Résumés
Résumé
Cet article décrit une collaboration à long terme entre le Pitquhirnikkut Ilihautiniq/Kitikmeot Heritage Society (PI/KHS) de Cambridge Bay, au Nunavut, et l’Université de Toronto. Cette association patrimoniale de Kitikmeot, le PI/KHS, est une organisation très active, régie par des aînés, dont les activités vont de l’histoire orale au savoir traditionnel en passant par la langue, la toponymie, les programmes scolaires et la gestion d’un musée. Ses membres collaborent avec des archéologues de l’Université de Toronto depuis 1999 afin d’élargir leur programmation, d’en savoir davantage sur les périodes les plus anciennes de leur région, et ils procurent en outre des opportunités d’enregistrer le savoir traditionnel et d’impliquer les jeunes Inuit dans les programmes patrimoniaux. Nous discutons de l’histoire de cette collaboration et de ses aspects organisationnels pratiques, en concluant par des réflexions sur les raisons pour lesquelles elle continue de fonctionner au bout de plus de 20 ans.
Mots-clés :
- Archéologie,
- savoir traditionnel,
- recherche dans une communauté,
- Inuinnait,
- Inuit,
- Nunavut
Abstract
This paper describes a long-term collaboration between the Pitquhirnikkut Ilihautiniq/Kitikmeot Heritage Society (PI/KHS) of Cambridge Bay, Nunavut and the University of Toronto. The PI/KHS is a very active, Elder-run organization with activities ranging across oral history, traditional knowledge, language, place names, school programs, and the running of a museum. They have been collaborating with archaeologists from the University of Toronto since 1999 to expand their programming, learn more about very early time periods in their region, and provide additional opportunities to record traditional knowledge and involve Inuit youth in heritage programming. We discuss the history of this collaboration and its practical organizational aspects, and we conclude with thoughts on why it continues to work after over 20 years.
Keywords:
- Archaeology,
- Traditional Knowledge,
- Community-Based Research,
- Inuinnait,
- Inuit,
- Nunavut
Ihumagijaat
Una titiraq atauttikkuurutigijumajaat ukuak Pitquhirnikkut Ilihautiniq / Kitikmeot Heritage Society (PI/KHS) Iqaluktuuttiami, Nunavut ukualu Iliharvigjuanga Toronto-mi (University of Toronto). Ukuat PI/KHS-tkut hulilukaanginnaqtut, Inirnirit-havaariblutigik unipkaatuqanik, qaujimajatuqanginnik, uqauhikkut, initurliit taihiniinnik, iliharvingmi piliriarutikhainnik, utuqqaqarvingmilu havarvigiblutigik. Uvanngat 1999, havaqatigiblutigik utuqqaliqijitkut uvanngaaqhimajut Iliharvigjuanga Toronto-mi (University of Toronto) pivaallirumadjutigiblugu piliriarutigijamingnik, ilitpalliadjutigiblugit qangaraaluk inuminngit nunamingni aviktuqhimajumi, pivikhaqaqtittilugillu nipiliurlugit qaujimajauhimajut piqatigilugillu Inuit inulrammiit ingilraanittat havauhirilugit. Uvani titirarmi, uqautigiblutigu atauttikkuuqpangniat qanurlu tutqikhaivauhiat, iniqtirutigiblutigulu ihumagiblutigu huurlikiaq huli havauhirimmaaqtaat 20-nik ukiuni.
- Utuqqaliqiniq,
- Inuit Qaujimajatuqangit,
- Nunallaani-Tunngaviqaqtut Qaujiharniq,
- Inuinnait,
- Inuit,
- Nunavut
Corps de l’article
L’histoire de l’Inuit Nunangat (l’Arctique canadien) est longue et complexe et, au cours du siècle dernier, de nombreux projets archéologiques se sont intéressés à cet immense territoire. L’archéologie a couvert chaque période, depuis les plus lointains ancêtres du peuple Tuniit qui y vivaient il y a cinq mille ans jusqu’aux campements habités par des Inuit et dont la mémoire n’est pas encore perdue. Ces différents projets se sont déroulés de diverses manières vis-à-vis des communautés inuit, certains sans aucun lien avec celles-ci, d’autres impliquant avec elles des collaborations profondes et significatives.
