Résumés
Résumé
Au moment où l’entretien radiophonique devient un « genre » alliant médiatisation de l’écrivain et sacralisation des trajectoires, Louis-Ferdinand Céline procède à sa fictionnalisation dans les Entretiens avec le professeur Y. Or, comme nous le verrons, Céline assume le « travail paratextuel » de mise en marché de soi, inhérent à l’entrevue, mais en renverse les principes en adoptant la posture du clown violent, en plus d’exhiber avec force le labeur propre à l’écriture de l’oral (là où l’entretien radiophonique est plutôt un commentaire oral sur la littérature).
Abstract
Between 1945 and 1955, the serialisation of radio literary interviews made them a crucial genre in the mediatisation of literary figures and the crowning of their career. With his Entretiens avec le Professeur Y, published in 1954 and 1955, Louis-Ferdinand Céline used the genre but gave it a peculiar twist through fiction. Even while assuming the “paratextual work” of self-promotion, implicit in the interview, he subverted its logic by posing as a violent clown and making a manifesto of the genre on the “textualisation of orality”.
Corps de l’article
À cinquante ans de distance, deux auteurs volontiers campés dans une féroce intransigeance emploient une même formule pour désavouer leur image médiatique et manifester leur aménité : « jouer le jeu ». Sous la plume du plus contemporain des deux, l’expression surgit dans une nouvelle sur l’obtention du prix de Flore[1]. Sur le mode autobiographique, Michel Houellebecq y raconte comment, à de multiples reprises, les acteurs du milieu littéraire ont redouté ses apparitions sur la scène publique. De Jean Ristat, du prix Tristan-Tzara, qui craint qu’il ne refuse le prix, à un organisateur de colloque à qui on a dit « Houellebecq… bonne idée… […] mais il faut faire gaffe… éviter qu’il ne se déshabille en public[2] », tous anticipent le pire, ce qui conduit Houellebecq à rectifier son image :
Établissons les choses avec clarté. […] j’ai bavardé [à la télévision], […] je me suis prêté avec bonne humeur au jeu des signatures et des dédicaces. Je n’ai jamais insulté un photographe. […] De quoi me soupçonne-t-on ? J’accepte les distinctions, les honneurs, les récompenses. Je joue le jeu. Je suis normal. Écrivain normal[3].
Dans les Entretiens avec le professeur Y[4], Louis-Ferdinand Céline se montre lui aussi prêt à assumer publiquement le rôle de l’auteur. Toutefois, la revendication d’une singularité exceptionnelle — « [c’est] moi […] le seul écrivain du siècle[5] » — rend difficile toute prétention à la « normalité » de sa part ; de même, l’emploi constant des guillemets met à distance la formule « jouer le jeu » et la rattache à celui qui impose cette loi, dans les Entretiens, Gaston Gallimard[6]. Ainsi, là où Houellebecq prétend adhérer sans réserve au personnage social d’écrivain et construit comme une douce apothéose la découverte de son statut de « star », Céline souligne plutôt qu’il ne s’y plie qu’à son corps défendant, pour « sortir de [son] effacement[7] ».
Par delà ces différences, tous deux se rejoignent dans leur lecture des scénarios inhérents au « jeu littéraire ». Se prétendant novice en la matière, Céline montre le « scientifique » en lui, curieux de « prospecte[r] les abords de ce “jouer le jeu”[8] », ce qui lui permet d’expliquer au lecteur que cela signifie d’abord « passer à la Radio… toutes affaires cessantes !… d’aller y bafouiller ! tant pis ! n’importe quoi !… mais d’y faire bien épeler son nom cent fois[9] », puis qu’il faut se faire filmer, interviewer et photographier, pour « que ça repasse dans cent journaux !… encore !… et encore[10] !… ». Présenté comme antérieur et extérieur aux parcours et stratégies individuels des auteurs ou éditeurs, comme un ensemble de règles implicites et d’activités prédéterminées, ce jeu ne repose pas sur un travail du texte, n’implique l’écrivain que comme « auteur », personnage ayant livré un texte au public. Tout comme chez Houellebecq, il s’agit essentiellement d’un travail de promotion postérieur à l’écriture et à la publication, d’une sorte de service après-vente, comme l’indique Bertrand Legendre[11]. En un mot, « jouer le jeu » revient à accomplir un travail paratextuel où sont simultanément médiatisés texte et auteur.
Quelles sont, selon les époques, les diverses facettes de ce travail au nom du texte, ses ressorts médiatiques, les genres qu’il emprunte ? Comment ressources éditoriales et dispositions auctoriales, quatrièmes de couverture et entrevues, publicités et photographies, parviennent-elles à se concilier ou en viennent-elles à différer ? Qui a la charge, économique, sociale et symbolique, de défendre l’oeuvre, de parler pour elle ? Quelle médiation, par rapport au texte ou à l’auteur, ce travail de médiatisation crée-t-il[12] ? Cette dernière question est particulièrement importante, dans le cas de Céline, car les Entretiens avec le professeur Y ne font pas qu’aborder le phénomène de la médiatisation comme objet de discours, ils le mettent en scène, le livrent à la fiction et le relient au travail du texte. Comme je tenterai de le montrer, le fil d’Ariane qui conduit, à travers bien des méandres et des contradictions, du « jeu » médiatique à l’exhibition de l’écriture, permet de voir comment Céline construit son image d’écrivain dans la confrontation hostile avec les personnages de l’éditeur, de l’intervieweur et, ultimement, du lecteur.
Le « clown » et la publicité hostile
Série de cinq articles publiés dans La nouvelle nouvelle revue française, en 1954 et 1955[13], puis repris en volume, les Entretiens avec le professeur Y mettent en scène un Céline « persécuté[14] », « copié[15] », « volé », « épuré[16] », étiqueté « traître, génocide, homme des neiges[17] », un génie maudit en somme, écrasé par le silence. Pour en sortir, il se décide à se livrer au « grand jeu » de « l’interviouwe[18] » et se choisit, à défaut d’un Jean Paulhan oscillant entre le surmenage et les vacances, un interviouweur « hostile… sournois et méfiant[19] », le Professeur Y. Après un court prologue, le texte prend ainsi la forme d’une longue entrevue entre les deux personnages, jusqu’au délire ultime du professeur et au récit du parcours mouvementé des deux comparses à travers Paris, du square des Arts-et-Métiers au siège de la revue, 5 rue Sébastien-Bottin.
