Résumés
Résumé
L’« habiter nomade », tel un canevas intellectuel et philosophique, préside à une expérience de participation et de recherche-création en architecture, qui visait à explorer de nouvelles approches à la programmation, la conception et la construction de Maisons des jeunes (et intergénérationnelles) dans les villages du Nunavik. De telles maisons ont été envisagées comme un lieu qui procurerait un sense of home, qui invoquerait l’identité Inuit. Afin d’examiner et d’illustrer comment l’architecture pourrait accompagner les jeunes Inuit dans la réappropriation et la mise en valeur de leur identité, tout en affirmant des traditions significatives, la recherche-création a été convoquée. Dans ce contexte, l’habiter (comme « idée de la maison ») est alors abordé comme une invitation faite à l’architecture, et aux architectes, d’offrir des moments, des lieux et des occasions qui permettront aux habitants d’être leurs propres créateurs de sens. L’ensemble de la réflexion et de la démarche participative portant sur une Maison pour les jeunes inuit est traduite en quelques projets d’architecture qui mettent en lumière diverses aspirations, opportunités et désirs d’« habiter » le Nunavik.
Mots-clés:
- Habiter,
- Nunavik,
- maison nomade,
- Maisons des jeunes,
- recherche-création
Abstract
“Nomadic dwelling”, as an intellectual and philosophical framework, presides over an experiment in participation and research-creation in architecture, which aimed to explore new approaches to the programming, design and construction of Youth (and Intergenerational) Centres in the villages of Nunavik. Such houses were envisioned as a place that would provide a sense of home, that would invoke Inuit identity. In order to examine and illustrate how architecture could accompany young Inuit in the reappropriation and enhancement of their identity, while affirming meaningful traditions, research-creation was convened. In this context, dwelling (as an “idea of home”) is then approached as an invitation to architecture, and to architects, to offer moments, places and occasions that will allow the inhabitants to be their own creators of meaning. The entire reflection and participatory process on an Inuit Youth Centre is translated into a few architectural projects that highlight various aspirations, opportunities and desires to “inhabit” Nunavik.
Keywords:
- Dwelling,
- Nunavik,
- nomadic house,
- youth centres,
- research-creation
Corps de l’article
[…] il n’est nul besoin d’architecture ni d’urbanisme pour habiter. Quand il y en a, cela peut être mieux, ou cela peut être pire. Mais le désert (l’an-architecture) n’empêche pas le nomade d’habiter. Et le nomade (c’est ce que signifie son nom) est sans doute celui qui habite le plus. Ou, disons : le nomade est celui qui habite le plus avec un minimum d’architecture.
Benoit Goetz (2011, 10) Théorie des maisons : L’habitation, la surprise
C’est dans une perception ou une perspective « nomade » que la notion de l’habiter est ici envisagée. Tel un canevas intellectuel et philosophique dont il sera question plus loin, l’« habiter nomade » est au centre d’une expérience de participation et de recherche-création en architecture, qui visait à explorer de nouvelles approches à la programmation, la conception et la construction de Maisons des jeunes dans les villages du Nunavik[1].
Deux motivations principales ont porté et orienté cette expérience. La première, la plus délicate en termes culturels et personnels, s’intéresse au bien-être des jeunes Inuit à un moment de heurts personnels et de sérieux défis socio-culturels. Selon Alicia Aragutak, alors présidente du Qarjuit Youth Council (2016), les jeunes Inuit
ressentent les effets de la modernisation radicale des trois dernières générations. La majorité de la population s’accorde pour dire que les jeunes traversent actuellement une crise d’identité culturelle. [Ils] n’ont pas pleinement exploité leur véritable identité d’Inuit, ce qui […] a un impact majeur sur l’estime de soi et la confiance en soi chez les jeunes.
traduction des auteures
La deuxième est de nature socio-économique. En effet, le mandat confié par l’Administration Régionale Kativik (ARK) se situait dans un contexte d’optimisation des ressources financières, étant donné les importants coûts de construction et d’opération des actuelles Maisons des jeunes au Nunavik[2]. Ainsi, une programmation architecturale innovante devait répondre à deux défis principaux : 1) optimiser l’utilisation journalière d’une Maison des jeunes différente, en la partageant en tout ou en partie avec d’autres clientèles, notamment les aînés, faisant ainsi d’elle une Maison des jeunes (et intergénérationnelle) ; et 2) évaluer l’acceptabilité, par les jeunes Inuit, d’inclure d’autres groupes de personnes dans leur Maison et, dans le cas d’une réponse positive, scénariser et spatialiser les occasions d’échanges et de partage des espaces[3].
