Résumés
Résumé
La période de rénovation théorique qui a vu l’apparition de la sociocritique n’a pas connu le même élan en traduction, malgré Walter Benjamin ou Georges Mounin. Mais la poétique d’Henri Meschonnic et la sociocritique, entre autres, ont travaillé contre l’effacement et l’annexion qui restent les caractéristiques d’un monde qui synthétise ses pratiques sous le nom de traductologie. Elles affirment avec force qu’un texte étranger est toujours (et seulement) un texte traduit. La sociocritique, qui demande aux traducteurs de définir ce qu’ils traduisent, affirme que c’est la socialité du texte. Et pour ce faire, il n’y a qu’un moyen : faire dans sa langue-littérature ce que l’auteur a fait à la sienne. Pour cela, il est nécessaire d’établir une méthodologie qui interdira tout effacement, même masqué par une conception de la traduction qui promeut la fluidité. Il est donc proposé, dans le sillage de Jean Peytard, de viser à l’altération. Altérer son propre discours en acceptant celui de l’autre, c’est altérer son propre discours en lui faisant subir les marques de ce dialogue.
Abstract
Sociocriticism appeared during a period of theoretical renewal which, despite the work of a Walter Benjamin or a Georges Mounin, found no equivalent in translation studies. Be that as it may, the poetics of Henri Meschonnic and sociocriticism have worked against the erasure and annexation which remain the characteristics of a field that synthesizes its practices under the name of translatology. They make the strong claim that a foreign text is always (and only) a translated text. Sociocriticism, which asks translators to define what they translate, claims that it is the text’s sociality. And so the only way forward is to do in the translator’s language/literature what the original author has done in his own. To that end, it is necessary to establish a methodology that will avoid any erasure, even when this is masked under an approach to translation which favours fluidity. Following Jean Peytard, the suggestion is to aim for alteration. To alter one’s own discourse, while accepting that of the other, is to alter one’s own by registering the marks of the dialogue between languages.
Corps de l’article
Nous retourner vers les années de mise en forme de la pensée sociocritique est une belle occasion pour nous souvenir, au moins pour les plus âgés d’entre nous, de l’ambiance de l’époque, qui était, pour les étudiants, toute d’émulation et de recherches. Sans succomber à la vaine nostalgie d’un âge d’or de la critique, c’était une époque où, comme étudiants, nous achetions et lisions réellement les ouvrages méthodologiques, que nous régurgitions sous la forme de ce qu’on appelait alors la lecture plurielle, une sorte de bouillie théorique qui mêlait, sérieusement et naïvement à la fois, un peu toutes les approches, en les juxtaposant, dans une sorte d’union sacrée contre l’ennemi désigné : l’Institution. Goldmann et Barthes, Todorov et Escarpit, Lukács et Lefebvre, Kristeva et Richard, bientôt rejoints par les formalistes russes, parallèlement renforcés par la découverte – ô combien motivante – de la linguistique moderne, le goulasch méthodologique ne nous faisait pas peur, il nous justifiait même, tant il nous donnait l’impression que le savoir littéraire était enfin en train de s’objectiver, que la science humaine pouvait être scientifique. Puisqu’on pouvait parler de production du texte, pourquoi ne pas se demander si une science du littéraire était possible ? On aura repéré les références à Charles Grivel[1] et France Vernier[2].
Naturellement, ces pratiques étaient à l’époque, sinon théorisées, du moins assumées[3], au risque d’ailleurs de créer une ambiguïté durable entre socio-critique, toujours avec trait d’union, et sociologie. Au crédit de cette époque flamboyante, le rejet des notions alors dominantes, hégémoniques, comme « chef-d’oeuvre », « génie », « inspiration », « don », « mystère », « création », « mystère de la création », « ineffable », « âme », de force multipliée par dix dans le cas de la poésie, et par cent dans celui de la poésie chinoise, bref la métaphysique à tous les étages, des empêcheuses de penser en rond, qui n’ont pas vraiment réapparu[4] (sauf dans l’Orientalisme où elles n’ont jamais disparu) malgré le repli théorique assez généralisé auquel nous assistons.
Dans cette vague pourtant, un grand oubli : la traduction, à part le livre de Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, en 1963, dans une perspective entièrement linguistique mais novatrice[5], et bien sûr « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin[6], traduit un peu plus tard. Deux découvertes, mais qui consacraient aussi dans ce domaine, et cela allait durer, le fait que pour y faire autorité, il fallait venir de l’extérieur. Cinquante ans après, on continue, institutionnellement, à demander à des non-traducteurs de faire le « bilan » de la situation du domaine.