Céline l’écrivain met donc en scène Céline l’auteur dans le rôle de l’interviewé, rôle largement institutionnalisé, alors, dans les pratiques médiatiques et les mécanismes de légitimation[20], mais susceptible de nombreuses modalités. Or, une des particularités des Entretiens avec le professeur Y consiste dans le renversement de la dynamique de l’entrevue. Tout en exprimant sa réticence pour l’exercice de « relations publiques », Céline se lance lui-même dans la quête d’intervieweurs, sollicite d’abord Paulhan, « puis deux !… puis trois !… puis dix [candidats] !… qu’étaient très capables… et qui voulaient bien[21] », mais se bute sur une exigence étonnante de la part de gens censés recueillir, eux, ses paroles à lui : « [ils] posaient une condition : que je les mouille pas ! … que je les cite pas ! Ils acceptaient, mais “anonymes”[22] ». Fui plutôt que recherché, contrairement aux personnalités médiatiques habituelles, le futur interviewé se voit doté au détour d’une phrase de la fonction essentielle de l’intervieweur, celle du contrôle de la parole, du pouvoir de citer l’autre. Une rapide correction, au paragraphe précédent, annonçait déjà cette confusion des rôles : « Paulhan, si on s’interviouwait ?… plutôt si vous m’interviouwiez[23] ! »
Ce retournement institutionnel et énonciatif où l’interviewé se cherche un intervieweur et s’arroge ses prérogatives essentielles se concrétise dans la relation entre Céline et le professeur Y. Une fois les protagonistes réunis au square des Arts-et-Métiers, l’entretien tarde à se mettre en branle : « je m’attendais à ce qu’il me questionne… c’était convenu… non ! rien du tout[24] !… », se désole Céline, qui passe alors à l’attaque : « Vous êtes joliment peu aimable ! Monsieur le Professeur Y ! […] On est là pour un interviouwe ! […] Comment voulez-vous que je pérore, comment voulez-vous que je “joue le jeu”, si vous ne posez aucune question[25] » ? Après quelques autres gentilles invitations, le professeur Y se hasarde en guise de première question à proposer « un petit débat philosophique […] un débat, mettons, par exemple, sur les mutations du progrès par les transformations du “soi” [26] ? », ce qui lui vaut un refus radical de Céline qui déclare : « j’ai pas d’idées moi ! aucune ! » et précise « je vous le déclare : je suis hostile[27] ».
Dès la première question du professeur Y, immédiatement invalidée, la dynamique de l’entretien est établie : Céline sera le meneur de jeu, contrôlant l’échange de paroles et le choix des sujets, sous le signe de l’hostilité. Aux injures et reproches de l’écrivain à l’interviouweur — « vous êtes tellement abruti[28] », « vous êtes obtus[29] », « vous êtes ramolli, un véritable clancul[30] », « vous sabotez l’interviouve[31] » — répondent les commentaires malveillants du professeur : « vous êtes grotesque de prétention[32] », « vous rabachez, Monsieur Céline[33] ! », « vous êtes d’une vanité de paon[34] », « vous êtes qu’un vieillard scléreux, rabacheur, aigri, prétentieux, fini[35] ». Aussi Céline peut-il légitimement déclarer au professeur Y que leurs entretiens ne correspondent guère au modèle dominant :
implorant que vous devez être !… vous devez adorer mes paroles !… et vous adorez rien du tout !… […] les autres, les écrivains qu’on aime, sont suppliés, révérés ! Chaque mot qui leur sort !…. même leurs silences sont révérés ! leurs interviouweurs sont pâmants[36] !
Notons en passant que la mise en scène de l’« interview féroce ! […] face aux fauves[37] ! » revient dans les romans ultérieurs de Céline, en particulier dans le prologue de Rigodon, où les intervieweurs se révèlent tous, en fait, des « insulteur[s][38] ».
La représentation que Céline donne de lui-même dans ces entretiens est ainsi celle d’un écrivain contraint d’accomplir lui-même la promotion et la légitimation de son oeuvre, de prendre en charge tous les aspects du travail paratextuel, dans un climat général d’hostilité. Certes, il y a là-dessous des aspects institutionnels liés à la position de Céline dans le champ littéraire de l’après-guerre et à l’échec de sa rentrée chez Gallimard, celui d’un écrivain placé sur la liste noire du C.N.E., en exil à Sigmaringen, puis au Danemark, bref d’un véritable hors-la-loi du monde littéraire[39], dont la rentrée en France et sur la scène littéraire, en 1951, signalée par le passage chez Gallimard, est marquée du sceau de l’échec, tant commercial que critique[40]. On peut donc voir, dans l’auto-représentation en écrivain solitaire, isolé, persécuté, précisément parce que génial, une réaction à cette situation littéraire, un retournement de l’opprobre et du désintérêt en manifestation de singularité conforme au mythe de l’écrivain maudit ; toutefois, cela ne va pas sans ironie, chez Céline, puisque les premières pages des Entretiens s’élèvent précisément contre ce mythe et l’idée qu’« il convient que l’artiste souffre ! Et pas qu’un peu ! […] puisqu’il n’enfante que dans la douleur[41] ! », de sorte que selon « M. Socle », « la véritable vie du véritable artiste n’est qu’un long ou court jeu de cache-cache avec la prison[42] ». Ce ne serait pas là la première contradiction célinienne, puisque, comme le soulignait Marie-Christine Bellosta, l’art de Céline carbure à la contradiction[43]. On peut par ailleurs se demander si la relation entre la topique de la persécution et la contre-attaque violente, centrale à la variante célinienne du mythe, ne constitue pas une métamorphose de la justification exprimée dans les pamphlets. D’une solitude haineuse à l’autre, il y aurait une continuité méritant d’autant plus l’analyse que le moteur initial de l’antisémitisme, dans la mise en scène qu’en donne Bagatelles pour un massacre, est celui de la rivalité littéraire.
La force des contraintes exercées par l’état du champ littéraire sur la « fortune » économique et symbolique de Céline est telle qu’une lecture des Entretiens ne saurait négliger cette détermination. Toutefois, il faut se garder de réduire le texte à une simple « effet de champ » pour analyser plus finement la dialectique entre déterminismes sociaux et travail textuel, et tenir compte des diverses formes de médiation entre ces deux plans. Ainsi, il faut noter, en premier lieu, que le rapport que Céline entretient avec sa position dans le champ se joue sur diverses scènes discursives, dont celle des lettres à son éditeur, celle de l’effort de publicité et de critique déployé à son sujet et au sujet des autres auteurs de la maison dans Lanouvelle nouvelle revue française, et plus largement, celle de la réception de ses oeuvres d’après-guerre. On peut observer à cet égard que l’auto-représentation célinienne déployée dans les Entretiens est d’abord esquissée dans les Lettres à la NRF, où elle se fonde sur une lecture de la critique contemporaine. Par ailleurs, il est possible de voir, dans les Entretiens, un texte où Céline élabore une nouvelle version de sa posture d’auteur, pour reprendre à Jérôme Meizoz cette notion sur laquelle nous reviendrons[44].
