Résumés
Résumé
Depuis la fin des années 1950, de nombreuses compagnies minières ont exploré la Fosse de l’Ungava au Nunavik (Canada). Des gisements de nickel, de cuivre et d’amiante y ont été exploités, ou sont en ce moment exploités, depuis les années 1970. Actuellement les compagnies Canadian Royalties et Glencore Xstrata emploient quelque 1500 personnes sur leurs sites d’extraction. Les Kangirsujuamiut, Sallumiut, Puvirnitumiut et les Nunavimmiut en général ont dû apprendre à vivre avec les retombées socioéconomiques et environnementales des projets miniers. Si leur perception de l’activité minière au Nunavik a évolué avec le temps, l’importance qu’ils accordent à la protection de l’environnement, elle, ne s’est pas érodée. Des comités comme la Commission de la qualité de l’environnement Kativik, le Comité Raglan et le Comité Nunavik Nickel voient à ce que le Nunavik continue à être perçu comme un territoire sain où il est toujours possible de pratiquer des activités de subsistance. La création du parc national des Pingualuit à proximité des mines aide également à minimiser les impacts environnementaux négatifs et offre aux Nunavimmiut la possibilité de récupérer un territoire qui avait été délaissé avec le temps. Le parc national des Pingualuit permet aux jeunes générations de se réapproprier une partie de leur culture, simplement en occupant le territoire.
Abstract
Since the late 1950s many mining companies have explored the Ungava Belt in Nunavik (Canada). Nickel, copper, and asbestos deposits have been mined since 1970, and some still are. At this time, the mining companies Canadian Royalties and Glencore Xstrata employ more than 1,500 workers at the mining sites. Kangirsujuamiut, Sallumiut, Puvirnitumiut, and the entire Nunavimmiut community have to learn how to live with the socio-economic and environmental impacts of the different mining projects. The general perception of mining in Nunavik has changed over time but the desire to protect the environment remains unchanged. Several committees like the Kativik Environmental Quality Commission, the Raglan Committee, and the Nunavik Nickel Committee are working together to make sure that Nunavik will continue to be seen as a place where traditional activities can still be practised. The creation of Pingualuit National Park, close to the existing mines, helps minimise the negative impacts and offers the Nunavimmiut the option of recovering a territory they have not used for some time. Pingualuit National Park now offers younger generations a chance to get closer to their culture, simply by facilitating their access to the territory.
Corps de l’article
Introduction
En 1931 et 1932, Murray Watts devient le premier prospecteur à découvrir la présence de nickel et de cuivre dans la péninsule de l’Ungava (Giovenazzo 1986: 75). Si aujourd’hui les compagnies minières s’intéressent beaucoup au fer de la Fosse du Labrador, c’est tout de même dans la Fosse de l’Ungava, qui représente sa continuité géologique, que les compagnies minières ont décidé d’exploiter leurs premières mines. Cette section du Nunavik comprise entre les villages d’Akulivik et de Kangirsujuaq consiste en une bande de roches volcano-sédimentaires, d’orientation est-ouest, qui suit à peu près le 62e parallèle (d’une longueur approximative de 400 km et d’une largeur qui varie entre 50 et 90 km) (Figure 1). Au cours des années 1950, plus d’une trentaine de compagnies minières ont exploré la quasi-totalité de la Fosse de l’Ungava pour y rechercher le précieux nickel. C’est au cours de ces recherches qu’un important gisement d’amiante fut découvert à Purtuniq (Asbestos Hill). Au cours des années 1960, deux compagnies minières, Falconbridge Nickel Company (qui prendra par la suite le nom de New Quebec Raglan Mines Ltd. après s’être portée acquéreur de compagnies rivales) et Asbestos Corporation, effectuent quantité de forages et débutent la construction d’un certain nombre d’infrastructures (bâtiments, routes, quai, etc). Ces compagnies ont exploité l’amiante de 1972 à 1982 à Purtuniq (ibid.) et poursuivi des travaux de mise en valeur du nickel et du cuivre à Raglan Lake jusqu’en 1980 (Ministère de l’Énergie et des Ressources du Québec 1983). La conjoncture économique mondiale et le prix des métaux ont alors contraint à l’abandon des travaux miniers dans cette région du Nunavik.
Cet article présente un historique du développement minier dans la Fosse de l’Ungava et montre comment la création du parc national des Pingualuit à proximité des mines aide à minimiser les impacts environnementaux négatifs. De plus, nous verrons que la création de parcs nationaux du Québec au Nunavik semble également offrir aux Nunavimmiut la possibilité de promouvoir leur culture. Toutes les informations comprises ici proviennent de rencontres, de discussions et d’un certain nombre de lectures qui se sont échelonnées sur une trentaine d’années passées au Nunavik par l’auteur qui travaille actuellement pour l’Administration régionale Kativik à Kangirsujuaq au sein de l’équipe du parc national des Pingualuit. À Kangirsujuaq, il est aussi le représentant local au sein des comités Raglan et Nunavik Nickel ainsi que secrétaire-trésorier de la Corporation foncière Nunaturlik[1].
Développement minier au Nunavik à partir des années 1980
Entre 1983 et 1988, le gouvernement québécois entreprend un programme de cartographie géologique de la région en vue de promouvoir l’activité minière au Nunavik (Lamothe 1986: 1). Si les prix à la baisse du nickel et du cuivre avaient mis fin aux explorations minières au début des années 1980, une découverte importante de métaux rares (platine et palladium) a eu pour effet de relancer l’exploration dans la région (ibid.: 5). Encore une fois, la conjoncture économique et politique mondiale, ainsi que le prix élevé de ces métaux rares, dictaient aux compagnies minières la direction à suivre. Comme seule une découverte exceptionnelle peut s’avérer rentable pour un producteur, l’exploration s’est poursuivie pendant encore quelques années. Il a fallu toutefois attendre 1997 pour qu’une nouvelle mine entre en opération dans la Fosse de l’Ungava. La Société minière Raglan du Québec Ltée a alors entrepris d’y extraire le nickel et le cuivre à partir de mines à ciel ouvert et souterraines (Swift 1996: C5). Des quantités non négligeables de platine, de palladium et d’or s’ajoutaient aux métaux récupérés.