Les choses ont enfin changé depuis, surtout depuis le symposium de Paris de décembre 2011, « Actualité de la Sociocritique »[7], et il faut ici rendre à Henri Meschonnic ce qui revient à Henri Meschonnic pour son rôle incontournable dans le débat[8]. Il ne faut toutefois pas se faire trop d’illusions : retour du refoulé ou revanche de l’Institution, les changements qu’on a pu noter dans le monde de la traduction depuis une vingtaine d’années et en particulier par la création de séminaires qui lui sont explicitement consacrés, et s’affirment même professionnalisants, ainsi que la mention enfin admise du nom du traducteur dans le livre, n’ont guère changé la réalité textuelle des oeuvres traduites[9]. La sociologie de la traduction a évolué, sa sociocritique reste confidentielle. On peut même craindre que les petits changements ne bloquent les véritables changements sous l’alibi de nouveautés cosmétiques, un peu comme les emplois négligents de la sociocritique qui sont peut-être plus dangereux pour elle que les critiques malhonnêtes, Claude Duchet ne cessait de nous le rappeler pendant nos « Entretiens »[10]. Combien de fois n’avons-nous pas entendu dans l’Institution qu’« on ne met pas ses traductions dans son curriculum vitae »[11], tout en célébrant la tenue de séminaires sur le sujet. La dernière interview d’une des stars du domaine nous apprend que « si on n’est pas écrivain dans l’âme, il est impossible de traduire[12] ». Voilà qui ressemble fort à un interdit professionnel pour les athées.
L’ancillarité, la soumission, l’exhortation à la modestie et l’exigence d’invisibilité, avec ou sans le culte du chef-d’oeuvre et du génie, avec comme basse continue « on ne peut pas tout traduire », continuent à régner sur le monde de la traduction. La négation et l’effacement se tiennent la main. Il s’agit toujours d’un crime en bande organisée.
Mais quel débat peut-il donc bien y avoir lorsque la réalité la plus élémentaire n’est pas prise en compte ? Laquelle ? Il n’y a de texte (étranger) que traduit. Ne serait-ce que parce qu’il n’y a de texte que lu ? Et qu’est-ce qui est lu ? Le texte traduit, donc il n’existe bien de texte que traduit. Avec André Markowicz : « On a l’impression en France qu’en lisant un bouquin de Tolstoï ou Dickens, on lit Tolstoï ou Dickens : mais c’est stupide ! Pour lire Dickens, il faut lire l’anglais ![13] » L’acceptation ou non de ce constat est la ligne de démarcation entre traducteurs, étant bien entendu, comme nous l’avons montré avec Marie Vrinat-Nikolov, que la réponse à la question « qui traduit quand on traduit ? » est loin d’être simple. Mais si définir qui est ce « traducteur » est bien plus complexe qu’il n’y paraît, il y a toujours traduction, et les problèmes restent les mêmes, que cette traduction soit informatique ou automatique et légèrement revue par un humain, comme cela se pratique de plus en plus souvent, que le traducteur soit un escroc ou un moine bénédictin, la voisine de palier ou Maurice-Edgar Coindreau. Comme nous le disions avec Claude Duchet : « Il peut y avoir transfert d’une socialité folle ou incontrôlée, mais elle est toujours là[14]. »
La critique (pardon pour cette généralisation) commence à peine à faire son travail, à interroger (entendre : noter) la traduction dans quelques cas, soit par la seule mention du nom du traducteur en tout petit, soit par le fameux « excellente traduction », soit par une agression parce que page 167, il y a parapluie au lieu de parasol. On peut noter incidemment que tous ces gens persuadés que traduire, c’est traduire de la langue, s’exonèrent facilement de leur ignorance dans le domaine. On peut aussi noter que ces ennemis de la traduction mot à mot pratiquent allégrement la critique mot à mot…
Tout ceci n’est pas un jugement de valeur a posteriori ou une vengeance, mais l’expression d’une exigence, valable pour le traducteur comme pour le critique (et le lecteur attentif, et l’éditeur, et l’universitaire) : que traduit-on quand on traduit ?[15] Ou, si l’on préfère : quelle est la réponse à cette question que donne cette traduction-ci ? Plus prosaïquement : quelle est la conception de la littérature de ce traducteur ? Reconnaissons qu’elle n’est pas souvent posée. Pourtant, c’est bel et bien un texte traduit que vient de lire le critique. Pourquoi les questions posées à l’auteur ne le sont-elles pas à l’auteur de la traduction ? Pourquoi les marques du texte du « génie » sont-elles toujours valeurs, mais fautes quand il s’agit du traducteur ? Allons jusqu’à poser cette question scandaleuse : pourquoi compare-t-on toujours le texte de l’auteur aux autres textes de l’auteur, mais jamais la traduction du traducteur aux autres traductions du traducteur ?
