Corps de l’article

Introduction

Le monde polaire a toujours fasciné les explorateurs et les aventuriers, alimentant la littérature de leurs découvertes, mais le nombre de visiteurs est resté limité des siècles durant. À partir du XXe siècle, les nouvelles techniques et technologies ont permis à un plus large public, moins aventurier et plus fortuné, d’accéder au Grand Nord. Cet intérêt polaire s’accélèrera dans les années 1990 (Étienne 2005). Depuis, l’Arctique connaît un engouement touristique croissant, permettant aux territoires polaires tels que le Groenland de faire du tourisme une activité économique importante. Aujourd’hui, sous l’effet du réchauffement climatique, les possibilités du tourisme se modifient. La saison estivale pourrait être allongée et une mer libre de glace ouvrirait de nouvelles voies de navigation et permettrait aux navires un passage permanent par le nord (Valsson 2009: 87). Au 1er janvier 2012, le Groenland comptait 56 749 habitants (Statistics Greenland 2012) et pour la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011, le territoire accueillait 34 799 touristes étrangers et 33 035 croisiéristes (Statistics Greenland 2011b).

Ce changement climatique donne au Groenland un nouveau rôle à jouer sur la carte du monde, en matière de tourisme mais aussi d’exploitation de ressources naturelles. Depuis le 21 juin 2009, les autorités groenlandaises détiennent une autonomie renforcée qui leur permet de gérer le développement, l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles. Industrie pétrolière et minière et industrie du tourisme sont les nouveaux enjeux du Groenland, d’une part parce que les régions polaires deviennent plus accessibles, d’autre part parce que les touristes s’intéressent de plus en plus à un Arctique menacé.

Le tourisme polaire tendrait donc à être durable. D’après Lozato-Giotart et Balfet (2004: 343), le tourisme durable «n’est pas un produit, ni une nouvelle façon de vendre une activité ou un pays; mais c’est un processus, un mode de développement qui dépend de facteurs globaux et locaux, puisqu’il veut s’adapter aux territoires et aux populations locales dans sa mise en oeuvre et dans ses retombées». Le gouvernement groenlandais inscrit le tourisme dans l’optique d’un développement respectant l’environnement et favorisant l’économie locale. Le tourisme «contribue de manière significative au bien-être du Groenland grâce à une croissance économique durable, des racines locales, et [il] se développe en tenant compte du patrimoine naturel et culturel» (Erhvervsdirektoratet 2007: 6, ma traduction). Reste à savoir si les acteurs locaux sont en mesure de contrôler le développement du tourisme polaire sur leur territoire et d’en bénéficier.

Figure 1

Carte du Groenland (source: CIA 2006, traduction d’Éric Gaba)

Carte du Groenland (source: CIA 2006, traduction d’Éric Gaba)

-> Voir la liste des figures

Dans le cadre de ma thèse de doctorat en anthropologie à l’Université de Strasbourg, portant notamment sur les impacts positifs et négatifs du tourisme pour la société groenlandaise, je me suis intéressée à la communauté d’Ittoqqortoormiit, située sur la côte est du Groenland (Figure 1), car le tourisme s’y développe de plus en plus, impliquant les chasseurs qui sont employés comme guides pendant la saison touristique. Cette petite ville[1] comptait 470 habitants au 1er janvier 2012 (Statistics Greenland 2012). Mais ce nombre est en baisse depuis 10 ans, en raison des faibles possibilités d’emploi. Lors de la création du village en 1925, l’économie était basée sur la chasse mais les mouvements pour les droits des animaux des années 1960, qui propagèrent l’idée que la chasse au phoque était contraire à l’éthique, ont grandement perturbé l’économie des Inuit (Wenzel 1991) et, dès la fin des années 1970, le marché des peaux s’est effondré au Groenland (Sandell et Sandell 1991: 111). Depuis, Ittoqqortoormiit doit réinventer son économie mais aucune industrie n’a réellement supplanté l’activité cynégétique. La ville s’est pourtant développée avec différentes structures privées et publiques mais les quelques emplois générés par ces instances ne suffisent pas à procurer un revenu à toute la population. Ainsi, cette petite communauté est restée une société de chasse avec un produit difficilement exportable, permettant seulement de nourrir ses habitants et d’instaurer une économie d’échanges de services sans pouvoir gagner l’argent nécessaire au système monétaire que les habitants d’Ittoqqortoormiit ont rejoint depuis la colonisation danoise.

Dans ce contexte, le tourisme paraît être une opportunité encourageante pour améliorer la qualité de vie des Inuit d’Ittoqqortoormiit, créer des emplois et limiter l’émigration. La municipalité compte sur le tourisme pour dynamiser son territoire car le Scoresby Sund, par son environnement exceptionnel, offre une multitude de possibilités au touriste curieux de faune arctique et de paysages polaires. Le développement du tourisme incombe à Nanu Travel, l’agence de tourisme locale. Cependant, face aux agences extérieures, quelles sont les possibilités pour Ittoqqortoormiit de bénéficier de l’essor du tourisme polaire? Ce sujet, abordé dans le présent texte, a été traité selon une méthode d’observation participante. Les données ont été recueillies lors de séjours au Groenland effectués depuis 2009. Ces séjours, de quelques semaines à quelques mois, ont permis de créer un contact durable avec la population et principalement avec les acteurs du tourisme et les chasseurs. Partageant leur quotidien au sein d’une famille et par la réalisation d’entretiens auprès d’une quinzaine d’habitants, j’ai pu identifier les enjeux du tourisme, notamment pour les chasseurs dont le revenu peine à satisfaire leurs besoins.

