Résumés
Résumé
Les Inuvialuit ont toujours créé leur culture à travers nos/leurs pratiques de vie ancrées dans le territoire. Pour nous, « faire la culture » signifie réaliser, pratiquer et partager des activités, des chants et de la nourriture locale, dans la nature et dans les villages, ensemble avec nos familles et nos communautés. Ces niveaux d’histoire sont inscrits dans le paysage inuvialuit de langue nunangat, notre pays, et dans les voix des Aînés du passé et du présent qui parlent de leur savoir et de leur expérience. Dans cet article, nous décrivons la façon dont les communautés inuvialuit vivent en pratique encore aujourd’hui leurs traditions et les enregistrent au moyen de méthodes numériques pour élaborer un nouveau site Internet d’Histoire vivante des Inuvialuit qui rende hommage au passé, au présent et à l’avenir de nos communautés.
Mots-clés :
- Inuvialuit,
- patrimoine digitalisé,
- Inuvialuktun,
- archéologie communautaire,
- Arctique de l’Ouest canadien
Abstract
Inuvialuit have always created culture through our/their living and land-based practices. For us, making culture means doing, practicing, and sharing activities and songs and country food, on the land and in town, together with our families and communities. These layers of history are embedded in the landscape of Inuvialuit Nunangat, our homeland, and in the voices of Elders past and present speaking about their knowledges and experiences. In this paper, we describe how Inuvialuit communities are practicing our living traditions today and capturing them using digital methods to produce a new Inuvialuit Living History website that celebrates the past, present, and future of our communities.
Keywords:
- Inuvialuit,
- Digital Heritage,
- Inuvialuktun,
- Community archaeology,
- Canadian Western Arctic
Inuinnaqtun
Inuvialuit taima idjuhiit pitquhiliuqhimaaqpakhimayut inuudtjuhingmikut ubluq tamaat atuqtatik ukualut nunami hulilukaarutitik. Uvaptingni ima ittuq pitquhiliungniq, hulilukarutivut atuqhimaaqhugit, hulilukaaqtavut avanmut aituqhugit, pihiitigutlu, niqainangnilu niriplutik, aavaqhunilu nunami, Igluqarviptingniitutalu hulilukaangniq, Ilagiivaluvut ilagiplugit hulilukaqatigiplugit nunalaatlu aallat. Inuvialuit Nunagani tahapkuat Pitquhiraluavut nunami naunaitut, nunagiyaptingnilu, innakhat ublumi inuuyuni tahpkuatlu huiqhimayunilu uqauhiini tuhangnaqtut ilihimayamingnik imaalu atuqpaktakhimayamingniklu inuuniarutimingni. Uvani titiqami, uqariyaqut qanuq ublumi Inuvialuit Nunalaat qanuq tahapkut pitquhivut huli ublu aulapkaininganik atuqhimaqhugit atdjiliuqhugitlu qaritauyangmut iliyukhanik, tigumiaqtanutlu, nutaanik Inuvialuit Qangaraaluk Inuuniarutainik Pitquhiiniklu qaritauyakut takuuriliuqhutik qarauluk pitquhingit aliahuutigiplugit, ublumilu atuqtainik, kiguvaapta nunalaani pihimayakhainik.
- Inuvialuit,
- Qaritauyami Qangaraaluk Inuniarutiat,
- Inuvialuktun,
- Nunalaani Ilituqhiungniq,
- Kanadamilu Ualiningmiut Ukiuqtaqtumi
Sallirmiutun
Inuvialuit nunalu silalu niryutillu malirullugit pitqusiruaqpaktuat. Uvaptingni, inuusiqput immana ittuq nunamilu inuuniarvingnilu: anguniluklutik, savangnilukluta, nigaaqtuqluta, ikayuqtigiikluta atuutitigun niqitigunlu, tamarmik inuuqatigiit. Taapkuat pitqusit ilurriliqtauyut Inuvialuit Nunangani nayuqtaptingni. Inirnirillu ingilraan qangmagaluaq quliaqtuarivagait pitqusitik. Uvani makpiraami, quliaqtuariyavut qanuq Inuvialuit inuuniarvingni piqusingit itilaangitigun qangma. Nutaamik Inuvialuit Pitqusingit Ingilraan quliaqtuat qaritauyanun ililugit inuuniarviit takuyaksangit.
- Inuvialuit,
- Qaritauyanun Tutquqtat Pitqusivut,
- Inuvialuktun,
- Inuuniarviit Ilisarningit Pitqusiptigun,
- Canada-mi Ualinirmi Nuna
Uummarmiutun
Inuvialuit inuuniaruhimiktigun inuuniarutiktingni aturaat inuuniaqhuting aulaaqturvingmingni nuami unuuniaqhuting atr̂amik niqiqaqhuting nunahinamin. Uvaptingnun inuuniarniq itnaittuq inuuniarniq aturnaqtuq uuturarnaqtuq, avanmun aviktuarnaqtuq inuuniarnit niqinik,aulaaqturvingmingni inaur̂amillu. Ukuat qaligiiktuat inuuniarningi aipaarnihat nalunaingutchirait inuuniarvikting Inuvialuit nunangat. Aimavikput nunakput, utuqhanaat nipingat aipaarnihat pangmanikun ilihimakaminiklu inuur̂amingniglu,Uumani maqpiraami, ilitchuripkair̂ugut qanuqinupiat inuuniaruhinginik inar̂ani utiqtitchiniaqtuat inuuniaruhomingnik pangmapak,pikachaliuqługit tuquqtaqr̂ugit qanuq inuuniarningigun Inupiat aipaani qaqhaur̂anunlu ilivlugit tautuakr̂anginik qviahuutikr̂anginik tautuktuarumihigi,pangma aipaanihat inar̂ani.
