Résumés
Résumé
L’examen comparé des manuscrits qui ont conservé le roman de Méraugis de Portlesguez de Raoul de Houdenc (v. 1225-1235) tend à suggérer qu’il y aurait autant de versions de cette oeuvre qu’il y a de copies. Dans le manuscrit de Vienne ÖN 2599 – un livre du second quart du xive siècle qui se distingue fortement de la tradition manuscrite des romans arthuriens en vers par sa facture (un luxe rare) et sa composition (une oeuvre unique) –, les variantes sont à ce point nombreuses que leur collationnement semble témoigner de la volonté de proposer un roman différent de celui conservé dans les recueils du Vatican (Reg. Lat. 1725) et de Turin (BUN, L.IV 33). Les interventions du scribe visent autant le texte que le péritexte : s’il corrige le style, la thématique et le dispositif narratologique disloqués que l’on associe à l’écriture de Raoul de Houdenc, il propose également un prologue et un programme iconographique qui réorientent le roman vers le didactisme plutôt que vers le divertissement, visée qui était classiquement la sienne. Dépouillé de sa dimension contestataire (antiromanesque), le roman obtenu à force d’ajustements qui trahissent l’oeuvre telle qu’elle a été conservée dans les autres codices semble fournir un exemple de rupture entre la sphère du roman critique (destiné au plaisir intellectuel des clercs) et celle du roman « plaisant » (destiné plutôt à l’usage de la cour).
Abstract
A comparative examination of the manuscripts which have preserved the romance of Méraugis de Portlesguez by Raoul de Houdenc (ca. 1225-1235) suggests there are as many versions of this work as there are copies. In the manuscript now stored at the Austrian National Library in Vienna (ÖN 2599)—a book (“livre,” l. 5893) from the second quarter of the 14th century that departs notably from the manuscript tradition of Arthurian verse romances in its construction (of rare luxury) and composition (a single work)—the collation of the substantial amount of textual variants seems to demonstrate the desire to present a different romance from the one preserved in the Vatican (Reg. Lat. 1725) and the Torino (BUN, L.IV 33) collections (“recueils”). The scribe’s interventions affect both the text and the peritext. On the one hand, he corrects the “disjointed” style, themes and narrative devices we associate with Raoul de Houdenc’s writing; on the other hand, he proposes a prologue and an iconographic program that both reorient the romance towards didacticism rather than towards entertainment, a goal more commonly and traditionally associated with verse romance. The resultant work appears to be an example of rupture between the sphere of the “critical romance” (intended for scholars and clerics) and the entertaining romance (mostly enjoyed at court).
Corps de l’article
Dans Codex and Context, ouvrage-phare qu’il fait paraître en 2002 et dans lequel il décrit et commente la tradition manuscrite des récits en vers des xiie et xiiie siècles, Keith Busby écrit à propos de Méraugis de Portlesguez (v. 1225-1235) de Raoul de Houdenc : « The transmission of Meraugis illustrates the truism that there are as many contexts as there are manuscripts for a particular work[1]. » L’examen détaillé du manuscrit qui est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne à Vienne (ÖN 2599[2]) et qui a sans doute été préparé pour Jeanne de Bourgogne dans le second quart du xive siècle[3] tend aussi à indiquer qu’il y autant de versions de cette oeuvre qu’il y a de copies. Dans ce livre (v. 5893) qui se distingue fortement de la tradition manuscrite des romans arthuriens en vers par sa facture (un luxe rare) et sa composition (une oeuvre unique), les variantes sont à ce point nombreuses que leur collationnement fait apparaître la volonté claire, de la part du copiste, de proposer un roman différent de celui conservé dans les recueils du Vatican (Reg. Lat. 1725[4]) (fin du xiiie siècle ou début du xive) et de Turin (L.IV 33[5]) (fin du xive siècle ou début du xve), où il pouvait d’ailleurs entrer en résonance avec une série d’intertextes judicieusement choisis[6].
Agacé par les excursions antiromanesques de l’oeuvre de Raoul de Houdenc, le copiste de W recourt en effet à différentes stratégies pour équarrir ce roman du xiiie siècle qui, loin de consolider les acquis du roman arthurien en vers, s’amusait à les mettre à l’épreuve. Ses interventions visent autant le texte que le péritexte : s’il corrige le style, la thématique et le dispositif narratif disloqués que l’on associe à l’écriture de Raoul de Houdenc, il propose également un prologue et un programme iconographique qui réorientent le roman vers le didactisme plutôt que vers le divertissement, visée qui est classiquement la sienne. Dépouillé de sa dimension contestataire, si caractéristique du corpus arthurien en vers du xiiie siècle, le roman obtenu à force d’ajustements qui trahissent l’oeuvre telle qu’elle a été conservée dans les autres codices nous semble fournir un exemple de rupture entre la sphère du roman critique (destiné au plaisir intellectuel des clercs) et celle du roman « plaisant[7] » (destiné plutôt à l’usage de la cour).
Un roman « « tout sanz tençon et sanz clamour » (ajustements textuels)
Le premier lot de corrections vise le plan stylistique de l’oeuvre. Au nombre des interventions, on compte des changements plutôt attendus qui consistent à éliminer une répétition jugée plus redondante que nécessaire, par exemple le passage où le scribe du manuscrit de Vienne choisit de ne pas répéter le vers qui annonce l’arrivée des dames à la tribune :
Les variantes les plus nombreuses sont cependant des interventions beaucoup plus significatives qui visent certains phénomènes stylistiques par ailleurs caractéristiques de l’écriture de Raoul de Houdenc. Depuis l’édition de Henri Michelant (1869), les éditeurs et commentateurs successifs ont tous insisté sur les variations que fait subir l’oeuvre romanesque de l’auteur au moule stylistique du roman arthurien en vers[8] : l’assouplissement du couplet d’octosyllabes à rimes plates tel que l’a décrit Paul Meyer à date ancienne[9] provoque, autant dans Méraugis que dans le premier roman de l’auteur (La Vengeance Raguidel), un « débordement de la syntaxe[10] », qui se traduit par une nette augmentation des enjambements (avec rejets et contre-rejets), phénomènes analysés récemment par Marc Loison dans l’une des rares monographies consacrées à Raoul de Houdenc.