Ittoqqortoormiit, une communauté de chasseurs

Le territoire de Scoresby Sund n’a été véritablement parcouru par des Européens qu’à partir de 1822, quand les baleiniers anglais William Scoresby père et fils, tous deux impliqués dans les observations scientifiques et les explorations, ont débarqué à différents endroits de la rive nord-est du fjord, nommant plus de 80 localités ainsi que le fjord lui-même (Schmidt-Mikkelsen 2008: 13-14). Le fjord, long de 300 km, couvre 38 000 km2. Sa rive sud est une barrière montagneuse basaltique qui s’élève à 2 000 mètres d’altitude tandis que sa rive nord est plus arrondie et basse. C’est sur cette rive nord que le village d’Ittoqqortoormiit a été implanté.

La décision de construire un village dans le Scoresby Sund est à la fois démographique et géopolitique (Robert 1971: 19). La région avait été peuplée du XIIe siècle au XIXe siècle, mais sa population a disparu sans que l’on en sache véritablement la raison (Sandell et Sandell 1991: 24). Dès 1911, le projet de repeupler le Scoresby Sund est lancé mais il ne sera étudié plus concrètement qu’en 1921, à cause des conflits entre la Norvège et le Danemark. Lors du traité de Kiel en 1814, le royaume de Norvège avait été cédé à la Suède tandis que le Danemark conservait les colonies norvégiennes (l’Islande, les îles Féroé et les possessions norvégiennes au Groenland). Cependant, la Norvège n’a jamais accepté ce traité et a toujours revendiqué des droits sur la côte est du Groenland (Skarstein 2006: 175). En 1924, le Øst-grønlandsavtalen, un accord signé entre le Danemark et la Norvège, stipulait que si le Scoresby Sund était habité par une population groenlandaise, la Norvège abandonnerait ses droits sur cette région (Robert 1971: 19). Pour marquer l’autorité danoise sur tout le territoire groenlandais, le Danemark concrétise le projet et organise, sous les directives d’Ejnar Mikkelsen, la migration de 70 Groenlandais provenant de différents villages de la région d’Ammassalik et de 15 administrateurs de la côte ouest (Sandell et Sandell 1991: 94). Les nouveaux arrivants ont débarqué du navire Gustav Holm le 4 septembre 1925 et se sont dispersés en quatre lieux d’habitation: Ittoqqortoormiit, Kap Stewart, Kap Hope et Kap Tobin. Après quelques mois d’adaptation et de reconnaissance du territoire, le Scoresby Sund fut jugé le plus apte à répondre aux attentes car il promettait d’être riche en gibier et mammifères marins. Kap Stewart a été abandonné dès 1931 (ibid.) et aujourd’hui plus aucune famille ne vit à Kap Hope et Kap Tobin, mais ces deux villages sont habités quelques mois par an par des chasseurs. Aujourd’hui, Ittoqqortoormiit est le seul lieu habité à l’année car les institutions scolaires et médicales ainsi que les commerces y sont présents.

Il y a près de 100 ans, les Ammassalimiut montaient au nord car le marché des peaux était fructueux et la région de Scoresby Sund se révélait excellente pour la chasse aux phoques, ours, morses et narvals ainsi que le piègeage de renards. Dans les années 1960, les campagnes contre la chasse au phoque font grand bruit au niveau international et l’économie cynégétique des Inuit est menacée. Le prix des peaux chute et les pays étrangers boycottent le produit (Wenzel 1991). Ces mouvements continuent, encore aujourd’hui, à combattre la chasse au phoque. «La décision de l’Union européenne d’interdire la vente des produits dérivés du phoque en mai 2009 est le coup le plus récent porté à la chasse au phoque au Groenland» (Motzfeldt 2010). Aujourd’hui, les produits issus de la chasse ne se vendent plus et nombre d’habitants font le chemin inverse, vers le sud, afin de trouver un emploi. Il ne reste qu’une quinzaine de chasseurs professionnels à Ittoqqortoormiit et l’économie cynégétique est en grande difficulté. Pourtant, la chasse fait partie du quotidien des habitants et l’utilisation des chiens de traîneaux est encore courante. Ce savoir-faire est très attrayant pour les touristes. C’est principalement sur cette activité que l’agence de tourisme locale compte pour créer des emplois et, en même temps, faire découvrir ce trait culturel propre aux Inuit. Cependant, le tourisme ne se limite pas à cette activité car le Scoresby Sund offre un panel d’options et de circuits touristiques.