En guise de méthode et d’approche
Une Maison des jeunes[4] (et intergénérationnelle) renouvelée a ainsi été envisagée comme un lieu qui procurerait un sense of home, (un sentiment d’être chez-soi, à la maison, et d’y appartenir) un lieu où les jeunes Inuit pourraient se retrouver après l’école et échanger entre eux, apprendre des histoires et des arts-artisanats significatifs, ou passer la nuit lorsque le logement familial n’offre pas la sécurité attendue. Une réflexion renouvelée autour du sense of home impliquait de tenter d’identifier et d’interpréter ce qu’est « l’habiter » pour les jeunes Inuit, ce qui est important et significatif pour les uns et les autres dans leurs perceptions, leurs pratiques et leurs rapports à l’espace.
Afin d’examiner et d’illustrer comment l’architecture – le projet architectural, en l’occurrence – pourrait accompagner les jeunes Inuit dans la réappropriation et la mise en valeur de leur identité, tout en affirmant aujourd’hui des traditions significatives pour eux, la recherche-création, ou la recherche par le design, a été utilisée comme méthode pour mieux explorer ce sujet complexe. La recherche-création, selon le Conseil de recherche en sciences humaines (Gouvernement du Canada 2018), est une « approche de recherche combinant des pratiques de création et de recherche universitaires et favorisant la production de connaissances et l’innovation grâce à l’expression artistique, à l’analyse scientifique et à l’expérimentation. Le processus de création, qui fait partie intégrante de l’activité de recherche, permet de réaliser des oeuvres bien étoffées sous diverses formes d’art ». En architecture, dans un environnement académique de recherche, ces oeuvres prennent la forme de projets architecturaux ou projets d’architecture, c’est-à-dire des représentations de solutions possibles et souhaitables qui intègrent une grande variété d’informations, de connaissances et d’aspirations, et qui en illustrent tout aussi bien la complexité scientifique que l’intégration formelle. C’est ce que le « design » permet de générer (Figure 1). Le design fonctionne en boucles itératives et successives qui impliquent la triade image-présentation-test : l’image (une solution en principe élaborée par le concepteur suite à l’analyse et l’interprétation de l’information pertinente et utile à un problème de design) fait l’objet de représentations 2D ou 3D (en maquettes et/ou en dessins) et est ensuite mise à l’épreuve des objectifs de départ pour en évaluer la justesse, la richesse, le potentiel et l’originalité. Des itérations successives sont nécessaires à l’analyse d’une grande variété de données et d’informations, de même qu’à l’intégration et à la découverte de nouvelles connaissances (Razzouk et Shute 2012 ; Zeisel 2006).
Le design constitue également « un moyen efficace pour opérer le transfert des résultats de recherche et des expériences vers des pratiques plus éclairées, c’est-à-dire des pratiques qui offrent des perspectives nouvelles sur la façon de résoudre le problème » (Vachon et al. 2017, 122). Afin d’expliciter la relation à la fois étonnante et privilégiée que l’architecture entretient avec la connaissance, l’architecte et théoricien Antoine Picon (2018, 150) propose de considérer que « le pourquoi n’est jamais très loin du comment, et avec lui toutes sortes d’incertitudes ». Il ajoute :
Il reste que l’architecture opère toujours simultanément sur le monde qu’elle ordonne et sur un sujet qu’elle contribue à révéler à lui-même par l’intermédiaire de sensations et d’émotions. Une autre façon de dire cela serait d’affirmer que l’architecture apparaît à la fois comme ordonnancement de la matière et de l’espace et comme construction du sujet sur un mode différent et complémentaire d’autres champs du savoir et de la pratique.
