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Au cours des cinq dernières années, les publications portant sur les arts visuels inuit se sont multipliées. Les raisons de cet engouement pour la diffusion de l’art inuit sont multiples; parmi celles-ci, on trouve l’intention de publier les résultats d’une recherche, académique ou non, le désir de mieux faire connaître et apprécier les arts et la culture des Inuit du Nord canadien ou, de manière plus spécifique, du Nunavik. La commémoration du cinquantième anniversaire de la naissance de l’art inuit coïncidant, bien qu’approximativement, avec la création du Nunavut, le passage à un nouveau millénaire et la nécessité de rééditer des ouvrages-clés furent autant d’occasions de célébrer l’art inuit sous des formes toutes aussi variées qu’inégales.
Dans ce contexte d’effervescence, il est apparu fertile de comparer six de ces ouvrages thématiques qui abordent les arts visuels des Inuit avec l’objectif d’examiner le traitement que ces publications accordent au contexte culturel et surtout aux productions artistiques visuelles des Inuit du Nunavik. Ainsi, dans la cinquième réédition de Sculpture of the Inuit depuis 1972, George Swinton propose à nouveau une lecture de l’art inuit contemporain qui remet en question les prétentions, les préconceptions et les limites du jugement esthétique occidental face à l’art des Inuit. Dans un exercice de démystification, celui qui est l’un des plus illustres pionniers de l’analyse de l’art inuit contemporain rappelle que les débuts de cet art se situent entre 1948-1949 et qu’ils trouvent leur origine dans la trame historique d’une alternative économique à un persistant problème de survie accentué par les bouleversements provoqués par une intense période de sédentarisation. Swinton profite de l’occasion pour plaider, encore une fois, en faveur de cet art mal connu en soulignant ses qualités esthétiques, les intentions et les particularités qui en font un art à part entière:
The fact is contemporary Eskimo art is a widely practised activity carried out by many people who […] have miraculously retained a sense of directness of expression plus a strong relationship to their physical and cultural environments, old and new.
Swinton 1999: 13
Il poursuit avec un «petit musée sans mur» — tel le musée imaginaire de Malraux revisité — où près d’une centaine de sculptures illustrent la variété des thématiques ainsi que les différentes directions et contradictions qui animent cet art. Swinton insère une carte géographique au centre de son volume, tout juste avant le catalogue des oeuvres où les artistes sont regroupées par communautés. Bien que schématique, cette carte du Nord localise 37 communautés dont 10 au Nunavik.
Écrit il a plus de trente ans, le classique de Swinton a vieilli, comme l'indique son avant-propos invitant le lecteur à remplacer, en cours de lecture, le mot «Eskimo» par le mot «Inuit», en plus de l’avertir des modifications orthographiques qui ont pris place avec les années. Autre signe des temps, l’auteur ajoute un chapitre[1] «Changes 1971-1999» qui sert de mise à jour abordant les nouveaux paramètres et les plus récentes questions touchant l’art inuit et son interprétation. Pour cette dernière réédition, un travail de correction des attributions des oeuvres fut accompli avec un certain succès, mais le choix de ne pas modifier la maquette de l’ancienne mise en page soulève maintenant l’incongruité de retrouver, ici et là, parmi les regroupements régionaux, quelques oeuvres provenant de localités différentes. Cela devient agaçant à la longue. Mais encore-là, ces corrections devenues visibles gagnent en intérêt lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de l’art des Inuit.
Par contre, à plusieurs égards, cet ouvrage demeure une banque d’images des plus utiles ainsi qu’une source d’informations historiques résumant avec justesse et en détail l’épopée du développement de l’art inuit contemporain de 1948 à nos jours, tout en rappelant les efforts de plusieurs et les conditions favorisantes qui précédèrent les initiatives de son développement par James A. Houston. Swinton livre aussi une démonstration éloquente en illustrant la grande diversité d’expression dont fait preuve l’art inuit contemporain. De plus, en classant les sculptures selon les communautés d’où elles sont issues, il propose une vision de l’art inuit liée à la reconnaissance d’un art d’auteur (Swinton 1999: 16) forgé dans le creuset des développements stylistiques régionaux. Ces régionalismes stylistiques seraient, à son avis, le résultat de l’influence portée par quelques individus (par ex.: Johnny Inukpuk, Charlie Sivuaraapik) dont la production se distingue des oeuvres courantes.
Un autre mérite de cet ouvrage est d’avoir tenté de comprendre non seulement le sens de l’art inuit mais d’avoir cherché des réponses à travers des données provenant notamment de l’ethnolinguistique[2] et de rencontres et observations réalisées sur le terrain. En outre, la sensibilité de George Swinton et son questionnement soutenu sur ce qui définit l’art comme un concept universel — rappelons que Swinton est lui-même un artiste peintre et poète — ont alimenté grandement sa réflexion sur l’art inuit contemporain. Également, il a défié le mythe en démontrant que tous les Inuit n’étaient pas implicitement des artistes et que, parmi ces productions venues du Nord, il y avait une grande diversité d’expression mais aussi de qualité.