Les différents tourismes du Scoresby Sund

Ce n’est que dans les années 1990 qu’Ittoqqortoormiit sort de son isolement, par l’intermédiaire de la société américaine ARCO. En effet, ARCO entame une recherche de pétrole sur la terre de Jameson en 1982 et pour poursuivre plus aisément ses travaux de prospection, la compagnie construit l’aéroport de Constable Point à 45 km d’Ittoqqortoormiit. Les habitants avaient toutefois demandé un aéroport à hauteur de Kap Tobin pour permettre une liaison beaucoup plus facile avec l’extérieur (Direktoratet for Boliger og Infrastruktur 2000: 6). La société ARCO a abandonné la prospection en 1990 et a revendu l’aéroport à Mittarfeqarfiit, l’Administration de l’aviation civile groenlandaise. Depuis, Constable Point est un aéroport commercial et Ittoqqortoormiit devient accessible en 20 minutes de vol en hélicoptère. Ainsi, le touriste peut lui aussi profiter de la connexion avec l’Islande et arriver jusqu’au nord-est du Groenland. D’avril à octobre, deux vols par semaine atterrissent à l’aéroport, l’un provenant de Reykjavik, en Islande, l’autre de Kulusuk, dans la région d’Ammassalik. En hiver, de novembre à mars, seul celui provenant de Reykjavik est maintenu.

Aujourd’hui, le tourisme s’est considérablement développé et les agences spécialistes du Grand Nord se sont multipliées. Ces agences proposent une découverte des régions polaires, soit de façon contemplative par la croisière, soit de façon plus active par l’aventure à travers la randonnée, le kayak et le traîneau à chiens. Ces activités sont saisonnières. La saison hivernale, de mars à mai, offre une banquise solide, une couche de neige épaisse et une luminosité prolongée. Cette saison est propice aux balades en traîneaux à chiens et aux randonnées en ski. La saison estivale a cours en juillet et août quand les températures sont positives et que le fjord est libre de glace. Les possibilités de randonnées et de balades en kayak sont alors nombreuses. Cette saison est aussi favorable aux bateaux de croisière qui marquent un arrêt à Ittoqqortoormiit et s’aventurent dans le fjord.

Le tourisme de croisière est nettement favorisé dans les régions polaires car il nécessite moins d’infrastructures (Grenier 2008). Bien que ce tourisme soit coûteux, les croisiéristes sont de plus en plus nombreux (Statistics Greenland 2011b). Par contre, malgré le nombre important de visiteurs, ce type de tourisme apporte peu de devises au territoire d’accueil. Les navires sont sujets à des taxes portuaires en fonction du nombre de passagers mais les dépenses vont rarement plus loin, elles se limitent à l’achat de souvenirs et aux quelques visites proposées lors du débarquement. Tommasini (2009: 101) note qu’«une étude récente montre qu’en moyenne, le croisiériste dépense environ 81$ US par visite, en plus du coût des excursions à terre. Ce chiffre est, toutefois, un montant moyen et n’est certainement pas la réalité dans de nombreuses petites localités telles qu’Ittoqqortoormiit» (ma traduction). En effet, le navire est un complexe hôtelier qui ne manque de rien; entre restaurants, hébergement, boutiques et piscine, le client n’a aucun besoin de consommer ailleurs. À Ittoqqortoormiit, la taxe portuaire, payée à la banque de la ville, s’élève à 25$ US par passager. Les organisateurs paient Nanu Travel pour la visite de la communauté (ouverture du musée, de l’église, visite de la station météorologique, dégustation de boeuf musqué et de narval, présentation d’un kayak traditionnel et des chiens de traîneaux) et les dernières devises apportées se font par la vente de souvenirs[2]. La gérante de Nanu Travel, Susanna Pike, explique qu’avec ce tourisme, l’agence rentre tout juste dans ses frais car pour les trois heures de visite proposées, elle emploie une dizaine de guides qui accueillent les arrivants en différents points de la ville. Cependant, elle est très enthousiaste au sujet des ventes effectuées lors de certaines croisières car «il y a de plus en plus de touristes chinois qui achètent tout sans même regarder le prix» (Susanna Pike, mai 2012)[3]. Le tourisme de croisière étant en hausse, Ittoqqortoormiit accueille de plus en plus de navires chaque année. Durant l’été 2011, 10 navires y ont fait escale, qui transportaient en moyenne une centaine de touristes chacun[4].

Le tourisme d’aventure, lui, est un plus grand consommateur de services locaux. Selon le circuit organisé, les groupes utilisent l’hébergement à Ittoqqortoormiit (à leur arrivée et à leur départ), et louent le matériel manquant à Nanu Travel. Lors des séjours en traîneaux à chiens, ils participent pleinement à l’économie locale car les entreprises étrangères s’en remettent à Nanu Travel pour l’organisation complète de leur voyage. Par contre, lors des randonnées et des circuits en kayak, ces visiteurs partent seuls avec du matériel ainsi qu’une bonne partie de leur nourriture qui sont fournis par leur agence étrangère. De plus, les randonneurs sont souvent accompagnés par des guides de haute montagne et experts des régions polaires mais rarement par des chasseurs ou des habitants d’Ittoqqortoormiit. En effet, Nanu Travel n’emploie que deux guides de randonnée mais aucun guide de kayak. La pratique du kayak a disparu à la fin des années 1960 (Sandell et Sandell 1991: 104), si bien que personne dans la communauté n’a les compétences pour guider un groupe. Concernant la randonnée, rares sont les Inuit d’Ittoqqortoormiit intéressés par cette activité. Ainsi, sur les 12 élèves à qui l’on enseignait le métier de guide à l’école Piareersarfik d’Ittoqqortoormiit en avril 2012, seulement deux étaient intéressés par la randonnée. Aujourd’hui, les résidents qui peuvent guider les touristes sont des Européens installés à Ittoqqortoormiit depuis de nombreuses années, mais Nanu Travel fait rarement appel à eux car elle se concentre sur les activités en traîneaux à chiens, ces derniers appartenant à des Inuit[5].