Ibid., 154
C’est dans le cadre d’un atelier de design architectural qu’une telle expérience de recherche-création a été menée[5]. Elle a aussi été jumelée à une approche participative et collaborative, une façon originale et unique de faire émerger et de recueillir les opinions et les aspirations des membres des communautés, dont les jeunes Inuit, et ainsi d’assurer une plus grande acceptabilité et mobilisation sociales, culturelles et institutionnelles des projets d’architecture proposés. Dans notre cas, la participation a été menée autour de rencontres informelles, ainsi que d’activités et de jeux spécialement conçus pour les jeunes Inuit. Des études de précédents architecturaux ont permis de dégager quatre thèmes pour l’élaboration de jeux à caractère artistique ou ludique : 1) les activités souhaitées ou privilégiées dans une Maison des jeunes ; 2) les relations entre le territoire, le paysage et l’identité ; 3) l’organisation spatiale et volumétrique ; et 4) les liens entre les ambiances, la flexibilité et les matériaux. De plus, des observations ont aussi été réalisées dans la nouvelle Maison des jeunes d’Akulivik, ainsi que dans les bâtiments plus anciens de Puvirnituq et d’Umiujaq. Enfin, certains jeux et activités ont aussi été testés auprès d’adultes, dans les Coopératives des villages nordiques visités. Une autre caractéristique originale de la recherche-création, par le projet d’architecture, se situe dans le cadre théorique de nature philosophique qu’elle permet également de mettre en jeu : dans ce cas-ci, la maison et l’habiter.
En guise de cadre théorique : une maison, là où on habite
La question du sens de l’habiter offre l’occasion, à l’invitation de l’architecte Louis Kahn, d’ouvrir une parenthèse en forme de commentaire philosophique sur ce qui caractérise ou différencie : Maison (House, ou l’idée de la maison), une maison (a house), et être à la maison/habiter (home). Maison (House), Kahn (1960, 64) explique, est le « caractère abstrait des espaces où il fait bon vivre » ; Maison est une forme idéale, sans contours réels ni dimensions. Une maison (a house) en est une interprétation circonstancielle : c’est le design, un projet architectural. Kahn définit alors la valeur de l’architecte à sa capacité d’imaginer ce qu’est Maison, plutôt que de sa conception d’une maison qui est un acte contextuel. Être à la maison/habiter (home) est une maison (a house) et ses occupants : être à la maison/habiter est différent avec chaque occupant et n’existe que lorsqu’il y a des gens à l’intérieur. De façon similaire, le philosophe et historien Jean-Marc Besse (2013) associe directement habiter et vivre. Il insiste sur l’importance des gestes et des comportements de l’habiter déjà évoqués, de la signification de moments particuliers :
Habiter, c’est tracer des lignes et dessiner des surfaces, c’est écrire sur la terre, parfois en puissants caractères, et y laisser des images. […] Et ce n’est rien d’autre que transformer la surface de la Terre en une sorte de grande demeure, en un intérieur universel. Habiter, ce n’est pas seulement être quelque part, c’est y être d’une certaine manière et pendant un certain temps.
Besse 2013, 10
L’architecte Aldo van Eyck (1960 : 471) ajoute une certaine nuance : « quelle que soit la signification prise par espace et temps, lieu et occasion signifient plus […] car l’espace dans l’image de l’homme est lieu, et le temps dans l’image de l’homme est occasion ».
Kahn (1960), Besse (2013) et van Eyck (1960) encouragent les architectes à offrir des moments, des lieux et des occasions qui permettront aux habitants d’être leurs propres créateurs de sens. Rappelons-le, les architectes ne construisent pas de home, ils et elles construisent des maisons. Au mieux, comme le prétend Kahn, en construisant une maison, les architectes peuvent tenter de faire émerger un sens d’une manière de vivre. L’architecture, la maison, sont alors des « dons » : « nous ne pouvons que nous cultiver pour leur fabrication et nous préparer pour leur offrande et leur découverte » (Rockcastle 1987, 164).