Tout juste avant les débuts de l’étape d’exploitation, une entente multipartite était signée entre la Société Makivik, la Corporation foncière Qarqalik de Salluit, le village nordique de Salluit, la Corporation foncière Nunaturlik de Kangirsujuaq, le village nordique de Kangirsujuaq et la Société minière Raglan du Québec Ltée. Cette entente comprenait une description technique du Projet Raglan, une description des tâches du comité de supervision de l’entente, des directives sur la procédure à suivre lors de conflits entre les parties, une recommendation sur l’emploi d’entrepreneurs régionaux, ainsi que des sections sur l’environnement et l’atténuation des impacts, l’emploi et la formation, les procédures d’opération des activités minières, les substances toxiques, et le partage des revenus (Raglan Agreement 1995). Au moment de la signature de l’Entente Raglan (1995), la Société minière Raglan prévoyait être en opération pour au moins 15 ans, peut-être même 30 ou 40 ans.
En plus des mines à ciel ouvert et souterraines, le site comprenait un complexe d’hébergement, un concentrateur, des installations portuaires à la baie Déception et une piste d’atterrissage à Donaldson. Au moment de l’inauguration officielle de la mine Raglan en 1998, la compagnie minière avait déjà investi plus de 600M$ pour l’ensemble de ses infrastructures et elle ne comptait pas s’arrêter là. Sur le site même, le minerai extrait est concassé, broyé, puis transformé sur place en concentré nickel-cuivre (la pureté du nickel sortant de Raglan est à 18%; 56% à sa sortie de Sudbury; et 99% une fois mis sur le marché en Norvège). La capacité du concentrateur pouvait atteindre alors une production annuelle de 28 000 tonnes de concentré de nickel (Raglan Committee 2012).
En 2006, la compagnie minière Xstrata se porta acquéreur de Falconbridge. Ce nouvel intervenant au Nunavik (la compagnie a été créée en 2002) a son siège social en Suisse, opère dans plus de 20 pays, est impliqué dans plus de 100 activités minières à travers le monde, est considéré comme le quatrième plus important producteur de nickel au monde et donne de l’emploi à plus de 70 000 travailleurs sur la planète (Xstrata 2012: 2). Sa filiale, Xstrata Nickel Mine Raglan, n’a jamais cessé d’investir, aussi bien dans ses infrastructures que dans l’exploration ou dans l’amélioration du rendement. Au mois d’août 2011, la compagnie minière annonçait des investissements de plus de 530M$ pour sa mine Raglan seulement. La production de nickel concentré allait passer de 28 000 tonnes par an à plus de 40 000 tonnes en 2016 (Welch 2012: 1). Une nouvelle fusion est survenue dernièrement (mai 2013) et dorénavant la nouvelle compagnie porte le nom de Glencore Xstrata plc.
En 2006, la compagnie minière Canadian Royalties annonçait son intention d’ouvrir une mine à moins de 20 km des infrastructures d’Xstrata Nickel. Canadian Royalties s’intéressait à l’exploitation du nickel et du cuivre et, comme sa concurrente, elle a entrepris des négociations avec la Corporation du village nordique de Puvirnituq et les corporations foncières des autres communautés inuit localisées à proximité du site d’extraction. Après plus d’un an de négociation, l’Entente Nunavik Nickel a été signée en 2008. Les signataires sont la corporation foncière de Salluit, la corporation foncière de Kangirsujuaq, la Société Makivik, la minière Canadian Royalties et le village nordique de Puvirnituq. Avant même que les pourparlers débutent, les parties avaient convenu de se servir de l’Entente Raglan comme outil de référence afin de produire un document amélioré, acceptable et approuvé par tous.
La compagnie minière Canadian Royalties, incorporée depuis 1998 et dont le bureau chef est à Val d’Or, a débuté ses activités au Nunavik en 2001. La période de construction des infrastructures nécessaires à l’exploitation principalement du nickel, cuivre, platine et palladium a commencé en 2008, avec comme objectif de débuter la production minière en 2010. À l’époque, la durée prévue des opérations était de 17 ans. Ce projet de 465M$ a subi des ratés dès le début de ses activités. Des problèmes de liquidités, de logistique, de même que des difficultés à s’entendre avec son proche concurrent, Xstrata Nickel Mine Raglan, n’auguraient rien de facile. Par exemple, le fait de devoir partager la piste d’atterrissage de Donaldson s’avère toujours un sujet délicat. C’est la Commission de la qualité de l’environnement Kativik qui a forcé Canadian Royalties à partager l’utilisation et les coûts d’opération de la piste d’atterrissage appartenant à Xstrata Nickel Mine Raglan. De plus, en 2008, Canadian Royalties a perdu plus de 181M$. Le prix du nickel ayant soudainement chuté, entre autres en raison d’une demande réduite, la minière risquait la faillite. Au mois de novembre 2008, Canadian Royalties rangeait ses équipements et congédiait une partie de son personnel, au moins jusqu’à ce que le marché redevienne plus favorable, et ce, malgré le fait que pratiquement tous les permis nécessaires à l’exploitation de la mine eussent déjà été acquis.
Au mois d’octobre 2009, les compagnies minières Goldbrook Ventures et Jilin Jien Nickel Industry Co. se portaient acquéreurs de la mine Nunavik Nickel, respectivement à 25% et 75% (Nunatsiaq News 2009). Si Goldbrook Ventures est une compagnie canadienne, Jilin Jien Nickel Industry Co. est par contre un des plus importants producteurs de nickel, cuivre et cobalt en Chine. Ses opérations couvrent toute la panoplie des activités minières: exploration, exploitation, fonderie et raffinage. Cette seconde mine au Nunavik devait à ce moment entrer en opération dès 2012, sauf qu’une mésentente entre les deux propriétaires allait retarder pour quelque temps ce projet de plus de 500M$ (Nunatsiaq News 2010). Après un arrêt complet de l’activité minière pour une période de deux ans, les opérations débutèrent finalement en 2010 par un nouveau programme d’exploration (17M$) et par l’accélération de la construction des infrastructures, dont un quai à la baie Déception; quai qui s’est malheureusement affaissé en 2011, occasionnant des pertes d’environ 15M$ pour la compagnie[2] et des dommages environnementaux non négligeables[3]. Au cours de l’été 2011, Jilin Jien était prêt à investir 400M$ de plus dans son projet Nunavik Nickel, ce qui représente pratiquement un milliard de dollars d’investissement (Nunatsiaq News 2011). Au début de 2012, la minière chinoise achetait les 25% d’actions détenues par son associé des trois dernières années tout en conservant le nom Canadian Royalties pour son entreprise oeuvrant au Nunavik (Nunatsiaq News 2012).