Dans cet article, nous discutons de notre projet collaboratif, qui est inhabituel parce qu’il a été lancé par une association patrimoniale communautaire régie par des aînés : le Pitquhirnikkut Ilihautiniq/Kitikmeot Heritage Society (PI/KHS) de Cambridge Bay, dans l’ouest du Nunavut. Le PI/KHS désirait voir comment l’archéologie pouvait s’insérer dans ses activités courantes, qui étaient principalement centrées sur l’enregistrement du savoir des aînés. Cette idée a évolué en un partenariat au long cours qui comprend de nombreux projets différents et qui reste encore vigoureux à ce jour (Figure 1).
Histoire de notre collaboration
Fondé en 1996, le PI/KHS est une organisation culturelle inuit très dynamique, régie par des aînés, et dont les activités portent sur la collecte et l’archivage du savoir traditionnel et des noms de lieux, la gestion du musée situé le plus au nord du Canada, l’organisation de projets éducatifs en extérieur réunissant des aînés et des jeunes, la conception de programmes scolaires et la coordination d’un éventail d’initiatives de recherche. Il s’implique tout particulièrement avec les Inuinnait (Inuit de l’ouest du Nunavut) et la langue inuinnaqtun.
Dès son origine, le PI/KHS était désireux de savoir comment l’archéologie pouvait intégrer ses autres activités. Dès sa première année, en 1996, ses membres ont oeuvré avec l’archéologue Andrew Stewart à un travail d’histoire orale à Uvayuq, une haute colline au nord de Cambridge Bay. Au cours des années suivantes, ils ont continué d’envisager la façon dont un travail en collaboration avec des archéologues pourrait bénéficier à leurs activités, et ils en ont déduit qu’il y avait au moins six raisons pour qu’un nouveau partenariat soit profitable :
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L’archéologie pouvait soutenir le profond intérêt du PI/KHS dans la longue histoire de la région Inuinnait et s’ajuster à l’histoire récente qu’ils enregistraient.
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Ce partenariat pouvait impliquer conjointement savoir traditionnel et projets archéologiques, qui à leur tour pouvaient approfondir l’exploration par le PI/KHS du savoir traditionnel et relier directement celui-ci aux sites patrimoniaux du territoire.
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L’archéologie était un moyen d’intéresser les étudiants du lieu au patrimoine, de leur faire comprendre les liens entre l’histoire des Inuit et leur territoire, et de leur montrer la façon dont les scientifiques menaient leurs recherches au Nunavut.
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Un tel partenariat avait le potentiel de mener à des collaborations pour obtenir des financements et organiser des projets complexes.
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L’archéologie pouvait élargir le spectre des activités du PI/KHS en lui procurant du contenu pour ses programmes, ses expositions muséales et son site Internet.
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Le PI/KHS souhaitait contribuer de façon substantielle aux connaissances scientifiques et pensait que la meilleure façon d’y parvenir était d’associer archéologie et savoir traditionnel.
En 1999, le premier président bénévole du PI/KHS, Kim Crockatt, invita Max Friesen de l’Université de Toronto à Cambridge Bay pour discuter, lors d’une réunion initiale, des possibilités d’un plan de recherche en collaboration. Son principal objectif était de voir si leurs personnalités et leurs visions de l’avenir pouvaient s’accorder. Kim, Max et plusieurs aînés se sont rendus en hélicoptère sur les lieux d’un important site patrimonial du nom d’Iqaluktuuq pour parler de l’histoire de cet endroit, et plus généralement pour discuter de la façon dont pouvait fonctionner la conjonction des objectifs de l’archéologie et du patrimoine communautaire (Figure 2). À la suite de cette réunion, les deux groupes se sont engagés à lancer un projet à long terme. Après avoir obtenu un financement, ils ont organisé leur première saison entière de fouilles en 2000, et le projet s’est poursuivi presque tous les ans jusqu’en 2010. À ce moment, l’archéologie et l’histoire orale à Iqaluktuuq paraissaient avoir atteint leur conclusion logique et Max élabora un projet distinct dans l’ouest, dans la Région désignée des Inuvialuit. Cependant, les contacts et la coopération entre le PI/KHS et l’Université de Toronto se poursuivirent durant cette période.
