p. 64), « avoir comme seul chemin une stratégie solitaire et muette, à l’impossible résultat » (p. 71), « vivre dans une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont on n’attend rien » (p. 74), « être indifférent dans une inertie que rien ne saurait ébranler » (p. 87), « que l’indifférence soit neutralité, rester inaccessible » (p. 92). Il n’est pas difficile d’identifier ici les constituants de la négativité de Bartleby mais aussi ceux des écrivains négatifs, et le sinistre éclat des obsessions prémonitoires de Kafka décrivant le monde actuel. Étrange construction mentale que celle de Perec, qui tend à bâtir l’image d’une impersonnalité en vampirisant de manière délibérée un personnage en route vers le rien et le vide, un personnage conçu ailleurs et donc considéré comme plein. Car en effet, nous retrouvons face aux visées poursuivies par Perec dans Un homme qui dort, l’aspiration au silence et les constituants du refus de Bartleby : la solitude, l’absence, l’attente, l’oubli, la neutralité, l’aphasie et la puissance de l’inertie.
Bartleby ne disparaît pas dans Un homme qui dort, le modèle se dédouble. Bartleby et l’homme qui dort partagent la même absence d’identité. L’identité permute, déborde, identifie jusqu’au travestissement cet homme qui dort du sommeil absent d’un autre. Bartleby aussi est économe de ses gestes. Tout comme l’homme qui dort, il attend sans raison dans la solitude de l’étude de l’avoué. Sa stratégie est muette et solitaire, elle ne concerne que lui. Il incarne une parenthèse qui s’est faite insaisissable et marque toute suspension du jugement. L’absence qui l’inspire, ce qui le rend anonyme et sans vérité au monde, ne peut trouver une once de garantie rationnelle dans le pouvoir des mots, de l’argent, de la loi. La véritable subversion du refus de Bartleby, sa révolte pathétique, se manifeste précisément là où d’autres hurleraient de colère et de frustration, dans la négation outrancièrement muette des piliers idéologiques et matériels de la société. Bartleby refuse que son opposition subjective fasse le jeu de ce qu’il conteste. Il n’est pas producteur de différences assimilables ; il s’identifie complètement, pendant la narration, à la matière intarissable de son refus, à sa version âprement fidèle à elle-même. Au-delà d’un raffinement possible du refus vers une acceptation plus romantique, Bartleby s’unit à son refus et lui fait don de lui-même. Son refus vibre bien après la dernière page et c’est sa profonde vitalité, son idéal de force et de détermination qui sont à même de créer des émules tels Perec. L’homme qui dort erre alors que Bartleby est immobile. Mais cette errance dans les lieux urbains écorchés de la ville morte est une errance sans but réel, dans des endroits désertés. Elle ressemble fort à du sur-place, nous l’avons vu. Car la ville est dépourvue de centre, immobile, désolée et ne suscite qu’un regard absent sur le constat de la banalité de la ville. Même la narration au présent et l’utilisation du « tu » luttent contre tout romanesque du roman de manière à ce que le personnage compose étroitement avec les valeurs de son indifférence et de ses refus. À son tour, l’indifférence de l’homme qui dort est la restitution littéraire de celle de Bartleby.
Les liens entre les deux personnages, on le voit, sont permanents. Perec va même jusqu’à résumer dans sa narration l’histoire de Bartleby[19]. Il le fait alors en utilisant un style explicitement apaisé, peu avant la fin du roman. Le résumé prend alors la coloration blanche d’un commentaire sans tension dans un récit qui se tient toujours sous la pression d’un itinéraire sans autre but que le retour à l’indifférence. Ce n’est donc pas la contradiction seule qui donne élan et force à la figure de l’homme qui dort et qui s’exprimerait dans les secrets de son inspiration et de sa construction fragmentée. Ce n’est pas non plus le survol intemporel de la figure de Bartleby mais une subsistance intérieure, l’énergie plastique d’un trajet toujours lisible, une exaspération subjective tenace qui s’infiltre dans la fiction, de Bartleby, the Scrivener à Un homme qui dort. Devant l’épuisement du monde, de la littérature et de soi, l’impossibilité d’un « je » dans ce monde, ils décrivent tous deux une forme d’adieu désenchanté au monde, une façon de se détruire par un silence scriptural absolu, de devenir solitude puis silence.