Les probabilités de retrouver d’autres compagnies minières dans la Fosse de l’Ungava dans un proche avenir demeurent élevées, et pas uniquement pour l’exploitation du nickel et du cuivre, puisque l’intérêt porté aux terres rares[4] dans son secteur centre-ouest est fort perceptible. Il existe actuellement une demande internationale croissante pour les terres rares et comme la Chine, principal fournisseur pour la quasi-totalité de la demande mondiale, tend à vouloir imposer des restrictions à ses exportations, il se pourrait que le Nunavik devienne un acteur important dans la production de cette ressource.
Impacts socioéconomiques du développement minier sur les villages inuit limitrophes
Il ne fait aucun doute que l’exploration et l’exploitation minières occasionnent des retombées économiques dans la région (dans le domaine du transport aérien entre autres). Si les minières ne cessent de répéter aux Nunavimmiut que leur présence dans la région permet aux bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois (CBJNQ) de retirer des bénéfices appréciables, ces derniers ne sont pas entièrement convaincus puisqu’ils se réfèrent régulièrement aux ententes signées en 1995 et 2008 pour rappeler à Xstrata Nickel Mine Raglan et à Canadian Royalties que les Nunavimmiut devraient profiter d’une façon encore plus importante du développement minier qui se fait actuellement dans la Fosse de l’Ungava. Au moment de la phase d’exploitation, environ 1350 travailleurs s’activeront sur les sites des deux compagnies minières (Canadian Royalties, 350 employés; Xstrata Nickel Mine Raglan, 1000 employés)[5]. De ce nombre, environ 15% en moyenne sont des bénéficiaires de la CBJNQ, alors qu’au moment des rencontres précédant la signature des ententes les parties visaient plutôt un taux avoisinant les 20%, aussi bien durant la phase de construction des infrastructures qu’au moment de la mise en exploitation des mines. Xstrata Nickel Mine Raglan, à elle seule, nécessite au moins cinq envolées hebdomadaires (Boeing 737) entre les villes du sud de la province et Donaldson, aussi bien pour le transport de son personnel que pour l’acheminement du matériel nécessaire à l’exploitation de sa mine (en plus des vols réguliers de la compagnie aérienne Air Inuit qui assurent le transport du personnel inuit). La compagnie minière vient même de s’acheter un deuxième Boeing 737 pour mieux répondre à ses besoins nordiques.
Des rencontres fréquentes avec les actuels ou anciens employés des compagnies ayant opéré au Nunavik nous ont appris que le nombre si peu élevé de travailleurs inuit sur les sites miniers du Nunavik est en partie dû à leur impossibilité d’accéder à des emplois spécialisés à cause d’un manque de formation; à la difficulté de travailler à l’extérieur du lieu de résidence permanent; aux conflits interculturels sur le lieu de travail; ou encore parce que l’incitatif financier associé à l’emploi offert par les minières paraît négligeable.
Même si un système d’éducation organisé reconnu par les instances gouvernementales (école fédérale, école provinciale, Commission scolaire du Nouveau-Québec, Commission scolaire Kativik) fait partie du quotidien des Nunavimmiut depuis le tout début des années 1960, seulement 18% des élèves terminent le secondaire 5, année après année, selon Annie Popert, directrice générale de la Commission scolaire Kativik (George 2012). Le décrochage scolaire est si élevé que le petit nombre de gradués réussissent pratiquement tous à trouver, dès la sortie de l’école, un emploi au sein des diverses organisations locales et régionales. Il n’est pas rare que de très jeunes hommes ou femmes obtiennent des postes de direction au tout début de leur vie d’adulte; alors pourquoi continuer des études post-secondaires? Xstrata Nickel Mine Raglan a d’ailleurs de la difficulté à trouver preneur pour ses bourses d’étude. Pourquoi s’exiler à l’extérieur de sa communauté pour accéder à des emplois non spécialisés qui ne correspondent aucunement aux choix de carrière de ceux qui deviendront très rapidement les futurs dirigeants du Nunavik? Les minières doivent alors se contenter d’un personnel inuit non instruit qui a toujours eu de la difficulté à s’insérer dans ce système ou cette façon de faire venus d’ailleurs.
En plus d’occuper des emplois non spécialisés, les employés inuit sont confrontés à des difficultés d’insertion dans un milieu de travail qui ne leur est pas familier: horaires de travail (nous sommes quand même bien loin des conditions de travail de Raglan Nickel du début des années 1970 quand un Inuk comme Kakinik Naluijuk[6] de Salluit devait travailler neuf mois consécutifs sur le site minier avant de prendre ses premiers jours de congé), supervision constante, langue et culture étrangères, conflit culturel, éloignement et pression familiale, ennui, etc. Afin d’éliminer tout conflit interculturel sur le site minier, les compagnies ne tolèrent aucune remarque, attitude ou comportement racistes de la part de la totalité de leurs employés (tolérance zéro en cette matière et possibilité de renvoi immédiat des employés fautifs). La recherche d’une intégration réussie du personnel inuit a même forcé les compagnies minières à offrir, depuis 2009, à ses cadres et superviseurs allochtones une formation interculturelle (Makivik Magazine 2009).