Dans cette optique, l’hostilité omniprésente dans les Entretiens ne tient pas seulement à l’échec de la rentrée de Céline chez Gallimard et dans le champ littéraire français, après 1951, mais tient aussi à des traits textuels, dont la propension à la caricature. Cette violence célinienne peut aisément être lue sous le signe de l’humour, comme le montre le compte rendu, par Gide, des Bagatelles pour un massacre[45] ; sur ce plan non plus, par conséquent, les Entretiens ne sont pas exceptionnels au sein du corpus célinien. Toutefois, contrairement aux pamphlets, où l’humour constitue en quelque sorte un effet pervers de l’outrance plutôt qu’un objectif explicite, la violence verbale est ici textuellement associée au rire. « Je fais le clown[46] », lance ainsi le personnage de Céline au professeur Y, exploitant une des figures courantes de l’autodérision littéraire, comme l’a montré Claude Abastado[47]. Dans la même veine, le narrateur explique son hostilité envers l’interviewer par une stratégie de l’effet comique : « je lui dis tout ce que je trouve de méchant !… […] qu’on se boxe si on s’interviouwe pas !… je raconterai le tout à Gaston ! Il se marrera !… il m’avancera une brique de mieux[48] !… » Comment dire plus clairement que la mise en scène de l’hostilité plaît au lecteur, qu’il y a une stratégie du clown violent dans l’auto-représentation célinienne ? « Le lecteur veut rire et c’est tout », résume le narrateur dans D’un château l’autre[49].
Cela dit, la complicité avec Gaston affichée dans ce passage n’est pas caractéristique des Entretiens. L’image de l’éditeur dominant ce texte correspond bien davantage aux clichés habituels, celui de l’homme riche qui pense « coffre[50] », qui ne lit rien[51], préférant confier cette tâche à son comité de lecture. Ce portrait vaut en fait pour l’ensemble de la N.R.F., peuplée de gens constamment partis en vacances[52], qui dorment, ronflent, se baladent « à la campagne, en ville, dans le monde, en croisière[53] », mais ne « font rien[54] », pendant que les « crève-la-faim » travaillent. Cette dichotomie nettement populiste, voire poujadiste, sera reprise et développée dans les romans ultérieurs de Céline, avec plus de hargne encore contre Gallimard et Paulhan. D’un côté se trouvent Gaston, « l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con » et les éditeurs, « macs tous ! », « banc de squales ! […] tout gorgés du sang des scribouilleurs ! », de l’autre, Céline et les « malade[s] travailleur[s][55] ». Ceci range Céline du côté des ouvriers les plus misérables, voire plus bas encore : « Moi, je serai toujours bien inférieur question forfait ou “à la pièce” à Julien Labase manoeuvre-balai… forçat de choc[56] ». À cet égard, comme pour la représentation des relations avec les journalistes, les Entretiens correspondent à une phase de mise au point d’un discours désormais invariable, résumé par l’exclamation suivante : « au turf ?… personne ! Moi ! à moi la cuisine ! Moi, le boulot[57] ! ».
Dans la longue série des métaphores associant l’écrivain à la figure de la prostituée et des complaintes contre la mentalité honteusement commerciale des éditeurs[58], croquer l’éditeur en maquereau ne se démarque guère par son originalité, bien qu’il soit plus rare que l’on fasse un portrait-charge d’un éditeur aisément identifiable dans des romans et presque inconcevable de trouver la caricature d’un éditeur dans un roman publié dans sa propre maison. Toutefois, dans le contexte des Entretiens, celui de la promotion, s’y glisse une critique relativement lucide d’une des conséquences du système des entrevues, à savoir le transfert partiel sur l’auteur des tâches relevant des services de presse et de publicité des maisons d’édition : un éditeur signalait d’ailleurs le bonheur que représentent les écrivains qui, dans les entrevues, sont « auto-vendeurs[59] ». Le commentaire de Céline au professeur Y — « c’est pour Gaston que nous travaillons[60] » — s’avère sous cet angle assez incisif. L’écrivain qui accepte de « jouer le jeu » ne fait pas qu’oeuvrer à l’amélioration de son capital symbolique et économique, il travaille aussi à la fortune de son éditeur ; il travaille même à sa place, dans la perspective de Céline.
L’écrivain et la machine à laver
La posture de l’écrivain exploité par son éditeur s’appuie, chez Céline, sur un autoportrait de l’écrivain en travailleur manuel. À l’association, relativement étonnante, avec le manoeuvre-balai, accomplie dans D’un château l’autre, répond, dans les Entretiens, celle avec la femme de ménage : « Il publiera votre interviouve, [Paulhan], vous croyez ? — Diantre, s’il en veut pas, il le foutera en l’air ! — Et si il le passe ? — Il le payera trois mille francs la page !… il paye sa femme de ménage, à labeur égal, bien davantage[61] ! ». Écrire, en somme, dans les Entretiens, est un labeur, l’écrivain un ouvrier méritant salaire, mais plus mal payé encore qu’une femme de ménage.
Une telle exhibition du caractère économique de l’activité littéraire rompt avec la dénégation inhérente au fonctionnement du champ littéraire. Céline n’hésitera pas, dans les Entretiens, comme dans les entrevues réelles ou dans ses romans, à exploiter le capital de scandale inhérent à une telle position. Il rétorque à Madeleine Chapsal de L’Express, qui avance « peut-être qu’écrire est un besoin » : « Oui, mais sous la dépendance de la machine à laver », puis précise qu’il a écrit le Voyage pour se « payer un appartement[62] ». Il lance à Pierre Descargues : « J’ai toujours écrit pour me faire un peu d’argent[63] » ; confesse à Louis-Albert Zbinden, demandant « pour quelles raisons est-ce que vous avez fait paraître ce nouvel ouvrage ? » : « Dame, évidemment, c’est surtout […] pour des raisons économiques[64] » ; et va, dans sa lancée, jusqu’à ramener dans une entrevue avec André Parinaud l’activité littéraire à la quête d’une resquille : « Je cherche toujours la combine qui me permettrait de gagner les 20 000 ou 30 000 francs qui en plus de ma retraite […] me permettraient de vivre[65] ». Hélas, ajoute-t-il, « c’est mon éditeur qui va s’engraisser. Ce salaud[66] ! ». Rappelons que Céline avait obtenu bien plus que cela, à la signature de son contrat avec Gallimard, en 1951, puisque l’avance était de 5 millions de francs[67]… La représentation de l’écrivain âpre au gain parce que misérable se heurta, d’ailleurs, avec Parinaud, à une confrontation brutale avec la réalité économique, quand l’interviewer objecta : « Mais il vous a déjà avancé des millions et avec ce livre vous a fait une rente ». Sans dévier de son refrain, Céline répliqua : « [ç]a ne m’empêche pas de manger des nouilles et de boire de l’eau[68] ».