Le scribe semble chercher à atténuer cette dislocation du vers, qui atteint autant les paroles prises en charge par le narrateur que les dialogues et les monologues intérieurs. Le rejet et le contre-rejet qui caractérisaient autrefois l’écriture de Raoul de Houdenc disparaissent ainsi de la description des tourments amoureux de Méraugis et Lidoine, réajustement qui permet la mise en valeur du chiasme des vers 5016 et 5017 :
Le scribe n’hésite d’ailleurs jamais non plus à modifier le texte pour corriger les coupes variables et plus ou moins usitées qui rythment certains vers[11] :
En plus de ces microcassures, il peut arriver que la correction porte plutôt sur un morceau descriptif qu’il s’agit alors de rendre plus conforme à la tradition rhétorique du roman courtois, par exemple en réinsérant dans le portrait de Lidoine les formules laudatives attendues auxquelles recourait (entre autres) Béroul à propos d’Yseut[12].
Les interventions peuvent aussi viser le plan thématique et proposer un réalignement des motifs qui faisaient jadis l’objet d’un traitement parodique. Dans le roman de Raoul, la prise à rebours des codes arthuriens se disait notamment dans une scène de travestissement très souvent commentée[13] où Méraugis se « pomponn[ait] comme une femme » et, attifé comme une « petite poupée » (popine), s’enfuyait au bras de Gauvain, comparaison hautement dépréciative qui disparaît du manuscrit W :
On remarque la même attitude à l’égard d’autres comparaisons plaisantes, par exemple celle qui apparaît dans l’« anti-portrait » de la vieille « guernue » (v. 1432) (la « vieille échevelée »), qui n’est plus qu’une vieille « chenue » (« aux cheveux blancs », fol. 10rb)[14]. Le topos du tournoi, que le roman détournait « par une ironie subtile en laissant entendre la raillerie sous la louange[15] », fait l’objet d’un même réalignement. En effet, dans V et T, le goût pour le renversement des rôles se laisse saisir à l’ouverture du récit dans la mise en scène d’une chevauchée féminine qui envoie Lidoine et ses « trente damoiselles » (v. 165) parcourir les plaines de Lindesores. En substituant aux « .xxx. damoiselles » « xxx. damesiaus / Des plus gentilz et des plus biaus », le copiste du manuscrit de Vienne rétablit un ordre du monde plus acceptable (et attendu), où ce sont les hommes (à qui l’on remet, en plus des luxueuses étoffes, des armes et des montures), et non les femmes, qui chevauchent :
Cet exercice de contestation des poncifs du roman en vers s’incarne d’ailleurs, dès les premiers vers du récit, dans la tençon courtoise (c’est-à-dire le « débat » ou la « querelle ») qui oppose le héros éponyme, Méraugis de Portlesguez, et son compagnon, Gorvain Cadruz. Le point de casuistique amoureuse examiné fait directement écho à la question de départ de quelques jeux-partis du xiiie siècle recensés par Michelle Szkilnik[16] : « Faut-il aimer une dame pour sa beauté (li cors) ou ses qualités intérieures (li cuer) ? » Si, dans le roman, l’issue de la discussion est connue d’avance – c’est bien évidemment Méraugis, partisan du cuer, qui remportera l’amour de Lidoine –, la mise en débat des positions antagoniques donnait néanmoins lieu à de piquantes tirades : Gorvain ira jusqu’à soutenir que même si le « corps [de Lidoine] abritait un diable, une grue, une créature enchantée ou un serpent, sa beauté extérieure justifierait qu’on aime ce qui est caché dedans » (v. 506-510) ! Le scribe de W s’accommode mal de cette tension, qu’il juge sans doute trop prosaïque pour être courtoise. S’il conserve l’échange entre les deux compagnons, il atténue cependant l’opposition entre les partis et insiste beaucoup moins que les autres manuscrits sur l’apparence extérieure de l’héroïne dans l’épisode de la double énamoration :
Un nombre important de références au parti défendu par Gorvain disparaissent d’ailleurs de la tençon (v. 643) (le débat) qui s’étend des vers 322 à 654 et, à l’intérieur de celle-ci, du monologue amoureux, où n’apparaissent plus les renvois au « cors » (v. 341) et à la « beauté » de la belle (v. 444) :
Cette série de transformations participe d’une réorientation globale vers une courtoisie plus convenue, ce dont témoigne l’occurrence de l’expression « aimer de fin cuer », qui est absente des autres témoins et qui, dans W, sert à corriger le rejet et le contre-rejet des vers 410 à 412 : « Voir, ge li dirai .II. moz por li apercevoir / Que je l’aim. Se de voir en voir… » devient ainsi : « Voir, je lui dirai .II. moz por li apercevoir / Que je l’aim de fin cuer por voir » (fol. 3vb). Conforté par le retour de la dimension musicale associée à la lyrique du Sud – c’est en « chantant » que Gorvain se met au service de Lidoine (fol. 3vb)[17] –, le renforcement de l’imagerie amoureuse passe aussi par le retour ou le développement de motifs qui y sont associés, par exemple, la référence au « desvoiez d’amours » (v. 444) et la métaphore du filet amoureux, plus longuement développée dans W que dans les autres copies (v. 1195-1205).