Ces raisons peuvent expliquer le très coûteux roulement de main-d’oeuvre inuit observé autant chez Canadian Royalties que chez Xstrata Nickel Mine Raglan. Malgré de très gros investissements en temps, énergie et formation spécialisée, les compagnies minières sont conscientes qu’elles n’en récolteront peut-être pas les fruits puisque le décrochage du personnel inuit ne semble pas diminuer. Afin de réduire pareil roulement de main-d’oeuvre, un programme de formation et d’apprentissage propre à la mine Raglan (projet Tamatumani) est offert à tous les Inuit, hommes et femmes, afin qu’ils puissent accéder à des postes plus spécialisés: apprenti électricien, assistant au forage, apprenti soudeur, analyste au laboratoire, aide arpenteur, etc. (George 2008). Ce projet de quatre ans, qui s’est terminé en 2012 et qui possédait un budget de près de 30M$, a donné lieu à la création de près de 60 postes pour les travailleurs inuit (fin 2011). De sa propre initiative, Xstrata Nickel Mine Raglan a depuis décidé de continuer, à ses propres frais, le programme de formation.
Lors des rencontres du Comité Raglan et du Comité Nunavik Nickel, les compagnies minières doivent continuellement expliquer leurs résultats déficitaires en matière de création d’emplois pour les Nunavimmiut. Pour les signataires des ententes, 20% de travailleurs inuit était considéré comme un seuil minimal en deçà duquel des efforts supplémentaires devraient être faits pour répondre aux attentes de la population du Nunavik. En effet, même si les populations des villages de Kangirsujuaq et de Salluit (chez Xstrata) et de Kangirsujuaq, Salluit et Puvirniquq (pour Canadian Royalties) devaient avoir priorité au moment de l’embauche du personnel, les bénéficiaires restants du Nunavik venaient tout de suite derrière afin de maximiser le nombre d’employés inuit sur les sites miniers.
Afin d’augmenter le nombre de travailleurs inuit associés au domaine minier et de percevoir des revenus additionnels pour leurs communautés, les Corporations foncières Nunaturlik de Kangirsujuaq et Qarqalik de Salluit se sont jointes à des partenaires afin d’effectuer des travaux de sous-traitance auprès d’Xstrata Nickel Mine Raglan et de Canadian Royalties: Kiewit/Nuvummiut (mine à ciel ouvert); Redpath/Nuvummiut (forage souterrain); Major/Nuvummiut (forage d’exploration); Canotec/Nuvummiut (citernes); Genivar/Nuvummiut (ingénierie); et ESS/Nuvummiut (restauration)[7]. En plus de percevoir de l’argent neuf pour les bénéficiaires de Kangirsujuaq et de Salluit (les revenus de ces communautés ont frisé les 10M$ uniquement pour l’année 2012), ces compagnies créent de l’emploi, donnent de la formation en milieu de travail et permettent aux villages de s’offrir une panoplie d’infrastructures fort coûteuses: gymnase, piscine, hôtel, garage, véhicules, bureaux, etc.
Afin de faire profiter encore plus les Nunavimmiut des retombées économiques du développement minier sur son territoire, le Fonds d’exploration minière du Nunavik (FEMN) a été créé en mars 1998 pour sensibiliser les communautés inuit au développement des ressources minérales et à la promotion du potentiel minéral du territoire; pour former et donner de l’assistance technique aux prospecteurs inuit; pour réaliser des projets d’exploration minérale propres au FEMN en partenariat avec l’industrie minière; et pour favoriser l’émergence d’un entrepreneuriat inuit dans le domaine de l’industrie minière (Fonds d’exploration minière du Nunavik 1998; Séguin 2010). Des emplois additionnels permanents et des emplois saisonniers sont donc créés afin qu’un plus grand nombre d’Inuit s’impliquent dans ce secteur de l’économie.
Selon les membres de la Corporation foncière Nunaturlik, le nombre restreint de travailleurs originaires de Kangirsujuaq (14) ou de Salluit (22) actifs sur les sites miniers au mois de janvier 2013[8] pourrait être corrélé aux bénéfices ou compensations financières reçus annuellement par la population de ces villages. Dans les ententes conclues en 1995 et 2008, des chapitres[9] prévoyaient un partage des revenus des minières avec les signataires inuit. Le Comité Raglan nous a informé que le partage des revenus prévu dans l’Entente Raglan, à elle seule, a permis aux Nunavimmiut de s’enrichir d’environ 115,5M$ depuis 2004 jusqu’à la fin de l’année 2012. Les Sallumiut ont reçu 45% de cette somme, les Kangirsujuamiut 30% et l’ensemble des Nunavimmiut 25%. Si certains associent ces sommes à une compensation pour dommages causés à l’environnement, d’autres parlent plutôt de bénéfices associés au partage des profits entre partenaires.
La façon de partager tout cet argent ne fait toutefois pas l’unanimité et c’est bien ce qu’avait prédit le maire d’Ivujivik en 1987 lorsqu’il affirmait: «Nous détesterions voir nos propres gens jaloux d’une partie du territoire» (Peter Audlaluk, com. pers. 1987, notre traduction). À Kangirsujuaq, par exemple, ce sont les élus locaux (la Corporation foncière Nunaturlik et la Corporation du village nordique de Kangirsujuaq) qui, après avoir consulté la population locale, décident comment les sommes reçues d’Xstrata Nickel Mine Raglan seront utilisées. Est-ce que cet argent sera investi en partie dans le développement communautaire, ou sera-t-il remis en totalité à la population bénéficiaire de la communauté? Cet argent additionnel dans les poches des bénéficiaires peut tout aussi bien servir à l’achat d’équipements pouvant permettre la poursuite d’activités traditionnelles, qu’à celui d’un véhicule ou pour effectuer un voyage, acheter de l’alcool ou de la drogue, etc. Comme Knotsch et al. (2010), nous pouvons nous demander si tous les avantages économiques retirés de l’exploitation minière améliorent vraiment le bien-être de la population autochtone.