Ici et là, dans des entrevues avant la guerre, Céline avait glissé ce topos désacralisant[69], mais il ne l’exploite systématiquement qu’après 1951 et le retour d’exil. Cette nouvelle facette de l’écrivain greffe à l’image du misérable persécuté celle du vieux roué littéraire, dans une surcharge volontaire de l’infamie et de l’impureté. « Je me suis roulé dans ma fange de vieux cochon », dit-il d’ailleurs à propos de l’entrevue avec L’Express[70], faisant écho à la formule du « “je” à la merde[71] » des Entretiens. En plus de mettre dos à dos écrivains engagés et écrivains esthétisants, ce discours correspond parfaitement au mouvement de dévoilement des intérêts mesquins, d’exhibition des pulsions, qui anime toute l’oeuvre de Céline, depuis le Voyage en passant par les pamphlets, mouvement qui n’épargne jamais le personnage-narrateur, pas plus dans le Voyage que dans les Entretiens avec le professeur Y[72].
Les considérations pécuniaires sont malgré tout relativement mineures dans la représentation générale de l’écrivain en travailleur, probablement à cause de la difficulté de concilier cet axe discursif avec le rétablissement du capital symbolique. Comment, en effet, éviter que l’aveu d’avidité capitaliste ne ruine la valeur de l’oeuvre ? Pour que l’écrivain-ouvrier ne se réduise pas uniquement à un cynisme économique brutal, Céline emprunte deux pistes, dans les Entretiens. La première passe par la figure de l’inventeur, qui complète celle du travailleur et lui donne un vernis de révolution technique irréfutable, même si la portée de cette révolution oscille entre la référence à Lavoisier, d’un côté, et l’évocation du bouton de col à bascule, de l’autre. On peut à ce propos se demander si le sort fait, dans l’oeuvre célinienne, à la dualité professionnelle de l’auteur ne place pas la « vocation » médicale bien au-dessus de la littérature.
Toutefois, la voie royale de l’autolégitimation célinienne repose sur l’association entre le travailleur et le styliste. Le long commentaire sur son écriture que Céline développe dans les Entretiens a depuis longtemps attiré les céliniens, qui en ont fait la quintessence de son art poétique. Il faut reconnaître, en effet, qu’avec la mise en valeur du « petit truc » de l’expression de « l’émotion du “parlé” à travers l’écrit[73] » et la métaphore révélatrice du « bâton brisé » Céline soulignait à bon droit l’importance de son rôle dans l’oralisation de la narration. On a peu relevé, cependant, que la défense du style, dans les Entretiens, reposait sur un recours systématique au lexique de l’effort. « C’est pas qu’un petit turbin je vous jure[74] », annonce d’emblée Céline, « c’est une fatigue à pas croire le roman “rendu émotif”[75] », cela ne s’atteint « qu’au prix de patiences infinies[76] », avec « énormément de peine […] mille patiences », « des années de tapin acharné, bien austère, bien monacal[77] ». Il n’est pas jusqu’à la métaphore du métro émotif qui n’insiste sur le labeur inhérent aux rails biseautés, ouvragés au poil de micron. La double nécessité de la sueur et du salaire place l’écriture sous l’enseigne conjointe de l’émotion et de la technicité, des « Arts et métiers », comme le laisse entrevoir le nom du square servant de cadre fictif aux Entretiens.
Il importe, ici, de dépasser ce qui semble à première vue une opposition binaire entre le styliste acharné et les écrivains à idées, pour souligner que l’auto-représentation de Céline joue sur au moins deux tableaux. Le déni des « idéaas » se comprend aisément, dans la situation où se trouve Céline, celle d’un écrivain honni pour ses positions idéologiques antérieures, au sein d’un champ dominé par le primat de l’engagement politique[78]. En revanche, la convergence entre la figure du virtuose du style qui peaufine ses textes, qui mise sur le langage et l’émotion brute, développée dans les Entretiens, et la position prise par Lanouvelle nouvelle revue française, celle d’un retour aux expérimentations esthétiques libres, alliance qui a permis le repêchage de Céline accompli par Paulhan et Gallimard, s’aperçoit moins aisément. Or, Céline ne veut pas être « annexé » par Paulhan et LaNRF, dans son combat contre les logiques conjointes de l’épuration et de l’engagement ; aussi combat-il également sur ce front. La mise en évidence du cynisme économique, l’auto-représentation en scribouillard salarié misérable et méprisable affirme avec force la singularité de Céline, son extériorité à La NRF, parce qu’incompatible avec l’idéalisme littéraire de la « nénéref ». La figure de l’écrivain au travail, dans les Entretiens, opère ainsi, sous le signe de l’hostilité tous azimuts, une défense unifiée de la valeur économique et symbolique de l’oeuvre. Je suis « le seul écrivain du siècle[79] », payez-moi.
Mais il y a autre chose encore, dans le travail des Entretiens et sa représentation dans le même texte, dont l’examen permettra de boucler le cercle qui relie la représentation de l’écrivain à la représentation de sa médiatisation. Il faut souligner à cet égard l’étrangeté de la démarche « générique » adoptée par Céline pour défendre son oeuvre. Pourquoi, en effet, mettre en scène une entrevue fictive ? Le contexte médiatique y fut certainement pour beaucoup dans ce choix. « Genre relativement récent […] dont la popularisation coïncide avec la croissance des médias de masse[80] », l’interview devint une pratique journalistique commune, en France, à la fin du XIXe siècle, puis un élément majeur du processus de légitimation littéraire dans l’entre-deux-guerres avec la célèbre série « Une heure avec… » de Frédéric Lefèvre[81]. Comme le signalent Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, ce « développement du journalisme littéraire » a fortement contribué à transformer « l’écrivain en personnalité[82] ». Mais un nouveau pas fut franchi, selon Philippe Lejeune, avec le développement fulgurant des entretiens radiophoniques, au tournant des années cinquante : « de 1949 à 1953, environ vingt-trois séries de ce genre ont été enregistrées et diffusées[83] », conduisant pour plusieurs à une publication subséquente en volume. Comme le remarque Lejeune, les écrivains élus pour ces entretiens avaient l’essentiel de leur carrière derrière eux ; n’y figure en effet « aucun écrivain né après 1900[84] ». De par son âge, Céline aurait pu figurer aux côtés des Gide, Colette, Claudel et autres Cocteau ou Mauriac, mais il n’était pas comme eux un candidat à la consécration définitive. Du moins pas encore.
