Résumés
Résumé
Que peut la littérature de Boris Diop ? En paraphrasant lafameuse question de Jean-Paul Sartre, cette réflexion viseà identifier les fonctions discursives et artistiques quel’écrivain sénégalais associe à sapratique de l’écriture. Mais c’est dans sa relationdialogique au monde et aux mémoires du monde qu’il fautaller chercher les clés d’une sémantique etd’une sémiotique du récit chez Boris Diop,justifiant le passage d’une langue d’écritureà une autre, transformant l’acte de traduction en acte denarration et contribuant à faire de la littératureafricaine le lieu symbolique d’un pouvoir alternatif.
Abstract
What can Boris Diop’s literary work do? Paraphrasing Jean-Paul Sartre’s famous question, this reflection aims to identify the discursive and artistic functions the Senegalese writer associates with his literary practice. However, it is in the dialogical relationship to the world and memories of the world that one must look for the keys to Boris Diop’s narrative’s semantics and semiotics justifying the switch from one written language to another, transforming the translation act into a narration act and contributing to make African literature the symbolic space of an alternative power.
Corps de l’article
Le 22 février 2018, en écoutant Boubacar Boris Diop faire le bilan critique de son oeuvre lors d’un colloque multidisciplinaire à l’Université du Québec à Montréal dont il était l’invité d’honneur[1], il m’apparut comme une confirmation que l’oeuvre de cet écrivain, malgré la puissance littéraire qu’elle affiche et la reconnaissance internationale dont elle jouit, secrète encore la quête inassouvie et douloureuse d’un sens humain qui lui résiste. Du Temps de Tamango[2] à Bàmmeelu Kocc Barma[3], en passant par Doomi Golo[4] et Kaveena[5], l’étirement temporel et linguistique de cette oeuvre est directement lié à l’aporie littéraire d’un vécu africain souffrant et éclaté, soit dans des récits de vies singulières, soit dans des destins mythiques énigmatiques, soit encore dans des existences communautaires désarticulées. L’oeuvre semble chercher un code idéal pour réinventer le sujet africain, dans tous les sens du mot, à la fois comme matériau et comme matière du texte, en inscrivant dans sa narrativité comme dans sa sémiotique la fameuse question que posèrent Jean-Paul Sartre et ses amis en 1965 : « Que peut la littérature ?[6] »
Question à réponses multiples quand il s’agit de littérature africaine francophone. Autant celle-ci a pu contribuer à une décolonisation politique de l’Afrique, autant elle s’échine à fonder une esthétique postcoloniale et transnationale. Autant elle veut décomplexer la fonction sociale de l’art, autant elle vise à promouvoir une altérité décloisonnée. Chez Boris Diop, l’interrogation sartrienne ne prend donc sens que dans ses normes et ses modalités africaines : quel pouvoir « exceptionnel » de cette littérature dans un continent dominé par d’autres pouvoirs ? Quelle urgence « vitale » de cette littérature devant d’autres urgences économiques et sociopolitiques ? Proclamer l’inanité de cette littérature dans un tel contexte de « nécessités vitales » serait un pas qu’on franchirait allègrement. Cependant, c’est précisément à ce niveau que l’oeuvre de Boris Diop s’affirme aussi comme « pouvoir » et décline ses pouvoirs : un pouvoir fabulatoire qui met à rude épreuve les frontières mêmes du roman et un pouvoir discursif qui déconstruit tous les discours hégémonistes sur l’Afrique.
Les petits de la guenon : fabuler
Ce roman naît de la première grande tentative de Diop de traduire en français un récit qu’il a d’abord écrit et publié en wolof, Doomi Golo[7]. Paru en 2009, Les petits de la guenon[8] est cependant plus qu’une traduction littéraire, il constitue une nouvelle entreprise d’écriture à partir de Doomi Golo, dont l’enjeu est principalement un enjeu de signes, de syntaxes et de sens. Ce n’est pas un hasard si, de Doomi Golo aux Petits de la guenon, la transition traductologique s’est négociée de deux cent quatre-vingts à quatre cent quarante pages ! Dès lors, l’équation que tente de résoudre l’écrivain sénégalais au bout de quarante ans de carrière littéraire n’est pas de savoir « comment traduire » mais bien « comment fabuler » à partir d’une langue donnée, au sens latin de fabulari, c’est- à-dire « raconter en inventant », « présenter des histoires imaginaires ». Le philosophe Souleymane Bachir Diagne se demandait, en 2008, « comment philosopher en islam[9] ». Il s’agit pour Boris Diop de savoir comment fabuler à partir d’un texte premier, et sous ce rapport, toutes les conditions de la narration romanesque sont revues : de ses classes rhétoriques à son inventio, en passant par sa diégétique et sa généricité.
