Dans ce numéro thématique sur les Nouveaux enjeux au Groenland contemporain, nous essayons de répondre à l’intérêt croissant pour l’Arctique en tant que champ empirique, récit et représentation, et pour cette partie particulière de l’Arctique, dans la recherche actuelle au domaine des sciences humaines et sociales. Dans le cas du Groenland (Kalaallit Nunaat), une pléthore de changements post-coloniaux, démographiques, géopolitiques et socio-environnementaux contribuent non seulement à accroître l’attention régionale et mondiale, mais aussi à revigorer et à diversifier la production de connaissances, par exemple en tentant de décentrer et de réécrire des récits bien rodés sur l’Arctique et ses peuples. Ce volume présente quelques-unes des recherches dynamiques et vivantes en sciences humaines et sociales menées sur la plus grande île du monde et sa population. Nous espérons contribuer à une compréhension plus riche et plus profonde de la manière dont la vie quotidienne, la culture et l’identité se déroulent au Groenland contemporain, afin d’éclairer de manière critique les débats, les décisions et les développements qui ont lieu dans cette région et ailleurs dans l’Arctique. Les contributions de ce numéro reflètent la remarquable expansion, ces dernières années, de la recherche sur le Groenland, motivée, entre autres, par des changements récents et spectaculaires dans les domaines politiques, environnementaux et socio-culturels. L’expansion des champs de recherches de l’Arctique permet de nuancer davantage les perceptions des Inuit et des autres peuples de l’Arctique, ce qui se révèle essentiel pour contrer l’héritage historique de l’exploration de l’Arctique et de ce que Fienup-Riordan (1995) a appelé avec justesse « l’orientalisme esquimau », qui, dans les communautés non arctiques, a perpétué les stéréotypes sur les Inuit. Aujourd’hui, nous rencontrons encore les vestiges de ces stéréotypes, par exemple dans les représentations commerciales de l’Arctique. Qu’il s’agisse de crèmes glacées, de produits rafraîchissants ou de produits de santé, ces représentations s’appuient souvent sur l’image simpliste et exotique d’« Inuit vêtus de fourrures et vivant dans des igloos ». Un autre exemple est celui des producteurs de denrées alimentaires, qui utilisent des références stéréotypées à l’Arctique lorsqu’ils cherchent à exprimer des qualités telles que le froid et la fraîcheur, des références qui sont très éloignées des réalités de la culture et des sociétés inuit. Les stéréotypes sur les Inuit façonnent non seulement la perception du public dans de tels contextes commerciaux, mais jouent également un rôle dans les récits historiques et contemporains entourant les peuples autochtones de l’Arctique, où les processus de colonisation les ont soumis à diverses formes de violence. Par conséquent, nombre d’entre eux continuent de lutter contre les traumatismes liés à l’identité culturelle, ainsi que les difficultés économiques et sociales. C’est également le cas des Inuit dans diverses régions de l’Arctique. Pourtant, les sociétés inuit de l’Alaska, de l’Inuit Nunangat (Canada) et du Kalaallit Nunaat (Groenland) font preuve d’une résilience culturelle remarquable, d’un activisme politique et d’une détermination à promouvoir un développement positif de l’intérieur. Si l’histoire des Inuit est marquée par la colonisation et les défis, elle est aussi de plus en plus marquée par l’autodétermination, le développement progressif et les opportunités. Toutefois, une perception erronée persiste, parmi les chercheurs y compris, selon laquelle « l’expérience inuit » est largement la même dans l’ensemble de l’Inuit Nunaat. Cette idée ne tient compte ni des différentes circonstances et ni des réalités dans lesquelles les communautés inuit ont vécu et continuent de se développer – incluant les différences significatives dans la perception de soi au sein des communautés inuit. Cette idée est démentie par le fait que, depuis des générations, les Inuit vivent dans des circonstances différentes et développent des réalités différentes. Par exemple, les Yupiit en …
Parties annexes
Références
- Abildgaard, M. S. 2023. « The Satellite at the End of the World : Infrastructural Encounters in North Greenland », in B. Thorsteinsson et al. (dir.), Mobilities on the Margins: Creative Processes of Place-Making, p. 197-223). Cham : Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-031-41344-5_11.
- Chimirri, D., and C. Ren. 2022. « Tourism Worlding: Collective Becoming in East Greenland », Polar Record 58: e33.
- Fienup-Riordan, A. 1995. Freeze Frame: Alaska Eskimos in the Movies. Seattle: University of Washington Press.
- Naalakkersuisut. 2022. Research – The Road to Progress. Greenland’s National Research Strategy, 2022-2030. Ministry for Education, Culture, Sports and Church. https://naalakkersuisut.gl/-/media/publikationer/kultur_og_forskning/2023/english-book.pdf.
- Ren, C., and G. T. Jóhannesson. 2023. « To Be or Not to Be Like Iceland ? (Ontological) Politics of Comparison in Greenlandic Tourism Development », Polar Record 59 : e9.