Donc : que traduit-on quand on traduit ? La réponse est sans doute évidente pour tous ceux qui ne se posent pas la question. Mais pour tous ceux qui acceptent de se demander ce que peut bien être cette littérature, « l’ainsi nommée Littérature », pour tous ceux qui acceptent de se demander si même il y existe une littérature constituée dans le pays d’où provient l’oeuvre à traduire[16], la réponse n’est pas simple. Même si cela doit heurter tous les nationalismes du monde. Pour la sociocritique, cela commence à être bien balisé, la réponse théorique est acquise : ce que nous devons traduire, c’est la socialité du texte.
Rappelons la définition donnée par Claude Duchet dès 1973 :
Cette socialité se présente sous deux aspects complémentaires et contradictoires : elle est d’abord tout ce qui manifeste dans le roman la présence hors du roman d’une société de référence […], ce par quoi le roman s’affirme dépendant d’une réalité socio-historique […].
La socialité est d’autre part ce par quoi le roman s’affirme lui-même[17] comme société, et produit en lui-même ses conditions de lisibilité […][18].
Les travaux de sociocritique sont venus préciser et complexifier cette notion, jamais la remettre en cause, car elle reste le noyau réflexif de la sociocritique. Mais cette définition, même sans tenir compte des recherches ultérieures, suffit largement à faire le tri dans le monde de la traduction.
Pourquoi ? D’abord et tout simplement parce qu’elle constitue le cahier de charges auquel tout traducteur devrait se référer[19]. Une partie des traducteurs (dont la précarité économique n’explique pas tout), bien prompts en général à se faire les avocats de la partie adverse et à plaider pour leur propre statut secondaire, une partie des traducteurs, donc, pourrait peut-être admettre que sans pensée de la langue-littérature[20] (par choix du traducteur ou sous pression de l’éditeur), il ne restera rien du texte dit original dans la traduction :
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Il n’y a de texte que traduit.
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Cette traduction est un transfert de socialité.
Mais nous sommes encore loin du compte, car une traduction honnête et méticuleuse peut aboutir à un transfert aussi délirant qu’une belle infidèle. Qui décide de la validité du transfert ? Henri Meschonnic a fourni le critère en même temps que la méthode : « [É]couter ce que fait un texte à sa langue, et qu’il est seul à faire […]. / [I]l y a à faire dans la langue d’arrivée, avec ses moyens à elle, ce que le texte a fait à sa langue. / C’est à cette seule condition que traduire est écrire. Sinon, traduire, c’est désécrire[21]. »
C’est ici que le monde de la traduction se divise, car chaque côté considère que l’autre désécrit. D’un côté, la vulgate qui se délecte de fluidité et les sectateurs du « traducteur qui doit disparaître derrière l’auteur » ; de l’autre, ceux qui pensent que le traducteur, devant faire à sa langue ce que l’auteur a fait à sa langue, est l’auteur de sa traduction.
Or même s’il ne le fait pas et se soumet au diktat de la langue fluide, le traducteur de Shakespeare fait quelque chose à sa langue, en fonction des conceptions qu’il a de la langue, de l’« ainsi nommée Littérature » et de l’écriture de Shakespeare. Effacement et fluidité traînent avec elles, par exemple, l’increvable rejet de la répétition. To be or not to be nous sera un jour proposé sous la forme to be or not. « L’excellente traduction » est et reste la servante du « bon goût » et du « bon français », donc du « bon goût français ». Et le bon goût nous dit que la répétition est à prescrire. Pas un jour ne passe sans qu’un éditeur-correcteur ne le rappelle au traducteur, sans se demander, semble-t-il, si l’auteur n’a pas longuement mûri cette répétition[22].
Mais n’est-il pas vrai que nos traditions littéraires sont différentes ? Nous voici revenus au point de départ. Je traduis Shakespeare en faisant à ma langue-littérature ce qu’il a fait à la sienne, ce qui implique de prendre en compte le cotexte[23].
On l’a dit, qu’il y ait ou non pensée explicite du texte, c’est une traduction que le lecteur lira. Il faut oublier l’original.