Cette tençon entre Méraugis et Gorvain trouve un prolongement, sur le plan thématique, dans l’épisode du jugement des dames (v. 872-1005) (long débat au terme duquel elles trancheront en faveur de Méraugis) et dans l’évocation de trois autres jeux-partis que proposent un nain camus à Keu (« un gieu vos part », v. 1371), une demoiselle de l’Esplumeoir à Méraugis (« .i. gieu te part », v. 2719) et, enfin, Bergis le Louche à son prisonnier (« .i. gieu vos part », v. 5485). Mais elle infiltre surtout le plan narratologique, par lequel l’oeuvre narrative de Raoul de Houdenc se distinguait justement de l’ensemble du corpus des romans arthuriens en vers. Comme la Vengeance et, dans une moindre mesure le Roman des Eles, dont Raoul serait également l’auteur, Méraugis est traversé par de nombreux jeux de dialogues, qui se laissent saisir autant sur le plan du récit – dans le cadre de monologues intérieurs où les personnages se posent et répondent à une succession de questions rhétoriques[18] – que sur celui du discours – où le narrateur principal [N1] se livre à un jeu de questions et de réponses avec un narrataire [N2] qui n’hésite jamais à l’interrompre[19]. Dans les deux cas, l’alternance des questions [Q] et des réponses [R] ralentit la progression du discours et du récit, ce qui semble avoir gêné le scribe de W qui, une fois de plus, va jusqu’à remanier le texte pour éliminer ce qu’il semble considérer comme autant de ruptures inutiles. Le monologue amoureux de Gorvain, par exemple, ne calque plus en W les mécanismes de la tençon à l’intérieur de laquelle il s’inscrit dans les autres témoins :
En gommant le dispositif dialogique et en éliminant l’impératif de cinquième personne (« Cele pucele, vez la la »), le copiste atténue l’inquiétant dédoublement qui est à la base du procédé (schizophrénique, s’il en est) du monologue intérieur où le personnage est à la fois « je » et « l’autre » auquel il s’adresse. Il retrouve ainsi un discours plus conventionnel de même qu’une métrique plus uniforme, les coupes ayant pour la plupart été éliminées[20]. Lorsque les questions sont au contraire indispensables au récit – comme la succession rapide de questions et de réponses qui sert à rendre compte de la confusion ontologique ressentie par Méraugis au sortir de la carole magique[21] –, elles ne sont conservées qu’au prix d’une ponctuation plus marquée (fol. 28vb)[22].
Les interruptions du récit dont se rend coupable le narrataire ont à ce point gêné le copiste de W qu’il a tenté de faciliter la tâche du lecteur en proposant une série d’aménagements textuels visant à alléger le procédé dialogique[23]. En effet, la lecture parallèle des passages tels qu’ils se donnent à lire dans les manuscrits V et T d’une part et W d’autre part tend à indiquer que le copiste du manuscrit de Vienne a cherché à pallier les effets de brisure induits par les incessantes questions du narrataire, dont la présence se faisait par exemple sentir par le recours occasionnel au vouvoiement, qui n’apparaît plus systématiquement dans W :
La substitution de la P1 à la P5 (« Qu’apeaus je » plutôt « Qu’apelez ») transforme en simple question rhétorique un échange qui, dans V et T, permettait la formulation d’un commentaire ironique sur l’imagerie amoureuse de la littérature courtoise (« les rets de l’amour »)[24]. Le copiste revient ainsi à une narration plus conforme à la tradition romanesque qui suppose que le récit est pris en charge par une seule voix narrative. On retrouve ce même type d’aménagement dans le passage qui amorce le retour des personnages principaux à la cour d’Arthur et où le narrataire s’inquiète du sort de Méraugis et de Gorvain. La transformation de la principale interrogative des manuscrits V et T (« E li chevalier que devindrent ») en une proposition subordonnée relative (« Et li chevalier qui revindrent ») gomme l’intervention du narrataire :
En plus de ces interruptions dont la pertinence varie mais qui permettent pour la plupart l’obtention d’une nouvelle information, le récit est aussi traversé par un deuxième type de remarque, qui témoigne cette fois de l’incapacité du narrataire à dépasser le « stade du pourquoi[25] ». « Parole parasite[26] », qu’Alexandre Micha qualifiait de « tic qui devient fatigant[27] », le procédé consiste à faire répéter par le narrataire la question « Por quoi ? ». Réitérée de façon automatique et mécanique, elle provoque un décrochage métaleptique[28] qui permet l’expression du prosaïsme de la seconde voix narrative (aux dépens d’un narrateur qu’il finit par exaspérer[29]) et l’exposition des rouages de la mécanique narrative du roman, comme le fait aussi remarquer Marc Loison :
Les questions deviennent elles-mêmes un procédé tourné en dérision tant le suspens qui est ici éveillé tient à peu de choses et paraît artificiel. Ce faisant le roman se joue de ses propres techniques et passe de la dérision des codes romanesques à une forme d’autodérision[30].
Si les questions prises en charge par les personnages sont pour la plupart conservées[31], le collationnement des versions met cependant au jour un élagage important des interventions du « narrateur rouspéteur[32] », dont la moitié est éliminée (le copiste n’en conserve que huit sur dix-sept)[33].
Ces interventions sont de deux types. Elles peuvent porter sur le comportement ou les motivations psychologiques d’un personnage. Au narrateur qui précise que Bergis le Louche donne à contrecoeur le baiser de paix à Méraugis, le narrataire demande[34] :
L’élimination du second « Por quoi » atténue la dimension dialogique et transforme les répliques de l’échange en questions rhétoriques (« Por quoi ? », « Cui en chaut ? ») et les rapproche des formules conatives du type « Que vos diroie ? », par ailleurs abondantes dans tous les témoins[35]. L’interrogation peut aussi viser le discours du narrateur principal plutôt qu’un élément du récit, notamment lorsqu’il recourt à un topos ou à une figure de style que le narrataire, imperméable au second degré des choses, n’arrive pas à comprendre. C’est le cas par exemple des topoï de la flèche d’amour (v. 4953-4957) et du chef-d’oeuvre inimitable, qui disparaissent tous deux de W :
Comme on l’a vu, la cible est d’abord stylistique, ce dont témoignent la correction et le réalignement du vers disloqué, la réintroduction des formules les plus attendues et l’élimination des plus inusitées. Le stylet du copiste rétablit aussi les thèmes et motifs que n’épargnait pas le couperet du parodiste et, ce faisant, atténue la dimension ludique de l’oeuvre « initiale ». Les multiples tençons qui traversaient le récit et parasitaient le discours des personnages et du narrateur connaissent un sort similaire : l’élimination d’une bonne proportion des formules interrogatives qui ponctuaient le roman dans V et T provoque dans W l’atténuation des effets de rupture sur lesquels s’appuie l’art romanesque de Raoul de Houdenc. Ce travail de correction se poursuit sur le plan péritextuel, où l’on remarque cependant davantage d’ajouts que d’élagages.