L’importance inédite des entretiens radiophoniques dans l’accession au panthéon littéraire a sans doute été d’autant plus remarquée par Céline que, comme l’indiquent Dauphin et Godard, ses « contacts avec la presse durant ces six premières années après le retour du Danemark restent sporadiques et limités[85] ». Qui plus est, plusieurs des séries d’entretiens sont diffusées dans les années allant de son retour en France à la mise en chantier des Entretiens, dans les premiers mois de 1954 : Paul Léautaud, Jean Cocteau, Paul Claudel, Michel de Ghelderode et Georges Duhamel sont interviewés en 1951 ; André Breton, Francis Carco, François Mauriac et Henry de Montherlant en 1952 ; Paulhan, Jean Giono, Paul Fort, la princesse de Bibesco et Julien Benda en 1953[86]. Devant cela, Céline ne peut que constater l’ampleur du « déficit médiatique » qui est le sien, dont la diffusion radiophonique est le symbole.
« Passer à la radio » constitue d’ailleurs la première manifestation concrète du « jeu » littéraire, brocardée dans les Entretiens. Mais, dans ce texte, Céline réalise, comme on l’a vu, une perversion du modèle des entretiens. D’une part, le personnage de l’écrivain prend le contrôle de la parole et pratique sa propre légitimation, monopolisant ainsi les fonctions dévolues à l’intervieweur. D’autre part, il fait de l’intervieweur un intermédiaire haineux et imbécile[87]. Ainsi, la représentation de la médiatisation, à partir d’une acceptation initiale du « jeu », signale en fait un refus très net de jouer le jeu. Ou plutôt, puisque le travail de publicité, de promotion de la valeur des textes, a lieu, malgré tout, par le biais d’un dialogue fictif, donc d’un monologue écrit, il s’agit d’un mouvement de refus de la médiation inhérente aux relais médiatiques, de rejet de la parole intermédiaire et de monstration d’une autre médiation, celle de l’écriture, laquelle a recours à la caricature, à l’outrance et à la fiction. Ainsi, mettre en scène un faux travail paratextuel accompli dans l’hostilité sert de prétexte au déploiement d’une autolégitimation agressive et mégalomaniaque, et conduit ultimement à l’exhibition de l’écriture. Un motif obsédant opère, tout au long des Entretiens, un effet de spécularité remarquable ; l’interpellation constante — « combien de pages » — adressée par Céline au professeur Y accomplit un retour sur soi de l’écriture, équivalent célinien du « j’écris Paludes » de Gide. Avec la crise de gâtisme du professeur Y, dans les dernières pages, cette mise en abyme prend plus nettement forme encore, Céline se résolvant à écrire l’entrevue, dans une boucle proustienne où le personnage annonce sa transformation rétrospective en auteur du texte que l’on est en train de lire : « je vais le fignoler moi l’interviouve ! […] putain d’interviouve[88] ! ».
En adoptant le genre par excellence de la médiatisation littéraire, celui de l’entrevue, pour le déconstruire et saper ses fondements grâce à la fiction, Céline réalise la fusion du travail paratextuel et du travail textuel[89]. Par la mise en évidence de la fabrication du personnage d’écrivain et par le dévoilement ironique, caricatural, de la figure du clown violent, les Entretiens opèrent, ce faisant, une critique ou, à tout le moins, une déconstruction de la mise en scène de soi inhérente à la médiatisation de l’écrivain. Et pourtant, il y a, malgré tout, une mise au point de l’image « définitive » de Céline, reprise ne varietur dans les textes ultérieurs. La fiction d’entrevue trace, en effet, la voie aux entrevues véritables. Quand, à partir de 1957, sous l’impulsion de Roger Nimier, chargé par Gallimard de défendre D’un château l’autre, les interviewers se pressent à Meudon, Céline n’hésitera pas à paraphraser le discours élaboré dans les Entretiens. Tout se passe ainsi comme si Céline adoptait, dans ses relations concrètes avec le monde littéraire et médiatique, une présentation de soi créée, d’abord, dans les Entretiens[90]. Rien de nouveau, à cet égard, dans sa trajectoire, puisque chez lui, « l’option littéraire précède et commande en quelque sorte le comportement social », comme le souligne Meizoz, qui trace un parallèle avec Houellebecq : « [ils] mettent en scène une posture discursive dans leurs romans, et la reproduisent à titre d’acte public, lorsqu’on les interpelle en tant qu’auteurs, brouillant ainsi la frontière entre auteur et narrateur[91] ». De Céline à Houellebecq, la médiatisation de la littérature s’est nettement accélérée, de sorte qu’on peut juger que le cas Houellebecq (dont il ne peut être question ici d’entamer l’analyse) est symptomatique d’un « nouvel état du champ littéraire contemporain[92] » dans lequel la mise en scène de soi comme auteur dans les médias est une étape cruciale et incontournable dans les trajectoires littéraires[93]. Par ailleurs, les textes de Céline jouent plus fortement que ceux de Houellebecq sur l’ambiguïté de leur statut autobiographique. La comparaison entre les deux n’a par conséquent qu’une valeur relative, heuristique. Quoi qu’il en soit, le travail d’élaboration posturale met en évidence, dans les deux cas, l’importance des médias et, plus spécifiquement, du paratexte dans l’auto-représentation, de même que le rôle primordial joué par les textes. Le personnage de l’auteur est une création textuelle explicite, chez eux, avant d’être reproduit dans les interactions médiatiques. Le « jeu » véritable, en définitive, est textuel. « Je » aussi, par voie de conséquence. Cependant, en se conformant, sur la scène publique, à ce personnage, Céline et Houellebecq brouillent la frontière entre fiction et authenticité, non sans un malin plaisir, paraphrasant ainsi Charles-Albert Cingria, qui écrivait : « Il est entendu que chaque fois que je dis “je”, je m’“autorise”[94]. » Je fais l’auteur, semblent-ils dire : je « joue » à être ce personnage que j’ai inventé.
Parties annexes
Note biographique
Michel Lacroix
Michel Lacroix est professeur au département de Lettres et communication sociale de l’UQTR. Ses recherches actuelles portent sur les réseaux intellectuels, les revues littéraires et les représentations de sociabilité.
Notes
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[1]
Michel Houellebecq, « Je suis normal. Écrivain normal », dans Des nouvelles du prix de Flore, 2004. Il s’agit là d’un exercice d’écriture auquel furent astreints tous les récipiendaires du prix, de 1994 à 2003. Comme l’explique Frédéric Beigbeder, fondateur du prix, à Ravalec, dans la « Préface autosatisfaite » du recueil : « le Café de Flore offre six mille euros et un verre de pouilly fumé quotidien à chaque lauréat pendant un an. Depuis dix ans, nous avons exigé en échange que les auteurs primés rédigent une nouvelle sur le Prix de Flore » (Frédéric Beigbeder, « Préface autosatisfaite », Des nouvelles du prix de Flore, op. cit., p. 23). Cet exercice d’autolégitimation collective par lequel les auteurs légitiment le jury qui les a consacrés en lui consacrant une nouvelle constitue une première dans l’histoire des prix. Tard venu sur la scène encombrée des récompenses littéraires — Bertrand Labès en dénombre 1336 dans son Guide Cartier 2000 des prix et concours littéraires, Paris, Le Cherche Midi, 1999 — le prix de Flore est contraint à une surenchère médiatique dont le recueil est l’aboutissement, non sans ironie : de la « préface autosatisfaite » à la quatrième de couverture, vantant le prix « le plus littéraire de l’univers » et le « cahier de photos extrêmement people » joint aux nouvelles, on y amalgame constamment complaisance et distance.