Par contre, son enthousiasme débordant à vouloir défendre l’art des Inuit comme étant un véritable phénomène artistique l’incite parfois à argumenter sur la base d’indicibles prédispositions apparemment innées chez les artistes inuit: «Their (celle des artistes inuit) approach is more spiritual and organic — intrinsically animistic […]» (ibid.: 15). Le lyrisme de l’auteur l’incite parfois aussi à opérer des glissements de sens qui, par exemple, laissent entendre que les Inuit sculptent depuis des millénaires: «The Eskimo has been a carver for thousands of years» (ibid.: 123), alors qu’ailleurs dans son livre, il soutient que cette forme d’art est nouvelle et qu’elle ne s’inscrit pas dans une tradition (ibid.: 15). De plus, Swinton n’est nullement à l’abri d’un certain romantisme, surtout lorsqu’il aborde le thème sculptural du «togetherness» (ibid.: 19) comme étant un important symbole de l’affirmation culturelle dans un contexte d’acculturation, ou encore lorsqu’il laisse la parole aux artistes qui témoignent des difficultés, des angoisses et des joies du métier d’artiste. En outre, parmi ses approches interprétatives, on observe de fréquentes références à des artistes modernes tels Picasso, Brancusi, Dubuffet ou à des mouvements en art moderne occidental (baroque, bauhaus, expressionnisme, surréalisme, groupe Cobra, art brut, etc.) justifiant à ses yeux la modernité et une certaine internationalité, pour ne pas dire universalité, de l’art inuit. Pourtant, une telle stratégie contredit ses propres affirmations à l’effet que cette nouvelle forme d’art doit être abordée en laissant de côté nos critères esthétiques occidentaux.
Chez Swinton, il n’y a pas que des paradoxes, il est évident que les sculptures du Nunavik sont approchées avec beaucoup de considération car, d’entrée de jeu, elles ont une valeur historique intrinsèque, surtout lorsqu’on pense aux oeuvres de la première décennie, c’est-à-dire de 1948 au début des années 1960. D’ailleurs, plusieurs des exemples qu’il sélectionne pour décrire les spécificités de la sculpture inuit sont empruntés à un corpus d’artistes du Nunavik encore aujourd’hui fort estimés pour leurs contributions individuelles au développement de l’art inuit contemporain. Dans le répertoire des quelque 600 oeuvres figurant dans la banque d’images du chapitre «Catalogue of Artists by Area», on dénombre 170 pièces provenant de 10 communautés du Nunavik dominées par les productions d’Inukjuak (81), Puvirnituq (76) et Salluit (20). Parmi les pièces ajoutées dans les deux dernières sections écrites pour les éditions révisées de 1992 et 1999, on ne retrouve que six sculptures du Nunavik, dont deux du même artiste. L’une d’entre elles fut choisie pour ses qualités typiques des oeuvres d’Inukjuak, autant passées et présentes. Une autre pour l’humour qu’elle affiche dans le contexte d’un ours à la chasse au phoque. Une troisième pièce souligne l’apport significatif des titres donnés par Mattiusi Iyaituk à ses sculptures. Une autre sculpture comportant elle aussi des inscriptions, mais cette fois-ci en caractères syllabiques, est l’oeuvre de Thomassie Kudluk qui se distingue par cette volonté d’expliciter le contenu de la sculpture en le décrivant plutôt qu’en le titrant. Ce caractère narratif est également présent dans une pièce détaillée avec minutie par Adamie Anautak, qui met en scène une femme et un nain joueur de tours. Et, finalement, une dernière pièce par Mattiusi Iyaituk illustre l’originalité de la démarche semi-abstraite de cet inventif artiste d’Ivujivik.
En 1998, le projet d’Ingo Hessel était ambitieux, mais le défi fut brillamment relevé en publiant Inuit Art: An Introduction. Cet ouvrage faisait compétition sur le même terrain que le classique de George Swinton, Sculpture of the Inuit, en offrant un aperçu plus général doublé de l’avantage de textes moins denses et plusieurs reproductions photographiques grand format des plus somptueuses favorisant toutes les oeuvres sélectionnées, le tout mis en page avec sobriété. Cependant, à vouloir écrémer, l’auteur a reconstruit, peut-être malgré lui, une vision étatique, à tout le moins élitiste, du phénomène de l’art inuit. Hessel a subordonné ses choix[3] à ceux qui sacralisent l’art, notamment les grands musées d’État ou provinciaux et à leurs conservateurs éclairés. Avec son palmarès de «best of», aucun risque n’a été pris par l’auteur pour se dégager de ce piège aux allures rassurantes. Autre aspect pour le moins étonnant, sur les 19 sculptures du Nunavik présentées dans ce livre, plus de la moitié datent des années 1950, deux des années 1960, trois de la décennie suivante et quatre furent produites dans la première moitié des années 1980. La plus récente de ces sculptures date de 1985, soit 13 ans avant la publication de cet ouvrage qui laisse bien peu de place à l’expression actuelle des Nunavimmiut, et encense les productions des années 1950. En somme, cet exercice de synthèse fort bien documenté et illustré avec le plus grand soin a le défaut de ses grandes qualités: il manque d’une vision personnelle car, finalement, il n’offre rien de bien nouveau.
Sans détour, Hessel situe James A. Houston comme le découvreur de l’art inuit. Un court chapitre à teneur historique décrit aussi les innovations et particularités plastiques des premières oeuvres d’art inuit contemporain. L’auteur précise que les sculpteurs inuit jettent leur dévolu sur la taille de la pierre, abandonnant l’ivoire difficile à se procurer et évitant le bois, tel que recommandé par Houston, dont les initiatives eurent une influence notable chez les Inuit.