Un livre qui enseigne (ajustements péritextuels)
Pour atténuer la part anticonformiste de l’oeuvre recopiée, le scribe du xive siècle propose également une série d’aménagements péritextuels. La volonté d’aplanissement que l’on remarque sur le plan textuel est en effet relayée par les miniatures, très finement analysées par Keith Busby dans un article consacré à la « mise en texte et en image » dans le manuscrit de Vienne. Sans jamais mettre en relation les choix de l’illustrateur avec le phénomène d’équarrissage que nous voulons mettre au jour, le médiéviste reconnaît au programme iconographique de W une force à ce point cohésive qu’elle gomme la construction en contrepoint du roman, qui fait alterner les aventures respectives de Méraugis et de Gorvain, notamment en recentrant les aventures autour du seul personnage éponyme – qui apparaît dans quinze des dix-sept miniatures[36] – et en représentant surtout les lieux (les plus) communs du roman arthurien en vers, qu’il s’agisse du baiser à la dame (qui ouvre et ferme le manuscrit aux folios 7rb et 37rb), du tournoi (fol. 2vb), du combat individuel (onze des dix-sept miniatures représentent une scène opposant Méraugis et un adversaire) ou encore de l’arrivée, plutôt convenue, d’une demoiselle à la mule à la cour d’Arthur (fol. 33rb). Si cette façon de procéder rejoint la pratique du motif qui ordonne l’écriture du roman médiéval (le récit médiéval se construit à partir de variations nombreuses mais limitées d’un certain nombre de motifs ou topoï narratifs)[37], les illustrations proposées sont néanmoins génériques (Busby parle plutôt de dimension « semi-allegorical[38] ») et maintiennent en quelque sorte le motif à un « degré zéro » d’actualisation. En effet, rien ne vient jamais particulariser les scènes et les épisodes représentés, au point où ils constituent autant de pièces détachables qui, comme le fait remarquer Keith Busby, pourraient être reproduites dans un roman différent sans qu’on ait à y changer quoi que ce soit :
As well as this text-specific type of emblematic episode, Vienna 2599 also illustrates what might be considered as conventional scenes of the genre of Arthurian romance. […] The kind of illustrations I have in mind do, of course, relate directly to events in the text of Meraugis de Porlesguez in Vienna 2599, but could also serve to illustrate similar events in other romances[39].
Hormis l’Esplumeoir (fol. 17vb) et la carole magique (fol. 24rb), peu de scènes accueillant les situations et les personnages surprenants qui distinguent justement le roman de Raoul du corpus arthurien contemporain ont été retenues par l’illustrateur (par exemple : le travestissement de Méraugis ou la rencontre avec la « vieille guernue »). Sur le plan visuel comme sur le plan textuel, tout concourt donc à faire de ce qui était jadis un antiroman un simple récit d’armes et d’amour, thématique convenue qui oriente l’ensemble du programme iconographique de ce roman qui, dans son nouveau prologue, se présente d’ailleurs bien sagement comme un « conte de courtoisie / et de biax motz et de plaisanz » (v. 28-29 ; fol. 1ra ; éd. H. Michelant, p. 2).
Le souci de conformité avec la tradition se donne aussi à lire dans l’explicit : là où les formules de clôture des manuscrits V et T ne désignent l’oeuvre que par le nom de son héros éponyme[40], le substantif roman vient, dans W, préciser la catégorie générique du récit qui s’achève : « Explicit li romanz de Meraugis de portlesguez. Par maistre Raoul de Hodenc » (fol. 38vb). Fait peu commun dans le domaine du roman, la référence au savoir prestigieux du maistre cherche sans doute à hisser l’oeuvre au rang de la littérature « qui enseigne ». La miniature d’ouverture (fol. 1ra) le représente d’ailleurs déjà à son lutrin, le doigt levé, « geste didactique[41] » s’il en est :
Elle rattache ainsi l’oeuvre à venir à la grande tradition du Roman de la Rose – que le xive siècle associe surtout à maistre Jehan de Meun, très souvent représenté en train d’écrire à son pupitre[42] – et, plus largement, à une iconographie de l’enseignement, que le Moyen Âge hérite de l’Antiquité. Comme le fait remarquer Antoine Destemberg, dans la tradition picturale des domaines liés à l’enseignement, à la prédication et à la justice, l’index pointé s’« apparente à un geste d’autorité dans le discours », alors que la main gauche (« celle de la connaissance »), « lorsqu’elle est ouverte, la paume dirigée vers le ciel [comme dans le manuscrit de Vienne], […] réalise un même geste de réception d’un savoir dont le maître est le dépositaire[43] ». En plus de procéder à une valorisation de l’objet d’étude et du travail du maître (à travers le rapprochement avec Jean de Meun, systématiquement représenté « à l’oeuvre » dans les manuscrits du Roman de la Rose), l’initiale historiée qui ouvre le livre (v. 5893) de maistre Raoul de Houdenc renvoie le lecteur à une double tradition : d’une part, la littérature dévotionnelle ou philosophique latine – les représentations picturales des scènes d’étude et d’enseignement entre un Sénèque grisonnant et un élève anonyme dans le manuscrit Hunter 231 (U.3.4) (fol. 123) ne sont d’ailleurs pas sans ressemblance avec le portrait de maistre Raoul proposé par le manuscrit de Vienne[44] ; d’autre part, à la littérature didactique en langue vulgaire – principalement le Roman de la Rose, qui a pu sembler proposer un équilibre intéressant entre courtoisie et didactisme. Par conséquent, la matière arthurienne, que l’on associe au pur divertissement (« Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant », écrivait Jean Bodel dans le prologue de sa Chanson des Saxons[45]), est ainsi présentée dès le premier folio comme une matière capable d’enseigner, voire d’édifier.