La spécificité des régions polaires ne facilite pas tous les types de tourisme. Le touriste indépendant, qui ne réserve aucun circuit dans une agence touristique, est peu présent mais il existe. Pour se lancer dans un voyage dans le Scoresby Sund, il est préférable d’être expert en sports de pleine nature, d’avoir des connaissances dans le maniement des fusils, la faune et le climat arctique. Le touriste peut difficilement être nomade au Groenland et improviser un séjour comme il pourrait le faire au Sénégal ou au Cambodge. Pourtant, certains s’y aventurent tout de même. Ce type de touriste peut aussi venir en voilier et s’arrêter dans les profondeurs du fjord, loin des zones habitées. Ces visiteurs sont moins visibles et difficilement comptabilisables. Par ailleurs, qu’ils soient randonneurs ou navigateurs, souvent moins fortunés et totalement indépendants, ils essaient au maximum de se passer des services des agences touristiques, dont l’agence Nanu Travel, et ne font que de rares dépenses sur le territoire, ne consommant ni services touristiques, ni hébergement, ni activités culturelles[6].

Dans le domaine touristique groenlandais, qu’il soit de croisière ou d’aventure, la nature prime sur la culture (Créquy 2010). Le touriste se déplace pour des paysages, une faune et une flore qu’il n’a pas l’habitude de voir et il est très peu en contact avec la population qui habite ces territoires. La population groenlandaise est, par nature, discrète et la faible densité ne favorise pas sa visibilité, particulièrement sur la côte est où vivent seulement 3 514 des 56 749 Groenlandais (Statistics Greenland 2012). Non seulement le touriste ne se déplace pas pour découvrir la culture inuit mais les circuits proposés par les entreprises touristiques ne donnent pas souvent l’occasion d’une rencontre interculturelle ni d’un échange social ou économique. Le tourisme d’aujourd’hui n’a de cesse d’utiliser le territoire groenlandais mais les retombées sont faibles pour les populations locales car l’argent généré circule principalement de mains occidentales en mains occidentales. À Ittoqqortoormiit, le tourisme devient un enjeu essentiel au développement et à la stabilité économiques et si le tourisme ne change pas de visage, les retombées seront toujours faibles pour la communauté. Nanu Travel tente de diriger la pratique du tourisme vers un tourisme durable dans tous les sens du terme: économique, environnemental et socioculturel. L’agence souhaite modifier ce tourisme tourné uniquement vers la nature afin qu’il s’intéresse davantage à la population et que cette dernière s’intéresse à lui.

Nanu Travel, une agence de tourisme tournée vers la population

Nanu Travel a ouvert ses portes en 1998. L’initiative est venue d’Islande quand Helena Dejak, la directrice de l’agence de tourisme Nonni Travel, survolant le nord-est du Groenland avec son mari pilote, est tombée sous le charme des paysages de Scoresby Sund. Lors d’une discussion dans sa maison à Kap Tobin, elle m’a raconté comment, au bout de plusieurs années, elle s’est associée avec cinq chasseurs inuit pour démarrer une activité touristique. Dans les années 1990, suite à ses vols au-dessus du fjord de Scoresby Sund, elle écrit régulièrement à la commune d’Ittoqqortoormiit en espérant que quelqu’un soit séduit par l’idée d’un tourisme local. Durant ces années d’échanges de courriels, elle n’a pas souhaité venir à Ittoqqortoormiit pour ne pas pousser les gens à développer une activité à laquelle ils n’étaient pas prêts. Au bout de quatre ans d’échanges, elle obtient une réponse positive et achète une maison à Kap Tobin pour pouvoir y inviter des Inuit d’Ittoqqortoormiit et discuter d’un tourisme responsable avec et pour les chasseurs. Depuis, la majorité des parts de Nanu Travel appartient aux habitants[7]. À l’été 2011, une Groenlandaise d’Ittoqqortoormiit prend la tête de cette petite entreprise et le changement est salué par beaucoup d’habitants car, comme l’explique la nouvelle gérante, elle «souhaite développer le tourisme pour le village, pour les gens d’ici, pour que ça leur rapporte quelque chose» (Susanna Pike, septembre 2011).