Habiter : vers une certaine expérience inuit
S’intéresser à la notion de l’habiter, chez les communautés inuit, implique aussi de s’intéresser à leur relativement récente sédentarisation, en tentant de comprendre la réalité nomade qui a marqué, et marque encore, leur relation à leurs territoires d’habitation (Brière et Laugrand 2017 ; Duhaime 1983). Un certain idéal nomade ou une certaine idée de la maison nomade et vagabonde a porté nos réflexions, à différentes échelles et pour différentes occasions. Vagabonde et nomade sont des termes, des idées, des qualités, suggérés par Jean Désy (2010, 16) et associés à une certaine liberté :
Je n’aime ni les barrières ni les frontières. J’ai découvert que j’aimais ceux qu’on appelle « Autochtones » parce que mon âme est en grande partie autochtone, nomade, nordiste et vagabonde. Ce fut ainsi depuis des lunes et des lunes. Pourquoi ? Parce que je me sens nettement plus libre chez les nomades et que ma liberté passe par le départ, qu’il soit physique ou psychique, réel ou « fictif ». Plus je suis au Nord, plus on me laisse partir, revenir et respirer librement, sans jugement autre que celui de savoir que je reste disponible, quel que soit mon lieu de passage dans le monde.
Cette liberté de pensée a d’ailleurs encouragé, de la part des étudiants de la maîtrise, une exploration d’idées, de modèles et de projets qui semblaient les plus appropriés au contexte nordique, tant en termes culturels que climatiques, ainsi qu’un examen des conditions qui permettraient que de nouvelles possibilités d’habitation significative puissent exister. Nomadisme et habitation significative sont à leur tour des termes, des idées et des qualités que le philosophe Benoit Goetz (2011, 19) associe directement à la tâche ou à la responsabilité de l’architecture et de l’architecte : « le nomade est celui qui habite le plus avec un minimum d’architecture ». Cette assertion a initié et supporté une recherche des choses essentielles de l’habitation, de l’habiter. Une telle recherche rappelle, bien sûr, que la maison, qu’une maison, constitue une de ces choses essentielles de l’habitation significative (Goetz 2011, 103-104) :
Je dirais, de manière simple et quasiment enfantine (il y a beaucoup d’enfance dans ce thème de la maison), que nul n’existe sans habiter (peu ou prou). Et qu’il n’est pas possible d’habiter sans maison, pas plus qu’il n’est possible d’être humain sans culture ni langage. Or le langage et la pensée appartiennent aussi à la maison. Les maisons sont faites de matériaux et de pensées, d’architecture et de philosophies, mais aussi de comportements et de gestes.
Matériaux et pensées, architecture et philosophies, comportements et gestes, voilà des thèmes qui pointent directement vers la cabane (ou cabin) que plusieurs Inuit construisent pour eux-mêmes et chérissent tout particulièrement (Collignon 2001, 1999 et 1998) (Figure 2). Témoin d’une relation significative avec leur territoire – relation que les Inuit ne semblent plus retrouver dans les villages actuels – la cabin est une matérialisation éloquente de l’idée de la maison vraie et du nomadisme qui lui est souvent associé (Brière et Laugrand 2017 ; Ingold 2013a ; Benachir 2008 ; White 1998 et 1987). La cabin permet une déconstruction et une reconstruction des matériaux, pensées, architecture, philosophie, comportements et gestes qui la composent : elle permet aux Inuit d’être aussi bien créateurs de sens que d’espaces (figure 3). Selon l’anthropologue, architecte et poète Jean-Paul Loubes (2000, 90), la cabane constitue une figure privilégiée pour une exploration géopoétique de l’architecture ; géopoétique, dans le sens de poésie de la terre, de relations significatives d’un objet architectural avec le monde, de matérialisations aussi bien du faire que de l’être. Loubes (2000, 91) poursuit : « Construire une cabane, en avoir le désir, puis le projet, enfin l’accomplir, suppose aussi une perception fine des choses ».