-
[2]
Michel Houellebecq, loc. cit., p. 77.
-
[3]
Ibid., p. 78.
-
[4]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, 1955.
-
[5]
Id., p. 83.
-
[6]
En fait, Gaston Gallimard emploie l’expression dans une lettre du 17 septembre 1952, dans laquelle il réagit aux reproches de Céline, qui accuse les Éditions Gallimard de n’avoir pas fait de publicité pour son Féerie pour une autre fois, premier texte original publié chez Gallimard depuis la signature de son contrat, l’année précédente. Gallimard y écrit : « Parbleu, je comprends très bien que vous ne veuillez pas jouer le jeu, que vous refusiez toutes concessions — Cela me plaît même — Mais ne rendez pas la N.R.F. responsable d’une mévente qui n’est due qu’à votre attitude » (Louis-Ferdinand Céline, Lettres à la N.R.F., 1931-1961, 1991, p. 174).
-
[7]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 11.
-
[8]
Ibid., p. 11.
-
[9]
Id.
-
[10]
Ibid., p. 12.
-
[11]
Bertrand Legendre, « Le premier romancier à l’épreuve de la fabrication de l’auteur : constructions et déconstructions », dans Marie-Pier Juneau et Josée Vincent (dir.), La fabrication de l’auteur, à paraître chez Nota Bene.
-
[12]
Entre autres travaux permettant d’aborder la question de la médiatisation de l’écrivain, signalons, en plus des actes du colloque mentionnés dans la note précédente : « Images de l’écrivain », Textuel, n° 22 (1989) ; Pascal Brissette, La malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal (Socius), 2005 ; Federico Ferrari et Jean-Luc Nancy, Iconographie de l’auteur, Paris, Galilée (Lignes fictives), 2005 ; Jean Marie Goulemot et Daniel Oster, Gens de lettres, écrivains et bohèmes. L’imaginaire littéraire, 1630-1900, Paris, Minerve, 1992 ; Jean-François Louette et Roger-Yves Roche (dir.), Portraits de l’écrivain, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
-
[13]
Louis-Ferdinand Céline, « Entretiens avec le Professeur Y », La nouvelle nouvelle revue française, parutions en juin (vol. III, n° 18), novembre (vol. III, n° 23) et décembre 1954 (vol. III, n° 24), puis en février (vol. IV, n° 25) et avril 1955 (vol. IV, n° 27).
-
[14]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 29.
-
[15]
Ibid., p. 35.
-
[16]
Ibid., p. 44.
-
[17]
Ibid., p. 37.
-
[18]
Ibid., p. 13.
-
[19]
Ibid., p. 14.
-
[20]
Philippe Lejeune en a tracé un portrait historique centré sur les séries d’entretiens radiophoniques de l’après Seconde Guerre mondiale : « La voix de son maître. L’entretien radiophonique », dans Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux médias, 1980. Voir aussi les numéros des revues Lieux littéraires (« L’interview d’écrivain », nos 9-10 (2006)) et Nottingham French Studies (vol. 42, n° 1 (printemps 2003)).
-
[21]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 14.
-
[22]
Ibid., p. 14 ; je souligne.
-
[23]
Ibid., p. 13.
-
[24]
Ibid., p. 15.
-
[25]
Ibid., p. 16.
-
[26]
Ibid., p. 19.
-
[27]
Id.
-
[28]
Ibid., p. 25.
-
[29]
Ibid., p. 35.
-
[30]
Ibid., p. 45.
-
[31]
Ibid., p. 51.
-
[32]
Ibid., p. 23.
-
[33]
Ibid., p. 34.
-
[34]
Ibid., p. 38.
-
[35]
Ibid., p. 52.
-
[36]
Ibid., p. 51-52.
-
[37]
Ibid., p. 21.
-
[38]
Louis-Ferdinand Céline, Rigodon, 2001 [1969], p. 732. Ces romans fictionnalisent parallèlement les tensions entre l’écrivain et les éditeurs ou les autres figures de la scène littéraire. Voir, entre autres, dans ce même volume les notes de Henri Godard (« Céline et les éditeurs », p. 1006-1014).
-
[39]
Sur l’épuration littéraire, voir : Pierre Assouline, L’épuration des intellectuels, 1944-1945, Bruxelles, Complexe (La mémoire du siècle), 1985 ; Tony Judt, Past Imperfect : French Intellectuals, 1944-1956, Berkeley, University of California Press, 1992 ; Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains, 1940-1953, 1999. Sur la trajectoire de Céline, à l’époque : Philippe Alméras, Céline. Entre haines et passion, Paris, Robert Laffont (Biographies sans masque), 1994 ; François Gibault, Céline. 1944-1961 : cavalier de l’apocalypse, Paris, Mercure de France, 1985 ; Patrick McCarthy, « Occupation and Exile : 1940-51 », dans William K. Buckley (dir.), Essays on Louis-Ferdinand Céline, Boston, G. K. Hall, 1989, p. 204-226.
-
[40]
Les deux premiers romans publiés chez Gallimard, Féerie pour une autre fois (1952) et Normance (1954) n’eurent que de très rares échos critiques et des ventes faibles. Le rapport envoyé par Robert Gallimard à Céline, le 23 mars 1954, fait état de seulement 6 300 exemplaires vendus du premier, en deux ans (Lettres à la N.R.F., 1931-1961, op. cit., p. 212). Ayant connu à deux reprises (avec le Voyage et Bagatelles pour un massacre) des ventes supérieures à 80 000 exemplaires, Céline ne peut être que déçu de ce retour manqué.
-
[41]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 9.
-
[42]
Id.
-
[43]
Marie-Christine Bellosta, Céline ou l’art de la contradiction, 1990.
-
[44]
Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, 2007.
-
[45]
Gide insiste sur la dimension caricaturale des textes céliniens : « il est bien évident qu’il veut rire », « il va de soi que c’est une plaisanterie » (« Les Juifs, Céline et Maritain », p. 302), rapprochant pour ce faire les tirades antisémites des pamphlets du morceau de bravoure sur les asticots à la fin de Mort à crédit. Gide prend cependant garde de noter : « si ce n’était pas une plaisanterie, alors il serait, lui Céline, complètement maboul » (p. 302-303).