Selon Hessel, les artistes du Nunavik font preuve de grande créativité lorsqu’ils ajoutent, pendant une brève période, des incrustations faites de divers matériaux dont l’ivoire, la cire, des disques de polyvinyle fondus et diverses matières colorantes. Les changements d’échelles sont également cités comme étant une contribution de ces artistes passant du petit format des amulettes et autres miniatures à des objets plus volumineux. Johnny Inukpuk d’Inukjuak sert d’exemple pour rappeler qu’Inukpuk et ses contemporains passent progressivement d’un style naïf à des représentations plus naturalistes. Hessel soutient aussi que ce nouvel art est un pur produit d’acculturation qui reste toutefois le fruit d’individus, tels que Johnny Inukpuk et Akeeaktashuk, qui ont adopté des compromis artistiques pour s’ajuster aux critères élitistes de l’esthétique des Qallunaat (les étrangers) tout en sachant préserver leur liberté d’expression. Plus loin, l’auteur assure que les scènes de la vie quotidienne sont les productions les plus courantes au Nunavik. La puissance expressive de Davidialuk Alasuaq Amittuq sert à illustrer la relation que ce conteur inuit exceptionnel établit entre le monde supranaturel, les mythes et la sculpture.
Par ailleurs, dans la section qu’il consacre au Nunavik, Hessel cite de manière emblématique Paulusie Kasadluak: «What we show in our carvings is the life we have lived in the past right up today. We show the truth» (Hessel 1998: 78). Il affirme du coup l’importance indéniable du rapport à la tradition orale dans l’art du Nunavik qui, toutefois, est dominé par les productions issues d’Inukjuak et de Puvirnituq. Hessel souligne à juste titre que ces communautés inuit dont les sculptures furent les premières montrées au grand public ont certes influencé la réception et les attentes face à l’art inuit canadien.
Les sculptures d’Inukjuak y sont décrites comme étant taillées dans de la serpentine vert foncé qui se distingue de la pierre grise si répandue ailleurs au Nunavik. Les thématiques propres à Inukjuak recouvrent des sujets tels que les animaux de la région, les personnages inuits et occasionnellement la mythologie. Cependant, il y a prévalence des scènes familiales et des activités des femmes inuit dans les camps traditionnels. Le style expérimental des premières oeuvres est vite devenu mature avec des créations aux formes opulentes pleines de rondeurs. C’est à ce moment que des personnalités fortes se sont affirmées, comme ce fut le cas pour le chef de camp Johnny Inukpuk. Par les oeuvres classiques d’Inukjuak, les sculptures semblent franchement ancrées au sol et quelque peu statiques tout en exprimant de la retenue. Ce sont surtout les yeux qui sont animés d’expression.
Si le style de Puvirnituq est difficile à départager d’avec celui d’Inukjuak au cours des premières années, à la fin des années 1950, le style s’affirme dans un mouvement réaliste. Les oeuvres deviennent aussi plus exubérantes, voire agressives. Hessel prétend dans une perspective originale que ces oeuvres sont chargées d’une connotation plus masculine qu’à Inukjuak. Selon ses dires, les sculptures explorent des thèmes illustrant des scènes de chasse, des animaux et des personnages souvent rendus de manière plus héroïque qui correspond à ce que George Swinton et Nelson Graburn ont associé au concept de sulijuq combinant vérité, contenu expérimental et formes réalistes. On y trouve également la représentation de récits mythiques ou d’histoires personnelles que Hessel omet de rattacher à l’influence manifeste du père oblat André Steinmann qui encourage à cette époque l’illustration de tels récits. Pour conclure sur Puvirnituq, Hessel souscrit au paradoxe mis en lumière par Swinton qui déclara en 1977 que l’art de Puvirnituq était «typically untypical» parce que les Puvirniturmiut refusaient de voir leur art réduit à une catégorie stylistique contraire à leur esprit d’indépendance, préservant farouchement l’originalité et la liberté de leur expression artistique (et culturelle).
À Salluit, les conditions de production ne semblent avoir soutenu une activité très intense de la sculpture qu’au milieu des années 1950, alors que près de 70% de la population locale s’adonne à la sculpture sur pierre. Lorsqu’ailleurs au Nouveau-Québec très peu de femmes sculptent, à Salluit, il y a autant de femmes que d’hommes qui participent à la production, et les thématiques semblent être abordées par genre, les femmes illustrant exclusivement, ou presque, des activités domestiques réservées aux femmes tandis que les hommes se consacrent davantage aux scènes de chasse et occasionnellement à des sujets impliquant la vie courante des femmes inuit. Stylistiquement, ces oeuvres aux formes simples, taillées dans une pierre grise à la texture souvent rugueuse autorisant peu de détails, ont un caractère monumental. Malgré ses descriptions rationnelles, Hessel se livre à une comparaison boiteuse et à un jugement de valeur douteux lorsqu’il assimile les sculptures du milieu des années 1950 de Salluit à une sensibilité archaïque qui lui rappelle l’art européen de la période romane. De plus, il s’aventure dans une étonnante direction lorsqu’il assume que les productions artistiques d’Ivujivik et de Kangirsujuaq ont connu le même développement qu’à Salluit, alors qu’à Kangirsujuaq, la sculpture atteint son âge d’or seulement vers le milieu des années soixante et qu’Ivujivik a donné à divers moments des oeuvres de grand cru, mais jamais avec des soubresauts comme ceux de Salluit et de Kangirsujuaq.