- Inuvialuit,
- qaqhaur̂atikun,
- Inuvialuktun,
- Inaur̂ani tutqutaniniaqtut,
- Kanatami westeren Arcticmi
Corps de l’article
Les Inuvialuit de l’Arctique de l’Ouest canadien ont toujours créé leur culture à travers nos/leurs[1] pratiques de vie. Cela apparaît aussi clairement à travers un millier d’années d’histoire archéologique que dans les traditions vivantes du présent. « Faire la culture » implique de réaliser, pratiquer et partager les activités, les chants, la langue et la nourriture locale des Inuvialuit, dans la nature et dans les villages, ensemble avec les familles et dans la communauté (voir par exemple Amos 2019 ; Lyons et al. 2022 ; Pokiak 2020 ; Tod-Tims et Stern 2022). Ces multiples niveaux superposés d’histoire et de pratiques vécues sont incrustés dans les paysages archéologiques et historiques de la Région désignée des Inuvialuit (RDI) (Figure 1) et dans les voix des Aînés du passé et du présent qui évoquent leurs expériences et leur savoir. Dans cet article, nous décrivons le processus continu par lequel se fait la culture inuvialuit, numériquement et en temps réel, à travers la pratique des traditions vivantes par de multiples générations de membres de la communauté, et leur enregistrement et leur conservation dans divers médias. Nous nous concentrons sur le projet de longue date intitulé Inuvialuit Pitqusiit Inuuniarutait, le « Projet d’histoire vivante des Inuvialuit » (Inuvialuit Living History Project), et notre réalisation d’un nouveau site Internet, en cours à l’heure actuelle.
Tant les histoires des familles que celles de la communauté sont essentielles à la façon dont les Inuvialuit nous identifient et s’identifient, communiquent avec les autres et nouent des liens avec le monde. La forte tradition d’histoire orale des Inuvialuit a rayonné de bonne heure au moyen de solides publications et de réalisations filmiques, et plus récemment au moyen d’une présence numérique toujours croissante. Nombre de ces efforts ont été initiés par le Centre des ressources culturelles des Inuvialuit (Inuvialuit Cultural Ressources Centre, ICRC), l’antenne culturelle de la Corporation régionale des Inuvialuit et de la Société des communications des Inuvialuit (ICS), ces deux organismes ayant été constitués dans le cadre de la signature de l’Accord final au sujet des revendications territoriales des Inuvialuit en 1984 afin de documenter, promouvoir et affirmer les histoires et les avenirs de cette communauté.
L’ICRC, l’un des solides organismes voués au patrimoine régional dans la région de langue nunangat (ainsi que le montrent les articles de ce numéro thématique), produit des ressources culturelles et linguistiques inuvialuktun pour les Inuvialuit, propose aux communautés inuvialuit divers programmes culturels destinés à revitaliser leur langue, et organise des ateliers consacrés aux pratiques culturelles telles que la couture, le travail des peaux et l’histoire orale. L’ICS produit des films, des émissions de télévision et du contenu médiatique, en plus de publier Tusaayaksat, magazine trimestriel sur papier glacé. La production médiatique des Inuvialuit s’est développée dans le contexte élargi de l’autoreprésentation des Inuit qui compte les Productions Isuma[2] et l’Arctic Arts Summit[3].
Les Inuvialuit et leurs organismes partenaires travaillent actuellement à deux objectifs jumeaux : produire un contenu numérique représentant la langue, l’identité et les pratiques territoriales à partir des points de vue de la communauté ; et numériser les vastes archives d’enregistrements et de collections culturelles se trouvant sous notre/leur garde. La Bibliothèque numérique des Inuvialuit se constitue en un partenariat continu avec l’Université de l’Alberta, qui rend disponibles numériquement les ressources de l’ICRC – leçons linguistiques, livres, collections de photographies, vidéos et enregistrements audio[4]. Un autre partenariat, celui-là avec l’Université de Calgary, le Gouvernement du Yukon et les associations inuvialuit, recourt aux techniques de « capture de la réalité » telles que le balayage laser du territoire et la photogrammétrie aérienne pour archiver les ressources culturelles et naturelles de Qikiqtaruk (l’île Herschel), lieu de grande importance pour les Inuvialuit qui est menacé par la montée du niveau de la mer, l’érosion du rivage et des tempêtes de plus en plus violentes causées par la disparition des glaces maritimes[5].
Le sujet de cet article est le Projet d’histoire vivante des Inuvialuit, un partenariat de longue date dirigé par Lisa Hodgetts et Natasha Lyons, entre le Centre des ressources culturelles des Inuvialuit, Parcs Canada, l’Inuvialuit Communications Society, l’Université Western Ontario, Ursus Heritage Consulting, l’Université Simon Fraser et le Prince of Wales Northern Heritage Centre, dont l’objectif est de documenter la culture et les traditions inuvialuit et de leur rendre hommage. La Phase I du projet a été lancée en 2009 par une visite de la communauté à la Collection MacFarlane de l’Institut Smithsonian, à Washington, qui a abouti en 2012 au lancement de l’Inuvialuit Pitqusiit Inuuniarutait, le site Internet de l’Histoire vivante des Inuvialuit : www.inuvialuitlivinghistory.ca (Hennessy et al. 2013 ; Lyons 2013). La Phase II du projet a commencé en 2017 dans le but d’organiser des évènements destinés à faciliter l’échange et la transmission de savoirs entre les différentes générations de la communauté et à permettre aux participants de créer ensemble un contenu numérique au sujet des traditions inuvialuit vivantes. Nous avons organisé un grand rassemblement culturel, qui a attiré beaucoup de monde, à l’East Three School d’Inuvik en 2018 ; cet évènement portait sur la narration d’histoires, les jeux et l’artisanat, et, en 2019, nous avons organisé un « campement culturel » à Imniarvik (Sheep Creek), campement de base reculé au coeur du Parc national d’Ivvavik (Lyons et al. 2022).