-
[46]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 42.
-
[47]
Voir, à ce sujet, Claude Abastado, Mythes et rituels de l’écriture, 1979, p. 236-246. Significativement, le personnage du clown signale la dérive carnavalesque du mythe du poète, amalgame dérision et cruauté, accompagnant souvent les dénonciations de la « prostitution du poète », de « l’exhibition devant un public qui le paie » (p. 242).
-
[48]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 21.
-
[49]
Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 71.
-
[50]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 77.
-
[51]
Ibid., p. 93.
-
[52]
Ibid., p. 13-14.
-
[53]
Ibid., p. 94.
-
[54]
Id.
-
[55]
Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 20, 59, 220, 221 et 222.
-
[56]
Ibid., p. 429.
-
[57]
Ibid., p. 59.
-
[58]
Incidemment, Sylvie Perez met en exergue de son ouvrage sur la relation entre auteur et éditeur deux citations qui expriment parfaitement ces lieux communs, dont l’une vient de Céline — « Tous les éditeurs sont des charognes » — l’autre de Gallimard — « Un auteur, un écrivain, le plus souvent n’est pas un homme. C’est une femelle qu’il faut payer, tout en sachant qu’elle est toujours prête à s’offrir ailleurs. C’est une pute » (Un couple infernal. L’écrivain et son éditeur, 2006, p. 7). Utile, pour le tour d’horizon des principales topiques, ce livre ne procède cependant pas à leur analyse ; voir plutôt Pascal Durand et Anthony Glinoer, Naissance de l’éditeur : l’édition à l’âge romantique, Paris, Les impressions nouvelles (Réflexions faites), 2005. Voir aussi les articles rassemblés dans « L’écrivain éditeur », François Bessire (dir.), Travaux de littérature, vol. XIV (2002) et XV (2002). Signalons en passant le peu d’intérêt des chercheurs pour les représentations de l’éditeur, dans les romans ou ailleurs : le recensement de ces représentations n’est guère plus avancé que leur analyse.
-
[59]
Formule utilisée par Marcel Jullian, en 1978, à propos de Bachelard et de Genevoix, citée par Philippe Lejeune, « La voix de son maître. L’entretien radiophonique », op. cit., p. 104.
-
[60]
L.-F. Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 18.
-
[61]
Ibid., p. 78.
-
[62]
L.-F. Céline, « Interview avec Madeleine Chapsal (L’express) », 1976, p. 21 et 23. Publication originale : Madeleine Chapsal, « Voyage au bout de la haine… avec L.-F. Céline », L’express, n° 312 (14 juin 1957). Citons le chapeau de L’express, qui marque l’hostilité à l’endroit de l’interviewé : « Ses réponses, ou plutôt son monologue, éclairent crûment les mécanismes mentaux de ceux qui, à son image, ont choisi de mépriser l’homme. L’aveu de son formidable échec, la pitié que peut nous inspirer cette force presque impersonnelle à force d’avoir été dénudée par l’existence ne doivent ni ne peuvent faire oublier que d’autres rêvent de cette victoire sur l’esprit que l’on nomme fascisme. »
-
[63]
Louis-Ferdinand Céline, « Interview avec Pierre Descargues (La tribune de Lausanne) », 1976, p. 16. Publication originale : Pierre Descargues, « Ainsi parle L.-F. Céline qui fait cette semaine sa rentrée littéraire », La tribune de Lausanne, n° 153 (2 juin 1957).
-
[64]
Louis-Ferdinand Céline, « Interview avec Louis-Albert Zbinden (Radio-Lausanne) », 1976, p. 68. Publication originale : Louis-Albert Zbinden, « Miroir du temps », Radio-Télé Suisse Romande, 25 juillet 1957.
-
[65]
Louis-Ferdinand Céline, « Interview avec André Parinaud, II (Arts) », 1976, p. 37. Publication originale : André Parinaud, « Céline. “Je suis un pauvre homme brisé qui n’a qu’une force : sa haine et son style” », Arts, n° 624 (19-25 juin 1957).
-
[66]
Id.
-
[67]
Voir la reproduction du contrat dans Pascal Fouché, Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, 1918-1984, 1985, n. p.
-
[68]
Louis-Ferdinand Céline, « Interview avec André Parinaud, II (Arts) », op cit., p. 37.
-
[69]
Entre autres avec Élisabeth Porquerol, qui note : « Cette histoire d’argent l’a dominé, le domine, une vraie maladie. Ce qu’on gagne, ce qu’on ne gagne pas, ce qu’on pourrait gagner, il en est hanté. La première question : combien on me paie mes articles. Au chiffre énoncé, il se récrie : dégoûtant, etc. […] Je lui dis qu’il a déjà dû en ramasser une bonne pincée avec Voyage, il me répond “Le pèze ? y en a juste de quoi me faire une retraite de garde-barrière” […] A-t-il vu dans la littérature un moyen de s’en tirer, de faire fortune ? En partie, certainement. » (« Propos recueillis par Élisabeth Porquerol », 1976, p. 46). Comme Dauphin et Godard ont choisi de publier l’ensemble des notes de Porquerol, publiées en 1961 seulement, plutôt que le résumé publié en janvier 1934 dans Allô-Paris, on ne peut savoir si ce discours de Céline sur l’art et l’argent a effectivement été diffusé avant la guerre.
-
[70]
Louis-Ferdinand Céline, « Interview avec André Parinaud, II (Arts) », op. cit., p. 37. D’emblée, dans cette entrevue, Céline démonte la logique de l’entrevue : « Vous êtes venu voir la vedette, dit-il en ricanant. Tous ces cons qui me redécouvrent en apprenant que je viens de publier D’un château l’autre. Ils viennent visiter la ruine… pour voir si ça tient encore ! Si je ne sens pas trop mauvais. Mais je leur en donne pour leur argent. Je connais le truc, je réponds toujours à la demande. Doux comme un mouton le Céline, bavant ou crachant. Qu’est-ce qu’il vous faut aujourd’hui ? », p. 36-37.
-
[71]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 67.
-
[72]
Voir, à ce propos, la contribution de Sylvain David, « L’analyseur Bardamu. Représentation du travail et travail du texte », dans cette même livraison, p.43-56.
-
[73]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 23.
-
[74]
Id.
-
[75]
Ibid., p. 28.
-
[76]
Id.
-
[77]
Ibid., p. 35.