Cette volonté d’équarrissage jette un éclairage nouveau sur la condamnation des contrediseurs par laquelle s’ouvre le roman, que seul W dote d’un prologue de 32 vers :
On peut certes choisir, comme on le fait depuis l’édition de Mathias Friedwagner, d’attribuer à Raoul de Houdenc[46] le prologue qui n’a cependant été conservé que dans le manuscrit de Vienne. Les vers 14 et 15 sont alors d’une interprétation difficile : en effet, comment réconcilier cette dénonciation des « plaisantins » (« rimeour / de servanteis ») et des contrediseurs et les constants exercices de contrediction (de la tradition en vers, de la voix narrative principale, etc.) auxquels se livre le roman de Raoul et qui ont justement agacé le copiste de W ? Rien ne nous interdit de supposer au contraire que, par rapport aux autres témoins, W invente plus qu’il ne recopie, en imitant au plus près les prologues de Chrétien de Troyes, dont il offre une anthologie des « meilleurs moments ». En effet, plus de la moitié des vers sont des calques, parfois légèrement détournés, des prologues des romans du maître champenois[47]. Le pastiche ainsi obtenu respecte les leçons dispensées par l’illustration de l’initiale : d’une part, la valorisation du livre et du travail est relayée par un champ lexical lié à l’estude (« entente », v. 2 ; « estude », v. 4 et 13 ; « oevre », v. 6 ; et « sens », v. 15, 16 et 17) ; d’autre part, le rapport à la tradition qu’incarnait la main tendue du maistre se dit aussi dans l’exercice stylistique imitatif auquel se livre le copiste devenu auteur. Plus passif que contestataire, il se pose à son tour comme le dépositaire du savoir de ses prédécesseurs, plus précisément Chrétien de Troyes qu’il cite directement à l’ouverture du récit[48]. Il est d’ailleurs significatif que l’illustrateur ait choisi, pour ce roman traversé par une série de jeux-partis et de dialogues, une scène de lectio (< legere ; la lecture commentée) (voire de lecture à voix haute, comme le propose Busby[49]) plutôt que de disputatio (< disputare ; la discussion, le débat), la tradition iconographique du motif du « maître à l’oeuvre » proposant des représentations liées autant à la première qu’à la seconde.
Ainsi analysés, le prologue et l’initiale historiée remplissent à nouveau la fonction prescriptive qui leur est traditionnellement dévolue et servent de guide de lecture à ce roman que renouvelle la main interventionniste d’un copiste qui s’attelle à la correction de toutes les strates de l’oeuvre dont il s’est saisi. Pour ce faire, il choisit de gommer un nombre important d’effets de rupture (sur le plan de la versification autant que sur celui du ton), de tension (entre le corps et le coeur dans le morceau de casuistique amoureuse par lequel s’ouvre le roman) et de dispute (qu’elle soit internalisée par le monologue intérieur ou qu’elle oppose un narrateur et un narrataire exaspérant). Il n’est d’ailleurs pas jusqu’au contexte manuscrit qui échappe à cette volonté d’équarrissage. En effet, le roman est mis en livre, c’est-à-dire qu’il est conservé, seul, dans un manuscrit dont il occupe tous les feuillets. Il s’agit là d’une pratique extrêmement rare dont on ne retrouve que deux autres exemples dans le domaine arthurien (les manuscrits BnF, fr. 2164 et Cambridge Univ. Ee. Iv. 26 qui nous ont respectivement transmis les romans de Jaufré et d’Ider). Il se trouve ainsi privé d’un milieu qui lui est naturel depuis le xiie siècle, c’est-à-dire le recueil, où il côtoie une série de cotextes grâce auxquels il se donne à lire comme « une technique de contrepoint où les voix se répondent en reprenant le thème dans tous les sens, en opposant chant et contre-chant pour former un ensemble ultimement harmonieux[50] ». De la plus petite à la plus grande unité – du vers au livre – s’énonce donc la volonté de faire rentrer dans les rangs de la « tradition » un roman qui mettait pourtant tout en oeuvre pour s’en détacher.
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Au terme de ce travail de collationnement, une question demeure, que ne renierait sans doute pas le narrataire de Méraugis : « Pourquoi ? » Pourquoi le scribe du xive siècle tient-il à tout prix à « équarrir » ce roman qui se caractérisait au contraire par la violence faite à la tradition arthurienne ? La réponse à cette question nous semble se situer autant sur l’axe de la production que sur celui de la réception du manuscrit. En termes de production, la tradition romanesque arthurienne, qui n’est plus principalement en vers, n’est pas non plus aussi ludique et critique au début du xive siècle qu’aux siècles précédents, âge d’or où le roman s’invente dans une « dispute » avec lui-même[51]. Reproduire (par la copie) un « vieux roman » en vers devient ainsi l’occasion de produire un roman plus conforme au goût du jour en l’adaptant aux attentes d’un nouveau lectorat qui, depuis le succès du Roman de la Rose, goûte également davantage la littérature qui allie divertissement et didactisme[52].