Actuellement, notre équipe oeuvre à deux objectifs numériques majeurs. Le premier est une considérable révision de notre site Internet d’origine pour y ajouter un contenu ethnographique et archéologique provenant d’autres collections muséales inuvialuit, à commencer par la Collection Collinson du British Museum et la Collection Cadzow du National Museum of the American Indian à Washington. Ce site renouvelé permettra aux usagers d’en apprendre davantage sur ces collections qui représentent différentes époques de la vie des Inuvialuit sur leur territoire, et de les explorer par types, matériaux bruts, activités, etc. Puisque le site a désormais plus de dix ans, il présente certaines limitations lorsqu’il s’agit de sa réactivité aux téléphones mobiles et de la façon dont les usagers peuvent interagir avec lui, qui n’est plus telle que nous l’espérions à l’origine. Le site amélioré deviendra par conséquent une composante d’un nouveau site Internet de l’Histoire vivante des Inuvialuit et comportera une large section de voix, d’expériences, de compétences, de géographie et de périodes temporelles des Inuvialuit en intersection avec de multiples médias. Les deux sites se référenceront mutuellement et partageront certains éléments de leur conception.
Bien que notre site d’origine ait eu une moindre portée, l’intention du nouveau site est de rassembler tant le contenu médiatique existant que celui nouvellement créé par les Inuvialuit en une seule plateforme numérique (Figure 2). Conçu en gardant à l’esprit autant les jeunes que l’accessibilité par téléphone, il s’organise autour de cinq thèmes primordiaux. Inuvialuuyuanni (Qui nous sommes) présente les Inuvialuit, leurs familles et leurs communautés. Sur cette page, « Nos communautés » indique les six villages de la RDI – Ulukhaktok, Paulatuk, Aklavik, Ikaahuk (Sachs Harbour), Tuktoyaktuk et Inuvik – et « Notre peuple » dessine le profil des intérêts et des activités culturelles de différents individus et de différentes familles dans toute la région. Le second thème, Taimani, recrée l’échelle temporelle des Inuvialuit (Inuvialuit Timeline, site Internet produit par l’IRC qui est désormais obsolète) et décrit l’ampleur de l’histoire des Inuvialuit depuis Ingilraani (les temps immémoriaux) jusqu’à Quangma (aujourd’hui) à partir de plusieurs médias. Le troisième thème, Pimaariktaksaq nunakput imaqpullu (Prendre soin de notre terre et de notre eau) présente une carte interactive des sites archéologiques, traditionnels et contemporains, utilisés au fil du temps par les Inuvialuit de langue nunangat et permet aux usagers de voir et de faire l’expérience de ces lieux de différentes manières (Figure 3). Inuuniurutikput (Comment nous vivons), le quatrième thème, présente des images d’archives et des vidéos contemporaines des Inuvialuit dans leurs pratiques territoriales ou culturelles dans la nature, telles que la pêche sous la glace, la chasse au bélouga et la fabrique de tambours et de vêtements (Figure 4). Le dernier thème, Ikayuqatigiingniq pitqusiptigu (Partager notre culture), présente des extraits d’importants textes inuvialuit qui évoquent nos/leurs histoires, ainsi que la forme et la force des valeurs des Inuvialuit. Parmi ces extraits de textes, on compte des mémoires d’Inuvialuit tels que I, Nuligak (Nuligak 1966) et Fatty Legs (Jordan-Fenton et Pokiak-Fenton 2010), des histoires orales et des histoires racontées par Agnes Nanogak-Gosse (1972, 1986) (Figure 5) et Ishmael Alunik (1998), ainsi que des documents fondateurs tels que l’Accord final des Inuvialuit (1984) et le rapport de la Commission Berger (Berger 1977). Pour ce qui est de notre travail à venir, nous allons coproduire des ressources pour les écoles à intégrer sur le site Internet, en plus d’un glossaire inuvialuktun et d’autres matériaux de soutien linguistique.
Ci-dessous nous faisons figurer plusieurs membres de l’équipe d’Inuvialuit au coeur de notre projet en conversation avec Ashley Piskor, une étudiante au doctorat de l’Université Western Ontario ; ils discutent de l’élaboration et de la création du nouveau site Internet. Ethel-Jean Gruben est gérante et Lena Kotokak coordonnatrice de la langue régionale au Centre des ressources culturelles inuvialuit. Mervin Joe a travaillé pour Parcs Canada à Inuvik pendant trente ans à divers titres, allant de conservateur des ressources à agent de soutien et de gestion. Les commentaires d’Ethel-Jean, Mervin et Lena portent à la fois sur le processus et la substance de notre travail et ils expriment : pourquoi le nouveau site Internet est important à leurs yeux ; quels sont les messages essentiels qu’ils souhaitent y voir diffusés ; l’envergure et la nature du contenu choisi et comment mieux représenter les intérêts des Inuvialuit d’autrefois et d’aujourd’hui ainsi que les expériences, les histoires et les géographies les plus représentatives à travers la communauté élargie ; les publics visés et les retombées du site ; et leur désir de certitude d’un processus inclusif. Dans la discussion qui suivra, nous réfléchissons à certaines difficultés inhérentes à la co-création de savoir et à la façon dont celles-ci influencent la dynamique des voix, certaines étant davantage privilégiées, et comment nous pouvons interrompre et décoloniser ces trajectoires (Desmarais et al. 2021 ; Kelvin et Hodgetts 2020). Nous envisageons la façon dont nous pouvons avancer au mieux, en ajustant continuellement le parcours de notre propre pratique collective et les recommandations que nous pouvons formuler quant aux autres projets communautaires établis ou naissants dans le Nord inuit.