L’implicite de la traduction, charrié par la narrativité sociale, en même temps que son présupposé idéologique, est que tout texte traduit ne peut pas être l’original, qu’il ne peut que courir après, de préférence en évitant de se faire trop voir, sans jamais le rattraper. Qu’attendre donc du transfert de socialité qui en résultera ? Faut-il abandonner toute espérance et se résoudre à n’entrevoir que de très loin le saint des saints comme dans les religions ésotériques ? À subir les éditions dites savantes, renonçant à tout rendu proprement littéraire, à baisser la tête devant le diktat absolu « l’original seul fait foi », à trembler devant l’autorité des mots allemands en italiques pour faire « texte philosophique » ?
S’il n’y a de texte que texte traduit, où donc passe l’original ? Il y a deux solutions, la première étant l’effacement, si bien décrit et dénoncé par Walter Benjamin[24], donc. Nous utilisons souvent un petit truc pédagogique pour faire comprendre l’effacement à l’étudiant rétif à la pensée du traduire. Quand l’étudiant présente à l’occasion ce qu’il appelle « une citation de Shakespeare », nous lui faisons remarquer que Shakespeare n’a jamais « fait de citation », qu’en fait la citation est faite par lui, l’étudiant, et qu’en l’attribuant à Shakespeare, il vient de « s’effacer ». Et, ce faisant, de fabriquer un Shakespeare écrivant directement en français.
Le terme reste valable pour décrire un processus ultra majoritaire, même si, nous l’avons dit, la sociocritique conclut à l’impossibilité d’un effacement complet. Ne pas transférer la socialité du texte, ce n’est pas l’annuler, mais en transférer une autre, « folle ». Conservons à des fins pédagogiques le mot « effacement », d’une part parce qu’il est un geste, d’autre part parce qu’il aide à se rappeler, avec Henri Meschonnic, que le premier effacement consiste à « effacer l’effacement[25] ». En effaceur effaçant son effacement, le traducteur soumis et modeste se situe dans son domaine comme le « classeur classé par son classement » dont parlait Pierre Bourdieu[26].
L’effacement a pour effet de maintenir l’approche métaphysique, en conservant l’original dans le vert paradis des chefs-d’oeuvre géniaux, pour nous autres pauvres mortels. On se s’étonnera donc pas que les textes poétiques et les textes religieux en soient les principales victimes, ou les plus susceptibles d’être maniés avec la prudence qu’exige le sacré. Pensons aux grimaces lorsqu’on affirme qu’un poème traduit sans notes n’est pas traduit. Car interdire au lecteur la lecture des indices[27], c’est lui interdire par ricochet la lecture des valeurs, donc d’avoir accès au texte. Refuser les notes, c’est s’affirmer capable de saisir toutes les allusions contextuelles en berbère ou en tagalog. Alors imaginons les hurlements que provoquerait l’application des règles élémentaires de la traduction aux textes religieux. Pourrait-on entendre à la messe : « Lecture de l’Évangile selon saint Luc, traduction Marcel Dupont… » ou « Comme nous l’avons appris du Sauveur et selon Son commandement, nous osons dire, dans la traduction de Léon Durand, Notre Père… » ?
Toute approche de la traduction autre que comme transfert de socialité reste parfaitement acceptable, à la condition qu’elle dise ce qu’elle fait (volontairement). Qui dit traduction dit conception de la littérature ou du texte. Et c’est de cette conception que découleront les outils adaptés, comme la triade sociocritique, tant pour sa force d’analyse que pour ses qualités pédagogiques. Mais « transférer une socialité » va beaucoup plus loin, car ce principe définit une méthodologie qui contraint à définir la socialité du texte à traduire, à définir les moyens de la transférer, et surtout à encadrer ou flécher les conditions de sa lisibilité.
Jusqu’ici, nous avons essayé de décrire une démarche sociocritique, la possibilité d’une pratique sociocritique de la traduction, mais en l’état, c’est insuffisant. Si ce n’était que de l’histoire de la littérature, ce ne serait déjà pas mal, mais ce ne serait pas sociocritique dans la mesure où placer, même dans le bon sens, deux textes en regard l’un de l’autre, c’est en réduire la socialité, sous sa forme de « présence hors du roman d’une société de référence », en réduire la socialité à un simple contexte. Une histoire de la littérature et non une histoire littéraire, passant d’un monde clos à un autre monde clos. Ce qui ne devrait pas dispenser d’en rechercher la cohérence.