En effet, à première vue, Les petits de la guenon pose un important défi générique. Récit allégorique ? Roman polyphonique ? Conte merveilleux ? Texte épique ? Chant historique ? En tous les cas, le lecteur tient entre ses mains un texte sous-titré « roman » et composé de deux grandes « parties » d’inégale longueur et successivement introduites par les narrateurs Nguirane Faye et Ali Kaboye. La première partie est subdivisée en neuf « carnets » portant sur des personnages, des événements ou des lieux différents, mais enchâssés de manière non chronologique. Ces carnets s’affublent d’une floraison de numéros, d’épigraphes et de titres singularisés par leur occurrence et leur disposition. Ainsi le titre « Carnet I – Le récit des cendres » qui inaugure la première partie est repris aux pages 123 et 239, et le titre « Carnet III – Les invisibles » (PG, 65) est répété à la page 301.
Les titres mêmes des carnets laissent entendre des typologies textuelles non romanesques – « Le livre des vents », « Brèves digressions », « Le récit des cendres », « Nocturnes » – qui font penser davantage à des genres relevant de l’énigme, du mythe, de la sentence ou de la poésie. C’est dire que dans sa composition même, Les petits de la guenon s’écarte de la norme romanesque classique tout en confiant l’autorité narrative, que Pierre Jouve définit comme la « figure responsable de l’ensemble du texte[10] », à des personnages homodiégétiques qui parlent d’eux-mêmes, du monde qui les entoure et de l’héritage qu’ils portent. « [À] près de quatre-vingts ans » (PG, 16), Nguirane Faye est en effet un « vieil écrivain débutant » (PG, 18) vivant au lieu-dit Niarela. Il accepte mal la mort de son petit-fils et ami intime Badou Tall et veut se remémorer les bons moments qu’ils ont passés ensemble. C’est l’occasion pour lui de dépoussiérer ses nombreux « carnets » qui sont, en fait, des morceaux réunis d’un grand récit généalogique qui remonte le temps, des derniers jours du narrateur octogénaire à « [l]’aïeul inconnu » (PG, 82), mais qui disent aussi notre époque contemporaine, ses incohérences et ses guerres, son passé colonial et ses indépendances ratées, ses drames de l’immigration et sa mondialisation biaisée.
Les petits de la guenon est donc un « roman » (si on accorde foi au sous-titre de la couverture) qui transforme le temps historique en un temps circulaire où un événement antique peut expliquer une crispation moderne, un conflit étatique peut justifier une punition collective, un vieux contentieux familial peut alimenter une haine tenace. Cette narration circulaire de l’histoire et des expériences humaines n’est pas une simple éventualité empirique mais bien un véritable programme narratif que le roman inscrit comme pratique métafictive[11] :
Bien souvent, la ronde des jours est paisible, monotone même. Ils tournoient comme des feuilles mortes sous un ciel clair, se suivent l’un l’autre sans faire d’histoires, s’étirent et bâillent d’ennui. Et les hommes de s’interroger : « Quel jour sommes-nous donc ? » Cela veut dire que les arêtes du temps se sont ramollies, que les heures du jour et de la nuit sont devenues flasques.
PG, 29
La « ronde des jours », « les arêtes du temps », « les heures du jour et de la nuit » : ces références rappellent évidemment Le temps de Tamango ou Les tambours de la mémoire. Il semble que, chez Boris Diop, l’intégration du temps historique dans le temps narratif est au coeur d’une véritable poétique de la fabulation. Elle est une obsession de son texte. Fabuler, c’est dire le monde présent en l’ouvrant à tous les temps. C’est nouer toutes les époques parce que « le présent gît au coeur du passé » (PG, 81), c’est trouver ce qui prolonge les pensées d’un temps dans un autre. Mais fabuler, c’est aussi relativiser ce qui éloigne les humains des animaux, c’est rapprocher les codes de maintenant au temps de jadis. Il faut lier l’art de fabuler chez Boris Diop à cette relation temporelle infinie qui associe ce que l’humanité dissocie en faisant de la narration une traversée des temps qui, poussée à bout, peut même altérer l’homogénéité générique des Petits de la guenon, menacer ce qui le fait « roman ». Du « roman », en effet, on semble glisser vers une vaste oraison funèbre à la manière de Hampâté Bâ dans L’étrange destin de Wangrin (1973). Car le « roman » en question se dilate littéralement dans une oraison funèbre qui tient à la fois de la louange (1), du conte (2) et du roman historique (3), comme le montrent les extraits suivants :
PG, 17(1) Et toi, tu étais si réservé que certains ont pu te juger égoïste et arrogant. Heureusement, tu avais beau être silencieux, voire secret, tu n’as jamais hésité à payer de ta personne pour venir en aide aux autres. Aujourd’hui encore, les habitants de Niarela me parlent souvent de ton dévouement et de ton esprit de sacrifice. […T]u as accepté ces petits métiers que la plupart de tes camarades trouvaient humiliants. […]
À présent, certains prétendent que tu es parti vers l’est. Il se dit que tu es en Algérie, au Maroc ou peut-être même plus loin, au Liban. Chacun t’invente à sa guise une terre d’exil.
