Résumés
Résumé
Ces dernières années, Greenland Tourism, l’organisation nationale du tourisme au Groenland, a eu pour politique d’encourager fortement les croisières. De grands paquebots, transportant parfois jusqu’à 3000 passagers, essayent d’aller de plus en plus au nord pour montrer aux touristes des sites et des communautés éloignées. Un bref historique du développement du tourisme au Groenland montre que ce dernier a toujours été planifié avec des moyens locaux mais que celui des croisières a pris progressivement de l’ampleur. Fortement encouragé, ce secteur poursuit sa croissance tant sur le plan du nombre des visiteurs que sur celui de la recherche de destinations nouvelles sur les rivages du Groenland. Dans ses périples, le tourisme de croisière recherche les lieux les plus marquants et les plus «typiques». Il s’agit le plus souvent de lieux périphériques et isolés qui sont habités par de petites communautés. Ces dernières vivent au quotidien une crise économique et sociale assez importante et le tourisme est considéré comme une option de développement pouvant diversifier et accroître leurs revenus. En prenant comme exemples quatre communautés du Groenland (Ukkusissat, Itilleq, Qaanaaq et Ittoqqortoormiit), l’auteure discute des impacts et des bénéfices du tourisme de croisière sur ces communautés qui n’ont pas toujours les infrastructures pour accueillir les touristes qui viennent les visiter pour quelques heures et souvent en grand nombre. Les points de vue de la population locale sont aussi présentés.
Abstract
In recent years, Greenland Tourism, the national tourism organisation of Greenland, has had a policy of strongly encouraging pleasure cruises. Large ships, with sometimes up to 3,000 passengers, are trying to go farther and farther north to show tourists the most remote places and communities. A short historical outline reveals how tourism development in Greenland has always been planned with local means, against a backdrop of steady growth in cruise tourism. This sector has been strongly encouraged and continues to bring ever more visitors and an ever keener search for new destinations along coastal Greenland. Tour operators seek out the most impressive scenery in terms of typicality and landscape, usually in peripheral and isolated areas with small communities. Such communities are experiencing a fairly severe economic and social crisis in daily life, and tourism is regarded as an option to diversify and boost their revenues. The author uses four Greenlandic communities (Ukkusissat, Itilleq, Qaanaaq, and Ittoqqortoormiit) as examples to discuss the impacts and benefits of cruise tourism in these communities, which often lack the infrastructure to accommodate tourists who come for a few hours to visit and often in large numbers. The opinions of the local population are also presented.
Corps de l’article
Introduction
Pendant longtemps, on a considéré le tourisme de croisière comme un produit réservé aux mers chaudes, spécialement aux Caraïbes. L’imaginaire touristique s’est nourri des atouts classiques associés aux vacances en croisière: la mer, le soleil, les plages blanches, les palmiers, le bronzage et les fruits exotiques (Dehoorne et al. 2009). Un monde à part, un rêve parfois poursuivi tout au long d’une vie. Néanmoins l’activité touristique est dynamique et propose toujours des produits nouveaux qui doivent être attrayants et originaux pour pouvoir pousser les consommateurs vers de nouvelles destinations. Dans la continuelle recherche de ce qui est neuf, unie à la nécessité d’allonger la saison touristique (les Caraïbes étant une destination hivernale), les régions arctiques ont émergé comme des destinations estivales et ont connu ces dernières années un véritable succès: le marché des croisières est en pleine expansion (Grenier 2011).
L’image touristique de l’Arctique, pendant longtemps associée au froid, à la neige et à la glace, s’est transformée en un produit fortement attrayant: ses paysages de falaises escarpées, la banquise et les icebergs, le soleil de minuit, les aurores boréales ont changé l’Arctique, lieu traditionnellement inhospitalier, en un lieu touristique séduisant et ravissant (Grenier 2011; Stewart et al. 2011). Tout ce qui était considéré comme un désavantage est devenu un atout (Brown et Hall 2000; Synder et Stonehouse 2007; Tommasini 2011). C’est un monde étrange, tout comme sa population, pour des visiteurs qui désirent expérimenter la vie dans le Nord. La croissance de l’intérêt pour l’Arctique est aussi associée à une préoccupation pour un environnement qui pourrait disparaître à cause du changement climatique et de la diminution des glaces dont les médias donnent des comptes rendus presque quotidiens (Étienne 2005; Lemelin et al. 2012). Le voyage arctique représente donc une des dernières frontières du tourisme, qui offre «l’aventure» sur des bateaux de croisière confortables, qui sont de plus en plus des hôtels de luxe. Le bateau de croisière se révèle le moyen le plus approprié pour visiter des endroits éloignés qui, autrement, seraient presque impossibles à visiter vu le manque d’infrastructure pour accueillir des touristes (Grenier 2003, 2008).
Fortement encouragé, le tourisme de croisière poursuit sa croissance tant sur le plan du nombre des visiteurs que sur celui de la recherche de destinations nouvelles sur les rivages du Groenland. Dans ses périples, le tourisme de croisière touche souvent des lieux périphériques et isolés qui sont habités par de petites communautés. Ces dernières vivent au quotidien une crise économique et sociale assez importante et le tourisme est considéré comme une option de développement par Greenland Tourism, l’organisation nationale du tourisme au Groenland. Sa politique des dernières années a été d’encourager fortement le tourisme de croisière (Greenland Tourism 1996).