Pour aller plus loin, il convient de se rappeler qu’un sociocriticien ne peut pas aborder la question de l’altérité sans s’interroger sur son univers sociogrammatique, que dessine le sociogramme de l’Autre (après avoir prouvé son existence !). La sociocritique ne peut pas analyser un discours en faisant comme si elle n’en émettait pas un elle-même. D’une certaine façon, le sociocriticien doit toujours s’interroger sur « ses propres conditions de lisibilité ».
Le sociogramme de l’Autre se répand de façon mobile autour du noyau conflictuel Alter / Aliud[28], dont nous voyons une manifestation dans les approches de la traduction : Alter, l’annexion, l’autre comme moi-même, l’« hypocrite lecteur mon semblable mon frère », mais sur une musique morale, tous les hommes seront frères, l’autre qui fonde le devoir que j’ai d’agir pour permettre que tout homme soit aussi homme que moi, l’obligation de déceler l’humain même sous ses formes les plus dégradées ou les plus indignes.
Et Aliud, l’étranger, l’inaccessible, le contraire, l’irréconciliable, l’incompatible, celui de « l’Enfer c’est les autres » et de la distinction. L’intraduisible.
Les deux grandes familles de traducteurs, relativistes et historicistes, institutionnels et sociocriticiens (avec leurs cousins poéticiens) illustrent parfaitement le noyau sociogrammatique, et surtout son mode de fonctionnement, à savoir le conflit. Le conflit est une contradiction plus une détermination par l’autre. Nous autres sociocriticiens n’avons rien à attendre ni à apprendre de l’Institution, mais nous ne pouvons pas ne pas être en conflit avec elle, puisqu’elle détermine le lisible, hic et nunc. Même si nous rejetons toutes les injonctions de la traduction et de la traductologie, même si nous n’obéissons qu’aux règles du traduire, ce sont les premières qui encadrent et surdéterminent nos travaux. Pour ne prendre qu’un seul exemple, non polémique, il est fréquent qu’en voulant faire un compliment au traducteur, on nous dise que grâce au « roman » que nous venons de traduire, « on apprend beaucoup de choses sur la société coréenne ». Nous pourrions effectivement polémiquer en demandant pourquoi alors on nous refuse les notes… Demandons simplement où, dans ce cas, passe la littérature, mais cela non plus n’est guère audible dans le monde des traducteurs.
Cela ne nous dit pas encore clairement comment ne pas effacer. Car il n’y a pas de degré zéro du traduire. Il faut proposer un acte, une procédure, une méthodologie aptes à rendre compte de la socialité du texte. Nous proposons, pour la nommer et la définir, un terme forgé dans les années évoquées au début de cet article, l’altération.
« Enseigner à l’autre, c’est altérer une parole, et de cette parole altérée, il fait autre la sienne, qui transformera à son tour celle d’autres », écrivait le linguiste Jean Peytard[29]. Bouclons – provisoirement – la boucle en revenant aux racines (plurielles) de la sociocritique et en particulier à Brecht dont Claude Duchet n’a jamais nié l’importance et qu’il a même traduit. Et tout simplement à son Verfremdungseffekt, insuffisamment rendu par distanciation et sans doute mieux par étrangéification, le fait de rendre étranger à soi-même, de mettre à distance tout objet pour le cerner[30], en particulier tout ce qui est aveuglé par les évidences. En traduction, cela signifie aussi rendre à l’étranger son étrangeté, rendre à alter son aliud.
L’altération nous apparaît comme la forme spécifique de l’étrangéification en matière de traduction, désignant un processus, un mouvement, un travail en cours, une production. L’ambiguïté volontaire même du terme d’altération semble productive, car elle marque à la fois la présence durable de l’autre ici et maintenant et l’effet modificateur de sa langue sur la nôtre. L’ambiguïté est d’autant plus intéressante – puisqu’altérer un produit, c’est l’abîmer – qu’elle prend à bras-le-corps la problématique du traduire. Au-delà des vaines chamailleries sur la fidélité, la pensée du traduire affirme hautement qu’il faut altérer un texte pour le conserver, car il faut faire (en littérature française) à la langue-texte ce que l’auteur a fait à la sienne. Dialoguer, citer, traduire, c’est altérer son propre discours en acceptant celui de l’autre, c’est altérer le sien en lui faisant subir les marques de ce dialogue. Toute parole s’adapte aux conditions d’énonciation. Tout texte s’adapte à un nouveau public quand il est traduit.
