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Avec l’avancement du progrès techno-scientifique et les politiques d’intégration socio-raciales, les peuples autochtones de la Russie risquent de disparaître. Cela implique la perte d’identités culturelles comme le patrimoine linguistique, les rites et les coutumes qui se sont transmis pendant des siècles et ont été les bases structurelles de la société.
À cause de la colonisation russe, les Tchouktches du détroit de Béring sont donc en train de perdre lentement, mais graduellement, leur identité. Les causes principales — mais non les seules — de cette perte culturelle, sont l’alcoolisme et l’imposition de la langue russe à l’école et dans tous les lieux publics.
Ce phénomène de «russification» également présent dans d’autres réalités ethniques de l’ex-URSS a bien été observé par Charles Weinstein pendant cinq années (1993-1998) de séjour dans la population locale. C’est le sujet de son livre Arctique Extrême.
L’auteur est agrégé de russe et s’intéresse à la littérature des petites ethnies du Grand Nord et de l’Extrême Orient russe. Il a traduit poésies, contes, mythes et à la fin de son expérience, en commentant la conduite d’un compatriote connu à Anadyr, il dit de lui-même: «Je ne suis pas un aventurier en visite chez des sauvages. Je me contente d’étudier la langue des autochtones et de traduire nouvelles, récits, contes et autres matériaux. Certes, j’aimerais plus tard faire connaître cette langue et publier mes traductions, car ce peuple mérite d’être connu.» Selon Weinstein, la littérature et la tradition orale des Tchouktches sont le produit de l’esprit d’hommes en lutte avec un environnement dangereux auquel ils ont su remarquablement s’adapter, comme chasseurs de mammifères marins et éleveurs de rennes.
Le livre, écrit sous forme de journal, est le compte rendu du séjour et des rencontres de l’auteur parmi ce peuple. Avec lui il a partagé la façon de vivre, de penser, de chasser; il s’est conduit comme un des leurs en parlant leur langue et en respectant leurs traditions. Malheureusement, il a aussi constaté l’état d’abandon et de misère, autant spirituel que matériel, dans lequel se trouve la population et les problèmes qu’elle doit affronter qui sont en train de détruire les communautés.
Le problème de l’alcoolisme, commun à beaucoup d’autres ethnies arctiques, est sérieux et risque de devenir un facteur négatif prépondérant à l’intérieur des communautés. À entendre les intéressés, les causes de ce fléau sont à la fois sociales et psychologiques: «les difficultés de la vie quotidienne, le marasme économique, le délabrement de la culture traditionnelle et des langues locales. La population a le sentiment d’être abandonnée, rejetée, méprisée.» À ces difficultés s’ajoutent les problèmes dérivant de la «confrontation avec un autre mode de pensée, une autre langue, une autre éducation. À l’école, on enseigne aux enfants une histoire qui n’est pas la leur. Dans certains villages d’Alaska il n’y a pas de groupe folklorique. Les missionnaires ont lutté contre la culture traditionnelle.»
Au cours des dernières années beaucoup de choses ont changées — autant politiquement que socialement — et la communauté autochtone ne s’est pas trouvée préparée à affronter des problèmes et des situations inattendus. L’État central russe n’a pas apporté l’aide nécessaire et a contribué à augmenter le déclin social avec des initiatives peu populaires comme l’obligation de payer les médicaments et l’attribution de salaires plus bas aux femmes tchouktches par rapport aux blancs. En ignorant les traditions locales, il a engendré pauvreté et malaise.
La vie à ces extrêmes latitudes a toujours été difficile mais les populations autochtones ont toujours survécu aux difficultés climatiques et environnementales en respectant la Nature — qu’elles considèrent «une donnée de la vie» — sans transgresser les règles non écrites qui gouvernent le monde arctique. Maintenant cet équilibre s’est brisé — non par leur faute — et risque de ne plus se recomposer. Comme le confirment amèrement les Tchouktches, «l’assimilation des petites ethnies est inéluctable,» avec la conséquence inévitable de la perte inestimable d’un patrimoine humain.