On a également proposé que le manuscrit avait été préparé à la demande de Jeanne de Bourgogne († 1348), la male royne boiteuse, reconnue pour sa sagesse et sa bibliophilie. Parmi les livres dont elle a commandé l’exécution, on compte surtout des traductions d’ouvrages pieux et didactiques, notamment les Épitres et Évangiles de tout l’An, La Légende Dorée et le Miroir historial[53]. L’analyse des marques de possession et des inventaires à laquelle a procédé Claudine A. Chavannes-Mazel confirme ce goût pour la littérature à prétentions morales et religieuses ou à visée politique :
Contrary to previous queens who associated books with passtime, sense of duty and political ambition were her underlying motifs. […] [H]er library had to reflect the extraordinary, holy and glorious descent of the new French royal house of Valois, and particularly that of herself. Next to these, there were devotional texts in her collection to underline her piety[54].
À cette cohérence thématique s’ajoute une cohérence matérielle qui tient au luxe des codices de la collection. Si, sur ce dernier point, le luxueux manuscrit de Vienne correspond bien au goût de la reine de France, on comprend plus ou moins bien à quelle inclination a bien pu répondre le roman de Raoul de Houdenc, dont les ajustements proposés par le copiste (et l’initiale historiée) s’éclairent néanmoins quelque peu lorsqu’on imagine qu’il a pu vouloir l’adapter à l’intérêt de sa commanditaire pour la littérature didactique, corpus auquel l’associe d’emblée l’initiale historiée du premier folio.
On voit alors se dessiner une opposition, éclairante pour l’histoire du roman médiéval, entre le manuscrit « clérical » et le manuscrit « courtois ». En effet, le collationnement des trois témoins fait apparaître des différences qui s’éclairent dès lors qu’on imagine que la copie – ou la « version » dans le cas de W – a été préparée pour un public plus ou moins averti ou formé, c’est-à-dire pour le simple divertissement (voire l’édification) des lecteurs/auditeurs de la cour plutôt qu’à l’usage des clercs. Méraugis appartient à un corpus de romans en vers du xiiie siècle que l’on a qualifiés d’« épigonaux » (« post-Chrétien verse romances[55] ») et qui, tels Le Chevalier à l’épée, La Mule sans frein, La Vengeance Raguidel et Hunbaut, se distinguent par la mise à l’épreuve, en registre ludique, des acquis du roman en vers. Les travaux récents sur le contexte matériel de ce corpus tendent à indiquer que ces « nouveaux romans » – conservés pour la plupart dans des recueils de sobre facture – peuvent être appréhendés comme autant de jeux d’initiés qui les destinent à un public de « lecteurs avertis », plus clérical que courtois[56]. L’examen du très luxueux manuscrit de Vienne nous permet peut-être de commencer à dresser la liste des conditions auxquelles une oeuvre peut migrer de la première sphère vers la seconde ou, pour reprendre l’expression proposée par Tzvetan Todorov dans Poétique de la prose, peut accéder au « domaine heureux » des oeuvres sans tension qui, loin de chercher à échapper au genre dont elles se réclament, espère y correspondre au plus près[57]. Les variantes repérées dans le manuscrit W nous semblent en effet dessiner en creux un roman qui s’ajuste à un nouveau destinataire, c’est-à-dire le lecteur (ou la lectrice) qui, pour reprendre l’opposition tracée par Roland Barthes, a envie d’un texte « de plaisir » plutôt que « de jouissance » et dont la compréhension est immédiate puisqu’elle ne passe plus par l’évaluation des variations qu’il fait subir au roman « canonique ». Privé d’un voisinage textuel qui aurait pu exacerber les nombreux jeux de querelles et de dialogues qui en ordonnent l’écriture, le livre de Raoul – désormais « tout sanz tençon et sanz clamour[58] » – se rapproche plus que jamais de ces oeuvres qui visent l’incarnation d’un modèle plutôt que son dépassement et dont « il n’y a rien à dire[59] ».
Parties annexes
Note biographique
Isabelle Arseneau est professeure agrégée au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill. Elle est l’auteure de Parodie et merveilleux dans les romans dits réalistes au xiiie siècle (Paris, Classiques Garnier, coll. « Recherches littéraires médiévales », 2013). Elle a aussi dirigé un numéro de la revue Études françaises : « Faute de style. En quête du pastiche médiéval » (vol. 46, no 3, 2010) et codirigé la publication des Actes du XIIIe congrès de la Société internationale de littérature courtoise (Cultures courtoises en mouvement, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011). Ses recherches actuelles portent sur la réception du roman en vers au Moyen Âge tardif (xive et xve siècles).
Notes
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[1]
Keith Busby, Codex and Context. Reading Old French Narrative in Manuscript, Amsterdam, Rodopi, coll. « Faux titre », no 221-222, 2002, vol. 1, p. 420. « La transmission manuscrite de Méraugis illustre bien le truisme selon lequel il y a, pour une même oeuvre, autant de contextes que de manuscrits. » Nous traduisons.
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[2]
Cet article fait référence au manuscrit de Vienne, ÖN 2599 et à Méraugis de Portlesguez, roman de la Table ronde par Raoul de Houdenc (éd. H. Michelant) Paris, Tross, 1869. Lorsque nous transcrivons le texte du manuscrit de Vienne (désormais abrégé en W), nous donnons les numéros de folios et les pages correspondantes dans l’édition de Henri Michelant. Nous corrigeons parfois la transcription et la ponctuation proposées par Michelant mais nous ne l’indiquons pas systématiquement.
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[3]
Pour une description du manuscrit, voir Keith Busby, « Mise en texte and mise en image : Meraugis de Portlesguez in Vienna, ÖNB 2599 », dans Keith Busby et Catherine M. Jones (dir.), Por le soie amisté : Essays in Honor of Norris J. Lacy, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 2000, p. 95-116.
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[4]
Désormais abrégé en V.
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[5]
Désormais abrégé en T.
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[6]
Voir surtout Francis Gingras, « Roman contre roman dans l’organisation du manuscrit du Vatican, Regina Latina 1725 », Babel, no 16, 2007, p. 61-80.