En 2016, Pamela Hakongak Gross prit la suite au titre de Directrice exécutive du PI/KHS. Pamela avait participé en tant qu’étudiante à la saison de fouilles 2010 de ce projet collaboratif (Figure 3), et l’une de ses priorités était de faire à nouveau de l’archéologie une plus grande partie des activités du PI/KHS. En 2017, Pamela et Max se sont rencontrés à Ottawa et ont décidé, avec enthousiasme, de renouveler le partenariat. Le travail de terrain a repris en 2018, avec deux saisons de fouilles à Bathurst Inlet, en combinant l’enregistrement des histoires orales et des noms de lieux avec le travail archéologique.
En 2021, Emily Angulalik est devenue la nouvelle Directrice exécutive du PI/KHS. Elle avait fait partie de cet organisme dès l’année de sa création, en 1996, et elle avait été chercheuse lors de plusieurs camps de collaboration entre archéologie et savoir traditionnel, à Iqaluktuuq et dans d’autres lieux au cours des ans (Figure 4). Emily élabore actuellement un nouvel ensemble d’activités et de priorités pour le PI/KHS, qui continueront d’inclure l’archéologie. Sa priorité en ce moment est de continuer à élargir les programmes relatifs à la langue inuinnaqtun, et en particulier de trouver des moyens d’aider les « locuteurs silencieux » – ceux qui connaissent la langue mais ne la parlent pas toujours couramment – à l’employer davantage. L’année 2021 était aussi celle du 25e anniversaire du PI/KHS, et l’occasion d’une campagne sur les médias sociaux incluant une échelle temporelle des « Dix principales découvertes archéologiques » sur le site Internet du PI/KHS (Figure 5).
Fonctionnement de notre projet
Nous croyons que notre projet est réellement collaboratif pare qu’il n’est pas seulement régi par des prises de décision communes à toutes les étapes de la recherche, mais parce qu’il est conçu pour maximiser les bénéfices autant pour le PI/KHS que pour l’Université de Toronto. La planification des activités en collaboration commence avec le PI/KHS, qui élabore ses projets de recherche à partir de discussions avec les aînés. Une fois tracé le contour des priorités, Max est encouragé à explorer les questions et les activités qui soient aussi significatives d’un point de vue « universitaire ». Ainsi, par exemple, pour notre projet à long terme à Iqaluktuuq, le PI/KHS a déterminé la zone à investiguer et a donné la priorité à l’enregistrement des histoires orales sur le site et à l’implication significative de jeunes Inuinnait pour la durée du projet. La plupart des saisons de fouilles ont commencé par un campement de savoir traditionnel d’une durée de cinq jours, où les aînés racontaient les histoires de la région, suivi de visites de lieux patrimoniaux pour en parler et les interpréter avec la participation des jeunes et des archéologues (Figure 6). Cependant, Max était également encouragé à étudier les aspects les plus intéressants et signifiants des sites d’un point de vue archéologique. La raison d’être de tout ceci était que le PI/KHS souhaite participer à une meilleure compréhension de l’entière histoire archéologique de la région, qui pourra ensuite servir à élaborer des programmes et des éléments de communication.
Au cours des années, l’essentiel de notre travail s’était déroulé à Iqaluktuuq, où nous avons tenu de nombreux camps de savoir traditionnel des aînés de même que d’exhaustives fouilles archéologiques. Cependant, nous avons également visité bon nombre d’autres endroits, en général à l’initiative de groupes d’aînés désireux de se rendre sur les lieux importants de leurs jeunes années afin d’enregistrer sur place des histoires et des toponymes. Parmi ces excursions, mentionnons un déplacement d’une journée à la rivière Halukvik, importante pour la pêche, sur la côte ouest de la baie de Wellington, un camp de cinq jours à Huluraq, à l’extrémité est du lac Ferguson (Figure 7), et une visite à Tikiraaryuk, qui était autrefois le « camp de couture de l’automne » des Iqaluktuurmiut (gens d’Iqaluktuuq) au début du XXe siècle. Ces excursions ont permis de recueillir de nombreux renseignements inattendus sur l’histoire des Inuinnait de la région (voir la Figure 1 pour la localisation des sites). Pour ne mentionner qu’un seul exemple, ce qui suit est l’histoire de la façon dont le site de Huluraq a reçu son nom. Cette histoire a été racontée par Matthew Nakashook, qui était interrogé par Emily Angulalik et Max Friesen en juillet 2007 à Huluraq, et elle est traduite de l’unuinnaqtun.
