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Très tôt, très jeune, en 1974, Études françaises a adopté la formule des dossiers thématiques qui lui permet de susciter des recherches autour de questions ou d’auteurs qui lui paraissent importants. Elle n’a cependant jamais cessé de renouveler sa politique d’ouverture afin d’accueillir tous les types de travaux, quels que soient leurs objets et leurs approches théoriques ou méthodologiques, posant qu’on ne peut séparer celles-ci de ceux-là, qu’il n’y a pas de recherches sans objet ni d’objet sans recherches : la recherche en littérature est-elle autre chose que la recherche de la littérature ? Créée en 1987 sous le titre « Chroniques », devenue « Exercices de lecture » en 1992-1993, la rubrique des articles libres de notre revue, ni supplément, ni appendice, s’est parfois étendue à l’ensemble d’un numéro, en 1988 : « Lectures » (vol. 24, no 3), en 1991 : « Variétés » (vol. 27, no 2), en 1993 : « Lectures singulières » (vol. 29, no 2), en 2007 : « De Proust aux lectures numériques : lectures » (vol. 43, no 3), titre auquel fait écho celui de ce nouveau numéro.
On nous dit que certains lecteurs se désaffectionnent de la forme du numéro libre ? Qu’importe, nous assumons l’absence d’un thème qui unifie l’ensemble de cette livraison, et nous soudons la faute au fruit avec conviction, heureux de publier aussi rapidement que nous le pouvons des articles qui parviennent directement à la revue et qui ne peuvent trouver leur place à l’intérieur de l’un ou l’autre des dossiers que celle-ci prépare[1]. Les premiers travaux de jeunes universitaires côtoient ceux de chercheurs confirmés, d’ici et d’ailleurs, et tous permettent de sonder les courants de la recherche émergente. Fidèle aux dimensions interdisciplinaire et internationale d’une revue soucieuse de confronter des recherches conduites entre les domaines et entre les pays, ce numéro réunit des contributions dont les auteurs appartiennent à sept institutions universitaires, au Québec, au Canada, en Estonie, en Italie, en Norvège. Les huit études qui le composent portent sur huit auteurs différents, de Charles Baudelaire à Kamel Daoud, du plus canonisé au plus contemporain, qui appartiennent aux littératures écrites en français auxquelles s’attache Études françaises depuis sa création : littérature québécoise, Michel Beaulieu, André Belleau, Albert Laberge ; littérature française, Henri Bosco, Albert Camus, Jean Echenoz ; littératures francophones. Elles mobilisent des méthodes et des savoirs variés, ceux de la philosophie, de la psychanalyse, de la stylistique, de l’onomastique, des démarches et des approches multiples, étude des espaces liminaires, études cinématographiques, imaginaire et discours social, discours de la fin. Le lecteur entendra des échos dans leur dialogue et relèvera des ressemblances dans leurs différences.
Ce numéro ne nous a pas été imposé par l’urgence, ni dicté par la prudence. Il fut préparé tandis que la mondialisation du monde conduisait à l’arrêt la moitié de la troisième planète en état de sidération. Cet événement historique – imprévisible, « explosif[2] », comme tout événement historique – nous a-t-il appris sur nous-mêmes quelque chose que nous ne savions pas ? Modifiera-t-il durablement nos manières de faire ? De vivre ? De penser ? Nous nous sommes confinés dans nos villes et dans nos pays respectifs, et nous avons partagé cette situation inédite en tentant de demeurer numériquement ouverts sur le monde. C’est ce qu’ont fait les collaborateurs de ce numéro, leurs évaluateurs, les membres du comité de rédaction et ceux de l’équipe de production. Sur cette trame générale, commune à tous, des facteurs spécifiques ont brodé les différentes arabesques qui font la liberté de ce numéro.