Signification du site Internet
Ethel-Jean : [Le nouveau site Internet] est une opportunité d’apprendre l’histoire du peuple Inuvialuit et de la région, le mode de vie et la culture. C’est une chance éducative pour quiconque souhaite en savoir davantage au sujet des Inuvialuit, mais aussi pour les Inuvialuit eux-mêmes, qui peuvent vivre en-dehors de la Région désignée. Et même pour ceux qui vivent dans la région mais n’ont peut-être pas cette connaissance. Peut-être qu’ils n’ont jamais quitté leur communauté avant et qu’ils savent qu’il y a une grande région, là, au-dehors, mais qu’ils n’ont jamais eu l’opportunité de s’y rendre. Aussi, c’est un… site Internet pour éduquer les gens et pour aider les gens à comprendre qui sont les Inuvialuit.
Une partie vraiment importante de ce sur quoi nous travaillons en ce moment dans l’organisme [ICRC], c’est : quel genre de ressources pouvons-nous créer ? Comme l’Histoire vivante, comme le « Nord numérique » (Digital North) – [pour ce dernier, nous allons] télécharger des milliers d’éléments d’informations sur un site Internet pour un usage futur. Et nous réfléchissons aux différentes manières de développer des outils et des ressources que les gens puissent utiliser… [Ces ressources] raconteront comment vivaient les Inuvialuit autrefois, et elles sont un éloge de la façon dont nous vivons aujourd’hui, parce que même si nous vivons dans des villages maintenant, nous faisons encore beaucoup de choses de façon traditionnelle.
Mervin : La plus jeune de mes petites-filles a tout juste un an et dans quinze, vingt ans, elle regardera le site [Internet] et dira : « Hé, regarde ! C’est mon Daduk là ! (Figure 6). Je serai peut-être parti, mais elle entendra ma voix et verra ma photo. Je lui dirai… l’importance de [nos valeurs et nos savoirs] et comment ils devraient être transmis de génération en génération ».
Ashley : Comme une façon de préserver…
Mervin : Préserver ! Oui ! … Parce que notre T.K., notre savoir traditionnel, a été transmis… par mes parents, mes grands-parents et d’autres Aînés ; ils me l’ont transmis et moi, je ne veux pas être le dernier à le détenir. Je veux le transmettre à mes enfants.
Messages clés
Ethel : [Notre but est de] parler des valeurs et des principes selon lesquels vivent les Inuvialuit, comme à travers l’IFA, notre revendication territoriale. Nous parlons des principes qui guidaient la raison pour laquelle la revendication territoriale a été signée. Cela parle de nous qui sommes les gardiens de la terre, des eaux, des animaux, les gardiens qui prennent soin de notre environnement et qui prennent soin de notre peuple, et qui créent aussi des opportunités pour que les gens de notre peuple réussissent dans la vie.
Lena : « Qui suis-je ? » C’est une partie… de base du site Internet. Autant que nos valeurs culturelles au sujet de la terre. Comme, par exemple, pourquoi chassons-nous les baleines ? Parce que cela fait partie de nos aliments de base… Comment les chassons-nous ? Comment les préserver ? [C’est important] de savoir comment procurer de la nourriture [à nos familles]. La chasse à la baleine est un exemple parmi d’autres de cela.
Mervin : [Il y a des messages essentiels] que nous devons enseigner à nos enfants, vous savez. Nous avons toujours partagé… en grandissant, les gens de notre peuple partageaient lorsqu’ils chassaient, qu’ils voyageaient ensemble. Au camp de chasse à la baleine, il y avait d’ordinaire vingt tentes en ligne. Je me rappelle qu’à Niaqunaq (West Whitefish), toutes ces tentes étaient alignées comme ça. Et quand il faisait beau, on mangeait dehors. Tout le monde s’asseyait à l’extérieur, par terre, sur une bâche ou autre, et nous mangions ensemble. Le plus vieux disait une prière, disait les grâces. Et ensuite tout le monde mangeait – une famille apportait des beignes [inuvialuit] ou du pain, de la viande, du muktuk… exactement comme un grand repas communautaire [potluck]. On vivait tous comme ça, les uns auprès des autres. L’avenir de nos enfants dépend de l’apprentissage de la façon de partager.
Ma tatie disait, « Ne te moque pas [des autres] ; ils ont un coeur qui bat aussi, et deux pieds. C’est la même chose pour les animaux… On respecte les animaux, ils nous nourrissent… Ne te moque pas des animaux et ne tue que ce que tu peux porter. Tu sais, ne va pas là-bas pour tirer sur vingt caribous ». Et tu sais, beaucoup de ces jeunes chasseurs laissent des morceaux sur place. J’ai grandi en observant et en apprenant, et maintenant, mes enfants et mes petits-enfants, si [nous] allons chasser, je vais leur demander : « Est-ce que vous avez bien tout rapporté ? » Comme ça… si les bois [des caribous] sont bons, ramenez-les à la maison, on pourra en faire quelque chose.
Les gens qui ont fabriqué ces outils [en photo dans la carte interactive (Figure 3)], ils avaient quelque chose à l’esprit : ils fabriquaient quelque chose pour survivre… Ils avaient peu de choses, et à quel point ! Rien que des os, et du bois, et des parties d’animaux, et n’importe quelle chose qu’ils pouvaient utiliser. Et regardez ce qu’ils ont fait ! – et ils ont survécu, il y a cinq, six cents ans, un millier d’années. Comme [nos ancêtres], les gens de Thulé.