Entre Bartleby, the Scrivener et Un homme qui dort, un constat : en un siècle, le monde n’a pas changé, même si les vecteurs du pouvoir se sont affinés, précisés, et les itinéraires désirés de la fuite vers l’oubli ou dans l’absence ne sont plus certains. Les circuits empruntés semblent tous ramener vers cette Place Clichy, immense carrefour parcouru d’histoires différentes et aux mouvements si semblables, prosaïques et prévisibles, dans un désordre apparent. Différente et conforme, la radicalité de Bartleby demeure pour l’homme qui dort un concept énigmatique, inaccessible, peut-être parce qu’il lui fallait la densité de l’échec littéraire de Melville pour l’habiter, pour « meubler » son intériorité et sa puissance interpellatrice. Un homme qui dort reconnaît pourtant son précurseur, il s’en nourrit. Bien que Perec écrive ici son deuxième livre, après le succès de Les choses[20], il lui manque justement d’avoir connu la densité de l’échec, la sensation brûlante de la condamnation et du rejet que ressentait Melville pour que son personnage complète ou même reprenne à son compte les dimensions spirituelles tournées vers l’absolu d’un destin bartlebien.
C’est cette amplification de l’abandon à soi-même jusqu’à l’abandon de soi-même que raconte la construction de Un homme qui dort. Pour Perec, le désir d’absence est inscrit dans la multitude anonyme et le nivelage du monde moderne. Elle atteint ou blesse chaque individu comme une cible. L’homme qui dort n’est que la parabole de cette fragmentation et son essence intime et sa puissance possèdent une histoire qui dérive dans la littérature depuis longtemps.
Paraboles de la vie éveillée qui n’est que sommeil menaçant sans cause ni signification, pour Un homme qui dort comme pour Bartleby the Scrivener, le sens s’est brisé. Cette constatation, Melville l’avait déjà faite avant Perec. Mais Bartleby est allé jusqu’au bout de son itinéraire, son désir d’absence ne pouvait être comblé par rien de connu dans le monde d’ici-bas : il meurt victime ou vainqueur mais maître de son refus. Installé dans un refus inapaisable rendant impossible tout hypothétique recommencement, Bartleby n’a peur ni de lui-même, ni des autres, et cette qualité de résolution est sans doute la ligne de crête de l’extraordinaire différence entre les deux récits. Bartleby est au-delà de la peur. Son absence de peur ouvre sur la vérité cristalline d’un consentement absolu et parfaitement logique à son exigence de pureté, à l’acceptation tranquille, silencieuse, de sa mort. Sa mort ne le déforme en rien, elle le restitue au contraire dans la plénitude de son refus. De cette façon, sans se dissimuler en rien, Bartleby révèle son humanité. Il use de son désir d’absolu et révèle la faiblesse intrinsèque de sa sensibilité éperdue au monde. Cette sensibilité attestée démontre une ascension attentive jusqu’au centre vital d’une condition humaine retrouvée, en elle git sa force et la mélancolie d’une communication véritable. L’exil ou l’écart de Bartleby porte atteinte à la facticité de l’identité, à la fausse unité de la personne. Il est le constat de l’impossible communication authentique et sincère, mais il permet aussi de lire cette humanité, sa fragilité ébranlée, son absence de condamnation des autres. Ce double mouvement de refus et d’espérance devient lisible, il affirme sa permanence dans le commentaire, de plus en plus humanisé au fil du récit, de l’avoué envers son employé. Bartleby construit les détails généreux de son impact dans l’espace de son refus. Au contraire d’une exclusion d’un monde dont l’ampleur ne permet plus au sujet de s’exprimer en tant que tel, il s’est approché de lui-même et a accédé en toute conscience à son destin, même si celui-ci passe par le libre choix de mourir pour affirmer son refus et son désir d’absence. Il est vrai qu’on a pu lire un peu de la portée du sacrifice dans la mort de Bartleby, mais est-ce que cette part sacrificielle n’est pas annulée par l’affirmation de sa souveraineté ? Son refus est une mise en danger mais, déserter est déjà aux yeux de la société une marque de sédition. D’ailleurs, la société ne s’y trompe pas, elle le menace et l’emprisonne immédiatement. Bartleby lie alors sa vie à ses refus, il n’est sous la dépendance de rien, il ne soulève pas la question du sacrifice pour expier quoi que ce soit. Au contraire il s’échappe de cette idée qui serait encore une soumission à quelque chose d’extérieur, en prenant soudainement conscience de sa liberté totale grâce à son refus.