Qui plus est, la documentation de Hessel est curieusement déficiente en ce qui a trait aux 40 dernières années du développement de la sculpture sur la rive sud du détroit d’Hudson, en omettant l’effet Mattiusi Iyaituk ou le prolifique Tivi Ilisituk. Pensons aussi au raffinement des pièces de Nutaraluk Iyaituk, le frère de Mattiusi, aux miniatures de Bobby Taqkirk, et à combien d’autres excellents sculpteurs. Il est également étonnant de retrouver le qualificatif d’art populaire pour les oeuvres narratives de l’érudit Tumasi Kudluk de Kangirsuk. De plus, comment admettre que le style personnel et franchement excentrique de Kudluk puisse résumer toute la sculpture de cette petite communauté qui produit toujours des oeuvres modestes et sans exubérance? De même, s’il est vrai que les sculpteurs à Kangirsualujjuaq se sont surtout fait connaître par leur travail sur andouiller de caribou, comment peut-on réduire l’interprétation de cette forme d’expression à de l’art populaire? Il faut ignorer la finesse, la complexité et la grande dextérité qu’expriment les sculptures de Daniel Annanack traitées en relief sur des portions d’andouiller souvent posées en équilibre. Et que dire des fameux panaches complets ou des segments d’andouiller recouverts de motifs gravés par Peter Morgan, qui regroupent avec intelligence et grande sensibilité des scènes où interagissent animaux et humains dans le paysage arctique?
Dans Celebrating Inuit Art, 1948-1970 édité par Maria von Finckenstein, les photographies sont également de qualité supérieure rendant bien les effets de textures et, jusqu’à une certaine limite, la subtilité des teintes de la pierre. Dans l’ensemble de ce catalogue d’exposition figurent 32 sculptures sur pierre du Nunavik. Les 16 oeuvres d’Inukjuak furent produites entre 1948 et 1960. Quant aux sculptures de Puvirnituq, elles couvrent la période 1957 à 1975, tandis que pour Salluit, on a des pièces de 1951 à 1958. La sélection des pièces est certes admirable, mais l’inconsistance du cadre temporel couvert pour chaque communauté laisse songeur. Quoi qu’il en soit, pour Inukjuak où l’on découvre de vrais trésors, dont une oeuvre de 1948, cela aide à retracer le portrait stylistique des premières années de la sculpture inuit contemporaine.
À un degré différent, il est permis de douter du contenu de certaines annotations qui accompagnent les sculptures. Ainsi, pour en citer quelques-unes: en page 58, provenant d’un artiste non-identifié, mais possiblement de la main de Johnny Inukpuk, le titre présume qu’il est question de «mère et enfants». N’aurait-on pas mieux fait de parler d’une femme et de deux enfants? D’ailleurs, le même problème d’identification refait surface avec une pièce (p. 59) signée par Johnny Inukpuk, où la concordance du titre et de la description fait défaut lorsqu’il est dit que cette pièce représente une mère et son enfant qui, de surcroît, évoquerait «une ancienne déesse de la fertilité». De quelle déesse (inuit?) s’agit-il, au juste? N’est-ce pas interpréter hors des limites de l’acceptable que de prétendre que la «femme avec enfant» (on ne distingue pas ce dernier sur la photo) agenouillée face à une qulliq (p. 64) est en colère? Bien que l’expression de son faciès puisse induire une telle lecture, rien ne nous assure que cette pièce n’exprime pas autre chose. À la page suivante, une sculpture du célèbre Paulusie Kasudluak montre un Inuk assis qui tient devant lui un animal étendu sur sa jambe gauche. Toutes proportions gardées, cet animal a le cou un peu long pour être le renard que l’on y décrit, et les pavillons des oreilles sont absents. Ne s’agirait-il pas plutôt d’une loutre (pamiurtuuq)? Plus loin, pour une sculpture de Davidialuk Alasuaq Amittuq, ce demi-poisson n’est-il pas une figuration de la fameuse déesse de la mer, Iqaluunappaa? Deux dernières lectures impressionnistes, pour ne pas dire projectives, prêtant des sentiments à deux oeuvres du Nunavik, laissent perplexe lorsqu’à la page 98 il est dit: «La posture de la mère suggère politesse et hésitation […]» et qu’aux pages 102-103, le visage de la femme est lu comme ayant la forme d’un coeur, alors qu’il n’est pas évident que pour les Inuit, un peuple de chasseurs-cueilleurs, la forme du coeur soit similaire à celle qu’on interprète en Occident avec ses deux lobes supérieurs tenant debout sur une pointe.
Par ailleurs, nous proposons une réattribution pour la pièce intitulée «Famille en train de coudre et de construire un kayak». En effet, il ne serait pas étonnant qu’on ait confondu la première syllabe du prénom de Mitiarjuk Nappaaluk avec un «pi», deux caractères syllabiques dont les formes en «L» ou en «V» peuvent être confondues si leur orientation n’est pas axée tout à fait dans le bon sens. Si cette attribution est plausible, cette sculpture provient donc de Kangirsujuaq et non de Puvirnituq. Précisons qu’une sculpture (AV-90-0822) tout à fait semblable du point de vue stylistique et thématique, et qui était autrefois dans la collection du ministère des Affaires indiennes et du Nord, fait partie de la Collection d’art inuit du Nunavik dont l’Institut culturel Avataq assure la conservation.