(2) Un jour, dit-il à Rodrigo, l’Armée des Singes décide d’en finir avec l’arrogance et la tyrannie de Lion. Et ce qu’ils font est très simple, ils se mettent à plusieurs centaines de milliers pour le suivre partout en poussant des cris aigus, drôlement aigus, de plus en plus aigus. Au début, Lion aime bien la tactique suicidaire de l’Armée des Singes, il n’a même plus besoin d’aller à la chasse, il les ramasse comme des fruits tombés d’un arbre et se repaît de leur chair fraîche. Il en dévore tant et tant qu’il lui faut une bonne sieste, question de digérer toute cette viande. Mais là, ça ne peut pas marcher car l’Armée des Singes continue à lui déchirer les oreilles de ses cris perçants. Il se relève, gronde avec la force du tonnerre et recommence à les massacrer par milliers, non pas pour les manger cette fois-ci mais pour se frayer un chemin. [… E]t à la fin, levant une patte pour griffer quelques audacieux, Lion titube et s’effondre.
PG, 194-195
(3) Ce mardi 5 mars 1820[12], par exemple, les hommes sont allés retourner la terre en prévision des semailles, laissant les femmes seules dans Nder. Aucun souffle de vent ne balaie l’air. Avant même d’arriver au milieu du ciel, le soleil chauffe violemment et fait tourner les têtes. […]
Avait-elle eu le pressentiment de ce qui allait arriver ce mardi 5 mars 1820 ? Sur ce point précis, les avis des chroniqueurs divergent. Ils s’entendent toutefois au moins sur un point : Mbarka Dia, en perpétuelle alerte, savait Nder exposé ce jour-là à une attaque ennemie. Elle venait du reste de s’en plaindre auprès de la reine. Le Brack – tel était le titre du souverain du Waalo – ne s’était pourtant absenté que pour quelques heures.
PG, 33-34[13]
Ces longues citations montrent suffisamment sa polysémie, la diversité des sujets qu’il aborde, la juxtaposition de types de textes différents, exprimant tous une maîtrise parfaite du récit qui distingue la faconde narrative de Boris Diop depuis Le temps de Tamango. Si l’on doit donc conserver le sous-titre « roman » aux Petits de la guenon, il faudra alors parler d’un roman-mosaïque qui accorde une place de choix à la multigénéricité et aux fonctions fabulatoires des autres genres du récit. Qu’il s’agisse de textes à connotation merveilleuse comme le conte ou le mythe, de récits privilégiant l’intonation superlative comme la louange ou l’épopée, ou encore d’allusions soucieuses de précision temporelle comme la référence historique, on peut dire que le souffle de Boris Diop s’élabore et se donne libre cours dans ce que j’appellerai ici un « roman total ».
Fondamentalement, le roman total de Boris Diop articule un récit de mémoire, non pas d’une mémoire volatile, incertaine, tâtonnante ou hypothétique mais d’une mémoire écrite, puisant au tréfonds des histoires des humains, des animaux et des États, s’énonçant en « carnets » et définissant scrupuleusement ses destinateurs et ses destinataires. Chez Boris Diop, il n’y a de véritable mémoire collective que réfractée dans une mémoire individuelle, captée, dite, charriée, racontée, pleurée ou chantée par un personnage-témoin ou un personnage-narrateur, que celui-ci se nomme Nguirane Faye, Atou Seck ou Ali Kaboye. Nguirane l’affirme d’ailleurs solennellement : « Tout cela te paraîtra peut-être étrange, Badou. Il arrive pourtant à chacun de nous de se demander, en essayant de remonter aux siècles les plus lointains, quand a vraiment commencé pour lui toute cette histoire, je veux dire sa vie parmi les autres humains » (PG, 80).
Ce roman total ne peut donc pas obéir à la tripartition du temps proposée par Paul Ricoeur dans La mémoire, l’histoire et l’oubli. En distinguant le « temps cosmique » du « temps vécu » et du « temps historique »[14], Ricoeur établit des ordres différentiels de la marche et de la perception du monde. Selon lui, l’Histoire est une construction humaine non exhaustive parce que menacée en permanence par l’oubli, que celui-ci soit volontaire ou non. On n’a donc pas accès à une Histoire dans une temporalité continue, dans toutes ses acceptions, tous ses vécus et toutes ses postures, mais plutôt à une « certaine histoire », circonstanciée et d’approche phénoménologique. L’histoire selon Paul Ricoeur est une histoire synchronique, filtrée, choisie, car on n’a pas, non plus, accès à la marche du monde comme histoire composite, mais au récit national comme histoire composée dans une intention de patrimonialisation. Autrement dit, on n’a pas accès aux autres possibles de l’Histoire, à ses autres probabilités, à ses autres analogies.