Étendue des expériences, des temporalités et des histoires des familles et de la communauté
Ethel-Jean : Avec ce site Internet, on a une opportunité de montrer la culture, la fierté, notre terre, nos eaux, nos ressources, et comment nous pouvons, comment nous montrons la fierté que nous en avons, tu sais, et comment nous prenons soin de notre terre et de nos cours d’eau et de notre mode de vie. Même après les pensionnats autochtones, cela ne nous a jamais brisés. Nous continuons, simplement. Tu sais, il est possible que nous ayons perdu beaucoup de choses en cours de route, comme notre langue par exemple, mais nous travaillons vraiment dur maintenant pour essayer de sauver ce que nous pouvons. Et ça aussi, je pense, c’est une partie importante du site Internet d’Histoire vivante : mettre la langue sur le site Internet, tu sais, en même temps que la traduction.
Ashley : J’ai discuté avec Peter Green à Paulatuk, et il racontait comment, parce qu’il était allé au pensionnat, il avait raté l’apprentissage de beaucoup de traditions de la vie et des activités dans la nature. Et jusqu’à aujourd’hui, il ne connaissait pas vraiment beaucoup de ces choses qui auraient dû lui être transmises mais… il a appris beaucoup de ces connaissances traditionnelles et locales avec les Aînés quand il voyageait pour la RDI [pour les revendications territoriales] et il a appris de chaque communauté, et il a eu l’opportunité de parler avec les Aînés de chaque région. Alors, c’est un peu comme ce que tu disais au sujet de s’aider les uns les autres, comme… ce qui lui manquait, il a pu l’apprendre et rassembler différentes informations et différents savoirs, pas vrai ?
Ethel-Jean : C’est, dans le fond, la façon dont les Inuvialuit font les choses aujourd’hui. Tu sais, c’est parce que nous sommes post-pensionnats –il faut se rappeler qu’on a eu plus de 80 ans [de scolarité] dans les pensionnats [autochtones]. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauver ce qui reste de notre langue. Dans le pire des cas, nous perdrons nos locuteurs dans les dix, vingt prochaines années, tous ceux qui parlent [notre langue] couramment. Et maintenant, nous dépendons de la technologie pour nous aider à revitaliser notre langue… Quiconque souhaite apprendre pourra avoir cette opportunité. Nous savons que nous ne pouvons pas l’imposer à notre peuple, nous voulons voir tous les gens de notre peuple parler couramment [notre langue], mais c’est un choix individuel maintenant, nous avons été forcés de parler l’anglais et nous l’avons accepté parce que nous avons réalisé que pendant les cent dernières années, nous avons été forcés de parler anglais. Et à présent nous essayons de dire à notre peuple, tu sais, « vous devez parler notre langue ». C’est un vrai défi quand beaucoup de gens ne savent pas parler la langue parce que tout ce qu’ils connaissent, c’est l’anglais.
Lena : Il est important de faire connaître l’histoire des impacts sur les Inuvialuit. D’abord, il y a eu… les chasseurs de baleine, puis… les traiteurs de fourrure… puis les catholiques et toutes les Églises. Parce que cela a eu un grand impact sur nous tous.
Il est important d’avoir différents points de vue sur chacun de ces sujets. En tant que personne inuvialuit qui est allée dans un pensionnat autochtone… j’ai eu des impacts et des expériences différentes [de ceux qui n’y sont pas allés]. Aussi, nous avons différents parcours, pas vrai ? [De même], nous vivons tous dans des zones différentes de la RDI, alors je pense que nous avons des valeurs identiques mais des traditions différentes. Il est important de partager les lignées et les histoires familiales.
Mervin : Pour découvrir notre histoire, [il faut savoir comment] elle se transmet… en parlant comme ça. Avant, il y avait beaucoup de gens, comme les Aînés, qui s’asseyaient en rond et parlaient ensemble. On les écoutait raconter leurs histoires. Et… les évènements qu’ils avaient vécus quand ils étaient jeunes, et tout ça.
Tu sais, beaucoup de gens [Euro-canadiens] sont venus au nord et ont eu la vie dure. Mais en vivant avec les gens du coin, c’est comme ça qu’ils ont survécu. [L’ethnographe Viljhalmur] Stefansson vivait avec les autochtones, le long de la côte, sur l’île Herschel. Et c’est comme ça qu’il a survécu. Autre exemple, la GRC, ils recrutaient des sergents [constables] spéciaux inuvialuit pour… les aider dans leurs déplacements ; ils fabriquaient aussi des vêtements pour les membres de la GRC… et vous pouviez les voir porter des mukluks ! Et toutes ces histoires de survie ont été transmises dans les livres [d’histoire].
Le site Internet est un excellent moyen de continuer à faire vivre notre culture dans cette époque de changements. Tout ce que la technologie peut permettre de continuer à faire vivre, mais au moyen d’un langage clair et simple ; nous ne sommes pas des scientifiques ou des gens très instruits, ou quoi que ce soit.
Publics et retombées
Ethel-Jean : Tout le monde pourra accéder [au nouveau site Internet] mais, tu sais, ce serait vraiment bien si c’était la jeune génération. Et je veux dire les gens de 16 à 30 ans, plus les plus jeunes au secondaire. Comme, pour moi, tout l’objectif de ce Projet d’histoire vivante était de le voir dans le système scolaire comme une partie intégrante du programme, à travers les études nordiques, ou les études sociales, ou… ces programmes, pour que les gens puissent avoir l’opportunité d’apprendre au sujet des Inuvialuit, leur histoire, leur mode de vie, et toutes les belles choses au sujet du peuple inuvialuit.