À titre d’exemple[31], prenons le fameux Arma virumque cano de Virgile. « Je chante les armes et l’homme » ne pose aucun problème. Ce qui est justement le problème ! Pierre Klossowski propose « Les armes je célèbre et l’homme qui le premier […][32] ». On comprend tout de suite le projet, garder le rythme, pour faire ce que notera Foucault : « Une traduction où le mot à mot[33] serait comme l’incidence du latin tombant à pic sur le français, selon une figure qui n’est pas juxta- mais supra-linéaire […]. / Il choit du vers latin sur la ligne française comme si sa signification ne pouvait être séparée de son lieu […][34]. » Or, à y regarder de plus près, Foucault a techniquement tort. Le mot à mot qu’il célèbre, et nous avec lui, contre toute la vulgate de la traduction, n’est pas exactement respecté par Klossowski, à juste titre, nous semble-t-il. « Les armes et l’homme je chante » l’aurait été, mais cela aurait été en même temps une traduction de la langue, une soumission à la langue latine en général, et non à Virgile, au latin de Virgile. D’où, à notre avis, l’inversion dans l’inversion, si l’on peut dire, le verbe quittant sa place pour devenir valeur. Quand le français aurait placé « je chante » au début, le latin cano à la fin[35], le traducteur altère et place « je chante » au milieu, ce qui en fait une oeuvre lisible, comme elle l’était en latin, littéraire (parce qu’unique) et en même temps différente du français. Un rythme autre que le français. Un rythme autre dans le français. Écho lointain, mais que serait une sociocritique sans histoire d’elle-même et de ses objets d’étude, des réflexions de Chateaubriand sur Milton : « J’ai calqué le poëme de Milton à la vitre[36] » ? Un des exemples qu’il donne est particulièrement éclairant : « Many a row / Of starry lamps . . . . . . . . / . . . . . . . . Yielded light / As from a sky[37] » ; sa traduction : « Plusieurs rangs de lampes étoilées… émanent la lumière comme un firmament[38]. » Et surtout le commentaire qu’il en fait : « Or je sais qu’émaner en français n’est pas un verbe actif ; un firmament n’émane pas de la lumière, la lumière émane d’un firmament : mais traduisez ainsi, que devient l’image ?[39] »
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Ou bien l’original est effacé ou bien il est altéré.
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Altérer un texte, c’est rendre étranger le texte traduit.
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Altéré, le texte traduit porte le deuil de l’original.
L’altération nous dit qu’on oublie l’original, qu’il faut en faire son deuil comme dirait Régine Robin[40], qu’il n’y a pas deux textes mais un seul texte qui contient le premier, ce qui nous a fait parler de « texte commencé » et de « texte continué », c’est-à-dire le même texte, et non une source et une cible – formulation qui a en outre l’intérêt d’interdire tout rapport hiérarchique entre les textes. Ce mouvement est analogue à celui que Régine Robin a décrit, en s’interrogeant sur le conflit sociogrammatique de l’Autre : Nous autres, les autres[41]. Ce qui nous prouve aussi, dernière affirmation lourde de polémiques à venir, que ce qu’on appelle un peu légèrement « littérature étrangère » n’existe pas.
Parties annexes
Note biographique
Agrégé de lettres modernes, professeur émérite de langue et de littérature coréenne à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Paris), Patrick Maurus dirige la collection « Lettres coréennes » chez Actes Sud, la revue Tan’gun chez l’Harmattan et le site revuetangun.com. Auteur de La mutation de la poésie coréenne moderne (l’Harmattan, 2000), Histoire de la littérature coréenne (Ellipses, 2005), La Corée dans ses fables (Actes Sud, 2010), Les trois Corées (Hémisphères, 2019), coauteur de Shakespeare a mal aux dents (avec Marie Vrinat-Nikolov, Inalco, 2018), Manuel pratique du traduire (avec Pauline Fournier, Inalco, 2019), il a obtenu, en 1994, avec Choe Yun, le prix Daesan pour la traduction de La place de Choi In-hun. Dans le domaine de la sociocritique, il a notamment publié, avec Claude Duchet, Un cheminement vagabond. Nouveaux entretiens sur la sociocritique (Champion, 2011) et dirigé l’ouvrage collectif Actualité de la sociocritique (l’Harmattan, 2013).
Notes
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[1]
Charles Grivel, Production de l’intérêt romanesque. Un état du texte (1870-1880), un essai de constitution de sa théorie, La Haye / Paris, Mouton, 1973.