-
[78]
Pour le portrait de la politisation radicale du champ littéraire français de l’après-guerre, les analyses d’Anna Boschetti (Sartre et « Les Temps modernes » : une entreprise intellectuelle, Paris, Minuit (Le sens commun), 1985) et de Gisèle Sapiro (La guerre des écrivains, 1940-1953, op. cit.) sont les plus détaillées. On peut voir, chez Sapiro, comment la revendication du droit à l’erreur, par Paulhan, dans l’après-guerre, et son opposition à l’épuration rejoint la défense de la littérature pure prônée par La nouvelle revue française depuis sa fondation ; parallèlement, elle montre comment « Gallimard s’emploie à tirer les plus célèbres écrivains collaborationnistes de leur purgatoire » (p. 684), dont Céline, avec qui Paulhan est entré en relation épistolaire dès 1947.
-
[79]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 85.
-
[80]
Christopher Johnson, « Introduction : the genre of the interview », 2003, p. 1. Notre traduction.
-
[81]
Cette rubrique des Nouvelles littéraires, hebdomadaire fondé en 1922 et tirant dès 1925 à 125 000 exemplaires, en était selon François Chaubet « la page la plus célèbre » (Histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres, 2006, p. 120). Lefèvre republia plusieurs de ces entrevues dans une série de six volumes parus de 1924 à 1933, chez Gallimard. Quelques-unes de ces entrevues ont été rééditées, en trois volumes, Une heure avec, 1996 et 1997, Éditions Siloë, Nantes.
-
[82]
Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, « Avant-propos », Céline et l’actualité littéraire, 1932-1957, op. cit., p. 9-10.
-
[83]
Philippe Lejeune, « La voix de son maître. L’entretien radiophonique », op. cit., p. 120.
-
[84]
Ibid., p. 125.
-
[85]
Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, « Exil danois, exil français », dans Céline et l’actualité littéraire, 1932-1957, op. cit., p. 144.
-
[86]
En plus de ce foisonnement de séries, il faut souligner la quantité d’émissions qu’elles pouvaient comporter. Carco, Ghelderode et Paulhan ont droit à huit émissions chacun, ce qui est significatif, mais ils sont les moins bien lotis du groupe, loin derrière les quarante et une émissions de Claudel, les quarante de Mauriac ou les trente-huit de Léautaud…
-
[87]
Céline va ainsi radicalement à l’encontre du « genre de l’entretien, qui suppose une collaboration amicale [et] exclut [l’]agressivité » (Philippe Lejeune, « La voix de son maître. L’entretien radiophonique », op. cit., p. 119-120).
-
[88]
Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 150.
-
[89]
Ironiquement, l’écrivain de l’oralité se donne alors comme contrainte, pour accomplir la monstration de ce travail, d’oraliser la fiction d’une entrevue, là où les élus de l’entretien radiophonique ont plutôt eu tendance à réécrire la transposition de leurs échanges, pour en gommer les scories trop « orales ». On indique, dans la note introduisant les Entretiens de Breton, que ce dernier « avait tenu à en réécrire le texte » (André Breton, Entretiens, 1969 [1952], p. 11). Plus interventionniste encore, Jean Paulhan réécrivit aussi les questions de l’intervieweur, dans la version imprimée de ses entretiens avec Robert Mallet : Les incertitudes du langage, Paris, Gallimard (Idées), 1970.
-
[90]
Un ingénieux critique a exploité avec brio cette confusion, en reprenant textuellement de larges passages des Entretiens, dans ses « Entretiens avec le Professeur… Brissaud », publiés originellement dans le Bulletin du Club du Meilleur Livre, n° 17 (octobre 1954), p. 23-25, et reproduites, sous le titre « Interview avec André Brissaud (Bulletin du Club du Meilleur Livre) », 1976, op. cit., p. 157-164. Brissaud glisse un clin d’oeil dans son article, écrivant : « Je sens […] que Céline ne s’adresse plus à moi seul. […] Ce qu’il me dit j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu », p. 159.
-
[91]
Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, op. cit., p. 31.
-
[92]
Ibid., p. 19.
-
[93]
Dans le cas des Nouvelles du prix de Flore, par-delà les postures individuelles d’auteur, le recueil esquisse une sorte de posture partagée, attribuée non pas au prix littéraire lui-même, mais à l’ensemble des acteurs qui en sont partie prenante (donateurs, jurés, récipiendaires). Ceci ouvre la porte à une question non abordée dans l’ouvrage de Jérôme Meizoz, celle des postures collectives, propres aux groupes, dont ceux de l’avant-garde.
-
[94]
Charles-Albert Cingria, « Two Questions », 1937, p. 180.
Références
- Abastado, Claude, Mythes et rituels de l’écriture, Bruxelles, Complexe, 1979.
- Beigbeder, Frédéric, « Préface autosatisfaite », dans V. Ravalec (dir.), Des nouvelles du prix de Flore, Paris, Flammarion, 2004, p. 21-24.
- Bellosta, Marie-Christine, Céline ou l’art de la contradiction, Paris, Presses universitaires de France (Littératures modernes), 1990.
- Breton, André, Entretiens, Paris, Gallimard (Idées), 1969 [1952] (éd. R. Bertelé).
- Céline, Louis-Ferdinand, D’un château l’autre, Paris, Gallimard (Folio), 1957.
- Céline, Louis-Ferdinand, Entretiens avec le professeur Y, Paris, Gallimard, 1955.
- Céline, Louis-Ferdinand, « Interview avec André Brissaud (Bulletin du Club du Meilleur Livre) », Céline et l’actualité littéraire, 1932-1957, Paris, Gallimard (Cahiers Céline), 1976 (éd. J.-P. Dauphin et H. Godard), p. 157-164.
- Céline, Louis-Ferdinand, « Interview avec Madeleine Chapsal (L’Express) », Céline et l’actualité littéraire,1957-1961, Paris, Gallimard (Cahiers Céline), 1976 (éd. J.-P. Dauphin et H. Godard), p. 18-36.
- Céline, Louis-Ferdinand, « Interview avec Pierre Descargues (La tribune de Lausanne) », Céline et l’actualité littéraire,1957-1961, Paris, Gallimard (Cahiers Céline), 1976 (éd. J.-P. Dauphin et H. Godard), p. 15-17.
- Céline, Louis-Ferdinand, « Interview avec André Parinaud, II (Arts) », Céline et l’actualité littéraire,1957-1961, Paris, Gallimard (Cahiers Céline), 1976 (éd. J.-P. Dauphin et H. Godard), p. 36-40.
- Céline, Louis-Ferdinand, « Interview avec Louis-Albert Zbinden (Radio-Lausanne) », Céline et l’actualité littéraire,1957-1961, Paris, Gallimard (Cahiers Céline), 1976 (éd. J.-P. Dauphin et H. Godard), p. 67-79.
- Céline, Louis-Ferdinand, Lettres à la N.R.F., 1931-1961, Paris, Gallimard, 1991 (éd. P. Fouché).
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