Nulle part, en études sociales, ils n’ont parlé des peuples autochtones du Canada ou des Territoires du Nord-Ouest… et là, nous sommes assis là 40 ans plus tard, et nous en parlons encore. Comme, pourquoi est-ce que les gens du reste du monde n’apprennent pas cela, les véritables peuples autochtones des Territoires du Nord-Ouest et la façon dont nous avons vécu et survécu et vivons aujourd’hui, tu sais, et que nous sommes des chasseurs-cueilleurs !? Comme, juste maintenant, nous venons de finir de récolter les baies, les aqpiit [plaquebière ou « ronce petit-mûrier »], et les gens ramassent encore les bleuets et nous nous apprêtons à aller ensemble ramasser les canneberges. Et après, nous allons aussi commencer notre saison de chasse au caribou, tu sais, et après le caribou, il y aura la saison de l’orignal (Figure 7). Enfin, presque en même temps, et ensuite c’est le temps des grands froids et les gens rentrent chez eux et restent tranquilles…
Ce projet, et d’autres comme celui-ci, c’est une chance de… semer une graine d’intérêt pour quelques Inuvialuit qui n’ont peut-être pas grandi sur le territoire ou n’ont pas grandi au contact de beaucoup d’activités traditionnelles. C’est un point de départ… pour quelques personnes, de commencer peut-être à se renseigner, surtout pour ceux qui vivent hors de la Région désignée et qui ont été élevés plus loin au sud – et la vie là-bas, au sud, est totalement différente de la vie ici, au nord.
Mervin : Le public sera de tous les âges… et de différentes cultures. Comme, les Gwich’in et les Inuvialuit, tu sais, il y a des années, ils se battaient entre eux. Et puis ils ont surmonté leurs raisons de se battre et maintenant ils vivent les uns avec les autres [dans des communautés de la Région désignée telles qu’Inuvik et Aklavik où a grandi Mervin]. Nous arrivons à nous comprendre. Nous avons grandi de la même façon, tu vois, sur le territoire, à pêcher, chasser, et puis il y a même encore certains qui chassent la baleine – les Gwich’in, s’ils descendent sur la côte et qu’ils se trouvent avec une autre famille inuvialuit. Et alors, ils apprennent des parties de chaque culture. Les Gwich’in, ils adorent le muktuk. Ils l’adorent, ça les rend fous. Quand ma famille se rend à McPherson ou Tsiigehtchic, ils [les membres de sa belle-famille gwich’in] demandent, « est-ce que vous avec apporté du muktuk !? »
Au sujet de la co-création des savoirs
Ethel-Jean : On va dans les communautés, et on fait des portes ouvertes, et on crée l’opportunité pour les gens de venir et d’en savoir davantage sur le site Internet, et on répond peut-être à quelques questions, on donne quelques renseignements au sujet de leur Histoire vivante. [Et nous leur demandons :] « Dites-nous si nous faisons du bon travail ou dites-nous si nous sommes “dans le champ”, parce que cela nous aide, quand nous rentrons, à nous dire, « Bien, nous avons raté ça… » C’est tellement important d’avoir les remarques des communautés, parce qu’ils vous le disent, ce sont des gens vraiment directs. Ils vous disent les choses telles qu’elles sont.
Quand on ne sait pas [quelque chose] … c’est là qu’en général nous allons voir les Aînés de la communauté en leur disant, « Hé, on a une question… Nous sommes en train de concevoir ce site Internet, et cette question a surgi. Qu’est-ce que vous en pensez ? Et alors on la fait parvenir aux six communautés. Quelquefois, c’est incroyable, les réponses nous reviennent presque identiques, et quelquefois elles nous reviennent complètement différentes : c’est ça la diversité des communautés.
Mervin : Nous devons travailler ensemble et, comme vous les archéologues, vous venez et vous nous aidez à fouiller. Vous nous aidez à raconter notre histoire. Et ensuite cette histoire, nous l’apporterons à l’école. Et ensuite… à l’école, ils ont un cours d’histoire sur cela. Et après, tu vois, les professeurs apprendront, les étudiants apprendront, tous les différents groupes d’âge. Comme, si nous apportons un artefact à un enfant de maternelle, on lui demande, « qu’est-ce que c’est ? » Et si c’est un couteau à neige, l’enfant va aller dehors et essayer de couper de la neige ! Il essaie déjà d’apprendre à s’en servir ! Le site Internet est un point de départ pour ce processus, pour les rendre curieux.
Lena : Il va vous falloir utiliser vraiment les Aînés pour qu’ils transmettent leur savoir ; avoir un contact étroit avec eux en tant qu’administrateurs du site.
Ashley : Comme tu l’as dit, le site Internet est pour tout le monde… et on peut espérer que la construction de ce site créera des opportunités pour les Aînés et pour les jeunes, et d’autres âges, de s’assoir ensemble et de partager cette expérience d’apprentissage.
Lena : Il est important que les usagers inuvialuit se rendent compte que [le site Internet] leur appartient ! Parce que ce sont des Inuvialuit et qu’ils sentent qu’ils sont représentés, qu’ils font partie de quelque chose [dont ils se sentent propriétaires], dont ils veulent vraiment faire partie.