Après un résumé historique des démarches du développement touristique au Groenland, je présenterai le phénomène du tourisme de croisière qui augmente fortement actuellement dans les aires périphériques. J’inclurai et commenterai les points de vue de la population locale par rapport à ce type de tourisme. Puis je discuterai des impacts du tourisme de croisière sur les communautés qui n’ont pas les infrastructures pour accueillir les touristes mais qui sont à la recherche de moyens pour diversifier et accroître leurs revenus.
Le tourisme au Groenland
Le tourisme organisé au Groenland a été pratiqué pendant des décennies, puisque planifié dès la fin des années 1950. Le statut du Groenland a changé en 1953, l’île, de simple colonie qu’elle était, devenant province danoise; les autorités décidèrent alors d’ouvrir certains secteurs au tourisme. Au début, c’était surtout des vols charters qui, partant d’Islande, utilisaient les pistes d’atterrissage créées par les Américains après la Seconde Guerre mondiale. Pendant l’été, la compagnie aérienne islandaise Icelandair amenait les touristes surtout dans le sud du Groenland, pour faire de la pêche ou des randonnées vers la calotte polaire, et ils étaient hébergés dans les infrastructures abandonnées par l’armée américaine (Egede Hegelund 2009).
Pendant les années 1970 et 1980, l’activité touristique s’est plus particulièrement développée au sud du Groenland et a mené à la création ou à l’amélioration de la capacité d’accueil, sans produire toutefois d’impact significatif sur l’économie globale. Plus au nord, dans la région de Sisimiut-Kangerlussuaq, les autorités coopérèrent avec les associations de pêcheurs et de chasseurs pour promouvoir des randonnées sur la calotte polaire avec la collaboration d’associations danoises de loisirs. À partir des années 1970, le Groenland — devenu une partie autonome du royaume danois avec l’introduction du Home Rule en 1979 — était de plus en plus impliqué dans le processus décisionnel du développement de l’industrie touristique.
Grâce aussi à la coopération du Groenland avec l’Association nationale du tourisme danois, le record de 10 000 visiteurs fut atteint en 1981 (Landsting 1991). Par contre, une stratégie de marketing limitée et l’interdiction internationale de la vente des fourrures entraînèrent une réduction drastique des visites qui, en 1987, tombaient à 3300 touristes. Pendant la même période, le gouvernement du Groenland faisait face à une série de difficultés, principalement le chômage provoqué par la crise dans le secteur de la pêche et de l’industrie de transformation du poisson — qui représentent ensemble 95% des exportations — et la fermeture de la mine de zinc et de plomb de Maarmorilik.
En 1990, le Parlement du Groenland approuvait le premier plan pour le développement touristique (ibid.). Couvrant la période de 1991 à 2005, il se basait sur une analyse des ressources et des attraits du Groenland. Le plan visait à un total de 33 000 touristes en 2005, générant un revenu total de 500 millions de couronnes danoises (87 000$ US), et à la création de 2000 à 2500 postes de travail directs dans le secteur, outre 1000 à 1500 postes additionnels dans des entreprises liées au tourisme. Le but de ce plan était essentiellement de faire du tourisme l’activité principale au Groenland et ainsi de compenser les revenus et les emplois perdus dans l’industrie de la pêche. Ce secteur devait de manière ultime devenir profitable et renoncer aux subventions publiques (ibid.).
En 1996, étant donné les nombreux problèmes et les estimations trop optimistes du plan de 1991, le gouvernement décidait de lancer un nouveau plan de développement touristique (Grønlands Hjemmestyre 1996). Ce dernier maintenait le total des revenus espérés à 500 millions de couronnes danoises (87 000$ US) mais, pour atteindre ce chiffre, le nombre des touristes devait atteindre 61 000, et non 33 000 comme estimé en 1991. Même avec ces prévisions optimistes, à cette époque le tourisme restait encore très marginal, que ce soit par le nombre des visiteurs (quelques milliers par an), ou dans les emplois générés (environ 220 personnes employées à temps plein sur une population totale de 56 000 habitants). De plus, cette activité n’a pas produit de profits et a été fortement soutenue par le gouvernement (Landsting 1999) (Tableau 1).
En 1992, Greenland Tourism a été créé afin de développer une activité touristique viable au Groenland. Sa stratégie était de développer principalement le secteur des voyages organisés en collaboration avec les tours-opérateurs, notamment du Danemark et d’Allemagne qui représentaient les premiers marchés; de renforcer le secteur du tourisme de croisière et de lancer le tourisme des conférences MIC (meeting incentive conference) (Greenland Tourism 1996; Nielsen 2002). En 1997, Greenland Tourism a dû admettre que les expériences précédentes, particulièrement dans le secteur des croisières, avaient donné des résultats assez décevants. Une nouvelle stratégie pour le développement touristique est en place depuis 2010. Au lieu de se concentrer sur la provenance des touristes, la nouvelle stratégie met l’accent sur les intérêts touristiques en visant les produits locaux. Aventures et croisières sont ainsi divisées en différents segments: pour les touristes jeunes et actifs, pour de jeunes familles avec des enfants et pour des individus plus âgés recherchant une expérience de détente (Anders La Cour Wahl, Greenland Tourism and Business Council, com. pers. 2010).