Avec Histoires de l’art des Inuits du Québec[4] écrit par Michel Noël et mis en page par le designer-graphiste Jean Chaumely (1998), on change de registre. Ce n’est pas un ouvrage savant. C’est le livre d’un écrivain passionné, romantique et amoureux du Nunavik, des Inuit qui y vivent et de leur culture. Michel Noël s’émerveille à la vue des «[…] espaces indomptés, rudes et beaux du Nunavik». Le livre est composé de deux chapitres: le premier s’amorce sur un récit de voyage au sein des deux saisons du Nunavik, comme Noël les perçoit[5]: l’été et l’hiver. Ce canevas sert à rendre compte d’expériences sensuelles variées (visuelles, sonores, tactiles et gustatives) qui offrent un portrait synthétique, intimiste et idéalisé de ses courts séjours au Nunavik[6]. Puis, brusquement, l’auteur passe à une description superficielle de l’art inuit, de ses sculpteurs et de ses thèmes, avant d’esquisser le portrait de deux de ses artistes actuels et des arts visuels pratiqués par les femmes inuit. Le second chapitre rappelle vaguement la collaboration de Michel Noël à la rédaction du troisième volume de Artisanat québécois (Simard et Noël 1977). Vingt ans plus tard, il aborde les origines de la sculpture inuit, les matériaux et techniques employés par les sculpteurs et les graveurs inuit, avant de conclure sur la question de l’authenticité.
Sa vision idéalisée enjolive la réalité, elle la rend plus malléable, moins rebutante. Semblable aux contes de fée, la vie au Nunavik est idyllique: les enfants sont souriants, les rapports entre les adultes s’articulent sans heurts, les Inuit sont bienveillants pour les étrangers, les artistes locaux y sont respectés et perçus avec fierté. Par l’omniprésence du lyrisme et le style impressionniste du récit et des descriptions qui l’accompagnent, il est inutile de rechercher de la rigueur scientifique dans cet ouvrage. C’est un voile très personnel qui enveloppe ce parcours sinueux à travers divers aspects de la culture du Nunavik. Habile conteur, Noël met en scène des perspectives contrastantes. À titre d’exemple, pendant un voyage à motoneige ayant pour seul repère le défilé d’une rivière, il fait dire à son guide, Charlie, à quel point il lui est inconcevable de se retrouver dans les dédales urbains fourmillant d’humains cadencés au même rythme affolant. Sur une trame de fond moderne, les descriptions épiques s’entremêlent avec un passé mythique d’une profondeur historique imprécise. Le portrait qui en résulte veut actualiser l’image d’un Nunavik toujours baignant dans ses traditions latentes que les contrastes de certains avatars modernes mettent en relief. Une motoneige qui tire un «traditionnel» qamutiik (traîneau) ou l’utilisation de l’avion pour transporter des Inuit et leurs chiens, en sont de bons exemples.
Les propos sur la sculpture du Nunavik prennent des dimensions émotives démontrant de la sensibilité et un sensualisme qui, eux aussi, laissent à penser que Noël s’est «converti» à un animisme magico-religieux s’inspirant du chamanisme inuit d’antan:
Lorsqu’une sculpture est terminée, l’artiste la soulève dans le creuset de ses mains, la scrute attentivement sous tous les angles, souffle dessus pour la dépoussiérer — et lui insuffler sa vie. Ses mains chaudes et caressantes l’enveloppent .
Noël et Chaumely 1998: 47
Pour ce qui est de la description des techniques touchant les arts visuels des Inuit du Nunavik, elles sont vagues et généralisantes. Quelquefois, les affirmations qu’elles contiennent sont mal documentées au point d’être purement gratuites[7], pas plus qu’on y démontre un savoir précis lors de la mention de détails puisés dans des données archéologiques. Ainsi, à la page 107 on doit comprendre que même les lames de couteaux pouvaient être ornées de motifs ou que les os de baleine pouvaient servir de structure pour des toits de tourbe érigés notamment au-dessus des caches de nourriture! Du point de vue ethnolinguistique, cet ouvrage comporte des efforts louables, mais s’enlise aussi dans des approximations lorsqu’on s’aventure sur des terrains dont l’auteur a peu la maîtrise, comme c’est le cas pour la traduction du nom de la pierre utilisée par les sculpteurs inuit: qullisaq (p. 94), qui renvoie plutôt à une chose qui est sur le point d’être faite de cette pierre, tandis qu’en inuttitut, on désigne habituellement ce matériau par qullisajaq.
Plus de la moitié des oeuvres reproduites dans le livre de Noël et Chaumely partagent le mérite d’être publiées pour la première fois. On y découvre également plusieurs photographies inédites, dont des paysages du Nunavik et quelques portraits d’artistes à l’oeuvre. Dans ce livre, les reproductions photographiques varient en qualité et en format. Plusieurs sont en couleur et présentent des paysages du Nunavik, mais surtout quelque 80 sculptures taillées dans divers matériaux (stéatite, serpentine, ivoire, andouiller de caribou, os de baleine), toutes accompagnées de vignettes aux contenus anecdotiques. À la fin de l’ouvrage, on trouve un index des oeuvres et de leur auteur, lorsque connu par Michel Noël. Encore là, l’orthographe de certains de ces noms est écorchée au passage, comme si on les avait écrits de mémoire.
Si les interprétations offrent une lecture poétique qui enchante, les citations et les faits rapportés n’ont pas la valeur d’une ethnographie rigoureuse. De fait, on sait rarement de qui proviennent les citations: «Une artisane nous confie: […]» (p. 78); «Une autre nous dit que […]» (p. 79); «La belle histoire qui suit, est tirée de la tradition orale» (p. 80). Qui plus est, aucune référence n’est faite à des enregistrements ou autres outils de collecte de données. L'ouvrage demeure en cela de peu d’utilité pour les scientifiques et autres chercheurs intéressés par les histoires de l’art des Nunavimmiut. Le projet d’une histoire de l’art des Inuit du Nunavik reste donc encore à réaliser.