Discussion. Restituer les Histoires vivantes des Inuvialuit numériquement et en temps réel
Cet article porte sur le processus de restitution et de présentation des histoires vivantes et des traditions culturelles des Inuvialuit en format numérique et en temps réel. Dans cette discussion, nous réfléchissons à certaines des difficultés de la co-création de savoir, de la représentation d’une multitude de voix, et de la rupture de la dynamique des privilèges (Desmarais et al. 2021 ; Kelvin et Hodgetts 2020). Ainsi que certains membres de l’équipe y ont fait allusion ci-dessus, une partie de cette histoire porte sur des processus coloniaux et une autre partie sur la constitution de la communauté inuvialuit elle-même en réaction à ces derniers (Pokiak 2020). Ainsi que le laisse entendre Lena, le contact colonial soutenu a commencé très tôt dans l’Arctique de l’Ouest avec l’arrivée des Euro-canadiens chasseurs de baleines boréales dans les années 1890, rapidement suivis par les traiteurs de fourrures et les missionnaires. Durant cette époque coloniale, les gens de l’extérieur ont continuellement imposé des changements économiques et sociaux au mode de vie des Inuvialuit (Bockstoce 1986 ; Hodgett 2013 ; Lyons 2010, 2013 ; Usher 1971) – et les Inuvialuit y ont réagi (en partie) en devenant l’un des groupes de chasseurs et de trappeurs les plus efficaces au monde sur le plan commercial (Alunik, Kolausok et Morrison 2003). Ethel-Jean insiste sur le bouleversement majeur et son impact sur la culture, y compris la langue – qui, contrairement à d’autres langues du nord circumpolaire, n’est désormais plus beaucoup parlée – et les difficultés que cela représente (Amos 2019).
Afin de contrecarrer les incursions coloniales et étatiques, les chefs gwich’in et inuvialuit se sont unis au début des années 1970 pour constituer le Comité des droits des peuples premiers (Committee of Original People’s Entitlement, COPE), organisme qui allait oeuvrer aux revendications territoriales respectives de ces communautés (Alunik et al. 2003 ; Pokiak 2020 ; Usher 1976). Côté Inuvialuit, il incluait des membres de trois groupes linguistiques apparentés malgré un immense éloignement géographique : les communautés des locuteurs de l’uummarmiutun à l’ouest, les locuteurs du sallirmiutun (siglitun) en bordure maritime du delta du Mackenzie, et les locuteurs du kangiryuarmiutun (isnuinnaqtun) à l’est (Figure 1). Signée en 1984, l’entente territoriale des Inuvialuit recouvrait des institutions sociales, culturelles et économiques édifiées sur une communauté de valeurs et d’intérêts pour documenter, façonner et affirmer les histoires et l’avenir de la collectivité. Cependant, ainsi que l’ont évoqué Ethel-Jean et Lena ci-dessus, ces communautés ont des histoires, des identités et des intérêts divers, ainsi que des connaissances et des ressources fondamentales. Plusieurs d’entre elles, comme le fait remarquer Mervin, entretiennent des relations étroites et de longue date avec les Inupiat, les Gwich’in et d’autres communautés dénées de l’Alaska qu’il est important de reconnaître ; d’autres ont d’importantes relations avec des communautés inuit de l’Arctique de l’Est. Celles qui se trouvent au centre de la RDI – en particulier à Inuvik où se trouvent les principales structures de gouvernement – tendent à se faire davantage entendre. Depuis les premières étapes de notre projet, les membres inuvialuit de l’équipe ont insisté sur l’importance de s’assurer que les gens des six communautés de la Région désignée aient des opportunités de participer aux activités du projet, d’y contribuer et de se voir représenter dans ses aboutissements.
Pour cette raison, leurs voix et leurs points de vue sont primordiaux dans la représentation des histoires des femmes et des hommes de ces communautés. Lors de l’élaboration du site Internet, nous avions en partie pour stratégie de créer une structure où l’on pourrait sans cesse ajouter du contenu, et de concevoir des pages aux thématiques larges pour pouvoir y inclure une diversité de perspectives présentées dans de multiples médias (Figure 4). Les Inuvialuit font constamment remarquer la signification de leurs noms de famille et leurs parcours familiaux – d’où venaient les gens, où ils s’étaient installés, à qui ils étaient apparentés. Nous avons cherché à montrer ces relations dans des cartes, des vidéos personnelles et des portraits, ainsi que par des extraits de mémoires d’Inuvialuit (Figures 5 et 6). À l’avenir, nous pourrons y ajouter des généalogies familiales et d’autres projets portés par les communautés.
Les voix sont également rendues par le texte. Lena et d’autres ont insisté sur l’importance du fait que les usagers inuvialuit reconnaissent ce site comme étant bien le leur, demandant par conséquent qui parle, et quel est son point de vue ? En réponse, nous avons choisi collectivement de rédiger les textes du site à la première personne du pluriel, mais cela renferme de multiples pluriels. Par exemple, des descriptions des communautés contemporaines de la Région désignée (Figure 6) ont été approuvées par des membres de ces communautés. Nous avons extrait et conservé des vidéos à partir des archives de l’Inuvialuit Communications Society, qui sont incroyablement riches ; ces vidéos montrent différentes activités culturelles, zones géographiques et périodes de temps qui remontent jusqu’aux années 1960. La carte interactive présente des sites et des artefacts archéologiques, traditionnels et contemporains qui couvrent un millier d’années d’usage ancestral du territoire (Figure 3).