-
[7]
Méraugis de Portlesguez. Roman arthurien du xiiie siècle, publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque du Vatican, éd. et trad. Michelle Szkilnik, Paris, Honoré Champion, coll. « Champion Classiques/Moyen Âge », 2004, v. 29 du prologue, reproduit en annexe aux pages 447-449. Désormais abrégé en MP, suivi des numéros de vers et, lorsque la traduction est nécessaire, du numéro de page.
-
[8]
À la fin du xixe siècle, Paul Meyer et Henri Michelant ont tous deux proposé l’hypothèse d’un style propre à Raoul de Houdenc : là où le premier remarque qu’on « peut ne pas aimer son style [mais qu’]on ne peut nier qu’il avait son style à lui », le second le juge « plus recherché » que Chrétien de Troyes mais « quelques fois prétentieux » : « il aime l’enjambement, l’interrogation, dont il fait un fréquent usage, qui donne plus de vivacité au dialogue et à ses réflexions ; mais il en fait abus » (voir, respectivement, « Le couplet de deux vers », Romania, t. XXIII, 1894, p. 19 et « Introduction », Méraugis de Portlesguez, roman de la Table ronde par Raoul de Houdenc, p. XIII).
-
[9]
Paul Meyer, art. cit., p. 19.
-
[10]
Marc Loison, Les Jeux littéraires de Raoul de Houdenc. Écritures, allégories et réécritures, Paris, Honoré Champion, coll. « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge », 2015, p. 55 : « Une fois de plus, Raoul de Houdenc se plaît à distiller une parole volubile, foisonnante par ses effets. Il ne cultive pas la régularité mais l’artifice avec une volonté certaine d’imposer son art et sa voix. »
-
[11]
Voir entre autres : v. 345-346 ; 396-400 ; 410-412 ; 416-417 ; 454-459 ; 808-810, 1925 et passim.
-
[12]
Béroul, Tristan, v. 3410 : « […] a la plus bele / Qui soit de ci jusq’en Tudele. »
-
[13]
Voir entre autres : Kristin L. Burr, « Defining the Courtly Lady : Gender Transgression and Transvestism in Meraugis de Portlesguez », Bulletin bibliographique de la Société internationale arthurienne, vol. 53, 2001, p. 378-392 ; Keith Busby, « “Plus acesmez qu’une popine” : Male Cross-dressing in Medieval French Narrative », dans Karen J. Taylor (dir.), Gender Transgression. Crossing the Normative Barrier in Old French Literature, New York, Garland, 1998, p. 45-59 et Francis Gingras, art. cit.
-
[14]
Même l’adjectif « baucens », employé à propos de Lidoine mais dans une tournure hypothétique, (« Que s’ele estoit baucens […] / Ja por ce mains ne l’ameroie » : « Si elle était variolée […] / je ne l’en aimerais pas moins ») a été éliminé et remplacé par l’épithète « brunete » (fol. 4vb).
-
[15]
Carine Giovénal, « “Faire du neuf avec du vieux” », Arts et Savoirs, no 3, 2013. En ligne : aes.revues.org/385 ; DOI : 10.4000/aes.385 (page consultée le 28 août 2016).
-
[16]
Voir « Introduction », p. 11-13 : elle y cite les jeux-partis qui opposent Thibaut de Champagne et Baudoin et Jehan Bretel et Jehan de Grieviler (ces jeux-partis ont par ailleurs été édités par Arthur Langförs et al., dans Recueil général des jeux-partis français, Paris, Honoré Champion, coll. « SATF », 2 vol., 1926 (vol. 1, p. 37 pour le jeu-parti entre les premiers et vol. 1, p. 98-102 pour celui qui oppose les seconds).
-
[17]
On lit alors : « Lui dit en chantant et coment : / “Douce dame, à Dié vous comant”… » (fol. 3vb ; éd. H. Michelant, p. 20) plutôt que « Li vet dire tot maintenant » (v. 419).
-
[18]
Voir par exemple les monologues de Gorvain (v. 372-417) et de Méraugis (v. 3522-3546 et 4316-4360).
-
[19]
Sur ce dispositif, voir notre article « Méraugis de Portlesguez ou l’art de railler et de faire dérailler la mécanique du roman », dans Mathieu Bélisle (dir.), Études françaises : Le rire et le roman, vol. 47, no 2, 2011, p. 21-37.
-
[20]
La coupe 2+2+4 des vers 373 et 402 et la coupe 5+3 des vers 374, 377 et 379.
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[21]
Sur cet épisode, voir Michelle Szkilnik, « Méraugis et la Joie de la Cité », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, no 15, 2008, p. 113-127 et Isabelle Arseneau, art. cit., p. 29-30.
-
[22]
C’est aussi le cas dans le manuscrit du Vatican, où la ponctuation est plus abondante dans Méraugis que dans les récits qui le précèdent (voir Christine Ruby, Mise en page et mise en texte dans les manuscrits de Chrétien de Troyes [xiiie-xive siècles], Université Paris IV-Sorbonne, juillet 2000, vol. 1, p. 240-242). Sur la ponctuation dans le manuscrit de Vienne, voir Keith Busby, « Mise en texte and mise en image : Meraugis de Portlesguez in Vienna, ÖNB 2599 », p. 98.
-
[23]
Nous avons d’abord remarqué ce phénomène dans le cadre d’une communication présentée au colloque Entre fiction et didactique : l’oeuvre de Raoul de Houdenc, Senefiance (Aix-en-Provence, octobre 2012) qui paraîtra dans les actes du colloque, sous le même titre. Nous reprenons ici la démonstration qui porte sur les mécanismes narratifs en la réinscrivant dans le contexte d’un examen plus étendu du manuscrit.
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[24]
Beate Schmolke-Hasselmann relevait déjà cette récupération ironique du procédé (voir The Evolution of Arthurian Romance, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 149).
-
[25]
Isabelle Arseneau, art. cit., p. 26-29.
-
[26]
Marc Loison, op. cit., p. 45.