Le Refus de l’oubli — Femmes-sculptures du Nunavik combine à la fois les qualités d’une dissertation et celles d’un livre d’art regroupant 140 reproductions photographiques dont la moitié en couleur. Il s’agit d’une version réaménagée et quelque peu allégée de la thèse de doctorat en arts et traditions populaires de Céline Saucier (1994). Son corpus iconographique va de l’univers paléo-esquimau à celui des Inuit modernes. À la différence de la mise en page de la thèse, ici les images ont été intercalées dans le texte, pour le plus grand bénéfice du lecteur.
Cet ouvrage comporte deux parties: la première introduit le cadre spatio-temporel dans lequel évoluent les Inuit modernes, en dressant un portrait historique et surtout anthropologique de la culture et des valeurs inuit, suivi d’un exposé définissant plusieurs concepts qui souvent portent à controverse tout en demeurant utile à la compréhension du phénomène de l’art inuit. On y retrouve aussi une mise en contexte de la pratique de la sculpture par les populations inuit du Nunavik et, bien évidemment, l'auteure ne manque pas de cerner le rôle de la femme dans la société moderne inuit et l’interprétation que la sculpture en donne.
La seconde portion du livre est scandée par une étude sémantique où, systématiquement, en page de gauche une analyse stylistique et ethnographique précise le regard que Céline Saucier porte sur l’oeuvre[8] figurant en page de droite. Les commentaires qui y sont réunis tendent à valider les trois genres (la sculpture inuit contemporaine, la sculpture inuit syncrétique et la sculpture inuit d’art contemporain) que la spécialiste a modélisés et qu’elle applique ici à des oeuvres produites dans le Nord du Québec de 1950 à 1991.
Abordant l’art sculptural des Inuit du Nunavik sous l’angle original de l’analyse visuelle, cognitive et ethnographique de la représentation de la femme inuit[9], Saucier nous fait découvrir la culture de la femme inuit en passant en revue ses diverses occupations domestiques et civiles jusqu’à celle, plus symbolique, de la maternité. La femme inuit, seule, avec un enfant, maternelle ou avec d’autres adultes. Masses et volumes arrondis, sans connotation érotique ou même charnelle, son corps est camouflé par l’ample amautik, manteau traditionnel pourvu d’un large capuchon évasé vers le milieu du dos pour y porter l’enfant. Cette femme inuit est active: debout, elle porte le dernier-né, elle marche; assise ou agenouillée, elle cuisine, elle apprête des peaux ou les repas, elle confectionne des vêtements ou cueille des oeufs ou pêche avec des gestes séculaires.
L’auteure veut convaincre le lecteur de la dimension universelle de ces objets d’art, ce qui l’amène à faire des rapprochements interculturels contestables qui font fi des anachronismes. On doit s’interroger sur la portée d’une telle dérive de sens qui révèle certes la richesse de la culture personnelle de l’auteure sans toutefois éclairer le propos des oeuvres étudiées, sinon leur conférer une valeur d’universalité rassurante pour les spéculateurs et investisseurs en art inuit. Au lieu de ce jeu périlleux, il aurait été davantage profitable de faire valoir en quoi l’art inuit se distingue des autres formes d’art et pourquoi il ne s’apprécie pas avec les critères occidentaux, comme si son ethnicité servait d’unique rempart contre la critique d’art tout en lui octroyant des privilèges sans nul doute acquis par sa valeur d’exotisme qui, conséquemment, la rend encore attrayante autant sur le marché de l’art que dans les musées.
D’aventure, Saucier va jusqu’à affirmer que «la facture soignée de l’oeuvre rejoint l’esprit inuit dans ce qui est vrai et bien fait», mais au juste, où se trouve le point de liaison entre le vrai, le bien fait et la facture soignée? De quelle conjoncture s’agit-il? Toutefois, dans ce livre, le choix du corpus est judicieux et révèle avec sensibilité et perspicacité la grande diversité ainsi que la richesse des matériaux employés par les artistes inuit, puisqu’on y retrouve des exemples de sculptures comportant, en tout ou en partie, de l’ivoire, de l’andouiller de caribou, de la stéatite (pierre à savon), de la serpentine, du bois, des tendons, de la fourrure de phoque, etc. Selon Saucier, le conservatisme serait ce qui distingue l’art inuit. Autrement dit, il s’agirait d’un art à thèmes récurrents, impliquant que les artistes inuit puisent dans un répertoire limité. Paradoxalement, la thèse du Refus de l’oubli soutient une certaine immuabilité ou fixité dans la représentation artistique, comme si ces images de femmes n’avaient pas changé. Pourtant, Saucier tente tout de même de regrouper les oeuvres par décennies dans un modèle qui parvient difficilement à justifier cette classification des sculptures autrement que par leur date de fabrication, sauf pour les oeuvres des années 1950.
Contrairement à la plupart des publications récentes sur l’art des inuit, on relève peu d’erreurs pour la désignation des thèmes figurés. Pour en citer une, mentionnons que la figure 140, en page 179, montre une femme inuit et un enfant protégés par un muret de neige à l’extérieur d’un iglou et non dans un iglou. En outre, là où la question de l’interprétation laisse pantois, c’est l’absolue autorité avec laquelle Céline Saucier déclare (à tout le moins, dans les titres qu’elle donne), lorsqu’il y a une femme avec un ou des enfants, qu’il s’agit indiscutablement d’une mère. Elle aurait dû être la première à relativiser, sinon critiquer cette pratique qui est devenue un automatisme chez presque tous les auteurs qui traitent de l’art des Inuit.