Le roman de Boris Diop, lui, fait place à ces autres possibles de l’histoire et du monde. Le « temps cosmique » peut ainsi associer humains et animaux dans un même destin, en intervertissant parfois les rôles, accordant les pouvoirs des premiers aux derniers, déplaçant le cynisme de ceux-ci vers ceux-là, ou attribuant les mêmes réflexes de conservation ou de destruction à tous. Il remonte à ce temps où humains et animaux s’instruisaient mutuellement, où Babouin « tomb[é] d’un arbre » (PG, 197) expliquait avec application à Rodrigo Mancera les raisons de la déchéance de sa race. Le « temps cosmique » abolit les frontières entre des êtres supposément dotés, ou non, de « bon sens », de raison, de sagesse. De « Homo sapiens » à « Homo sapiens-sapiens » (PG, 197), soutient Babouin, jamais l’humain n’a été si proche du chaos. L’histoire d’Atou Seck est également significative de ces jeux de préséance entre humains et animaux. Pensant bien faire en recueillant deux petits singes dans un quartier abandonné et détruit par la guerre civile qui divise la république du Diafouné, Atou Seck devient étrangement prisonnier des deux « petits de la guenon » (PG, 183). Ces derniers le malmènent, le punissent sans raison, l’éprouvent psychologiquement, le privent de repas et le ridiculisent à longueur de journée. Atou Seck n’est pas loin de croire à « un projet animal de destruction de l’espèce humaine » (PG, 188) car son sort est alarmant :
PG, 180Pendant ses repas, les deux petits singes se tenaient en face de lui et l’observaient en riant avec méchanceté.
Lorsqu’ils n’étaient pas contents d’Atou Seck – et cela arrivait presque tout le temps – ils le rouaient de coups de bâton en disant des choses qu’il ne comprenait pas. Leur fureur était telle qu’il les sentait prêts à le tuer sur le champ.
En prêtant aux animaux des facultés humaines, le roman de Boris Diop ne dissocie pas les catégories ricoeuriennes de « temps vécu », « temps cosmique » et « temps historique », mais signale plutôt ce qui les lie et les éclaire mutuellement. Les relations de domination et de pouvoir sont aux origines mêmes du monde humain comme du monde animal. La réification et la neutralisation de l’autre appartiennent à l’ordre du vivant. L’expression d’amour ou de haine demeure une intention versatile, directement issue de la volonté de puissance de tout être sur un autre, tout groupe sur un autre, toute idéologie sur une autre, toute « histoire » sur une autre. Dans Les petits de la guenon, ce qui unit l’histoire du suicide collectif des femmes de Nder en mars 1820 et celle du règne tyrannique de Daaw Demba en 1640, c’est la libido dominandi, ce principe augustinien qui (dés)articule les interrelations humaines depuis la nuit des temps. Dans ses développements diégétiques, le roman établit un parallélisme entre la volonté de puissance des anciens pouvoirs monarchiques africains, les campagnes militaires de la conquête coloniale française et les logiques totalitaires des gouvernements africains indépendants. Le mode opératoire reste le même : on théorise un pouvoir acquis de droit divin par un « Père de la Nation » (PG, 144), on exerce une violence extrême sur les administrés, on pille systématiquement les richesses nationales, on érige la corruption en modèle de gouvernance et on finit par plonger le pays dans la guerre civile. La guerre civile qui déchire la république du Diafouné dirigée par le tyrannique Dibi-Dibi[15] suit exactement ce processus.
« Dominer », « occuper », « posséder », « conserver », « durer », « épurer », « s’étendre » sont des verbes d’action qui tracent une axiologie de la confrontation et de la violence tout au long du roman, mais ce sont des verbes qui ont aussi inspiré la marche de nombre d’empires anciens et de républiques modernes, de nombre de figures épiques célèbres, de Gilgamesh dans L’épopée de Gilgamesh à Achille dans L’Iliade, en passant par Roland dans La chanson de Roland et Soundjata dans Soundjata ou l’épopée mandingue. Ces verbes d’action ont aussi inspiré et construit les structures narratives de nombre de récits mythiques universels, de légendes, de contes et de « romans » qui traversent les continents et les océans, comme les nations et les époques. Donc raconter l’histoire, chez Boris Diop, c’est d’abord configurer ses cristallisations humaines et communautaires dans l’ici et dans l’ailleurs, c’est la déployer dans un espace-temps infini. L’une des premières fonctions du roman total de Diop est alors de « joindre les temps », d’accorder le temps historique au « temps immémorial », d’associer le dialogue humain et la prosopopée animale, de conjuguer les vices politiques d’aujourd’hui aux razzias meurtrières d’antan.
Les petits de la guenon : réécrire
Ces différents exemples montrent l’ancrage mémoriel et temporel des romans de Diop, mais ils ne réduisent pas ce dernier au conte populaire ni au traité politique[16]. Ils forment plutôt le matériau textuel qui définit véritablement la pratique romanesque de Diop : un exercice de langage qui célèbre sa faconde fabulatoire dans une multitude d’histoires et de personnages puisés aussi bien dans l’imagination de l’auteur que dans la vraie vie. Les petits de la guenon est en effet un puissant hommage aux « poètes fameux » du pays (PG, 18) et aux « Maître[s] de jadis » (PG, 25) : artistes locaux de la parole, rhétoriciens wolofs, généalogistes confrériques et autres prosateurs talentueux comme Serigne Moussa Kâ, Mabo Guissé, Cheik Aliou Ndao, ou encore le fameux poète souvent cité Serigne Mbaye Diakhaté, historien des ceddos, ces dynasties animistes régnantes dans l’espace sénégambien avant l’arrivée des confréries maraboutiques au xixe siècle. En réhabilitant les figures littéraires anciennes et contemporaines, les historiens locaux et les édifiantes paroles de Wolof Njaay[17], le roman réinvestit toute une sagesse ouest-africaine, une tradition créative nationale et un discours social local.