Nanu Travel offre différentes activités liées aux sports de pleine nature. Axée principalement sur les séjours en traîneaux à chiens, elle propose des circuits guidés par les chasseurs locaux. Par leur intermédiaire, il est aussi possible de partir chasser des phoques, boeufs musqués et oiseaux, en nombre limité. Nanu Travel loue et vend du matériel de plein air, pour les résidents comme pour les touristes, allant des vêtements chauds et matériel de camping aux kayaks, fusils et munitions. L’agence et l’office de tourisme ne faisant qu’un, Nanu Travel a aussi pour fonction de gérer l’accueil des touristes qui ne sont pas encadrés par une agence extérieure, de les renseigner, de leur proposer activités et matériel et de gérer la petite boutique de souvenirs. En plus des bénéfices générés par son activité économique, Nanu Travel reçoit de l’aide de l’État. La commune d’Ittoqqortoormiit lui confie une somme d’argent en échange de la gérance de l’office de tourisme et le gouvernement verse 20 000 couronnes danoises (3 350$ US) par an pour faciliter le développement de son activité. Le tourisme à Ittoqqortoormiit fait travailler deux personnes à temps plein: la gérante de Nanu Travel et la personne en charge de l’auberge. Les autres employés sont payés à l’heure ou à la journée et dépendent de la saison touristique.

Dans une optique de réorientation de son tourisme, Nanu Travel organise, avec le soutien de Destination East Greenland (l’office de tourisme de la côte est du Groenland), des formations de kayak et de premiers secours ainsi que des cours de cuisine groenlandaise adaptée aux touristes afin de diversifier ses offres et de permettre aux habitants de s’ouvrir à des métiers touristiques. Le premier stage de kayak a débuté en juillet 2011 et a eu un grand succès. Les habitants étant enthousiastes à l’idée de redécouvrir ce savoir, des stages de perfectionnement sont programmés. De plus, en collaboration avec l’agence canadienne Black Feather, un habitant d’Ittoqqortoormiit ayant assisté au stage a accompagné, à l’été 2012, un groupe et son guide lors d’un de leurs circuits en kayak, ouvrant ainsi la possibilité d’une future activité professionnelle.

Par ailleurs, à travers l’artisanat, Susanna Pike encourage la production locale. Tous les produits vendus à l’office de tourisme venaient d’autres régions du Groenland et de l’étranger mais, depuis l’été 2011, la part produite localement augmente et deux personnes d’Ittoqqortoormiit vendent régulièrement leur artisanat à Nanu Travel, ce qui leur permet d’obtenir un complément de revenu. De même, Nanu Travel insiste sur la participation locale en mettant en place un logement chez l’habitant à l’image de ce qui existe déjà dans la région d’Ammassalik. En plus de l’hébergement, la famille d’accueil propose aux visiteurs certaines activités quotidiennes. Pour l’instant, une seule famille a ouvert ses portes pour de l’accueil et des repas groenlandais. L’agence peine à trouver d’autres familles car les maisons sont souvent petites et les familles nombreuses. Cependant, cette nouvelle approche touristique met en avant un aspect culturel inexistant jusqu’alors.

Les difficultés du développement touristique dans le Scoresby Sund

Ittoqqortoormiit possède un fort potentiel touristique car il est situé dans le plus grand fjord du monde et offre une faune et des paysages incomparables. La banquise étant présente 9 à 10 mois par an, le nord-est du Groenland correspond à ce que Grenier (2009) nomme «l’imaginaire polaire». Située au-delà du cercle polaire, la région de Scoresby Sund véhicule l’image du «véritable Arctique» que les touristes souhaitent vivre: une expérience au milieu de l’immensité blanche, un sentiment d’aventure sans risque. Le revers de ce «véritable Arctique» est une difficulté d’accès, une saison courte et des imprévus fréquents.

La première difficulté, récurrente dans les régions polaires, est celle de l’accès. Pour se rendre à Ittoqqortoormiit, le visiteur doit prendre un hélicoptère à Constable Point. Il s’agit d’un vol coûteux, outre le fait que le climat du «véritable Arctique» n’est pas toujours favorable aux vols et que ceux-ci sont souvent reportés. Air Greenland y enregistre une annulation de ses vols à hauteur de 20% par an à cause des mauvaises conditions météorologiques (Direktoratet for Boliger og Infrastruktur 2000: 7). En comparaison avec les régions du sud et de l’ouest du Groenland, l’est a un climat plus instable et les vols en hélicoptère y sont plus incertains. Les touristes qui désirent venir à Ittoqqortoormiit doivent donc être flexibles et s’attendre à ce que la durée de leur séjour soit modifiée en fonction des conditions climatiques. Mais il est difficile de demander de la flexibilité à des touristes occidentaux ayant des obligations dans leurs pays respectifs. Cette flexibilité n’est pas l’apanage de tous et c’est en partie pour cette raison qu’un touriste souhaitant visiter le Groenland pourra préférer une autre destination, plus au sud ou à l’ouest, là où la météo est plus clémente et les infrastructures plus accessibles.

Les infrastructures limitées de transport et d’hébergement nuisent au développement d’un tourisme terrestre à Ittoqqortoormiit. Dans les années 1990, un projet concernant un nouvel aéroport à Kap Tobin a été étudié afin de permettre une liaison avec Ittoqqortoormiit en toute saison (Direktoratet for Boliger og Infrastruktur 2000). Kap Tobin, situé à l’embouchure du fjord, est beaucoup plus proche d’Ittoqqortoormiit que ne l’est Constable Point. Ce rapprochement aurait évité l’ajout de vols d’hélicoptère et rendu la liaison avec Ittoqqortoormiit plus facile et moins coûteuse. De plus, cet aéroport aurait permis la création d’emplois locaux et une accélération du processus de développement touristique. Mais, faute de moyens, ce projet a été retardé. Nanu Travel et les habitants dans leur ensemble attendent toujours cet aéroport et la question de l’avancement du projet est posée à chaque réunion publique (données recueillies en mai 2012).