Depuis 2003, le tourisme de croisière au Groenland a triplé, tant sur le plan du nombre de bateaux que sur celui des touristes (Tableau 2). Les touristes peuvent choisir entre de petits et de grands bateaux. Les petits bateaux emportent de 50 à 200 passagers et visitent les endroits éloignés tels que Qaanaaq dans le nord, ou Ittoqqortoormiit sur la côte nord-est du Groenland. Des navires plus grands, de 200 à 800 passagers, voyagent le long de la côte et attirent des touristes plus âgés. De tels voyages peuvent être réservés sur les lignes de compagnies maritimes telles que Hurtigruten et Hapag Lloyd. Ces deux sociétés offrent à bord des conférences sur le Groenland permettant aux passagers descendant à terre d’être bien informés sur l’endroit qu’ils visitent, contrairement aux passagers des grands transatlantiques (de 1200 à 3000 passagers) qui ont seulement accès à une information limitée (ibid.).
Exemples de communautés touchées par le tourisme de croisière
Dans le cadre de mes recherches sur le développement touristique dans quatre régions du Groenland qui se sont déroulées entre 2005 et 2009, j’ai étudié le tourisme de croisière et son impact sur les habitants[1]. Pour le présent article, j’ai choisi comme exemples deux petits villages de la côte ouest du Groenland, Ukkusissat (région d’Uummannaq) et Itilleq (région de Sisimiut) ainsi que deux petites villes[2] très périphériques, Qaanaaq dans le nord du Groenland et Ittoqqortoormiit sur la côte est du Groenland (Figure 1).
Ces communautés se caractérisent par leur localisation périphérique, leur petite taille et le fait qu’elles vivent une crise économique et sociale provoquée par le manque d’alternatives aux activités traditionnelles de la pêche et de la chasse. Ces lieux sont touchés par une certaine activité touristique, notamment de croisière, présentant des modalités de développement touristique différentes, soit dans l’organisation, soit dans l’accueil. Ainsi, dans le village d’Itilleq, une seule personne s’occupe de tout ce qui concerne le domaine touristique, alors qu’à Ukkusissat, le village entier est impliqué dans l’organisation, la logistique et l’accueil des touristes de croisière.
Durant mes recherches sur le tourisme, j’ai fait des entrevues avec 63 personnes. Au Groenland, les gens acceptent habituellement de participer à des entrevues, mais s’ils ne sont pas directement concernés par le sujet de la recherche, ils ont rarement des opinions à propos du tourisme et de ses possibilités[3]. J’ai sélectionné ici des extraits de 16 entrevues, dont quatre à Ukkusissat, une à Itilleq, cinq à Qaanaq et six à Ittoqqortoormiit. Les Inuit ont utilisé leur langue maternelle, le groenlandais, et une interprète traduisait en anglais. Les autres personnes interrogées (européennes) ont répondu en anglais. Avant de présenter les résultats de ces entrevues, je donnerai des informations concernant les villages touchés par le tourisme de croisière.
Ukkusissat
Le village d’Ukkusissat est situé dans la région d’Uummannaq (Figure 2). Dans ce village de 184 habitants, la pêche est l’activité principale avec une usine de traitement du poisson et, depuis 2004, un atelier pour son séchage. Le tourisme à Ukkusissat, sauf pour quelques skieurs ou des touristes en kayak, est de croisière. C’est en 1997 que le navire Disko II a accosté pour la première fois à Ukkusissat, suite au contact que le village avait initié en voyant le bateau passer.
Le jour précédent l’arrivée des touristes est consacré au nettoyage général de la plage et du village. Les touristes sont accueillis et accompagnés pour faire le tour du village puis visitent le centre de services[4] où quelques souvenirs et des cartes postales sont en vente. Là, l’histoire du village est racontée, et après les chants de la chorale locale et une danse au tambour, les visiteurs sont invités à danser. Ensuite, le costume traditionnel est présenté dans ses diverses formes (d’hiver, d’été, de femmes jeunes où mariées, d’enfants, d’hommes). Puis les touristes vont voir un chasseur qui nourrit ses chiens en lançant des morceaux de viande. Le programme se termine par une présentation de kayak traditionnel faite par quelques jeunes du village.
L’organisation touristique est très active, beaucoup de résidents étant impliqués dans cette «réception de touristes» selon un système de rotation qui permet d’être plusieurs à bénéficier de l’argent des touristes. Une partie des sommes est mise de côté pour la restauration du centre de services, pour acheter un bateau ou pour d’autres initiatives liées au développement touristique local. Plusieurs habitants ont déclaré être prêts à accueillir plus de touristes et pensent préparer une liste d’attractions et proposer une série d’activités, comme le kaffemik (le café et gâteau traditionnellement préparé pour les anniversaires ou pour des événements importants au sein de la famille). Les jeunes sont intéressés à de futurs développements et désirent participer encore plus aux activités liées au tourisme.