Dans The Inuit Imagination, Harold Seidelman et James Turner font d’abondantes références aux esprits et mythes inuit anciens. Ils élaborent une synthèse des récits de la tradition orale inuit du Nord canadien, sans toutefois qu’elle soit exhaustive[10]. Parallèlement, ils tentent de reconnaître certains de ces récits comme étant la source d’inspiration parmi plus d’une centaine d’oeuvres contemporaines d’art inuit illustrées dans ce volume.
Dans l’ensemble, 25% des sculptures représentées proviennent de huit communautés du Nunavik où dominent en nombre 12 pièces de Puvirnituq et 11 d’Akulivik, suivies d’Inukjuak avec six oeuvres. La moitié de ces sculptures date de 1978[11]. Les plus anciennes remontent à la seconde moitié des années 1960 et seulement huit furent réalisées entre 1980 et 1992. Du point de vue de l’interprétation, ces deux auteurs n’ont pas su clarifier si les vignettes et les commentaires accompagnant les oeuvres étaient les leurs ou ceux des artistes eux-mêmes. Il en résulte des interprétations qui à certains moments nous semblent mal aiguillées, comme on peut le constater pour l’étrange créature sculptée par Eli Sallualuk Qinuajua où les auteurs perçoivent des formes anthropomorphiques, tandis qu’il est plus évident que ces formes sont zoomorphiques. Un autre exemple, mais celui-ci est plus troublant: nous serions fort surpris qu’Aisa Amitttu ait titré sa sculpture «Totem» (Seidelman et Turner 200: 40, Fig. 40), même si elle a une composition verticale pouvant se rapprocher de la structure hiératique d’un totem. De plus, il apparaît assez curieux de lire en guise de description pour cette pièce: «A dream for a long night in winter. Living between the animal and spirit worlds and depending on both, the people strived to keep everything in a precarious balance», alors qu’il apparaît difficile de croire que les deux spécialistes de l’imaginaire inuit n’aient pas reconnu les deux Tunnituarruuk qui portent en équilibre sur leurs têtes un iglou surmonté d’un morse sur lequel on reconnaît un boeuf musqué.
Conclusion
Swinton, Hessel, Noël et Chaumely et Saucier dressent un survol de «l’art» de la période préhistorique en insistant sur la dextérité et le savoir-faire confirmés par la minutie, la beauté des matériaux employés et l’imagination qui caractérisent les productions paléo-esquimaudes issues de la tradition microlithique. La démonstration de chacun de ces auteurs s’appuie sur des exemples pré-dorsétiens et dorsétiens qui contrastent avec les artefacts néo-esquimaux de facture moins élaborée et utilisant peu de décors ornés. Du coup, en référant aux origines de l’occupation humaine de l’Arctique[12] pour mieux affirmer que l’art mobilier des ancêtres des Inuit modernes et de leurs prédécesseurs comporte des manifestations artistiques qui sont aux sources des oeuvres modernes, tous ces auteurs mettent de côté la réflexion pourtant des plus pertinentes que Charles A. Martijn publia en 1964. En effet, Martijn a vivement dénoncé le caractère abusif des rapprochements entre les productions artistiques modernes et les artefacts, figuratifs ou non, des anciennes populations nordiques. Il semble bien que le débat à ce sujet soit loin d’être clos!
À un autre niveau de lecture, la vue d’ensemble offerte par ces six livres écrits par des spécialistes ou habitués du Nunavik crée un malaise. Ainsi, malgré toute la bonne volonté et le souci de documentation inhérents à la plupart de ces auteurs, on a peine à discerner la perspective inuit dans l’interprétation que ces Qallunaat (étrangers) font de l’art des Inuit. Au risque d’en froisser certains, on a trop souvent l’impression que c’est par convention ou rectitude politique qu’on fait parler un artiste inuit à propos de son art, sans trop se préoccuper de la valeur indiscutable de ses commentaires. À ce sujet, citons une anecdote: quelques jours avant le décès de George Swinton, lors de notre dernière rencontre, ce dernier nous confia qu’il rêvait d’écrire un dernier livre: un petit bouquin qui contredirait tout ce qu’il avait pu écrire concernant cette forme d’art en déclarant avec fracas que l’art inuit n’a jamais existé et qu’il n’était que le fruit d’une invention occidentale. De fait, nous ne croyons pas trahir sa pensée en disant qu’avec toute sa verve, Swinton voulait nous ramener à l’essentiel en professant un acte de contrition et d’humilité envers ces milliers d’Inuit qui ont su inventer, et qui réinventent encore chaque jour un langage plastique qui leur est propre, au point de devenir un discours identitaire fort qui aura trop souvent masqué le génie créateur mais non prétentieux des individus Inuit. Autrement dit, l’art des Inuit se révélerait un art d’auteur.
Il est vrai que Swinton s’enflammait au sujet de l’art des Inuit et qu’il était intarissable. Cependant, il savait regarder, analyser et questionner. Certains pourraient lui reprocher de ne pas avoir suffisamment laissé parler les artistes, mais il les respectait sans doute trop pour les ennuyer avec le fardeau d’avoir à s’exprimer verbalement à propos de leurs sculptures, sachant que la maîtrise du verbe n’est certes pas donnée à tous et que de toute manière, savoir sculpter était déjà suffisamment éloquent.
Bien que nous puissions être tenté de demander: à quand, l’art inuit des Inuit? il n’en demeure pas moins que l’art inuit est une aventure artistique aussi universelle que le désir de s’exprimer visuellement et, de facto, de renégocier à chaque fois sa propre identité culturelle, même au Nunavik.