Le développement touristique dans le Scoresby Sund n’est donc pas simple et prend du temps, d’autant plus qu’il n’est pas aisé de rendre cette activité profitable à la population d’accueil face aux agences étrangères. Les entreprises locales comme Nanu Travel proposent des circuits du même ordre que les agences étrangères mais elles sont moins visibles à l’échelle internationale et leur information moins accessible. Un touriste étranger qui souhaite partir au Groenland en étant encadré étudiera d’abord les séjours que son pays propose. Il est rare que pour un premier voyage il prenne contact avec le pays d’accueil directement. Nanu Travel collabore avec 17 entreprises étrangères (hormis celles de croisière). Pour les circuits en traîneaux à chiens, cette collaboration permet à Nanu Travel d’étendre son marché sur tous les continents et les entreprises étrangères profitent de son savoir-faire. Cependant, ces entreprises collaborent très peu avec Nanu Travel pour les circuits de randonnées estivales et hivernales, faisant souvent appel à d’autres entreprises étrangères pour la création de certains circuits comme Grand Nord Grand Large avec X-Plore. X-Plore est une entreprise étrangère qui se rend à Ittoqqortoormiit, prend contact avec la population et prospecte sur le territoire afin d’étudier de nouvelles possibilités touristiques et les vendre aux agences de voyage. Ces intermédiaires augmentent le prix du séjour et concurrencent les offres de Nanu Travel qui possède pourtant une parfaite connaissance du territoire et de son potentiel touristique.

Il existe un décalage entre le développement du tourisme polaire que peuvent se permettre les agences étrangères et les actions dans lesquelles peuvent se lancer les Inuit d’Ittoqqortoormiit. Il s’agit d’un décalage de budget, de marketing, mais aussi de rapidité d’exécution. En 2009, les municipalités groenlandaises se sont regroupées en de plus grosses communes et Ittoqqortoormiit a rejoint la commune de Sermersooq, qui regroupe aussi les villes de Tasiilaq, Ivittuut, Nuuk et Paamiut ainsi que les villages avoisinants. Les fonds budgétaires récoltés sont redistribués à travers la commune de Sermersooq, en fonction des besoins des différentes localités. Mais peu d’habitants d’Ittoqqortoormiit sont satisfaits de ce changement. De nombreuses incompréhensions apparaissent entre l’ouest et l’est, et notamment un problème de dépendance vis-à-vis de l’ouest que les habitants de l’est n’apprécient guère. Chaque demande de projet est à adresser à Nuuk, ce qui, selon les habitants, prend beaucoup plus de temps et les demandes restent parfois sans réponse. Susanna Pike témoigne du nombre d’heures supplémentaires passées au téléphone ou à échanger des courriels pour obtenir les renseignements et autorisations nécessaires[8]. Par ailleurs, un grand débat secoue actuellement Sermersooq. La commune pense qu’Ittoqqortoormiit est en grande difficulté car la majorité des emplois sont dans la fonction publique et la ville coûte cher (Kleeman 2012). Sermersooq est même prête à aider les habitants à déménager sur la côte ouest s’ils le souhaitent, tandis que les habitants d’Ittoqqortoormiit défendent leur territoire. De plus, ceux qui ont des projets préfèreraient être aidés financièrement pour ces derniers plutôt que pour leur déménagement[9].

Le développement du tourisme culturel auquel travaille Nanu Travel met en avant l’artisanat local, mais les lois internationales limitent certaines productions car l’exportation nécessite un permis délivré par la CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora), notamment pour les produits faits de peaux, d’os, de dents, de griffes ou de défenses provenant d’animaux tels que l’ours polaire, le narval ou le morse. D’autres produits sont simplement interdits d’exportation car les espèces animales dont ils proviennent, comme le cachalot, la baleine du Groenland ou le rorqual commun, sont en danger. Il n’est donc pas possible pour l’artisan de travailler toutes les matières et les objets artisanaux sont souvent faits de caribou ou de boeuf musqué.

Ce contexte économico-politique entrave la croissance et accentue le décalage entre les entreprises touristiques étrangères et locales. Ayant l’expérience du marché touristique en plus des ressources techniques et financières, les entreprises occidentales ont le monopole du tourisme polaire. De plus, un décalage culturel met en avant deux visions différentes du tourisme. Les entreprises occidentales évoluent dans un milieu qu’elles connaissent par coeur, la loi du marché, et proposent une découverte de l’Arctique par la nature. De son côté, Nanu Travel souhaite faire profiter la population locale des possibilités économiques du tourisme, ce qui implique des démarches différentes en fonction des envies et des compétences de celle-ci. Les retombées de ces deux visions du tourisme n’auront pas la même échelle ni la même visibilité. Le tourisme culturel et participatif, plus petit, plus humain, correspond davantage au tourisme durable tel que le définissent Lozato-Giotart et Balfet (2004).