Une autre question au sujet des voix est celle de la production elle-même. Le processus consistant à restituer les voix des Inuvialuit les fait passer à travers de nombreux filtres, tels que la ou les personnes qui choisiront ce qu’il faut inclure ou non. Nous devons continuellement revisiter nos procédés de production de savoir. Au cours d’une conversation partiellement relatée ci-dessus, Mervin disait à Ashley : « Vous nous aidez à raconter notre histoire ». Il désignait ainsi les membres non-Inuvialuit de notre équipe, dont plusieurs sont des auteurs de cet article et qui détiennent des compétences techniques très différentes : archéologues, anthropologues, archivistes, réalisateurs/réalisatrices et concepteurs de sites Internet. Élaborer un site Internet exige une petite armée de gens détenant de telles compétences. Mervin faisait essentiellement observer une dynamique qui fonctionne pour notre projet (et pour un grand nombre d’autres semblables) : les Inuvialuit sont des détenteurs de savoir qui ont une histoire, des histoires, des idées et des connaissances qu’ils souhaitent partager avec nos/leurs enfants et le reste du monde d’une façon qui relève uniquement de leur choix propre. L’ICRC n’a pas encore la capacité de veiller sur toute la production sur place et c’est la raison pour laquelle il recourt à de nombreux partenariats tels que le nôtre. Pour les membres de l’équipe non-inuvialuit, notre tâche est d’écouter attentivement les points de vue et les préoccupations des partenaires des communautés, de discerner l’orientation qu’ils veulent prendre, et de rédiger des contenus en fonction de ces besoins, ceux-ci étant à leur tour vérifiés et entérinés par la communauté en un processus cyclique jusqu’à ce que nous parvenions à un résultat satisfaisant.
Ce processus est long, et même avec les meilleures intentions du monde, nous avons été confrontés à de nombreuses difficultés (mais nous avons aussi éprouvé beaucoup de joie !) lors de la création et de la réception des rondes de commentaires au sujet des différentes composantes du nouveau site Internet. Outre la géographie et les coûts des déplacements qui sont déjà des problèmes pour les projets nordiques, la pandémie nous a, bien sûr, mis d’autres bâtons dans les roues pour ce qui était du travail de terrain et des processus communautaires, ainsi que pour notre programme de communication habituel, mais nous avons réussi, en résolvant ensemble les problèmes de façon créative, à maintenir le projet en mouvement.
Notre site Internet de travail « beta » sera prêt à recevoir des commentaires à l’automne 2023, et nous prévoyons nous rendre dans les six communautés de la RDI avec les membres de l’équipe qui vivent au nord à l’aide d’assistants embauchés sur place. Tout au long du projet, nous avons noué des liens dans toutes ces communautés, et nous sommes impatient-e-s de les renouer. Il nous est nécessaire d’instaurer, au niveau collectif, un bon ensemble de méthodes pour nous engager dans chacune des communautés, pour élaborer des méthodes de révision critique et pour inviter les gens de la communauté à faire entendre leur voix dans les différentes sections du site Internet de la façon qu’ils ou elles choisiront. Il est probable que cela sera variable en fonction des endroits. Nous avons également travaillé avec le Conseil de l’éducation Beaufort-Delta, des enseignants locaux et des administrateurs pour déterminer les meilleures stratégies pour intégrer la version finale du site Internet et les ressources éducatives dans les programmes scolaires locaux et territoriaux.
Le principal enseignement que nous retirons de nos quinze années, ou presque, passées à coproduire le Projet d’Histoire vivante des Inuvialuit est relativement simple. Tout d’abord, mener une recherche significative basée dans une communauté exige du temps, un véritable engagement, et cela doit nous tenir à coeur (Hodgetts et Kelvin 2020 ; Lyons et al. 2022). Les membres de notre équipe sont forts, aimables et intelligents, et bien que nous ne soyons pas toujours d’accord sur tous les plans, toutes les orientations ou toutes les interprétations, nous travaillons tous et toutes à trouver des solutions et à accueillir les différentes perspectives. Ensuite, les relations que nous avons nouées et les expériences que nous avons partagées sont d’importance égale pour les livrables que nous produisons. Par exemple, c’est un grand plaisir pour nous que de voir les jeunes qui sont employés par le projet en tant que chercheur-e-s, étudiant-e-s, assistant-e-s, vidéographes ou autres, devenir des adultes compétent-e-s qui poursuivent leur travail à divers titres dans les communautés. De même, il est remarquable d’observer un partage de savoirs se dérouler en temps réel dans la nature et être saisi en images numériques qui permettront de le regarder plus tard. Les ressources que nous avons créées durant toute la durée du projet – sites Internet, documentaire, programme scolaire, écrits universitaires ou grand public – sont également importantes, car elles véhiculent les voix de la communauté, font connaître les Inuvialuit et affirment ce qu’ils veulent être, offrant une sagesse ancienne ancrée dans la terre et des solutions pratiques dans un monde qui change.
Parties annexes
Remerciements
Nous adressons nos sincères remerciements à Beverly Amos, Shirley et Albert Elias, Emily Kudlak, Lillian Elias, Letitia Pokiak, ainsi qu’aux Aînés et détenteurs de savoirs inuvialuit qui soutiennent ce projet de tant de manières. La liste des auteur-e-s de cet article est organisée autour de celles et ceux qui y ont apporté des idées centrales. Nous remercions également nos partenaires et ceux qui nous ont financés, entre autres l’Aurora Research Institute, l’Inuvialuit Regional Corporation, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Programme du plateau continental polaire et le Programme de formation scientifique dans le Nord, les deux évaluateurs anonymes et l’équipe éditoriale d’Études Inuit Studies.
Nous pleurons la disparition de plusieurs Inuvialuit importants qui sont décédés pendant la rédaction et la production de cet article, notamment Mervin Joe et Peter Green.
Notes
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[1]
Les auteur-e-s de cet article incluent tant les Inuvialuit que les non-Inuvialuit. Afin de refléter intentionnellement cette prise de position, nous utilisons tout du long une combinaison de pronoms pour montrer que certains d’entre nous identifient « notre culture », « notre langue », et que par ailleurs certains d’entre nous reconnaissent et vivent ces concepts en tant que personnes extérieures à cette culture.
-
[2]
Voir : http://www.isuma.tv/isuma.
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[3]
Voir : https://arcticartssummit.ca/articles/unikkausivut-sharing-our-stories/.
- [4]
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Références
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