Opinions des résidents d’Ukkusissat
On n’avait pas trop d’expérience en matière de tourisme avant l’arrivée du bateau de croisière Disko II. Peu de touristes arrivaient ici, excepté quelques-uns en kayak ou en ski. On n’a pas encore la possibilité d’héberger chez nous, les maisons sont petites et pleines de monde. On a beaucoup d’idées mais il faudrait que les touristes restent plus longtemps que les trois heures de maintenant.
informatrice 1, institutrice, Inuk, 2005
Le travail d’équipe est très bon, le village est propre et la population est ouverte et contente de rencontrer les touristes. Les enfants de l’école ont préparé des annonces pour maintenir le village propre et avant l’arrivée des touristes, des personnes s’occupent de nettoyer le village et la plage.
ibid
On a gagné un prix pour notre initiative touristique. Ce qui nous rend fiers, c’est d’avoir montré que pour donner un bon service, on n’a pas besoin d’argent mais d’une bonne idée et d’une bonne coopération entre nous.
ibid
C’était en 1995 quand le premier bateau, le Disko II, passait sans s’arrêter dans notre village. On a contacté la compagnie et depuis ils s’arrêtent dans notre village. Je viens de terminer [2005] un cours organisé par Greenland Tourism à Uummannaq [la ville la plus proche] pour apprendre comment donner de meilleurs services aux touristes. J’ai reçu beaucoup d’informations mais j’ai aussi eu la possibilité de raconter notre expérience aux autres participants.
informateur 2, pêcheur, Inuk, 2005
Je peux héberger des touristes chez moi et j’espère aussi que dans le futur on pourra utiliser à cette fin les maisons qui ne sont pas habitées. On est prêts à recevoir plus de touristes et lors notre dernière réunion, il y avait sept participants dont cinq étaient des jeunes qui ont montré un fort intérêt. Nous devons préparer une liste des attractions à proposer aux touristes, comme visiter la vieille mine de Maarmorilik, la pêche dans le fjord et des promenades sur le site d’où vient la pierre à savon qui a aussi donné son nom à notre village.
ibid
On voudrait aussi mettre en place une page web, mais pour cela on aura besoin d’aide. On voudrait aussi demander du financement pour un point d’accueil qui donnerait des informations et un programme. Dans le futur, on pense acheter un petit bateau pour les touristes, pour cela on peut obtenir du financement du gouvernement. Ici on est très fiers de ce qu’on a fait et on veut continuer à avoir le contrôle local sur le développement du tourisme.
ibid
Ce qui fait la différence c’est la coopération. Lors de nos réunions, les sujets vont des problèmes sociaux de la communauté à l’ouverture vers le tourisme. Si quelqu’un arrive avec une idée, on discute et on dit «pourquoi- pas? On peut essayer».
informateur 3, pêcheur, Inuk, 2005
On a eu beaucoup de changements climatiques dans les cinq dernières années, mais cela avait déjà commencé il y a 20 ans. La glace n’est plus aussi épaisse et si la banquise n’est pas bonne, on ne peut pas aller à la pêche. On a besoin de trouver des alternatives mais la chose la plus importante est de faire avec les ressources qu’on a sur place et ainsi maintenir le contrôle.
ibid
J’ai monté un groupe de danse en 1992, c’était pour préserver la danse traditionnelle et aussi pour les événements des 200 ans d’Ukkusissat, puis on a commencé à danser pour les touristes qui arrivaient au village avec le bateau de croisière.
informateur 4, pêcheur, Inuk, 2005
L’aspect principal qui ressort de ces entretiens est que ce village désire un développement touristique, mais à son propre rythme. Les résidents veulent décider du type de développement et en avoir le contrôle afin qu’il soit en harmonie avec la taille et la structure du village ainsi qu’avec les ressources qu’ils peuvent mettre en place. Le village d’Ukkusissat représente un cas exceptionnel, probablement unique dans tout le Groenland, car il démontre que, même avec de faibles ressources financières, un développement est possible si la coopération entre les habitants est forte. Ce village a su développer une forme de tourisme conforme à ses caractéristiques: petite taille, périphérique, avec prédominance des activités de pêche et de chasse. Il s’est montré capable de mettre en place un fort dynamisme local qui s’est avéré être l’élément clé de la revitalisation du village et de la recherche de revenus alternatifs. Le tourisme est ici considéré comme l’option économique principale pour l’avenir de ce petit village.
Itilleq
Itilleq, une communauté de 123 habitants, se trouve à 49 km au sud de Sisimiut sur une petite île à l’embouchure du fjord d’Itilleq (Figure 3). Poste de traite à partir de 1847, ce village compte quelques vieux bâtiments et a donc une certaine tradition touristique. À partir du mois de mai et jusqu’au mois de septembre, des bateaux de croisière s’arrêtent pendant trois heures chaque semaine au village en déposant de 50 à 150 personnes à terre. Les touristes font le tour du village et jouent même au football avec la population locale.
Les activités touristiques dépendent d’une unique personne (une Inuk qui est la seule à parler anglais) qui prend contact avec les bateaux de croisière et les invite à faire une courte escale dans le village. Le programme comprend la visite du village et le kaffemik dans sa maison. Exception faite du match de football, la participation de la population locale se limite à la vente de souvenirs et parfois à la préparation d’un gâteau pour le kaffemik.
Opinion d’un résident d’Itilleq
J’ai quelques idées pour développer le tourisme qui, pour l’instant, tourne autour d’une seule personne. Il y a bien des attractions ici et dans les environs, mais le problème est que la population locale, qui voudrait profiter du tourisme, ne sait pas quoi faire. Ils veulent gagner de l’argent avec les touristes, aiment bien avoir des visiteurs, mais manquent complètement d’expérience et aussi de la connaissance d’une langue étrangère, comme l’anglais. On aurait besoin d’une personne-ressource, d’un point de référence sur place.
informateur 1, instituteur danois, 2005
Dans ce village je n’ai recueilli que l’opinion de cet instituteur. Le peu de gens qui étaient présents au village (beaucoup étaient partis pour les camps estivaux de chasse) se sont limités à dire qu’ils voyaient des touristes mais que, sauf à l’occasion d’un match de football, ils n’avaient pas d’autres contacts ni d’idées à leur propos. Lors d’un entretien informel, la dame qui s’occupait du tourisme en 2005 m’a dit qu’elle allait quitter le village et que, à l’exception du match de football, les activités avec les touristes de croisière allaient se terminer. Elle ajoutait avoir cherché quelqu’un pour reprendre son activité et quelques personnes étaient intéressées mais il n’y avait rien de concret.