C’est ici que Huluraq a failli mourir, c’est pourquoi ce lieu porte son nom : Huluraq. C’est une histoire ancienne de Huluraq, c’est ainsi que Pannaktannuaq racontait l’histoire de Huluraq. Il avait deux femmes à cette époque, et c’est aussi ici qu’il vivait. Il fut presque tué par des hommes, beaucoup d’hommes qui voulaient le tuer se rapprochaient de lui, pour la raison que les hommes voulaient avoir ses femmes. Les deux femmes ont couru jusqu’en haut de la colline pour se cacher parce qu’elles ne voulaient pas voir leur mari être tué par ces hommes, elles ont couru jusqu’à un endroit appelé Nahiqjurvik… Huluraq a réchappé de cette rencontre avec des blessures causées par des arcs et des flèches. Il s’est sauvé jusqu’à un endroit appelé Uqilittiivik. Il a failli être tué mais il s’est sauvé jusqu’à cet endroit au-delà d’Uvajuq pour guérir de ses blessures.
Sur le plan de la formation et de l’expérience, le projet est conçu pour bénéficier aux étudiants et apprentis du Nord et à d’autres jeunes, qui acquièrent de l’expérience en archéologie sur le terrain, en histoire inuit associée au territoire, et en recherche sur l’histoire orale, ainsi qu’aux étudiants de deuxième et troisième cycles du Sud, qui acquièrent de l’expérience en participant aux projets communautaires et qui, dans de nombreux cas, recueillent des données pour leurs propres recherches. Une grande partie de ces bénéfices pour les étudiants provient du fait qu’ils travaillent aux côtés les uns des autres. Les étudiants du Nord et du Sud s’informent mutuellement au sujet de leurs mondes respectifs, et nouent souvent des amitiés concrètes et durables. En fait, ce projet a même fait naître une idylle, puis un mariage, entre une étudiante au premier cycle du Sud et un étudiant du Nord !
D’autres aspects de cette recherche relèvent également de cette intégration. Par exemple, des spécimens archéologiques sont envoyés à Toronto pour analyse (Figure 8) avant d’être finalement entreposés dans les collections du Nunavut actuellement situées dans le bâtiment du Musée canadien de la nature à Gatineau. D’un autre côté, tous les produits de la recherche en histoire orale sont contrôlés et conservés par le PI/KHS à Cambridge Bay. La plupart des entrevues avec les aînés sont menées par des chercheurs du PI/KHS, bien que Max y prenne souvent part. Ces entrevues ont permis plusieurs aperçus extrêmement importants qui ont orienté l’interprétation de sites archéologiques. Par exemple, on trouve, dans les environs d’Iqaluktuuq, des dizaines de petites pointes de harpon d’un type très simple dont les archéologues ne parvenaient pas à comprendre l’usage. L’archéologue William Taylor, qui a travaillé à Iqaluktuuq dans les années 1960, était dans le doute, quant à savoir s’ils avaient été utilisés pour chasser le caribou ou pour pêcher l’omble chevalier. Lors d’une entrevue à Iqaluktuuq, l’aîné Frank Analok, qui y avait passé son enfance, était absolument certain qu’il s’agissait de harpons de pêche semblables à ceux que les Inuit utilisaient pour pêcher l’omble arctique ; cela a permis d’avoir une bonne idée de la façon dont étaient utilisés les sites des berges de la rivière il y a 2000 ans.
Au niveau administratif, les deux partenaires posent leur candidature pour des financements et des permis, et chacun est responsable de la gestion de ses propres budgets. On peut raisonnablement affirmer que les activités de chaque partenaire n’atteindraient pas une telle ampleur sans la collaboration de l’autre. En outre, les deux partenaires apportent chacun une expertise complémentaire de celle de l’autre, ce qui est nécessaire pour mener efficacement ce projet. Le PI/KHS procure une importante connaissance de la région au sujet de la localisation des sites, des facteurs environnementaux, des transports locaux tels que les meilleurs itinéraires par bateau, et des informations de sécurité relatives à la faune et à la nature, parmi beaucoup d’autres choses, tandis que le personnel de l’Université de Toronto procure une expertise technique en archéologie, une coordination logistique avec des horaires d’hélicoptères et d’avions, et des informations sur d’autres aspects de l’équipement de terrain et des communications.