Un homme qui dort, quant à lui, a encore valeur de témoin, ce que Bartleby refuse. Il observe ses contemporains et réalise qu’il a peur, et qu’il attend. Il n’est plus « l’inaccessible, le limpide, le transparent[21] » mais « destin même du monde moderne[22] ». Coincé sur un trottoir, à l’affût des autres, ramené vers une possible conversion de ses désirs d’absence, réduit à une présence vide où l’errance est devenue un minuscule fragment du monde, l’homme qui dort est un détail détaché à moitié du monde, il est au bord de la totalité perdue mais garde quand même un pied ailleurs. Il a vécu la conscience de la perte mais pas encore la tentation de l’accélérer, plutôt un estompage partiel, peut-être même raté. Il rejoint ce qu’il pressentait en lui depuis le début : le vide était déjà en lui, tous les itinéraires tournaient autour de lui. Mais lui n’entend pas se sacrifier : il hésite entre l’attente et l’indifférence.
Un homme qui dort semble encore, dans le goût de la performance littéraire, un catalogue de possibilités scripturales, de réécritures et de détournements, une table littéraire ouverte qui épuise les hypothèses du déplacement ou de l’écart au coeur de la littérature, sans jamais la condamner. Le personnage est semblable au roman, son irréalité bute sur une limite, celle de son accomplissement qui reste suspendue par la technique du récit au procédé littéraire du collage ou de l’emprunt. Suspension novatrice qui ouvre le récit mais désavoue la richesse et la radicalité des emprunts initiaux à Melville et Kafka autrement plus exigeants. La logique structurelle de Un homme qui dort oriente vers d’autres élans, littéraires, narratifs, une autre dévoration que celle de Bartleby.
Après Un homme qui dort, la figure est appelée à demeurer encore active puisqu’elle n’est pas épuisée. La caractérisation psychologique que Perec a apportée à L’homme qui dort ne reprend que la nostalgie de Bartleby, non la puissance subversive et le mal inexorable de l’échec de la littérature et de l’écrivain rongeant le coeur de Melville. La « folie » du scribe mais aussi la souffrance de Melville qui constituaient les deux pôles du parcours vers la négation de Bartleby, sortent étouffés, absorbés, amortis par la structure de collage. Cet affaiblissement nous semble dû au fait que Perec a laissé le collage et l’harmonisation des fragments poursuivre une unification littéraire qui tourne de plus en plus rapidement sur elle-même, laissant les tensions de Bartleby intactes mais hors d’atteinte.
L’extension de la figure de Bartleby dessinée dans Un homme qui dort, l’impulsion donnée aux thèmes qui le constitue (refus, silence, absence), sa présence obsédante dans la littérature, la tentation d’un jeu de renvois hors littérature, la possibilité d’une extension de la fiction à la réalité, des personnages aux auteurs, qu’illustre le travail de Perec complète admirablement le travail de recensement de Vila-Matas.
Parties annexes
Note biographique
Patrick Tillard effectue un stage postdoctoral CRSH à l’Université de Montréal.
Il travaille sur les archives de l’écrivain André Beaudet (CRILCQ / UDM) et sur les signes de la négation dans la littérature québécoise. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et d’articles, dont De Bartleby aux écrivains négatifs : une approche de la négation en littérature, Montréal, Le Quartanier, 2011 ; « La mort de Fernando Pessoa », Les meilleurs d’XYZ depuis un quart de siècle. Numéro 101, 2010 ; Fictions et images du 11 septembre 2001, Bertrand Gervais et Patrick Tillard (dir.), numéro 24, FIGURA / UQAM, avril 2010 ; « Image et subversion : une photo ciselée de Guy G. Debord », La licorne, « Portraits biographiques », Université de Poitiers, no 84 (2009).
Notes
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[1]
Ce texte est une version remaniée d’une partie du chapitre 2 (« Un exemple d’utilisation et de réécriture de Bartleby ») de mon ouvrage De Bartleby aux écrivains négatifs, Montréal, Le Quartanier, 2011, p. 102 et suivantes.
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[2]
Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie, Paris, Christian Bourgois, 2002 [2000] (trad. Éric Beaumatin).
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[3]
W. F. Hegel, Préface à la phénoménologie de l’esprit, traduction de Jean Hyppolite, 1966, p. 141.
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[4]
« La consommation spectaculaire qui conserve l’ancienne culture congelée, y compris la répétition récupérée de ses manifestations négatives, devient ouvertement dans son secteur culturel ce qu’elle est implicitement dans sa totalité : la communication de l’incommunicable. La destruction extrême du langage peut s’y trouver platement reconnue comme une valeur positive officielle, car il s’agit d’afficher une réconciliation avec l’état dominant des choses, dans lequel toute communication est joyeusement proclamée absente. La vérité critique de cette destruction en tant que vie réelle de la poésie et de l’art modernes est évidemment cachée, car le spectacle, qui a la fonction de faire oublier l’histoire dans la culture, applique dans la pseudo-nouveauté de ses moyens modernistes la stratégie même qui le constitue en profondeur. Ainsi peut se donner pour nouvelle une école de néo-littérature, qui simplement admet qu’elle contemple l’écrit pour lui-même » (Guy Debord, La société du spectacle, 1996, p. 186).