L’office du tourisme de Sisimiut (dont Itilleq dépendait à l’époque) s’était aussi mobilisé pour trouver une solution afin de ne pas perdre l’expérience que ce village possédait déjà dans le tourisme de croisière. Il était prêt à former les gens intéressés, mais quand tout se concentre dans les mains d’une seule personne, il n’y a pas d’échange ni de transmission de savoir-faire; repérer un individu, ou un groupe, bien motivé et préférablement Inuk[5], n’était pas une tâche facile.
Qaanaaq
Qaanaaq (population de 640 habitants dans la ville et 850 dans les cinq villages environnants encore habités) est située dans l’Avanersuaq, la partie la plus au nord du Groenland (Figure 4). Les activités de chasse sont les composantes essentielles de l’économie informelle et de subsistance. Les possibilités pour diversifier les activités et avoir un revenu supplémentaire sont plutôt limitées dans cette région périphérique très peu peuplée. La région a un des plus bas revenus au Groenland et un taux de chômage assez important (12,2% comparativement au 6,9% de la moyenne du pays) (Statistics Greenland 2005). Quelques activités touristiques sont en place, spécialement les excursions en traîneau ou en bateau, le kayak, des randonnés pédestres, l’observation des oiseaux et des baleines (Saki Daorana, Qaanaaq Tourist Office, com. pers. 2007).
En été, cinq ou six bateaux de croisière arrivent avec 50 à 200 passagers. Les touristes vont d’abord à l’office du tourisme qui contient aussi le magasin de souvenirs. Puis, leur programme prévoit le tour de la communauté, la visite du musée, un concert en soirée dans le choeur de l’église et une danse de tambour. Ces dernières activités peuvent être exécutées également à bord, puisque parfois certains accords prévoient qu’au lieu de faire descendre les touristes à terre, c’est un groupe d’Inuit, en vêtements traditionnels, qui se rendra sur le bateau de croisière pour donner un spectacle. Les touristes ne payent pas pour descendre à terre mais seulement pour les animations et les visites.
Opinions des résidents de Qaanaaq
Il ne se passe pas grand-chose avec le tourisme ici. On en parle beaucoup entre nous, chasseurs, et on pense qu’une des raisons est la communication. Nous, on ne parle pas l’anglais et alors on ne peut pas parler de notre vie de chasseurs, du paysage, de la vie traditionnelle. Le tourisme peut représenter une belle occasion de revenus additionnels, surtout maintenant que les changements climatiques rendent la chasse difficile. Les touristes de croisière qui arrivent dans le village font le tour et repartent mais ils pourraient être amenés avec nos petits bateaux dans les sites voisins, par exemple au village abandonné de Qeqertarsuaq. C’est juste une idée, car pour l’instant, nous ne savons pas comment profiter du tourisme comme ils savent le faire dans le sud [du Groenland].
informateur 1, chasseur, Inuk, 2007
Le problème est que les touristes de croisière ne restent que pour quelques heures et s’ils ne veulent pas quelque chose d’organisé avec les chasseurs, ils ne laissent pas d’argent dans la communauté.
informateur 2, entrepreneur, Inuk, 2007
Avec la couche de glace qui n’est pas trop épaisse, atteindre les lieux de chasse devient difficile: il est donc bon de gagner de l’argent avec les touristes. C’est bien d’avoir plus de touristes mais pour un chasseur cela n’est bon qu’au printemps quand on peut amener les touristes en traîneau. L’été, avec le bateau ce n’est pas trop bon. Je ne suis pas trop d’accord avec les règles pour avoir des touristes dans mon bateau.
informateur 3, chasseur, Inuk
Quand le bateau des touristes arrive, je vais parfois à la plage habillée en costume traditionnel avec mon mari, ma fille et ses enfants et permet aux touristes de prendre des photos gratuitement. Je pense que si les gens sont plus ouverts avec les touristes, il y aura plus de possibilités de revenus. J’aimerais bien avoir des touristes chez moi pour un kaffemik ou pour acheter des souvenirs. Je désire faire quelque chose avec les touristes, les autres habitants peut-être le voudraient aussi, mais ils attendent de voir ce que d’autres feront.
informateur 4, sculptrice, Inuk, 2007
J’aime bien quand le bateau arrive et que les touristes descendent dans le village, je voudrais qu’ils viennent aussi visiter ma maison et voir mon travail.
informateur 5, sculpteur, Inuk, 2007
En général, les chasseurs, qui représentent la majorité des hommes de la communauté, regrettaient d’avoir trop peu de touristes pour les excursions en traîneau et déclaraient ne trouver aucune opportunité directe dans le tourisme de croisière; ce dernier n’apportait pas de bénéfices tangibles à la communauté. Si les touristes pouvaient rester plus de temps à Qaanaaq, ils leur offriraient des excursions en bateau dans les fjords et auraient ainsi la possibilité de gagner de l’argent. La responsable de l’office du tourisme à Qaanaaq, Saki Daorana (com. pers. 2007), confirmait que ces touristes ne dépensaient pas d’argent avec les chasseurs ou les gens de la communauté, leurs seuls achats se faisant au magasin de souvenirs.