En fin de compte, cette recherche collaborative a permis de progresser davantage que n’auraient pu le faire les deux partenaires travaillant chacun de son côté. La phase actuelle du projet, qui a vu se dérouler du travail de terrain en 2018 et 2019, en constitue un bon exemple. Le PI/KHS souhaitait depuis longtemps mener des recherches dans la région de Qingauq (Bathurst Inlet) au sud-ouest de Cambridge Bay, sur le continent. De nombreux aînés de Cambridge Bay qui ont grandi dans cette région souhaitaient enregistrer des histoires orales, des noms de lieux et d’autres informations sur place – avant que cela ne soit perdu. Cependant, en raison des dépenses considérables que cela impliquait et de difficultés logistiques, ils n’avaient jamais pu concrétiser ce projet. Grâce à des subventions obtenues par l’Université de Toronto et un soutien aérien du Programme du plateau continental polaire, une équipe de onze personnes (trois aînés, un interprète, deux chercheurs du PI/KHS, trois jeunes stagiaires et deux chercheurs de l’Université de Toronto) a pu se rendre par avion à Bathurst Inlet en 2018. En même temps, le PI/KHS finançait les honoraires des aînés, le temps des chercheurs, les salaires des étudiants et leur logement à Bathurst Inlet. Les deux partenaires ont soumis différentes demandes de permis et d’autorisations, chacun disposant de lettres de recommandation de l’autre. Une fois à Bathurst Inlet, ils ont établi un campement de terrain qui comprenait aussi plusieurs autres familles qui passaient leurs étés dans la région. Cela aboutit à une série d’enregistrements documentant l’histoire des Inuinnait dans la région ainsi qu’à l’identification de nombreux noms de lieux auparavant non enregistrés. La plupart des entrevues se sont déroulées sur les sites où avaient vécu les aînés au milieu du XXe siècle, et qui renfermaient des vestiges archéologiques remontant à des centaines, voire, dans certains cas, des milliers d’années (Figure 9).
En 2019, Max est revenu avec une plus petite équipe qui comptait un étudiant gradué, un chercheur du PI/KHS et deux stagiaires inuit. Ils sont retournés sur les sites où s’étaient déroulées les entrevues avec les aînés l’année précédente pour entreprendre un examen détaillé de ces sites et pour les cartographier en trois dimensions à l’aide d’un drone (Figure 10). Ces relevés continuels étaient dirigés par Allen Kapolak, qui vit à Bathurst Inlet la majeure partie de l’année. Les chercheurs du PI/KHS et de l’Université de Toronto sont actuellement en train de combiner les produits des deux saisons pour réaliser une carte en ligne accessible au grand public comportant des liens menant directement au savoir des aînés d’aujourd’hui (y compris des vidéos des entrevues), ainsi que des noms de lieux, des connaissances environnementales et géographiques et des images 3D en haute définition des sites archéologiques.
Quelques réflexions pour conclure
Pour nous, ce partenariat fonctionne très bien. Une grande partie de notre travail consiste à réunir le savoir traditionnel et la recherche occidentale d’une façon qui ait un sens. Cela ne signifie pas que toute activité et que tout produit soit un parfait mélange des deux, mais le résultat final est qu’une grande proportion du travail réalisé rassemble ces deux façons de savoir, les questions posées et la façon dont on y a répondu étant placées sous de multiples éclairages.
Pouvons-nous donner des conseils à d’autres personnes cherchant à travailler en collaboration ? L’essentiel de ce que nous avons à dire est évident, et bien que nous reconnaissions qu’il existe d’autres projets en collaboration très fructueux dans le Nord, voici quelques-uns de nos points de vue :
Tout d’abord, le temps est une variable d’importance – pour qu’un projet tel que celui-ci fonctionne, il doit pouvoir se dérouler sur une longue période. En 1999, aucun de nous ne connaissait les autres, aussi étions-nous probablement réservés au début, surtout lors des premières véritables fouilles, en 2000. Après cette période initiale, cependant, les choses sont devenues bien plus faciles parce que nous avions noué des relations étroites et que finalement, nous nous faisions mutuellement confiance. À présent, au bout de vingt-trois ans, nos conversations et nos prises de décision à l’interne se déroulent sans heurts, principalement parce que nous sommes absolument certains que chaque membre du groupe a à coeur les intérêts de tous. Bien que nous soyons d’origines différentes, nous croyons que nous partageons les mêmes valeurs lorsqu’il s’agit de travailler ensemble.