Il y a donc une forme de filiation explicite, du moins une appartenance exprimée, que les romans de Diop entretiennent avec des textes, des auteurs, des enseignements, des formules, des parlures et des discours locaux. C’est une manière d’appréhender l’histoire, l’esthétique et l’éducation à partir d’une posture non hiérarchisante, celle des créateurs et des penseurs africains peu connus, marginalisés à cause du préjugé oral qui les déclasse, ou dominés à cause de la modélisation occidentale coloniale. Les « événements [qui] exig[ent] d’être racontés » (PG, 19) restent donc ceux qui sont liés à l’histoire précoloniale, coloniale et postcoloniale de l’Afrique. Mais ces événements doivent être racontés sous un nouvel angle, à l’aide de nouvelles sources et d’une nouvelle énonciation pour donner toutes leurs chances, tous leurs tons, toutes leurs intonations aux autres versions de l’histoire. Le texte africain contemporain peut dès lors et sans complexe s’articuler avec des auteurs et des récits anciens africains, non pas en les répétant à l’envi, mais en montrant leur valeur intertextuelle, leurs ressources créatives et leur potentiel cognitif.
Sur le plan strictement littéraire, l’intention filiationiste du roman est cependant affirmée de manière plus complexe. Les petits de la guenon instruit aussi, en permanence, un dialogue implicite ou explicite avec des textes et des auteurs africains contemporains. Comment en effet ne pas souligner la proximité scripturale du « rituel d’adieu » (PG, 33-34) qui unit ce roman à Kétala de Fatou Diome[18] ? Mourir, dans les deux romans, ne signifie pas simplement quitter ce bas monde, mais déclenche une rhétorique de la disparition structurée autour d’embrayeurs spécifiques au discours pour déclamer une louange particulière à l’endroit du défunt. Dans Kétala, c’est la nouvelle désignation du défunt qui fait éclater l’appareil énonciatif entre différentes instances verbales pour substituer au patronyme initial un pronom impersonnalisé :
La foi console, les vivants se détachent, la mort débaptise : on n’est plus Alpha, Moussa, Abdou ou Astou, mais simplement Niiwbi ou Odallolé, c’est-à-dire le corps. […] Le il ou le elle isole, retranche, éloigne. Le tiers soustrait n’est plus concerné par la subjectivité d’un je effrayé qui se protège du vide. Un vide créé par la mort et la désormais impossible interactivité du je avec un tu sans intention. On assiste donc à la levée du corps, entité indéfinie ou plutôt définie par sa préfiguration de notre fin à tous[19].
Dans Les petits de la guenon, c’est une inflation d’embrayeurs qui brouille le moment du deuil pour éluder la disparition de l’être aimé :
Il se trouve pourtant toujours quelqu’un – c’est souvent le meilleur ami du mort […] – pour essayer de détendre un peu l’atmosphère. […] « Tu te trompes mon gars, si tu penses en avoir fini avec moi. Je ne te laisserai jamais seul, je suis déjà en route et, je te le promets, je vais tellement te casser les pieds là-bas que tu vas regretter d’y être allé ! »
PG, 13 ; je souligne
Dans les deux romans, il y a variation sémantique sur le verbe « partir », au sens graduel de « voyager », « s’éloigner », « disparaître » et « mourir ». « Partir » est un moment grave qui n’exige pas seulement la recomposition du lien social ou l’expression du lien vital entre les vivants et les morts, mais aussi et surtout une urgente nécessité de donner corps à ce que Roman Jakobson nomme la fonction phatique du langage[20]. « L’Autre », le désormais « disparu », n’est pas évoqué au passé mais invoqué au présent. Il est l’enjeu de l’actualisation d’un « je » vivant qui prend conscience de la vacuité d’un « tu » défunt tout en réfutant cette vacuité. Le départ de « tu » se veut donc momentanément un faux départ, et même si ce « tu » est « sans intention » dans Kétala, sa virtualité garantit solennellement la vitalité de « je » dans Les petits de la guenon. La référence romanesque à la mort aboutit donc à une textualité du décès qui renseigne sur une ritualisation sociale de la parole funèbre dans une communauté donnée. Les registres de langue, les tours verbaux, les saillies comiques, les réflexions philosophiques informent sur la façon de vivre, de dire et de penser la mort mais aussi sur une communauté herméneutique et esthétique qui unit sur le même sujet deux auteurs africains contemporains.