Parties annexes
Notes
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[1]
Il est intéressant d’observer que, pour la réédition de 1992, il ajoute les deux sections «Musings» et «Changes 1971-1992» et que sept ans plus tard, il développe davantage sa réflexion en bonifiant la dernière section.
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[2]
Notamment, au chapitre 8, lorsqu’il est question du terme sanannguaq qui renvoie au concept de sculpture en référant au processus et à l’acte de sculpter et non strictement au produit final.
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[3]
Les oeuvres qui y sont reproduites proviennent de deux collections d’État (Musée canadien des civilisations et Musée des beaux-arts du Canada) et de deux musées provinciaux (Art Gallery of Ontario, Winnipeg Art Gallery). Puisque plusieurs de ces oeuvres furent publiées auparavant dans notamment Inuit Art Quarterly, cela donne une impression de déjà vu, sans grande surprise. Alors que les photographies sont tout simplement magnifiques, ce livre aurait pu être l’occasion de découvrir et apprécier de nouvelles pièces d’art inuit.
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[4]
Pourquoi Noël et Chaumely n’ont-ils pas fait référence implicitement au Nunavik dans leur titre plutôt que d’avoir pris le détour de parler des Inuit du Québec, alors que, comme Michel Noël l’affirme lui-même: «Ils [les Nunavimmiut] sont farouchement amoureux de leur territoire, le Nunavik, et disent habiter le plus beau pays du monde. Il faut les croire» (Noël et Chaumely 1998: 10).
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[5]
On reconnaît ici la même structure binaire que Michel Noël utilise dans son livre Nunavimiut, Art inuit / Inuit Art publié en 1992.
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[6]
Il n’en demeure pas moins que le texte principal employant un langage simple dans un style imagé et dynamique, exhibant même un certain penchant pour la mythification, est attrayant pour le néophyte avide d’exotisme.
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[7]
Par exemple, contrairement à ce que Noël indique, ce n’est pas James Houston qui a incité les femmes inuit à tresser des paniers. Bon nombre de tentatives furent entreprises dans ce sens sans la participation de Houston (voir Swinton 1999). L’atelier de gravure de Puvirnituq n’a pas imprimé sa première collection en 1967 comme on le lit en page 97. La première collection d’estampes de Puvirnituq fut éditée en 1964, accompagnée d’un catalogue, bien que les premières productions graphiques de cet atelier datent de 1961. En outre, c’est à se demander où l’auteur a pu dénicher des informations concernant l’emploi du «noir de fumée» et du «rouge de la rouille» qui furent remplacés par des encres industrielles dans les ateliers d’estampe du Nunavik, comme on l’écrit en page 110.
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[8]
Malheureusement, la qualité des reproductions photographiques est inégale, lorsque certaines photographies ne sont pas franchement décolorées, floues ou encore agencées dans des mises en page aléatoires.
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[9]
Selon Saucier, le thème de la femme inuit ne compterait que pour aussi peu que 10% de la production sculpturale au Nunavik. Cette donnée est surprenante, mais fort intéressante et résulte d’une vaste enquête ayant porté sur plus de 21 559 sculptures du Nord canadien!
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[10]
Par exemple, on peut s’étonner que le mythe fondateur, qu’on retrouve partout au Nunavik et relatant le voyage d’Atungaq, ne figure pas dans cet ouvrage. De la même manière, laissant imaginer que tous les Inuit du Canada partagent la même tradition orale, une attention insuffisante est portée à la provenance des récits énumérés, oblitérant de ce fait les variantes locales et régionales de leurs livraisons potentielles.
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[11]
Alors que peu d’indications laissent entendre que les sculpteurs inuit aient été davantage motivés par les récits traditionnels en 1978, on pourrait expliquer cette concentration de sculptures pour cette année précise par la méthode de collecte des auteurs de ce livre. En particulier, puisqu’Harold Seidelman est un marchand d’art spécialisé en art inuit et qu’aucune des oeuvres figurant dans ce livre comporte une référence à une quelconque collection publique ou privée, il se peut fort bien que les illustrations de ce livre se rapportent majoritairement à des pièces qu’il a collectionnées dans le contexte de ses activités commerciales et que son intérêt pour les oeuvres inspirées de la tradition orale inuit furent l’une de ses préoccupations majeures vers la fin des années 1970.
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[12]
Seul Michel Noël s’aventure jusqu’aux temps bibliques et cite vaguement la Genèse: «Dieu créa la terre en sept jours, et le dernier, un peu las, il lança au nord toutes les roches qu’il rencontrait sur son chemin» et renchérit avec «la terre que Dieu donna à Caïn pour le punir» (Noël et Chaumely 1998: 9), visiblement pour déstabiliser le lecteur et ainsi lui faire saisir l’aspect rude et «hostile» de ce territoire où les Inuit ont «fait preuve d’une ingéniosité et d’une habileté exceptionnelles» (ibid.).
Références
- MARTIJN, Charles A., 1964 Canadian Eskimo Carving in Historical Perspective, Anthropos, 59(3-4): 546-596.
- NOËL, Michel et Barrie GUNN, 1992 Nunavimiut: Art inuit/Inuit Art, Pointe-Claire, Rousan Ed. et Institut culturel Avataq.
- SAUCIER, Céline, 1994 La représentation de la femme dans la sculpture inuit contemporaine du Nunavik (1950-1990), thèse de doctorat, Québec, Université Laval, Département d’histoire.
- SIMARD, Cyril et Michel NOËL, 1977 Indiens et Esquimaux, Montréal, Les Éditions de l’Homme, Artisanat Québécois, 3.