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[5]
Ibid., p. 207.
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[6]
Claudio Magris, Alphabets, 2012, p. 382.
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[7]
Parmi les nombreuses autres revendications de Perec dans ses déclarations publiques et ses correspondances que nous rencontrerons par la suite, celle-ci : « […] j’ai appelé à mon secours, mais souvent en les déformant, une bonne demi-douzaine d’auteurs, parmi lesquels Melville, Dante, Joyce, etc., le plus miraculeux étant que cela ne se remarque pas » (cité par David Bellos, Georges Perec, une vie dans les mots, 1994, p. 382).
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[8]
Georges Perec, Un homme qui dort, 1998 [1967].
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[9]
Georges Perec, « Le bonheur est un processus… on ne peut pas s’arrêter d’être heureux » (propos recueillis par Marcel Bénabou et Bruno Marcenac), 1965, p. 15.
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[10]
« À Denise Getzler, professeur d’anglais et traductrice qui avait eu avec lui plusieurs conversations sur Herman Melville, Georges Perec avait envoyé, avec une courte lettre, sept feuillets dactylographiés » (texte d’introduction à « Une lettre inédite » de George Perec, Littératures, no 7 (1983), p. 61).
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[11]
Ibid., p. 65.
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[12]
Ibid., p. 66.
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[13]
Terminons cet inventaire des thèmes de Bartleby par cette belle phrase de Perec qui clôt la lettre adressée à Denise Getzler : « Mais le lien de notre commune humanité me jeta dans la consternation… » (ibid., p. 67).
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[14]
Georges Perec, « Emprunts à Flaubert », L’Arc, no 79 (1980), p. 61.
-
[15]
Georges Perec, « Pouvoirs et limites du romancier français contemporain » (conférence prononcée à Warwick le 5 mai 1967), dans Mireille Ribière (dir.), Parcours Perec, [travaux du] Colloque de Londres (mars 1988), 1990, p. 36-37.
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[16]
« Mais nulle errante Rachel ne t’a recueilli sur l’épave miraculeusement préservée du Péquod pour qu’à ton tour, autre orphelin, tu viennes témoigner » (Georges Perec, L’homme qui dort, op. cit., p. 135). La référence à Moby Dick, à l’épave, à l’orphelin n’est pas sans signification chez Georges Perec, lui-même orphelin.
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[17]
Ibid., p. 92.
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[18]
Ibid., p. 93.
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[19]
Ibid., p. 132.
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[20]
Georges Perec, Les choses, Paris, Union générale d’édition, 2005 [1965].
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[21]
Georges Perec, Un homme qui dort, op. cit.. p. 138.
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[22]
Maurice Blanchot, L’espace littéraire, 1973 [1955], p. 177.
Références
- Bellos, David, Georges Perec, une vie dans les mots, Paris, Éditions du Seuil, 1994.
- Blanchot, Maurice, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1973 [1955].
- Debord, Guy, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1996.
- Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Préface à la phénoménologie de l’esprit, Paris, Aubier-Montaigne (La philosophie en poche), 1966 (trad. Jean Hyppolite).
- Magris, Claudio, Alphabets, Paris, Gallimard (L’arpenteur), 2012 [2008] (trad. Jean et Marie-Noëlle Pastureau).
- Perec, Georges, « Le bonheur est un processus… on ne peut pas s’arrêter d’être heureux » (propos recueillis par Marcel Bénabou et Bruno Marcenac), Les lettres françaises, no 1108 (2 décembre 1965), p. 14-15.
- Perec, Georges, « Emprunts à Flaubert », L’Arc, no 79 (1980), p. 49-50.
- Perec, Georges, Un homme qui dort, Paris, Denoël, 1998 [1967].
- Perec, Georges, « Une lettre inédite », Littératures, vol. 7 (1983), p. 61-67.
- Perec, Georges, « Pouvoirs et limites du romancier français contemporain » (conférence prononcée à Warwick le 5 mai 1967), dans Mireille Ribière (dir.), Parcours Perec, [travaux du] Colloque de Londres (mars 1988), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990, p. 31-47.