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[2]
France Vernier, L’écriture et les Textes. Essai sur le phénomène littéraire, Paris, Éditions sociales, « Problèmes », 1974.
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[3]
L’article initial et fondateur de 1971, « Pour une socio-critique ou variations sur un incipit » (Littérature, no 1 [« Littérature, idéologies, société »], février 1971, p. 5-14), énumère déjà un certain nombre d’interlocuteurs possibles, confirmant cette impression d’un travail d’ensemble, davantage uni par son adversaire commun et sa recherche d’une « nouvelle critique » que marqué par des différences que personne ne songeait néanmoins à dissimuler (voir p. 5-6).
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[4]
Nous anticipons sur la note 8. Ce constat n’est absolument pas un constat général, mais propre à ceux qui réfléchissent sur, pour reprendre l’expression judicieuse de Claude Duchet, l’« ainsi nommée Littérature ». Il ne vaut rien dans les champs critique, journalistique et même universitaire.
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[5]
Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées ». – Incidemment, Georges Mounin s’en prenait, peut-être le premier, à cette lecture plurielle, en égratignant l’usage mondain de la sociocritique, visant en particulier Roland Barthes et Jacques Lacan.
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[6]
Préface de la traduction par Benjamin des Tableaux parisiens de Baudelaire (1923) ; recueilli dans Oeuvres, Paris, Gallimard, « Folio. Essais », 2000, t. I, p. 244-262.
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[7]
Dont les actes ont été publiés : Patrick Maurus (dir.), Actualité de la sociocritique, Paris, l’Harmattan, 2013.
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[8]
Signalons que Claude Duchet et lui ont beaucoup travaillé ensemble, tant académiquement à Lille que théoriquement (par exemple : les tentatives communes de définitions théoriques publiées en « Annexe » dans Henri Meschonnic, Pour la poétique, Paris, Gallimard, « Le chemin », 1970, p. 171-178).
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[9]
Nous avons signalé ailleurs la question de la parole autorisée sur la traduction, écartelée entre l’Université, la Presse et l’Édition, des champs dont les relations conflictuelles réduisent structurellement la mise en place d’un champ du traduire (Marie Vrinat-Nikolov et Patrick Maurus, Shakespeare a mal aux dents, Paris, Inalco Presses, 2018). Il est intéressant, autant que potentiellement explosif, de noter que c’est lorsqu’un de ces domaines s’affirme autorité sur la traduction qu’elle en célèbre les qualités, qui ne sont pourtant alors que des déformations. Pourtant, Claude Duchet, Henri Meschonnic, Pierre Bourdieu, Pascale Casanova et tant d’autres n’y peuvent rien, chaque fois que cette question peut être évoquée, c’est-à-dire très rarement, elle est pervertie par des questions personnelles et des cas particuliers (« Moi, je ne traduis pas comme ça ! »). Homologie sans doute, le théoricien de la traduction est alors condamné à la même « modestie » que le traducteur.
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[10]
Claude Duchet et Patrick Maurus, Un cheminement vagabond. Nouveaux entretiens sur la sociocritique, Paris, Champion, « Poétiques et esthétiques xxe-xxie siècle », 2011.
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[11]
À peu près aussi souvent que le fait est nié par la même institution.
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[12]
Nous ne donnons pas de référence, pour ne pas individualiser notre propos. (Nous soulignons.)
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[13]
« Littérature. André Markowicz [entretien] », L’Oeil électrique, no 14, 14 octobre 2016 (disponible en ligne : oeil.electrique.free.fr/article.php?articleid=91&numero=14 ; page consultée le 31 décembre 2022).
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[14]
Claude Duchet et Patrick Maurus, op. cit., p. 139.
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[15]
Cette question fournit son titre à l’« Avant-propos » de notre Shakespeare a mal aux dents (op. cit., p. 9-11), dont nous réemployons ici les citations d’André Markowicz (ci-dessus) et d’Henri Meschonnic (p. 146).
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[16]
Ou encore : un universel de la Littérature.
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[17]
On l’a compris, en même temps, de façon contradictoire et indissociable.
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[18]
Claude Duchet, « Une écriture de la socialité », Poétique, no 16, 1973, p. 449.
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[19]
Ou bien en proposer un autre.
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[20]
Donc du texte.
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[21]
Henri Meschonnic, Éthique et politique du traduire, Paris, Verdier, 2007, p. 78-79.
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[22]
Pas un jour ne passe sans qu’un traducteur, qui aurait dû lire Bourdieu, ne répète la même chose.
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[23]
Pratique à nos yeux impensable sans recours aux notes.