Bien que nous ne puissions prétendre connaître ou percevoir la culture Inuit dans toutes ses finesses, notamment celles qui caractérisent les aspirations des jeunes Inuit, l’idée de la maison, du sense of home, a tout de même été abordée dans cet esprit. L’ensemble des références théoriques (à caractère philosophique ou anthropologique) sur lesquelles le présent article est basé suggère que : habiter signifie attribuer un sens (Besse 2013 ; Forty 2006 ; Ingold 2000, 2013b et 2013c ; Paquot et al. 2007 ; Rapoport 2003 ; Rykwert 1991 et 1972 ; Rykwert et Atkin 2005 ; Serres 2011 et 1994 ; von Meiss 2012). À cet égard, la cabin inuit est toute proche cousine de la hutte ou de la cabane « primitive » comme idée de la nature/essence de la première maison. Celle-ci a marqué l’histoire de la théorie architecturale depuis à peu près toujours et sa valeur ne s’épuise jamais, surtout quand vient le moment, comme le suggère Rykwert (1972) : de retrouver les choses essentielles et fondamentales (les origines, les originaux) de l’habiter, de repenser ce que nous faisons de façon souvent trop coutumière, de renouveler notre discipline, et de donner un sens et une signification à ses productions.
Les hypothèses de design qui ont porté nos réflexions (et dont certains résultats sont présentés plus loin) se résument ainsi : 1) l’architecture produit les formes physiques qui permettent d’habiter ; 2) habiter, comme fait(s) et comme aspiration(s) dans la recherche de sens, permet d’articuler la relation entre imagination et réalité ; et 3) la tâche de l’architecture, ainsi que le rôle de l’architecte, consistent à mettre en oeuvre des opportunités d’habiter, à faire que ces opportunités existent, à les imaginer, à les construire, et à les offrir avec humilité et confiance à ceux et celles à qui ces formes sont destinées.
Matériaux et pensées, architecture et philosophies, comportements et gestes
Le contexte d’habitation actuel des communautés inuit synthétise, ou tente de synthétiser, un héritage plutôt étonnant ; ce que les artistes inuit révèlent avec nuances et imagination, ainsi qu’avec une immense poésie (figures 4 et 5). Ces images nous rappellent, comme l’a déjà suggéré Marie-Ève Vaillancourt (2017, 25), que nous sommes confrontés à une
réflexion élargie sur les concepts philosophiques de lieu, d’espace, d’habiter et d’imaginaire géographique, c’est à un enrichissement général du regard que nous pouvons porter sur la manière humaine d’habiter que nous contribuons […] Un constat s’impose cependant : renvoyant à des dimensions à la fois physiques, sociales et intimes, le concept d’habiter semble définitivement et intimement lié avec ceux du lieu, de l’espace et de l’identité.
Un tel élargissement du regard, vers le concept d’identité, implique évidemment de considérer et d’accueillir ces « matériaux et pensées, architecture et philosophies, comportements et gestes » qui décrivent les aspirations de futurs occupants, en l’occurrence les jeunes Inuit.
Afin d’identifier ces comportements et gestes qui auraient une incidence significative pour les jeunes Inuit, un voyage d’études et de rencontres, impliquant une vingtaine d’étudiants et de professeurs, a eu lieu dans trois villages du Nunavik (Puvirnituq, Akulivik et Umiujaq). À travers différentes activités planifiées à leur intention, une soixantaine de jeunes Inuit ont été rencontrés, dans leurs propres écoles et les maisons de jeunes existantes : des jeunes très ouverts, qui ont partagé avec confiance leurs réalités, leurs aspirations, leurs hésitations et leurs rêves (Figures 6 et 7). De plus, des discussions spontanées entre les jeunes Inuit et les étudiants universitaires ont mis en évidence l’intérêt et la curiosité mutuelle des jeunes entre eux et envers la démarche exploratoire à laquelle ils participaient.