C’est en ce sens qu’il est intéressant de souligner la proximité du « roman en carnets » entre Les petits de la guenon et Verre Cassé d’Alain Mabanckou[21]. Les « carnets » de Nguirane Faye dans le premier roman et les « cahiers » du narrateur éponyme du deuxième roman ont une même fonction générative et organisationnelle de récits fragmentés dès le départ. Le résultat n’est donc pas une volonté auctoriale délibérée de rassembler des morceaux irréconciliables dans un même livre, mais plutôt de repenser l’unicité du texte à partir de ses démembrements initiaux. « Le récit des cendres » du « Carnet I » annonce ainsi « La fausse histoire de Ninki-Nanka » du « Carnet IV » des Petits de la guenon, liant un sujet humain à un sujet animal sur le même mode d’une conscience troublante du dominé et du dominant dans la relation interpersonnelle. Si, dans le roman de Mabanckou, les « cahiers » de Verre Cassé racontent les histoires éparses de personnages masculins et féminins alcooliques ayant parfois immigré en Occident, c’est bien dans un bar congolais malfamé où « le crédit a voyagé » que le roman trouve son unité textuelle et territoriale. Les « carnets » comme les « cahiers » n’instruisent donc pas un simple éclatement narratif, ils organisent aussi l’énonciation différentielle d’un sujet littéraire continu, substantiellement liée à une poétique de la mémoire personnelle. C’est une configuration nouvelle du récit qui semble de plus en plus déterminer le roman africain contemporain.
Il existe donc des pratiques narratives postcoloniales et africaines que Boris Diop se réapproprie sans complexe à travers des modalités différentes comme la citation, l’allusion, l’épigraphe ou la paraphrase. Comment, dès lors, interpréter la requalification textuelle de la notion d’« autorité narrative » (au sens de « figure responsable de l’ensemble du texte[22] ») chez les auteurs africains ? L’autoréférence initiale qui permet à Nguirane Faye et à Ali Kaboye d’introduire successivement les deux grandes parties des Petits de la guenon suggère une autre « autorité narrative ». Celle-ci occupe d’entrée l’espace énonciatif par un plaidoyer pro domo qui rappelle notamment celui configuré dans Soundjata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane. Si le griot Djéli Mamadou Kouyaté légitime ici sa parole historique à partir de récits préexistants et d’un héritage généalogique, il en revendique le souffle épique nouveau, la précision mémorielle vérifiée et sa valeur documentaire crédible. Dans Les petits de la guenon, Nguirane Faye fait aussi son plaidoyer pro domo avec une profusion de « je » qui frise l’égotisme. Nguirane a ses « héros » (PG, 15) et ses « secrets » (PG, 19) pour raconter Niarela, il prétend être « chronique[ur] » et avoir des « oreilles partout » (PG, 18), il décline l’organisation de son récit et ironise parfois sur ses propres « racontars » (PG, 19). En réalité, Nguirane s’approprie les attributs du griot épique en s’improvisant maître de la parole et mémoire viable de toute l’histoire de Niarela qu’il veut laisser à Badou Tall dans ses « carnets ». Quant à Ali Kaboye, sa déclaration liminaire, « Moi, Ali Kaboye », émise à la fois comme titre et comme texte (PG, 323, 329), est aux sources mêmes du plaidoyer pro domo car l’autoréférence magistrale fait place nette dans l’espace performatif de « l’autorité narrative ». À la différence de la définition de Jouve, « l’autorité narrative » dans le texte africain contemporain ne laisse pas soupçonner l’auteur derrière chaque ligne du livre, elle délègue l’espace de sa performance à une figure fictive que le texte lui-même fabrique et déforme. Donc, pour trouver l’autorité narrative dans le récit de Djibril Tamsir Niane et dans le roman de Boris Diop, il faut écouter sa rhétorique ; pour comprendre son histoire, il faut suivre son sens de l’histoire ; pour entrer en communication avec elle, il faut accepter ses codes illocutoires.
Je conclurai sur cet ancrage du texte de Boris Diop dans une narratologie africaine contemporaine et postcoloniale, qui ne se donne désormais aucune limite linguistique, discursive ou générique. Du roman, au sens classique du terme, Boris Diop passe à un « roman total », qui intègre toutes les possibilités de la narration pour le donner à lire tantôt comme une louange, tantôt comme un conte, tantôt comme une ironie ou tantôt comme une page d’histoire. Les petits de la guenon tient de tous les genres, car ce roman reste pour l’auteur sénégalais un terrain d’essai de la faconde littéraire où l’histoire est revisitée dans ses acceptions les plus diverses, où le même récit peut être décliné en des langues différentes, mais où, aussi, chaque texte devient une performance nouvelle du récit commun. C’est dans cette traversée des langues et des écritures qu’on perçoit peut-être le mieux la dimension intertextuelle des romans africains postcoloniaux, car les romans de Diop ne se font uniques et totaux qu’en dialoguant avec d’autres textes africains contemporains ou anciens. C’est aussi le défi herméneutique que cette traversée des langues et des écritures pose aujourd’hui aux différents discours critiques sur le texte africain qui questionnent sa généricité, sa socialité et sa littérarité. Ces discours critiques n’ont cependant pas suffisamment affirmé les mutations esthétiques de ce texte, préférant souvent sa documentalité à sa fictionnalité, même si cette dualité se justifie très bien dans certains cas. Il faudrait davantage souligner les dictions circonstanciées de l’histoire dans une temporalité narrative que le texte africain contemporain ne clôture pas, et c’est ce qui fait précisément ce caractère circulaire de la narration des Petits de la guenon, ce retour du temps sur lui-même dans ce roman et dans d’autres de Boris Diop comme Les tambours de la mémoire et Le temps de Tamango. Ce choix d’écriture signale l’incroyable audace et la totale liberté créative du roman africain contemporain, qui pousse toujours plus loin les frontières mêmes du roman d’héritage et de tradition occidentaux, au point que traduire, dans bien des cas, signifie fabuler et réécrire.