Deuxièmement, nous avons eu beaucoup de chance qu’au fil du temps chacun des deux groupes se soit efforcé de soutenir l’autre. Chaque fois que quelqu’un a besoin de quelque chose, par exemple une lettre de recommandation, les autres lui donnent la priorité et la lui font parvenir aussi vite que possible. Max se fait un devoir de prévoir la logistique de chaque saison de travail en prenant le plus possible en compte les priorités locales, dans le cadre des contraintes imposées de l’extérieur, celles des organismes subventionnaires par exemple. En retour, le PI/KHS a apporté tout son soutien à la recherche portant sur les époques les plus reculées, même lorsque les liens de celles-ci avec les modes de vie récents des Inuinnait étaient ténus. Autrement dit, nous essayons tous d’agir avec souplesse et le désir de croire que tout ce qui arrive finira par aboutir au meilleur résultat pour les deux groupes.
Troisièmement, une partie essentielle de nos bons résultats est due à la participation d’étudiants d’excellence de part et d’autre du partenariat (Figure 11). Les étudiants inuinnait ont apporté une dimension incommensurable aux résultats du travail de terrain, y compris en apportant au projet leur fine compréhension de la contrée et de son histoire, tout en bénéficiant également d’une rare opportunité de travailler directement sur le patrimoine local. Les étudiants de deuxième et troisième cycles de l’Université de Toronto ont également apporté d’immenses contributions, plusieurs étudiants ayant joué des rôles clés dans la relation collaborative. Ils ont tous apporté une grande aide à Max en lui permettant d’avoir plus de temps à consacrer à d’autres aspects du projet pour qu’il se déroule sans heurts.
Quatrièmement, il est important que tous les participants conservent leur ouverture d’esprit quant à la façon dont ce projet pourrait se développer et ce qui pourrait en sortir. Par exemple, les recherches de Max ont pris de toutes nouvelles directions du fait de cette collaboration. Avant de travailler avec le PI/KHS, ses recherches portaient sur l’archéologie relativement récente des Inuit et des Inuvialuit, mais son travail à Iqaluktuuq l’a entraîné vers les périodes bien plus anciennes des Tuniit (Paléo-Inuit). Du côté du PI/KHS, le projet a conduit à l’exploration de nouvelles façons, non seulement d’employer la langue et de la transmettre entre les générations, mais aussi d’impliquer les jeunes dans les activités patrimoniales inuit en général. Il a aussi permis de collecter des toponymes et des savoirs traditionnels dans des lieux importants où il était auparavant difficile de se rendre en raison de faibles possibilités de déplacement en hélicoptère.
Cinquièmement et finalement, il est important pour nous tous de reconnaître que pour les Inuinnait, fouiller la terre pour comprendre l’histoire est une nouvelle façon d’apprendre. Nous discutons régulièrement en groupe de ce processus afin de nous assurer qu’il existe un consensus au sujet des types d’activités (y compris les fouilles) qui se dérouleront chaque année. Au cours des ans, la communauté a continué de soutenir l’archéologie ; en fait, lors de notre dernière saison de fouilles, en 2022, les aînés ont activement participé au processus de fouilles (Figure 12). Ce soutien est fondé sur un respect mutuel et se poursuit parce que le savoir traditionnel est incorporé et transmis au cours de chaque projet, les aînés partageant leurs connaissances avec les générations suivantes ainsi qu’avec les chercheurs.
Parties annexes
Remerciements
Nous remercions, d’abord et avant quiconque, tous les aînés qui nous ont aidés à façonner ce projet et qui y ont contribué de leur savoir et de leur soutien. Nous remercions également tous les étudiants, les chercheurs du PI/KHS et les autres personnes impliquées, ainsi que Taylor Thornton pour le tracé de la carte, et Gwen Angulalik pour la traduction en inuinnaqtun. Les financements proviennent de nombreuses sources, y compris de plusieurs programmes du Gouvernement du Nunavut et du Gouvernement du Canada, en particulier du Conseil de recherche en sciences humaines et sociales du Canada, et du Programme canadien de l’Année polaire internationale. Plus important, rien de tout ceci n’aurait pu être réalisé sans le Programme du plateau continental polaire qui, au cours des ans, nous a procuré du transport aérien, de l’équipement et une expertise logistique qui nous a permis de poursuivre ce travail.