Des échanges interculturels limités

Aujourd’hui, le tourisme dans le Scoresby Sund se limite à la découverte des paysages arctiques et tous les circuits ne passent pas par Ittoqqortoormiit, certains d’entre eux partant de l’aéroport de Constable Point. De cette organisation découle l’impossibilité d’une rencontre interculturelle. Le touriste visite les régions polaires sans même croiser ceux qui y vivent et en vivent depuis des millénaires. Or le tourisme, s’il ne profite pas aux populations d’accueil, n’a guère lieu d’être. Un tourisme culturel mettrait les Groenlandais au coeur du développement et permettrait une source de revenu complémentaire, par le logement chez l’habitant notamment. Mais ce tourisme culturel est problématique car si les touristes sont curieux et intéressés par l’habitat, les vêtements et la gastronomie traditionnels des Inuit, ils le sont moins par la chasse. De plus, les vêtements traditionnels ne sont guère visibles au quotidien. Un tourisme culturel pourrait entraîner une folklorisation incontrôlable, phénomène qui a souvent été observé dans d’autres régions du monde (Michel 2004). Il est donc important de savoir comment développer un tourisme profitable aux populations en mettant en avant les éléments culturels que ces populations choisissent elles-mêmes et qui peuvent intéresser les visiteurs étrangers.

Des échanges interculturels plus fréquents permettraient une meilleure connaissance de l’autre, une meilleure acceptation de l’autre. Revenir du Groenland sans en savoir plus sur les réalités du pays et de ses habitants, ses difficultés et ses richesses, n’a pas de sens. C’est utiliser un territoire sans rien donner en échange. Cependant, cette restriction permet aussi à la population de se préserver de tout jugement extérieur, notamment suite aux mouvements occidentaux pour le droit des animaux dont ils ont beaucoup souffert. Les échanges interculturels peuvent être aussi bénéfiques que néfastes et il revient à Nanu Travel, qui est l’intermédiaire entre ces deux populations, d’en être conscient et de les maîtriser.

Il y a, de part et d’autre, un intérêt pour la découverte d’une autre culture, mais les Groenlandais ne souhaitent pas de rencontre dans n’importe quelles conditions et les touristes curieux de cet échange ne savent pas comment y accéder. Ce partage, comme les repas groenlandais au sein d’une famille, est mis en place depuis quelques mois seulement et n’est pas encore visible. De plus, d’après les discussions et entretiens effectués, les habitants sont ouverts à plus de touristes dans la région mais ne souhaitent pas pour autant les accueillir chez eux, gênés souvent par une maison trop petite, ou parfois conscients des problèmes d’alcool incompatibles avec un accueil touristique. Susanna Pike pense que «certains Inuit d’Ittoqqortoormiit ne souhaitent pas partager leur culture et préfèrent la garder pour eux»[10]. Ainsi, un chasseur dans la cinquantaine ne désire pas la partager «avec tous les types de touristes» et ne pense pas «avoir beaucoup d’éléments culturels à présenter»[11]. Il est évident que les touristes n’ont pas accès à toute la culture inuit car les habitants d’Ittoqqortoormiit préfèrent la préserver et la protéger.

Le type de touriste avec qui le partage est le plus facile est celui qui part en traîneaux à chiens car, dès le départ, il choisit une activité pratiquée au quotidien par les Inuit. Ce choix de circuit a un aspect culturel, par le savoir-faire lié aux traîneaux et par l’accompagnement des chasseurs. Il s’agit du seul circuit où l’échange est possible. Même si l’attrait premier est l’aventure et le sport de pleine nature, cette catégorie de touristes est plus ouverte à l’échange, plus curieuse des modes de vie des Inuit. Cependant, parce que leur curiosité ne s’arrêtait pas à la faune et la flore du territoire, les touristes interrogés ont déploré la difficulté de communication avec les chasseurs. En effet, si ces derniers parlent couramment le danois, l’anglais est encore rudimentaire pour certains et les touristes ont parfois eu l’impression qu’il manquait quelque chose à leur voyage, l’impression d’une dimension sociale inachevée. Une touriste montréalaise (com. pers., mai 2012) évoque son voyage au Groenland comme «un monde extraordinaire à découvrir». Mais elle ajoute: «je suis revenue avec plus de questions que de réponses [car] la barrière de la langue était un obstacle».

Dans l’ensemble, les contacts avec les croisiéristes ne sont pas des échanges mutuels et de compréhension. Les personnes interrogées à ce sujet se sont souvent senties jugées par les visiteurs. S’ils ont droit à des conférences sur les bateaux à propos de glaciologie, de biologie et d’histoire, les croisiéristes sont souvent mal informés sur les populations qu’ils vont croiser, leurs modes de vie et leur culture. Ces touristes ne sont pas préparés à la rencontre interculturelle et, lors de discussions, j’ai souvent noté qu’ils avaient un discours plus ethnocentrique que les touristes d’aventure. Ainsi, un croisiériste français (com. pers., juillet 2009) débarquant à terre s’est étonné de la désolation du paysage et a pensé qu’il fallait «faire quelque chose pour eux, les aider», sans s’interroger sur la façon dont les habitants vivaient ni sur le fait de savoir s’ils avaient réellement besoin d’aide dans un domaine particulier.