À Kangirsujuaq, plusieurs participants aux lignes ouvertes de la station radiophonique locale prétendent qu’aucune somme d’argent ne compensera les pertes environnementales qui, à elles seules, pourraient modifier grandement leurs habitudes de vie. Avec Lapointe (2009: 1), nous nous demandons pourquoi les compagnies minières peuvent, encore aujourd’hui, envisager et même entreprendre l’exploitation des ressources minérales d’une région sans avoir préalablement obtenu une certaine forme de consentement de la part de la population qui sera la plus touchée par une telle activité. Au début, lorsque Falconbridge a annoncé qu’elle voulait ouvrir une mine, Lucassie Nappaaluk de Kangirsujuaq n’était pas très heureux. Maintenant, comme plusieurs autres Kangirsujuamiut, il croit qu’il faut se rendre à l’évidence: le travail est rare dans la région. Selon lui, la mine affectera le mode de vie traditionnel des Inuit, sauf que les gens n’ont plus d’autre choix que de se préparer à affronter le changement (Giguère 1996).
Évolution de la perception des Nunavimmiut à l’égard du développement minier
Ce désir qu’avaient les compagnies minières d’exploiter les ressources non renouvelables de la Fosse de l’Ungava n’est parvenu aux oreilles des Nunavimmiut les plus concernés qu’au milieu des années 1980. À cette époque, Peter Audlaluk, maire du village d’Ivujivik, sentait qu’on cherchait à laisser les Inuit à l’écart, qu’on essayait de les garder hors du réseau de communication qui semblait pourtant bien enclenché autour des différentes compagnies minières. Pour les Ivujivimiut, entre autres, c’était comme si celles-ci voulaient accaparer leur territoire à leur insu (Peter Audlaluk, com. pers. 1987). Pourtant le Ministère de l’Énergie et des Ressources faisait partie de ceux qui savaient ce qui se tramait à l’intérieur de la Fosse de l’Ungava. M. Raymond Savoie, alors ministre des Mines et des Affaires Autochtones, et son cabinet semblaient indifférents au sort des Inuit. Selon ces derniers, le ministre et son équipe paraissaient s’intéresser davantage au développement minier qu’aux Affaires autochtones.
Dans une lettre envoyée par la Corporation du village nordique d’Ivujivik au ministre Savoie (datée du 20 juillet 1987), Peter Audlaluk et Jusi Ainalik, de l’organisation Innuqatigiit Tungavingat Nunamini (organisation politique non signataire de la CBJNQ représentant les villages d’Ivujivik, de Puvirnituq et une partie de Salluit), dénonçaient le fait d’avoir été exclus des discussions et exprimaient leur inquiétude face aux modifications majeures encaissées par un environnement qu’ils croyaient être le leur. Déjà, dans le passé, le gouvernement québécois avait demandé aux Inuit dissidents de délimiter leur territoire. Peu habitués à ce type d’exercice, car selon eux le territoire appartient à ceux qui l’utilisent, ils se sont pourtant exécutés. Leur réponse: «59, 73» (latitude, longitude). Cette portion du Nunavik semblait bien étendue aux yeux des fonctionnaires provinciaux et des représentants des compagnies minières, sauf que c’est bien là, dans ces espaces jamais trop grands, que les Inuit de l’endroit continuent de vivre leurs traditions. Ces derniers reconnaissent qu’ils ont peu de contrôle sur l’extraction des ressources naturelles non renouvelables, surtout si on retrouve celles-ci dans les terres de catégorie 3[10] de la CBJNQ, mais ils auraient quand même aimé être tenus au courant de l’intérêt que semblait susciter la Fosse de l’Ungava. Était-ce trop demander de savoir où aurait lieu l’exploration et qui seraient les responsables de cette activité minière (personne à contacter ou à rencontrer)? Était-ce une demande exagérée de la part des premiers occupants et des principaux utilisateurs de ce territoire? Après tout, n’était-ce pas les habitants de cette région qui auraient des comptes à rendre aux générations futures?
À partir du moment où les Inuit ont élevé la voix, les échanges avec le gouvernement sont devenus beaucoup plus soutenus. À la suite d’une rencontre ayant pour thème «Développement minier au Nunavik: état des connaissances», qui s’est tenue à Ivujivik en 1987, Peter Audlaluk, Jusi Ainalik et la plupart des dirigeants inuit ont fait savoir qu’ils exigeraient dorénavant d’être impliqués dans toutes les discussions et prises de décisions touchant de près ou de loin l’exploration minière et le développement économique du Nunavik. Les leaders inuit comprenaient que le rôle du gouvernement du Québec était d’encourager et de faciliter le développement économique d’une région, mais ils ne comprenaient pas que ce même gouvernement puisse se permettre de le forcer à tout prix. Suite à une autre réunion tenue à Québec durant l’été 1988 entre les représentants gouvernementaux et les leaders inuit, de nouvelles règles relatives à l’exploration minière sur le territoire du Nunavik ont été développées afin de favoriser des relations plus harmonieuses entre les promoteurs du domaine minier et la population du nord québécois. Un document a ensuite été produit afin d’être annexé à tous les permis qui doivent être remis pour l’exploration du territoire québécois situé au nord du 55e parallèle. Un code d’éthique applicable à l’exploration minière dans le nord du Québec venait de voir le jour.
Impacts environnementaux associés au développement minier
Pour plusieurs Nunavimmiut, l’héritage environnemental et culturel laissé par leurs ancêtres a bien peu de chance de survie si toutes les décisions prises dans la région sont laissées entre les mains des décideurs du sud. Ces Nunavimmiut sont plus que déterminés à préserver, voire récupérer (grâce à une plus grande autonomie politique), leur territoire ancestral afin de pouvoir léguer aux générations futures un environnement de qualité capable d’assurer la pérennité de leurs modes de vie traditionnels. L’attitude des Inuit à l’égard de l’environnement qui les a vu naître et qui accueillera leurs descendants n’a jamais été altérée: on ne peut profaner un lieu sans en subir les conséquences. Pour plusieurs Inuit, la préservation de l’environnement est un signe de respect. Pourquoi modifier de façon excessive un milieu naturel qui leur a constamment fourni l’indispensable pour assurer leur survie? Pour ces derniers, l’agression de leur environnement ne peut que provoquer une remise en question de leur identité. En exigeant une certaine forme de respect à l’égard de l’environnement, les Nunavimmiut posent un geste politique qui devrait leur permettre de continuer à affirmer leur différence. Là où la nature a fait la culture, là où nature égale culture, ce seront toujours les habitants du territoire qui devront vivre avec les retombées des actions momentanément privilégiées.