Ces rencontres ont fait ressortir que jeunes et moins jeunes s’entendent sur la localisation souhaitable d’une Maison des jeunes (et intergénérationnelle) au coeur du village, à proximité de l’école et des équipements publics. Soulignons au passage l’incroyable facilité des jeunes Inuit à s’orienter sur la carte de leur village, à y repérer rapidement leur maison et les bâtiments publics, à expliquer leurs trajets quotidiens et à identifier les distances de marche. Les jeux associés à l’organisation spatiale et volumétrique ont révélé certaines préférences pour des formes généralement non rectilignes, pour une organisation du bâtiment qui comprend un espace extérieur protégé, pour des relations de plus grande proximité avec le territoire et des vues profondes sur ce territoire, ainsi que pour des relations fonctionnelles entre les pièces qui facilitent aussi bien les échanges en groupe et l’intimité que la versatilité dans les usages.
L’éventualité d’une cohabitation ou d’un partage d’espaces entre les jeunes et les aînés semble, pour une forte majorité des adultes rencontrés, aussi logique que productive, en encourageant les liens entre les générations. Les jeunes Inuit voient aussi ce partage de façon positive. L’organisation spatiale d’une nouvelle Maison intergénérationnelle devrait toutefois offrir aux divers groupes d’âge certains espaces qui leur soient exclusivement dédiés et réservés, en fonction des activités qui y sont menées. Jeunes et adultes ont insisté sur des activités de transmission et d’apprentissage de savoirs traditionnels, comme une sorte de mentorat culturel.
Ces rencontres ont révélé que les jeunes Inuit comprenaient que l’architecture peut contribuer à rendre leur présence et leur culture visibles, de même que la relation qu’ils souhaitent rétablir avec leurs territoires et leurs savoirs traditionnels. Suite aux discussions et aux activités tenues dans les communautés visitées et à l’identification des aspirations et préférences des jeunes et des aînés, cinq enjeux (chacun accompagné d’un certain nombre d’objectifs de design) ont été relevés pour la conception des projets :
Identité |
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Rassemblement |
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Territoire |
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Confort |
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Sécurité |
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En guise de conclusion : habiter comme pensée(s) et projets
La réalisation de Maisons où jeunes Inuit et ainés peuvent co-habiter implique de nouvelles approches à la programmation, la conception et la construction de telles Maisons. Les rencontre en participation ont permis d’identifier les attentes prioritaires, c’est-à-dire de : 1) mettre en lumière les aspirations et les traits identitaires et culturels des communautés et des personnes, notamment les jeunes, et aussi éventuellement les aînés ; 2) accompagner le développement, la participation et l’investissement communautaires ; 3) permettre les rencontres et renforcer les liens intergénérationnels ; 4) accompagner les personnes dans leurs activités significatives culturellement ; 5) offrir refuge, support et ressources, au besoin ; et 6) mettre en lumière les caractéristiques et les qualités des vastes et riches territoires d’habitation, d’occupation. Les étudiants en architecture ont élaboré des projets variés, démontrant un éventail de possibilités adaptées aux caractéristiques des milieux d’implantation, ainsi qu’aux attentes identifiées par les communautés. Les projets illustrés ici (Figures 8 à 15) les traduisent en formes à fort potentiel d’acceptabilité culturelle et sociale [6] ; ils présentent les principales caractéristiques et qualités suivantes :
Les nouvelles Maisons des jeunes (et intergénérationnelles) seraient avantageusement localisées au sein des communautés, généralement à proximité des équipements sportifs et scolaires et à distance de marche.
Leur intégration dans la communauté et avec le territoire se ferait par des expressions architecturales évoquant notamment la culture locale et les aspirations des membres des communautés, les vues vers le territoire et les transitions (Figures 8 et 9).
La cohabitation des jeunes et des aînés pourrait avoir lieu à travers des espaces de sociabilité partagés, distincts ou bien en une combinaison de ces solutions (Figures 10, 11 et 12).
Les qualités architecturales des espaces accueillant diverses activités, tant au niveau de leur flexibilité que de leur adaptabilité pour des individus ou des groupes (Figures 13, 14 et 15).