Nanu Travel offre une prestation qui permet à des habitants d’Ittoqqortoormiit de monter sur les bateaux et de présenter quelques éléments culturels et historiques de la communauté, de parler de leurs vies quotidiennes et d’instaurer un premier échange avant que les croisiéristes débarquent. Malheureusement, cette prestation est rarement acceptée par les navires; seul l’un d’entre eux l’a acceptée en 2011. Cela montre le décalage qui se crée automatiquement entre deux types de populations. Il faut noter surtout que rien n’est fait pour y remédier car la croisière se situe dans une optique de contemplation et son véritable but est de naviguer au milieu de la glace et des icebergs dans une nature vide d’humains.

Les problématiques culturelles que pose le tourisme sont complexes. Quand on s’interroge sur les impacts du tourisme sur la culture locale, on sous-entend souvent une possible préservation, transformation ou redécouverte de la culture par le tourisme. Cependant, les aspirations des Groenlandais et des touristes en matière de culture sont souvent contraires. Grenier (2008: en ligne) écrit à ce propos que «le fossé se creuse entre ceux qui aspirent à un Nord moderne et désireux de se prendre en main (généralement les résidents à long terme) et les partisans de la conservation (souvent résidents du Sud), qui craignent de voir leur concept d’un Nord sous-développé et plus traditionnel disparaître». Le tourisme de nature est plus simple à réaliser que le tourisme culturel. L’élément traditionnel de la culture des Inuit d’Ittoqqortoormiit est la chasse, activité qu’il est difficile d’incorporer au tourisme, de par la législation mais surtout à cause des réticences qu’éprouvent les Occidentaux face à cette pratique. Comment proposer une véritable activité traditionnelle qui répondrait à la demande des touristes et qui permettrait aux Inuit d’obtenir la modernité à laquelle ils aspirent? Il faudrait montrer aux touristes ce que sont les Groenlandais du nord-est aujourd’hui, une culture pas moins fascinante que celle des siècles passés et où la chasse est très importante.

Conclusion

Ittoqqortoormiit est un petite ville groenlandais éloignée. Créée en 1925 pour développer l’économie cynégétique du territoire, elle se retrouve aujourd’hui en difficulté et connaît une émigration positive. Le développement économique du nord-est du Groenland exige des infrastructures qui sont encore limitées car difficiles à mettre en place. Cependant, le tourisme semble être une alternative intéressante pour redynamiser la région car, en termes d’offres touristiques, le Scoresby Sund correspond à la demande. Il possède un espace à faible densité de population où la nature s’impose au visiteur. Les 300 km de fjord permettent aux bateaux de croisière de s’enfoncer au coeur du Groenland et d’offrir des paysages dignes des découvertes des premiers explorateurs. Malgré cela, le tourisme en étant à ses balbutiements, les structures d’accueil ne suivent pas encore, notamment au niveau aéroportuaire. L’éloignement de l’aéroport de Constable Point ne favorise pas de fréquents vols réguliers et limite les agences dans leur choix de destinations. L’idée d’un tourisme au Scoresby Sund est donc séduisante mais le projet est parfois difficile à concrétiser.

Le tourisme de croisière et celui d’aventure, déjà existants, pourraient profiter économiquement aux Inuit d’Ittoqqortoormiit, par l’artisanat et le métier de guide, mais les retombées sont encore faibles. La forme même du tourisme polaire est problématique car elle limite le développement du travail des acteurs locaux. En effet, le tourisme est d’abord un tourisme de nature et les agences occidentales maîtrisant parfaitement le guidage en kayak, randonnée ou croisière ne font pas appel aux habitants de l’endroit. Laisser les agences occidentales monopoliser le secteur de l’industrie touristique au Groenland, c’est laisser les Occidentaux maîtres de la circulation de l’économie touristique, de l’information et de la connaissance sur la société inuit. En contraste, l’agence touristique locale Nanu Travel tente de donner une chance aux Groenlandais de devenir acteurs de ce secteur d’activité et de faire en sorte que le tourisme polaire soit à leur image.

Le tourisme culturel semble plus favorable à la population locale car il est participatif et les habitants s’impliquent dans les projets de développement, mais la question du choix des éléments culturels à présenter se pose. La société d’Ittoqqortoormiit est profondément attachée à la chasse, même si son économie n’en dépend plus. La chasse est présente au quotidien, pour les chasseurs professionnels comme pour les amateurs. Est-ce compatible avec l’opinion que les Occidentaux se font de la chasse? Comment traduire une telle pratique culturelle en attrait touristique? Dans un cadre économique incertain, Nanu Travel tente d’instaurer ce tourisme culturel et participatif. Par le développement d’hébergement chez l’habitant et le partage de repas, l’agence locale se lance dans un tourisme de proximité, à sa mesure, dont les chiens de traîneaux sont l’élément central. Les prochaines années nous diront si le tourisme culturel est viable et si un équilibre est trouvé entre culture et nature, entre un tourisme qui se tourne vers la culture locale et une population locale qui se tourne vers la culture touristique.