Toute opération minière laisse des traces sur l’environnement[11]. Voici les principaux impacts environnementaux qui indisposent tant les habitants des villages de Puvirnituq, Salluit et Kangirsujuaq que les Nunavimmiut en général. Ces impacts ont été observés de visu par la population nordique et rapportés à maintes reprises lors des différentes rencontres impliquant les compagnies minières et les représentants inuit, et par les participants aux lignes ouvertes des stations de radio locales:
rejets miniers solides souvent contaminés (les minéraux recherchés ne constituent en moyenne que 2-3% de la quantité extraite, le reste n’étant que résidu minier);
déversements d’eaux usées contaminées qui aboutissent souvent dans les plans d’eau avec pour conséquence la destruction de la faune ou de la flore aquatique (le cycle de dégradation de certaines substances toxiques ou de déchets dangereux est beaucoup plus lent dans les régions nordiques);
érosion possible provoquée par les modifications environnementales (perturbations apportées à la surface du sol et au réseau d’écoulement des eaux de pluie);
matériaux de remblai pris dans des dépôts naturels;
creusement de tranchées d’exploration ou effectué le long des voies de circulation;
construction d’infrastructures qui modifient énormément le paysage: hébergement, concentrateur, voies de circulation, galeries d’accès, piste d’atterrissage, bâtiment pour l’entreposage des ressources récupérées, quai, etc.;
émissions de poussières outre celles provenant de l’incinération, luminosité, bruit, autant d’éléments perturbants pour les utilisateurs du territoire (humains et non-humains);
transbordement des précieux métaux de l’entrepôt de la baie Déception dans les navires (possibilité d’incidents environnementaux fâcheux);
déversements de matières dangereuses ou de carburant sur les sites miniers et le long des voies de circulation.
Les compagnies minières ne peuvent plus agir à leur guise puisque la Commission de la qualité de l’environnement Kativik, le Comité Raglan, le Comité Nunavik Nickel et les ministères concernés demandent continuellement aux compagnies minières des compte rendus détaillés de leurs opérations, des difficultés rencontrées sur les sites miniers, des dégâts qui auraient pu être causés à l’environnement, de même que leurs intentions futures en matière de développement des ressources. Toutes modifications ou améliorations au niveau des infrastructures nécessitent également une approbation environnementale et souvent la quête de nouveaux permis. La communication est dorénavant de mise. Les compagnies minières informent également les communautés des nouvelles découvertes de ressources à exploiter, de même que des mesures d’atténuation à prendre pour remédier aux erreurs humaines produites au moment des opérations.
Les compagnies qui opèrent actuellement dans la Fosse de l’Ungava ne tiennent absolument pas à être blâmées pour les erreurs ou les dégâts laissés par les différentes compagnies minières qui les ont précédées. Au cours des ans, quantité de déchets ont été laissés sur place; il resterait encore au Nunavik plus de 200 sites miniers à décontaminer. Les compagnies Xstrata Nickel Mine Raglan et Canadian Royalties ont déjà investi argent et temps afin de réhabiliter quantité de sites endommagés par des actions minières irresponsables. Pendant ce temps, l’Administration régionale Kativik ne s’est pas croisé les bras puisqu’en 2012 elle a eu le privilège de recevoir le plus prestigieux honneur en matière environnementale au Québec, le Phénix de l’environnement, qui reconnaissait ses efforts en matière de conservation et de protection des ressources renouvelables. Ce prix lui a été décerné surtout pour ses travaux de réhabilitation d’anciens sites d’exploration minière au Nunavik. Ces dépotoirs à ciel ouvert n’ont plus leur place au Nunavik. Dorénavant les compagnies minières doivent, avant même le début de leurs opérations, disposer des sommes d’argent nécessaires à la réhabilitation des sites qu’elles développeront. À la fin de leurs opérations, ces compagnies devront également faire disparaître des sites exploités leurs équipements, bâtiments et autres biens solides en plus de soumettre un plan et des échéanciers pour cette activité de réhabilitation[12].
Le parc national des Pingualuit
Le gouvernement du Québec, avec son Plan Nord lancé au mois de mai 2011[13], envisage de repousser les limites géographiques de la dernière grande frontière québécoise: le nord du Québec. Afin de pouvoir attirer des investissements privés en sol nordique, dans les secteurs des mines et des forêts et dans celui du tourisme, le Québec entend ouvrir la région par des voies de communications terrestres (routes et chemins de fer), faciliter le transport maritime avec la création d’infrastructures pouvant convenir aux besoins des compagnies minières et également relancer le développement hydroélectrique dans la région. Pour faire taire les écologistes ou les environnementalistes, le Québec précise qu’à moyenne échéance plus de 50% du Nunavik sera protégé contre tous les développements industriels et promet 12% additionnels afin d’en faire des aires protégées. La création de parcs nationaux au Nunavik permettra au gouvernement québécois de remplir une partie de ses promesses; ainsi le Nunavik aura participé à l’effort du Québec qui s’est engagé en 2002 à développer un réseau d’aires protégées équivalentes à 8% de la superficie de la province.
Mettre en valeur les parcs nationaux du Québec nordique sans que cela se fasse au détriment de leur conservation, tel est le principal défi des parcs nouvellement créés au Nunavik (Parc national des Pingualuit, 2004; Parc national Kuururjuaq, 2009). Comme la mission des parcs nationaux vise prioritairement à assurer la conservation de territoires représentatifs des régions naturelles du Québec ou des sites à caractère exceptionnel, on ne peut douter que les sites choisis dans cette région septentrionale soient de qualité supérieure. Le parc national des Pingualuit, par exemple, a été créé afin de protéger le cratère météoritique du même nom et parce qu’il représente bien la région naturelle du plateau de l’Ungava (Figure 2). Le deuxième volet de cette mission vise à rendre ces territoires accessibles au public à des fins d’éducation ou d’activités de plein air, ceci dans le respect de la mission de conservation première.