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[24]
Loc. cit. (note 6).
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[25]
Henri Meschonnic, op. cit., p. 46.
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[26]
Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1979 (« Classeurs classés par leurs classements, les sujets sociaux se distinguent […] », quatrième de couverture).
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[27]
Rappel : la triade sociocritique proposée par Claude Duchet lit dans tout texte trois éléments, les traces (d’informations) qui nous renvoient au monde, les indices, qui nous renvoient à une culture, et enfin les valeurs, produites par le texte même et qui n’appartiennent qu’à lui. Pour plus de précisions, on peut se référer à Un cheminement vagabond (op. cit., p. 26-27) pour un exposé pédagogique.
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[28]
Dans ce paragraphe et le suivant, nous reprenons quelques-uns des éléments de définition que nous avons proposés dans « La traduction, outil interculturel ? », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 105, no 4 (« Hommage à Claude Pichois »), octobre 2005, p. 980.
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[29]
Jean Peytard, « Sémiotique de l’altération : histoire d’un concept », dans Syntagmes 5. Sémiotique différentielle de Proust à Perec, Presses universitaires franc-comtoises, « Annales littéraires de l’Université de Besançon », 2001, p. 19-23. Il est amusant, et sans doute pas fortuit, que Peytard soit un des noms cités par Claude Duchet dans son article fondateur de 1971 (« Pour une socio-critique ou variations sur un incipit », loc. cit., p. 6 n. 2).
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[30]
Nous nous sentons d’autant plus autorisé à cet emprunt théorique que la découverte du travail de Brecht (théâtre, théorie du théâtre, pensée littéraire) date de ces mêmes années, grâce entre autres au travail de Bernard Dort. Avec le temps, les réflexions de Bertolt Brecht sur le réalisme, que Claude Duchet appelle « une notion qu’il faut dépoussiérer » (Un cheminement vagabond, op. cit., p. 118), resteront peut-être les plus importantes.
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[31]
Présenté par souci pédagogique. On comprendra que comme nous avons postulé un transfert de socialité, c’est à l’échelle du texte (du sociotexte) que les exemples peuvent fonctionner. Il n’est guère aisé de montrer en quoi un élément quelconque du texte fait valeur à travers une seule occurrence.
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[32]
Virgile, Enéide, traduction par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1964, p. 3.
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[33]
Nous savons parfaitement qu’aucune langue ne correspond à aucune autre mot à mot. Mais la force pédagogique et polémique de l’expression l’emporte. Pour éviter toute ambiguïté, précisons, le jeu de mots étant intentionnel : motivation pour motivation, une trace pour une trace, un indice pour un indice, une valeur pour une valeur.
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[34]
Michel Foucault, « Les mots qui saignent », L’Express, no 688, 29 août 1964, recueilli dans Dits et écrits, t. I : 1954-1969, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 424.
-
[35]
« Nous ne disons pas qu’il faut garder le verbe à la fin de la phrase, systématiquement, parce qu’il s’y trouve en persan ou en coréen. Ce serait se plier à la seule langue. Si le verbe se trouve à la fin, parce que la phrase se plie à l’usage, cette place ne fait pas valeur. Il n’y a donc pas à fabriquer une étrangeté en français. Un effet doit être traduit par un effet, et à la même place si cette place fait partie de l’effet. Dans un grand texte, il est bien rare que ce ne soit pas le cas. Faisons nôtre la formule du traducteur Quadruppani : il faut garder le verbe à la fin quand le verbe à la fin se trouve » (Marie Vrinat-Nikolov et Patrick Maurus, op. cit., p. 195).
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[36]
François-René de Chateaubriand, « Remarques » sur sa traduction du Paradis perdu de Milton (John Milton, Le Paradis perdu, traduit et présenté par Chateaubriand, « Introduction » et notes par Claude Mouchard, Paris, Belin, « Littérature et politique », 1990, p. 103).
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[37]
Une traduction « complète » se devrait d’interroger la composition visuelle du poème :
Many a row
Of starry lamps . . . . . . . .
. . . . . . Yielded light
As from a sky.
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[38]
François-René de Chateaubriand, loc. cit., p. 103.
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[39]
Ibid.
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[40]
Régine Robin, Le deuil de l’origine. Une langue en trop, la langue en moins (1993), Paris, Kimé, « Détours littéraires », 2003.
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[41]
Régine Robin, Nous autres, les autres. Difficile pluralisme, Montréal, Boréal, « Liberté grande », 2011.