La démarche de recherche-création, ou la recherche par le design qui a été utilisée au cours de cette exploration de nouvelles approches à la programmation, la conception et la construction de Maisons des jeunes dans les villages du Nunavik, met en évidence la richesse d’un processus de conception en participation. Les échanges directs entre étudiants-concepteurs et jeunes (et moins jeunes) Inuit ont ainsi permis l’émergence de sens à travers des formes architecturales variées. Ces projets, porteurs de valeurs et de représentations identifiées par de jeunes Inuit, constituent de nouveaux « possibles », ou de nouvelles traductions en formes significatives d’habiter. Habiter signifie aussi : tout ce qui contribue, pour chaque humain, à prendre place, à avoir « lieu », librement. La recherche-création montre que l’architecture, comme possibilités de « lieux » peut accompagner les personnes dans leurs propres créations d’espaces et de sens. Les Maisons des jeunes (et intergénérationnelles) présentées ici en font une démonstration plutôt riche et éloquente.
Parties annexes
Notes
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[1]
L’expérience est issue d’un mandat confié en 2018 par l’Administration Régionale Kativik (ARK), responsable de la planification ainsi que de la supervision, de la conception et de la construction de bâtiments publics au Nunavik, à l’École d’architecture de l’Université Laval, dans le cadre du projet de recherche en partenariat Habiter le nord québécois : Mobiliser, comprendre, imaginer. Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada (2015-2020). Voir : http://www.habiterlenordquebecois.org/.
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[2]
Chacun des 14 villages nordiques devrait être doté, au cours des prochaines années, d’une nouvelle Maison des jeunes (les maisons existantes étant en état de vétusté technique et fonctionnelle). Au moment où ce mandat était confié au partenariat HLNQ (en 2017), deux nouvelles Maisons des jeunes avaient déjà été construites à Akulivik et à Kangirsuk. Au moment d’écrire les présentes lignes (en 2019), deux autres étaient complétées à Umiujaq et Tasujaq.
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[3]
Deux autres défis secondaires ont aussi été considérés : optimiser l’usage des nouveaux lieux et des espaces, afin qu’ils soient plurifonctionnels, transformables et adaptables, et explorer le potentiel de « réplicabilité » et d’adaptabilité des solutions architecturales aux différents villages nordiques.
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[4]
Selon la Nunavik Youth Houses Association (NYHA) (www.nunavikyouthhouses association.com), les Maisons des jeunes sont des « lieux de rencontres sécuritaires où les jeunes de 6 à 19 ans développent leurs habiletés pour devenir des citoyens responsables et pratiquent leurs traditions et langue, le tout sous la responsabilité d’animateurs et de coordonnateurs compétents ». Au début des années 2000, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et le Nunavik Regional Board of Health and Social Services décident de développer des Maisons des jeunes dans chaque village du Nunavik afin d’offrir aux jeunes un endroit sécuritaire où se rendre après l’école, pendant les fins de semaine et les vacances d’été. La NYHA est responsable des programmes, de la supervision et de la formation des coordonnateurs et animateurs dans les 14 villages.
-
[5]
L’expérience a été menée dans l’atelier Construction et Design, du 2 février au 1er mai 2018. Elle a principalement mobilisé 15 étudiants de la maîtrise professionnelle (Ariel Bousquet, Camille Bryselbout, Roxanne Cauchon, Philip Cloutier, Cathelyne Dolisy, Vincent Foster, Rita Kahwaji, Sophie Laforge, Mélanie Lepage, Marie-Ève Mercier, Audrey Riopelle, Joudi Sayegh, Gabrielle St-Pierre, Dominique Thériault et Tatiana Valter), ainsi qu’un bon nombre d’intervenants Inuit, jeunes et moins jeunes, rencontrés lors d’un séjour de collecte d’informations, d’observations et de discussions effectué du 17 au 22 février 2018 dans trois villages du Nunavik (Puvirnituq, Akulivik et Umiujaq).
-
[6]
Nous n’avons malheureusement pas eu l’occasion de présenter ces projets aux jeunes Inuit rencontrés lors des rencontres de consultations et des jeux ; ils n’ont par conséquent pas pu les commenter.
Références
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