Parties annexes
Note biographique
Mbaye Diouf est Assistant Professor à l’Université McGill où il enseigne les littératures francophones et françaises. Il a dirigé « Les figurations spatiales francophones : essais géocritiques » (Présence francophone, no 88, 2017), « Sémiotiques du texte francophone migrant. Traversées et langages » (Revue de l’Université de Moncton, vol. 47, no 1, 2016), et codirigé, avec Françoise Naudillon, Spatialités littéraires et filmiques francophones : nouvelles perspectives (Mémoire d’encrier, 2018), avec Antje Ziethen, « Géographies transnationales du texte africain et caribéen » (Études littéraires, vol. 46, no 1, 2015) ainsi que « Société et énonciation dans le roman francophone » (Recherches francophones, no 3, 2009) avec Olga Hél-Bongo. Il est l’auteur de Roman féminin contemporain. Figurations et discours (L’Harmattan, 2014) et de plusieurs articles, sur Fatou Diome, Alain Mabanckou, Gisèle Pineau, Marguerite Duras, Cheikh Hamidou Kane et Mongo Beti.
Notes
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[1]
Colloque international « Vice-versa : penser l’Afrique et son rapport au monde », Université du Québec à Montréal, 21-23 février 2018.
-
[2]
Paris, L’Harmattan, « Encres noires », 1981.
-
[3]
Dakar, Éditions EJO, 2017.
-
[4]
Dakar, Papyrus, 2003.
-
[5]
Paris, Philippe Rey, 2006.
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[6]
Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et al., Que peut la littérature ?, U.G.É., « Le Monde en 10 / 18 », 1965.
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[7]
La question du lectorat et de la diffusion de ce roman en wolof se pose naturellement mais elle trouve, me semble-t-il, sa réponse dans une correspondance que l’auteur lui-même m’a adressée le 6 juin 2018 : « Je me souviens d’une amie essayant de me coincer dans un débat public en me lançant : “D’accord, Boris, Doomi Golo est en wolof mais ta mère ne pourra jamais le lire puisqu’elle n’a pas été à l’école.” Ma réponse, très simple, l’a mise dans une grande confusion : faute de pouvoir en effet lire Doomi Golo, ma mère aurait pu l’écouter et me tirer éventuellement les oreilles pour telle ou telle erreur. Cela me fait penser à Sembène écrivant en exergue du Docker noir : “À ma mère. Elle ne pourra pas lire ce roman mais de savoir qu’elle va promener ses doigts entre les pages suffit à mon bonheur.” Je cite de mémoire, of course. Le plus simple n’aurait-il pas été pour Sembène de l’écrire dans une langue que Rama Ndiaye pouvait comprendre ? Je pose la question tout en sachant bien qu’elle ne pouvait être à l’ordre du jour à cet âge de la littérature africaine. / Voilà en tout cas pourquoi il existe une version audio de ce roman et elle sera en téléchargement gratuit dès la semaine prochaine sur le site de notre maison d’édition EJO. Mais avant cette opération, il y a eu des lectures chez les migrants sénégalais de Milan et Bolzano en Italie, puis de Bordeaux. Émotions et rires, toujours, de la stupéfaction aussi, découvrant que leur langue en est juste une de normale. Au Sénégal oriental, c’est un ami, Bachir Diop, directeur de la Sodefitex – il l’est toujours – qui a organisé avec les ouvriers une grosse lecture et m’a envoyé l’enregistrement que je n’ai plus, hélas. La vraie rencontre avec le public a toutefois eu lieu quand il y a environ quatre ans le cinéaste Joe Gaï Ramaka, qui a fait l’enregistrement, et moi-même sommes allés trouver une douzaine de radios communautaires de Dakar-Banlieue et – une seule – de Thiès pour leur dire : “Nous vous apportons un cadeau et c’est l’audio de Doomi Golo, qui est d’une qualité technique irréprochable. Passez-le tous les lundis, faites une rediffusion chaque jeudi…” C’est parti ainsi. Les auditeurs ont réagi en direct à chaque fois. Le choix des radios communautaires était tout ensemble stratégique et… forcé. Les grandes chaînes de radio se seraient senties vexées par une telle proposition et Joe et moi avions envie de toucher un auditoire populaire et captif, qui est exactement celui de ce type de média ».
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[8]
Paris, Philippe Rey, 2009.