Ittoqqortoormiit
Situé sur la côte est du Groenland, Ittoqqortoormiit comporte 529 habitants[6]. Il s’agit d’une des communautés les plus périphériques du Groenland, la ville la plus proche étant Tasiilaq, à environ 900 km au sud (Figure 5). Ittoqqortoormiit n’a pas de liaison directe avec le reste du Groenland; la petite ville n’est accessible que par avion, avec un vol direct d’Islande. La communauté se caractérise par son haut niveau de chômage et d’émigration, et le manque d’activités, hormis la chasse qui reste l’activité principale.
Son éloignement et la beauté de ses paysages font d’Ittoqqortoormiit une attraction touristique. La saison est longue grâce aux activités de traîneaux à chiens au printemps, des excursions par bateau pendant l’été et du tourisme de bateaux de croisière en automne. Le nombre de visiteurs se situe autour de 150 pour les traîneaux, 180 pour les kayaks et bateaux, et plus de 1000 pour les paquebots de croisière de Nanu Travel. Le tourisme avait commencé dans les années 1980 avec l’agence islandaise Nonni Travel, devenue par la suite Nanu Travel. Cette agence détient toutes les activités liées au tourisme et s’appuie sur les chasseurs pour les différentes excursions offertes (Martin Munck, Nanu Travel, com. pers. 2009).
Les premiers bateaux arrivèrent au début des années 1990 et jusqu’à l’an 2000 il y avait deux bateaux par an, puis il y a eu une croissance continue. Jusqu’en 2003, il n’y avait rien d’organisé pour les touristes descendus à terre et les habitants étaient lassés de voir ces arrivées massives dans la communauté. Greenland Tourism a alors proposé à Nanu Travel de mettre en place un forfait «portes ouvertes» déjà expérimenté avec succès dans le sud du Groenland. Quand les touristes débarquent, ils reçoivent une carte de la communauté et un programme indiquant les différentes animations disponibles: ils peuvent assister au repas des chiens, voir les vêtements traditionnels, visiter le musée, la station de télécommunication, l’église et avoir, sous une tente, du café et du boeuf musqué. Ce forfait est vendu à tous les bateaux de croisière qui l’offrent toujours à leurs passagers. Normalement, il y a de 80 à 100 touristes par bateau mais il est déjà arrivé à la communauté d’accueillir 600 passagers. La saison des croisières va de septembre à octobre, et commence parfois en juin si les conditions de la banquise permettent la navigation. On compte de 15 à 20 bateaux à chaque saison (ibid.).
Opinions des résidents d’Ittoqqortoormiit
Il y a trois ou quatre ans, je faisais de petites activités avec les touristes pendant l’été. Je les transportais avec mon bateau, qui à l’époque était le plus grand dans le fjord [de Scoresby Sund]. Je laissais les touristes pour les reprendre plus tard, où après des jours s’ils faisaient du camping ou du kayak. C’était une belle expérience. En général, je pense que le tourisme est une bonne chose pour nous chasseurs.
informateur 1, chasseur, Inuk, 2009
Jusqu’aux années 1990, il n’y avait pas trop d’activités avec les touristes. Si quelqu’un arrivait dans le village il y avait une liste des chasseurs disponibles pour amener les touristes en traîneau ou en bateau. Aujourd’hui le tourisme est nécessaire, mais chasse et tourisme ne sont pas suffisants car j’ai cinq enfants. Je voudrais être plus occupé avec les touristes même s’il me reste peu de temps pour chasser et si je dois acheter de la nourriture au magasin.
informateur 2, chasseur, Inuk, 2009
Je travaille avec l’agence touristique locale, je fais des tours en traîneau et en bateau mais je préfère aller avec les chiens et le traîneau. J’aime le contact avec les touristes, c’est bien d’aller dans la nature et d’avoir un revenu supplémentaire.
informateur 3, chasseur, Inuk, 2009
Ce que les bateaux de croisière payent pour débarquer leurs touristes devrait rester dans le village et être utilisé pour des services dans la communauté.
informateur 4, chasseur, Inuk, 2009
Le plus important ici est le tourisme en traîneau, après c’est le tourisme de croisière. Ces derniers restent à terre pendant trois heures, normalement ils sont de 50 à 80. Le bateau est généralement russe et navigue aussi dans le fjord de Scoresby. Deux fois on a eu 400 touristes allemands qui ont débarqué en groupes. C’était des gens ordinaires qui n’étaient pas bien informés. Normalement les touristes des autres bateaux sont plus orientés sur l’expérience et plus informés
informatrice 5, employée touristique, Danoise, 2009
Je travaille avec les touristes de croisière, je les accueille sur le rivage, montre les kayaks et j’offre un morceau de viande de phoque ou de boeuf musqué. Il n’y pas d’infrastructures d’accueil ici comme j’en ai vu en travaillant à Ilulissat pour une agence touristique locale; je pense que les touristes veulent plus de confort et pour cette raison ils ont tendance à visiter d’autres endroits. J’aimerais être plus occupée dans ce secteur, spécialement avec des activités sportives comme le ski ou les randonnées.