Frederick W. Chubb, un prospecteur venu au Nunavik en 1950, aurait bien aimé que le lac du cratère auquel il avait donné son nom ait été la partie visible d’un volcan éteint (Bouchard 1989: 29). En 1962, la découverte d’un premier impactite (minéral fondu ou transformé par le choc de la collision avec une météorite) par K.L. Currie mit fin aux spéculations, établissant de façon définitive que le cratère résulte d’un phénomène astronomique survenu il y a 1,3 million d’années et non du volcanisme (Bouchard et Marsan 1989: 49).
Dans la convention complémentaire no 6 de la CBJNQ, signée le 19 août 1980, les signataires (Société Makivik et gouvernement du Québec) avaient déjà prévu la création d’un parc afin de protéger le cratère du Nouveau-Québec, plus tard renommé cratère des Pingualuit. Au cours de ces mêmes années 1980, de nombreux chercheurs, dont le géologue Michel A. Bouchard, ont réclamé haut et fort que des mesures soient prises afin de protéger ce site grandiose. Le gouvernement du Québec a donc décidé d’inclure ce secteur d’intérêt au sein du réseau des parcs nationaux du Québec. L’Administration régionale Kativik, agissant comme supra-municipalité et desservant la totalité des 14 communautés inuit du Nunavik, assure la gestion des parcs au nord du 55e parallèle depuis le 23 mars 2004 avec l’aide des communautés localisées à proximité de ces zones protégées (villages de Kangirsujuaq et de Kangirsualujjuaq). Elle administrera aussi les parcs dont la création est projetée (Tursujuq, Ulittaniujalik et Baie-aux-Feuilles).
Le parc national des Pingualuit est localisé dans un milieu naturel de toute beauté, situé à proximité du village nordique de Kangirsujuaq et également pas très loin des sites exploités par les compagnies minières Canadian Royalties et Xstrata Nickel Mine Raglan. Cette région est considérée par plusieurs Inuit comme mystique, non profanée et riche en histoire. Aujourd’hui ce parc national situé juste au sud de la rivière Puvirnituq attire de plus en plus les amants de la nature. Bien après avoir servi de couloir de déplacement pour les Inuit entre les diverses régions giboyeuses, cette région nouvellement protégée contre tout développement minier a, depuis quelques années, accueilli de tout nouveaux utilisateurs. Ces derniers ne se sont toutefois pas octroyés l’exclusivité de l’occupation du territoire puisque les Inuit continuent d’y pratiquer leurs activités traditionnelles.
Discussion et conclusion
Encore aujourd’hui, le maintien de certains modes de vie traditionnels est primordial pour l’ensemble des Nunavimmiut, pour qui ces activités nécessitent autant qu’avant un environnement de qualité. Pour l’Administration régionale Kativik, la présence d’activités minières à proximité d’un parc ne doit donc pas être perçue comme une menace au maintien du caractère exceptionnel du territoire nouvellement protégé. En plus de limiter une expansion possible des opérations minières dans cette section du Nunavik et de protéger la faune et la flore de la région, le parc national des Pingualuit offre également aux Nunavimmiut un espace naturel de qualité exceptionnelle où il leur est possible de continuer à pratiquer leurs activités traditionnelles.
Même si les parcs nationaux du Québec au Nunavik sont généralement localisés à une certaine distance des communautés habitées, ces lieux de conservation et d’éducation peuvent quand même être rejoints facilement et en toute sécurité (des moyens de transport modernes comme la motoneige, l’avion ou l’hélicoptère permettent un accès rapide et commode dans le parc). Dans le parc national des Pingualuit et le long de son couloir d’accès, de toutes nouvelles infrastructures ont été construites pour assurer une sécurité additionnelle: abris, camps aménagés, inuksuit, sentiers, station météorologique. En facilitant l’accès à des territoires éloignés ou à des destinations délaissées avec le temps, ces aménagements sécurisent grandement les utilisateurs. Ainsi de jeunes chasseurs et pêcheurs ont maintenant l’occasion d’améliorer leur connaissance d’un territoire dont ils avaient seulement entendu parler parce qu’ils n’y avaient jamais mis les pieds. Les familles paraissent moins inquiètes en voyant partir les jeunes vers des endroits qui sont de plus en plus fréquentés, où la signalisation est abondante et où des refuges chauffés sont à la disposition de tous.
En rendant cette section du Nunavik plus accessible, le parc national des Pingualuit permet aux jeunes générations d’Inuit de pratiquer plus d’activités traditionnelles et encourage les échanges intergénérationnels. Les savoirs traditionnels ont maintenant plus de chance d’être retransmis puisque les contacts entre les différents groupes d’âge sont facilités, ce qui devrait permettre aux plus jeunes d’accéder à une meilleure estime de soi, de même qu’à une reconnaissance et une appréciation de la part des membres plus âgés de la communauté.
Les Nunavimmiut qui continueront à pratiquer leurs activités traditionnelles à l’intérieur des limites du parc national des Pingualuit le feront dans un environnement protégé et sécuritaire, un environnement qui pourrait ressembler à celui à travers lequel leurs ancêtres voyageaient avant l’arrivée des premiers Qallunaat (étrangers). En effet, il ne pourra y avoir de développement minier à l’intérieur du parc national des Pingualuit. Il y aura toujours des suivis environnementaux (eau, air, environnement en général). Les compagnies minières doivent se conformer aux exigences imposées par les ministères et la Commission de la qualité de l’environnement Kativik et rapporter les moindres incidents qui peuvent causer des dommages environnementaux. La chasse est interdite et la pêche est contrôlée pour les allochtones. L’achalandage n’atteindra jamais celui des parcs nationaux du sud du Québec à cause de la distance et des coûts. Les gardes de parc faisant régulièrement des allers-retours entre le parc national des Pingualuit et la communauté où est situé le centre d’interprétation et d’accueil, ils peuvent rapporter les activités aux impacts environnementaux potentiellement négatifs. Ces employés du parc, de même que la population bénéficiaire en général, peuvent pêcher et chasser en tous lieux et en tous temps au Nunavik (CBJNQ 1975).