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[9]
Souleymane Bachir Diagne, Comment philosopher en islam ?, Paris, Panama, 2008 [rééd. Paris / Saint-Louis du Sénégal, Philippe Rey / Jimsaan, 2014].
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[10]
Vincent Jouve, Poétique des valeurs, Paris, Presses universitaires de France, « Écriture », 2001, p. 90. En quelques pages (p. 90-93), Jouve reprend entre autres les propos de l’ouvrage canonique de Susan Rubin Suleiman (Le roman à thèse ou l’autorité fictive, Paris, Presses universitaires de France, « Écriture », 1983 ; titre de la version anglaise de cet ouvrage : Authoritarian Fictions. The Ideological Novel as a Literary Genre, New York, Columbia University Press, 1983). Sur cette notion, voir aussi Pierre Jouve « L’autorité textuelle », dans Karl Canvat et Georges Legros (dir.), Les valeurs dans / de la littérature, Namur, Presses universitaires de Namur, 2004, p. 89-100 (autre publication dans Enjeux, no 59, 2004, p. 143-154), et Frances Fortier et Andrée Mercier, « L’autorité narrative en question dans le roman contemporain. Enjeux théoriques et esthétiques d’une notion », dans Emmanuel Bouju (dir.), L’autorité en littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2010, p. 109-120.
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[11]
Sur les pratiques de la métafiction dans les textes africains, voir « Sémiotiques du texte francophone migrant. Traversées et langages », Revue de l’Université de Moncton, vol. 47, no 1 (dir. Mbaye Diouf), 2016.
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[12]
Le 5 mars 1820 était un dimanche [n.d.é.].
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[13]
L’histoire du royaume précolonial wolof du Cayor est aussi racontée : « Les anciens, qui connaissaient bien l’histoire de Diafouné, se souvinrent alors de Daaw Demba, qui régna sur le Cayor de 1640 à 1647. Le pouvoir fit complètement chavirer la tête de Daaw Demba et, pendant sept années de terreur, les gestes les plus banals de la vie quotidienne furent passibles de la peine de mort […]. / Le Cayor n’eut cependant aucun mal à se débarrasser de Daaw Demba. Pour perdre le tyran, les comploteurs le prirent au piège de sa vanité. Contraint à l’exil, il mourut loin des siens comme un chien galeux, oublié de tous » (PG, 172-173).
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[14]
Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, « L’ordre philosophique », p. 191.
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[15]
« Personne ne sera surpris d’apprendre que Dibi-Dibi a aussi construit une prison dans les souterrains de son palais. On dit qu’il y fait violer par des lépreux les épouses de ses ennemis. Ceux-ci sont tenus, fers aux pieds, d’assister à la scène. Dibi-Dibi, complètement déchaîné, va et vient dans la salle des tortures, s’éponge le front, lâche des grossièretés » (PG, 171).
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[16]
Faut-il néanmoins voir la figure d’Abdoulaye Wade, l’ancien président sénégalais (2000-2012), derrière les portraits des présidents Daour Diagne et Dibi-Dibi qui « ne diffère[nt] en rien » (PG, 145) même si le narrateur nie utiliser des « ruses de style » (PG, 144) ? Plusieurs indices semblent le confirmer : le contexte de publication de Doomi Golo coïncide avec les premières années de Wade au pouvoir ; les références au « naufrage du Joola » (PG, 74), à la « place du 16-février » (PG, 171), à « ceux […] qui n’ont pas de travail [de lever] la main » (PG, 163) et à « ses trop longues interventions télévisées » (PG, 170) font écho à des événements liés à Wade ; de même que certaines charges virulentes : « Ah ! Daour Diagne… ! Jamais à mes yeux homme n’a été aussi vil et méprisable que toi, Daour Diagne ! Tu as pillé le Sénégal, nargué les petites gens et fait germer les semences de la haine dans tous les coeurs. Maudit sois-tu, Daour Diagne, et à travers ma voix c’est un pays tout entier qui te dit merde ! » (PG, 26)
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[17]
« Tu sais ce que dit Wolof Njaay, Badou : Si au moment d’embarquer pour l’autre rive, tu t’aperçois que le piroguier n’a pas toute sa tête, reste sur la berge, laisse-le partir seul avec sa pirogue » (PG, 87) ; « Voici ce que dit Wolof Njaay : Si tu joues du tambour avec une hache, tu n’en tireras qu’un seul son, que celui-ci soit doux à tes oreilles ou au contraire déplaisant » (PG, 93) ; « En ces lieux, mon aïeul s’était couvert de gloire et je me devais de rester digne de lui. Et de toute façon, si ton ennemi prie pour que tu crèves de faim, rote bien fort chaque fois qu’il passe devant toi » (PG, 101).
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[18]
Paris, Flammarion, 2006.
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[19]
Ibid., p. 10-11.
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[20]
Dans « Linguistique et poétique », dans Éléments de linguistique générale, Paris, Minuit, « Arguments », t. I : Les fondations du langage, 1963, p. 209-248.
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[21]
Paris, Seuil, 2005 (rééd., « Points », 2017).
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[22]
Vincent Jouve, op. cit.