informatrice 6, employée touristique, Allemande, 2009
Il n’y a que le tourisme pour que les chasseurs aient des revenus supplémentaires. L’argent se fait avec le tourisme de croisière mais le risque est de détruire l’image. Si des touristes font du kayak dans le fjord de Scoresby, ils ne vont pas aimer l’arrivée d’un grand bateau de croisière.
informateur 7, employé touristique, Danois, 2009
On a besoin de règlements. S’il y a un accident, on n’a qu’un hélicoptère ici et l’hôpital n’a que 10 lits.
ibid
Lors de leurs réunions, les associés de l’agence toursitique locale discutent de différentes stratégies touristiques, de nouveaux produits à offrir et de l’amélioration du service. En 2009, la ville manquait de services et d’infrastructures; il n’y avait pas d’endroit où les touristes pouvaient prendre quelque chose à boire, s’assoir et relaxer. «On a discuté de la possibilité d’utiliser l’immeuble d’Arctic Green Food, l’usine pour le travail du poisson qui est fermée, car il y a une grande terrasse panoramique, une cuisine et des toilettes, mais pour l’instant rien ne se passe» (informateur 1, chasseur, Inuk, 2009).
Presque 40 personnes, pour la plupart des chasseurs, sont engagées par l’agence touristique locale pendant la saison des randonnées en traîneau. Mais, par contre, peu de gens sont recrutés pendant la saison des paquebots. Toutefois, l’intérêt pour le tourisme est grand parmi les chasseurs qui y voient l’opportunité d’être occupés pendant des périodes où la chasse n’est pas encore en pleine saison, de remédier à des périodes de chasse maigres et surtout d’avoir des revenus supplémentaires.
Discussion
Étant distante des activités du centre, une région périphérique souffre d’isolement géographique et pâtit de sa marginalisation économique, ce qui se traduit par un faible niveau de vitalité, d’infrastructures et de services. La dépendance envers les importations, l’accès limité aux informations, une importante migration, un manque de planification, d’éducation et d’entrepreneurialité sont d’autres facteurs qui accroissent le sentiment d’éloignement (Botterill et al. 2000; Enzenbacher 2011; Lemelin et al. 2012).
À long terme, l’industrie du tourisme dans des régions périphériques dépend de l’acceptation et de l’appui de la communauté locale (Moscardo 2008; Murphy 1985; Stewart et al. 2011; Wearing et McDonald 2002). Le développement du tourisme y est possible mais il exige le soutien gouvernemental, un processus de formation, de recherches et de planification. Le potentiel cependant existe, un nombre de plus en plus important de touristes étant à la recherche de cette expérience spéciale qu’on trouve dans les régions périphériques. Le succès est associé au support financier à long terme du gouvernement, en particulier pour le développement et le maintien des infrastructures et des services (Blackman et al. 2004; Enzenbacher 2011).
La participation des communautés locales au processus de développement du tourisme ne doit pas se restreindre à l’offre d’emploi saisonnier. Recruter du personnel autochtone à tous les niveaux de l’industrie touristique est un bénéfice pour la population locale puisque le contrôle et les avantages économiques du tourisme seront pour toute la communauté et non limités à l’élite locale (Hall et al. 2008; Steward et al. 2011; Wearing et McDonald 2002). D’autres facteurs pouvant contribuer au succès du développement touristique d’une communauté sont l’identification et le développement des attractions locales, le marketing, la participation de la communauté et la présence d’un leader qui puisse motiver ceux qui sont intéressés par le tourisme (Hohl et Tisdell 1995). Trouver un leader avec des qualifications nécessaires est un défi pour beaucoup de régions périphériques où une telle expertise peut tout simplement ne pas exister. De plus, même si une telle personne existe, il peut arriver qu’elle quitte la région et son départ causera un manque de direction, de motivation et de formation.
Diverses activités liées au tourisme de croisière se retrouvent au Groenland. À Ukkusissat, le tourisme a démarré à l’intérieur de cette petite communauté qui, avec sa forte cohésion, voulait promouvoir des projets de développement local. Grâce à un bon travail d’équipe de ce village, les touristes sont bien accueillis par ses habitants. Le village d’Ukkusissat représente un cas exceptionnel, probablement unique dans tout le Groenland, qui montre comment les forces internes d’une communauté peuvent susciter des projets ambitieux au niveau local. En 2005, plusieurs groupes s’occupaient des problèmes du village, des jeunes, des mères et des enfants, du sport et de la communauté en général, et c’est lors de ces rencontres que le projet de développer un produit touristique simple a vu le jour.
Une antinomie nous est presque montrée par l’exemple d’Itilleq où, en 2005, tout se déroulait autour d’une seule personne qui a créé un petit produit touristique avec une offre qui couvrait bien les trois heures que les touristes restaient dans le village. Tout était centré sur sa figure; elle accompagnait les touristes dans leur tournée, leur vendait des souvenirs et c’était encore chez elle que les touristes avaient leur kaffemik. Une fois cette personne partie, tout pourrait s’arrêter si on n’arrivait pas à trouver une autre personne-ressource avec non seulement la disponibilité et le savoir-faire, mais aussi la connaissance de la langue anglaise.