Le parc national des Pingualuit promet à tous les Nunavimmiut et à tous les citoyens du monde qu’une attention particulière sera portée à la protection de l’environnement de cette région nordique. En s’assurant, par l’intermédiaire de lois, de règlements et d’encouragements, que l’environnement demeure le plus près possible de son état originel, ce parc garantit aux chasseurs, pêcheurs et trappeurs que des efforts sont faits pour permettre aux Nunavimmiut de la région de continuer à profiter d’un régime alimentaire sain et assure à tous les autres utilisateurs que leur séjour y sera de qualité et mémorable.
La création d’un parc national tel que celui des Pingualuit a entraîné d’abondantes retombées positives. L’environnement est protégé; des emplois ont été créés; l’économie de la région bénéficie de la venue de visiteurs; les jeunes générations ont dorénavant la possibilité de s’immiscer dans le territoire et le monde de leurs ancêtres. L’inuktitut, la langue parlée au Nunavik, accroît ses chances de survie simplement en permettant aux diverses générations d’échanger dans le parc et aux plus jeunes l’accès à un vocabulaire typiquement régional. De plus, avec ce parc, les Inuit s’assurent un plus grand contrôle sur leur territoire, le Nunavik.
Nous ne croyons pas que l’exploration et l’exploitation des ressources minières dans la Fosse de l’Ungava cesseront prochainement. Les Nunavimmiut continueront à reprocher aux compagnies minières de modifier l’environnement qui leur a permis de se définir en tant qu’Inuit et ils ne cesseront assurément pas d’exiger d’être présents lorsqu’il sera temps de discuter du type de développement à privilégier pour le Nunavik. Les redevances versées aux bénéficiaires, les emplois créés, les réglementations en vue de la protection du territoire, la création d’aires protégées, tous ces facteurs prédisposent les Nunavimmiut à s’accommoder du développement minier. Par contre, les Inuit de la région ne se laisseront pas imposer une utilisation de leur territoire qui pourrait un jour venir les hanter.
Parties annexes
Remerciements
L’auteur tient à remercier Murielle Nagy, aussi bien pour toute l’aide offerte que pour ses encouragements, et également les évaluateurs anonymes pour leurs judicieux commentaires.
Notes
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[1]
L’auteur a été co-négociateur pour le village lors des discussions qui devaient mener à l’Entente Nunavik Nickel et conseiller municipal pour la communauté de Kangirsujuaq. Dans les années 1980, au moment de la phase d’exploration dans la Fosse de l’Ungava, il était secrétaire-trésorier de la Corporation du village nordique d’Ivujivik.
-
[2]
Selon l’information transmise par Canadian Royalties lors d’une rencontre du Comité Nunavik Nickel en 2012.
-
[3]
Des projets de revitalisation d’habitats aquatiques proposés par les bénéficiaires des communautés signataires de l’Entente Nunavik Nickel sont financés par la minière en compensation des dommages causés par l’effondrement du quai de la baie Déception.
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[4]
Les terres rares sont un groupe de 17 métaux aux propriétés voisines. Il s’agit de métaux stratégiques utilisés dans une multitude d’applications technologiques et industrielles.
-
[5]
Selon les informations fournies lors des rencontres des comités Raglan et Nunavik Nickel.
-
[6]
Information partagée par ce dernier lors des négociations qui devaient mener à la signature de l’Entente Nunavik Nickel.
-
[7]
Au mois de janvier 2013, le président de la Société de développement Nuvummiut était un représentant de la Corporation foncière Nunaturlik. Chaque année, la présidence alterne entre les villages de Kangirsujuaq et de Salluit. Donc le prochain président de la Société de développement Nuvummiut, qui existe depuis 1997, sera un représentant de la Corporation foncière Qarqalik, suivi l’année d’après d’un président élu au sein de la corporation foncière de Kangirsujuaq.
-
[8]
Les statistiques relatives à l’emploi sont continuellement mises à jour et transmises par Xstrata Nickel Mine Raglan et Canadian Royalties à chacune des rencontres des comités Raglan et Nunavik Nickel.
-
[9]
Le chapitre 7 de l’Entente Raglan de 1995 et le chapitre 7 de l’Entente Nunavik Nickel de 2008.
-
[10]
À la signature de la CBJNQ des terres de Catégorie 1 ont été attribuées aux Nunavimmiut pour leur usage exclusif et celles-ci sont administrées par les corporations foncières du Nunavik. Des parcelles de terres de Catégorie 2 ceinturent généralement les terres de Catégorie 1 et sur ces terres les Inuit ont des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage, sans toutefois y avoir un droit spécial d’occupation. Ces terres de Catégorie 2 demeurent de compétence provinciale et le Québec peut en prendre possession à des fins de développement. Quant aux terres de Catégorie 3, ces dernières sont publiques, donc les Inuit peuvent continuer d’y pratiquer leurs activités traditionnelles sans toutefois y détenir d’autres privilèges ou droits exclusifs. Selon l’article 7.4.1 de la CBJNQ, le Québec, Hydro-Québec, ainsi que leurs délégués et toute autre personne dûment autorisée ont le droit de développer les terres et les ressources des terres de Catégorie 3.
-
[11]
«Si on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, on n’exploite pas de mine sans faire de trou!» (Mousseau 2012: 2).
-
[12]
La Loi sur les mines et son règlement comportent des dispositions qui obligent les entreprises à restaurer les terrains touchés par leurs activités. Ces exigences s’appliquent aux travaux d’exploration et d’exploitation. La loi oblige, depuis 1995, les entreprises à soumettre un plan de restauration et à fournir une garantie financière. Quant aux garanties financières que doivent donner les sociétés pour la restauration des sites d’exploitation une fois le minerai épuisé, bien que rendues obligatoires, leur gestion par les ministères compétents s’avère laxiste et peu transparente (Vérificateur général du Québec in Deneault et Sacher 2012: 86).
-
[13]
Mais il fut officieusement présenté par Jean Charest, alors premier ministre du Québec, aux médias le 27 septembre 2008.
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