Pour les touristes, l’allure mythique de Qaanaaq et de ses environs exerce un attrait très fort car c’est le dernier lieu habité avant le Pôle Nord. Cependant, on ne voit pas encore clairement comment on pourrait y développer le tourisme. Qaanaaq souffre de son extrême périphéricité, des coûts de transport élevés pour s’y rendre et de sa très courte saison touristique. À cause de sa localisation très au nord, le tourisme de croisière y est souvent pénalisé par la glace de la banquise qui peut empêcher l’arrivée de grands bateaux. La saison touristique est donc limitée, tout comme les avantages qui peuvent en découler. À Qaanaaq, un vrai tourisme n’a pas encore démarré en raison d’un manque d’infrastructures et d’offres d’activités. Les bénéfices du tourisme de croisière semblent confinés aux spectacles de danse en costume traditionnel sur les paquebots. On ne peut pas encore faire complètement confiance à ce genre de tourisme et à ses éventuels bénéfices. La saison la plus importante est encore celle des randonnées en traîneaux au printemps.
À Ittoqqortoormiit, la décision de l’agence de tourisme locale de s’associer avec Greenland Tourism a amené un changement positif. Cela a permis le lancement d’un projet structuré et organisé d’accueil pour les touristes de croisière, ciblé sur la taille et les ressources de la communauté. Le forfait de l’accueil est bien structuré et la présence de l’agence de tourisme locale semble faire la différence dans la promotion et la commercialisation de son programme pour les touristes de croisière. Cependant, même s’ils restent dans la communauté, les revenus qui dérivent de cette activité touristique sont pourtant limités aux quelques habitants engagés au moment de l’arrivée du bateau de croisière.
Conclusion
Au Groenland, l’accueil des touristes de croisière est maintenant préparé et des programmes de réception sont mis en place. Il arrive encore que des petits bateaux de croisière débarquent sans s’être annoncés mais Greenland Tourism et les organisations touristiques locales reçoivent normalement les demandes plusieurs mois à l’avance et peuvent s’organiser. Informer les communautés locales de l’arrivée de navires est essentiel, comme l’est le soutien aux projets de développement local pour permettre à la population de bénéficier des possibilités offertes par le tourisme de croisière. Ainsi les revenus peuvent rester sur place, dans les mains de la population locale.
Il ressort de mes entrevues à Ukkusissat, Itilleq, Qaanaaq et Ittoqqortoormiit qu’il y a un consensus général sur le fait que les visiteurs des bateaux de croisière apportent de l’argent, mais qu’ils coûtent également de l’argent pour fournir les services demandés. Certains estiment que même les visites occasionnelles des bateaux de croisière sont trop perturbantes ou dérangeantes et il y a beaucoup d’exemples de ce genre d’inconvénients dans les petites communautés (Tommasini 2011). Quoique soigneusement préparées et contrôlées, les visites de touristes sont parfois massives par rapport à la taille de ces petites communautés qui ont rarement les infrastructures nécessaires pour recevoir — même pendant peu d’heures — ce grand nombre de visiteurs.
Le tourisme est apprécié comme agent positif de changement quand l’échelle et le pas sont appropriés pour les communautés. Les plans de développement touristique doivent tenir compte des possibles impacts négatifs pour les petites communautés éloignées. Il est aussi essentiel de connaître quel type de développement touristique est désiré par les communautés. Les aspects sociaux et culturels doivent être considérés. Enfin, les populations doivent être bien informées, de façon ponctuelle et à jour afin d’avoir le temps de réfléchir et de réagir aux scénarios présentés par les planificateurs, et de pouvoir s’exprimer sur le développement touristique qu’elles considèrent le plus approprié pour leurs communautés.
Parties annexes
Remerciements
Je remercie le Ministère de la Culture et de la Recherche du Gouvernement du Groenland pour avoir approuvé et financé pendant plusieurs années mes recherches sur le tourisme et les communautés locales.
Notes
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[1]
Les données ici présentées font partie principalement de projets de recherche à Sarfannguaq, Itilleq (Sisimiut), Oqaatsut, Ilimanaq (Ilulissat), Ukkusissat et Qaarsut (Uummannaq) en 2005, Qaanaaq en 2007 et Ittoqqortoormiit en 2009.
-
[2]
Malgré leur petite population, on les appelle «villes» au Groenland.
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[3]
Mes entrevues dans la région d’Ammassalik en 1997 à 1998 montraient que 32% des personnes interrogées n’avaient pas d’opinion sur le tourisme ni sur les touristes (Tommasini 2011).
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[4]
Les centres de services (service houses) se trouvent dans toutes les communautés du Groenland. Il s’agit de maisons ouvertes à tous pour laver le linge, travailler les peaux des animaux, réparer et préparer des outils, ou pour prendre une douche. Elles sont aussi l’endroit où se retrouver quand il y a un événement. En général, il n’y a pas d’autres infrastructures d’accueil dans les petits villages.
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[5]
La préférence était pour un Inuk car, comme le disait le chef de l’office du tourisme lors d’une réunion à la municipalité de Sisimiut avec les représentants de l’office du tourisme, du tour-opérateur local et de deux pourvoyeurs, «les touristes, spécialement quand ils visitent des petits villages, préfèrent être en contact avec des Inuit et non avec des étrangers» (Mikkel Nielsen, Sisimiut Tourist Office, com. pers. 2005).
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[6]
Les deux villages d’Uunarteq et Itterajivit abandonnés et utilisés seulement sporadiquement pendant la chasse. Nelerit Inaat est l’aéroport et n’héberge que le personnel qui y travaille.
Références
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