-
[27]
Alexandre Micha, « Raoul de Houdenc est-il l’auteur du Songe de Paradis et de la Vengeance Raguidel ? », Romania, t. LXVIII, 1945, p. 331, note 1.
-
[28]
Sur la métalepse en tant qu’intrusion de la métadiégèse dans la diégèse, voir Gérard Genette, Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2004.
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[29]
Le narrateur en viendra en effet aux insultes et le traitera de « fols » (v. 3030).
-
[30]
Marc Loison, op. cit., p. 46.
-
[31]
Par exemple, dans le premier tiers du roman, le « Por quoi » des vers 416, 532, 982, 1853 et 1883.
-
[32]
Gérard Genette, op. cit., p. 32.
-
[33]
Les questions des vers 464, 882, 1197, 1726, 3404, 3914, 4908, 4956 et 5957 sont éliminées.
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[34]
Il exprime la même perplexité face aux excès dont est capable Méraugis pour Lidoine (v. 3912-3915). Ici encore, le « pourquoi » est éliminé (fol. 26va ; éd. H. Michelant, p. 168).
-
[35]
Voir par exemple l’éd. H. Michelant, p. 26, 55, 61, 62, 63, 78 (deux occurrences), 82, 90, 100, 106, 140, 142, 147, 151, 155, 211 et 251. Sur ce type de formule dans la littérature narrative du Moyen Âge, voir Corinne Denoyelle, Poétique du dialogue médiéval, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, en particulier le « Chapitre V. Le style oralisé », p. 157-210.
-
[36]
Keith Busby, art. cit., p. 105.
-
[37]
Sur la définition du motif, voir surtout Jean-Pierre Martin, Les motifs dans la chanson de geste. Définition et utilisation (Discours de l’épopée médiévale, I), Centre d’études médiévales et dialectales de l’Université de Lille III, 1992 ; Jean-Jacques Vincensini, Pensée mythique et narrations médiévales, Paris, Honoré Champion, coll. « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge », 1996 ; Francis Dubost, « Un outil pour l’étude des transferts de thèmes : le Thesaurus informatisé des motifs merveilleux de la littérature médiévale », dans Marie-Madeleine Fragonard et Caridad Martínez (dir.), Transferts de thèmes, transferts de textes : mythes, légendes et langues entre Catalogne et Languedoc, Barcelone, PPU, 1997, p. 26-27 et Francis Gingras, « L’anneau merveilleux et les deux versants du désir. Présentation du Thesaurus informatisé des motifs merveilleux de la littérature médiévale », Revue des langues romanes, vol. 101, no 2, 1997, p. 163-183.
-
[38]
Keith Busby, art. cit., p. 109.
-
[39]
Ibid., p. 107.
-
[40]
V : « Explicit Meraugis de Portlesguez Explicit Meraugis de, Explicit Meraugis de Porleguez [sic] » (fol. 130) ; T : « Chest de Meraugin de Pollesgues », (fol. 82).
-
[41]
Voir Keith Busby, art. cit., p. 96.
-
[42]
Voir par exemple les manuscrits du Roman de la Rose de la Bodleian Library (Selden Supra 57, fol. 28v et Douce 332, fol. 41vd), de la Library of Congress (Rosenwald 0396, s. p.) et de la collection privée Ferrell (Ferrell Rose, fol. 23v) (les numérisations sont disponibles en ligne sur le site www.romandelarose.org).
-
[43]
Antoine Destemberg, « La représentation des maîtres dans l’iconographie de l’Occident médiéval », dans Lumières de la sagesse. Écoles médiévales d’Orient et d’Occident, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 215.
-
[44]
Le manuscrit Hunter 231 (U.3.4) est une compilation de textes dévotionnels et philosophiques réalisée en Angleterre entre 1299 et 1399 et conservé aujourd’hui à l’Université de Glasgow. En plus des initiales historiées qui se multiplient dans les textes liés à Sénèque, le folio 276 donne à voir Platon (cheveux noirs), Sénèque (cheveux gris) et Aristote (cheveux roux) qui tiennent tous un livre ouvert. L’index tendu des deux premiers pointent vers le livre qu’ils tiennent de la main gauche, là où le Stagirite lève plutôt la main droite vers le ciel.
-
[45]
Jean Bodel, La chanson des Saxons (éd. Annette Brasseur), Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français », 1989, p. 1, v. 6-11.
-
[46]
Friedwagner va jusqu’à corriger le vers 17 pour y retrouver le nom complet de l’auteur : « Pur ce Raoul de son sens dit » devient ainsi « Pur ce Raoul de Hodenc dit ».
-
[47]
Sur cet « art de la reprise », voir Michelle Szkilnik, « Introduction », p. 21-32. Sur le prologue (qu’elle attribue cependant à Raoul de Houdenc), voir, de Carine Giovénal, Le Chevalier et le Pèlerin. Idéal, rire et réalité chez Raoul de Houdenc, xiiie siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2015, p. 36 et art. cit.
-
[48]
« Si com tesmoigne le Greaus » ; « Comme en témoigne le Conte du Graal » (éd. Michelle Szkilnik, v. 7, p. 75 ; ou au fol. 1rb, à la suite du prologue dans W).
-
[49]
Il s’agit de la thèse centrale de son article « Mise en texte and mise en image : Meraugis de Portlesguez in Vienna, ÖNB 2599 », reprise dans « Post-Chrétien Verse Romance. The Manuscript Context », dans William Kibbler (dir.), Cahiers de recherches médiévales et humanistes : L’héritage de Chrétien de Troyes, no 14, 2007, p. 20-21.
-
[50]
Francis Gingras, « Roman contre roman dans l’organisation du manuscrit du Vatican, Regina Latina 1725 », p. 64.
-
[51]
Sur la dimension antiromanesque du roman médiéval et d’Ancien Régime, voir Ugo Dionne et Francis Gingras (dir.), Études françaises : De l’usage des vieux romans, vol. 42, no 1, 2006.
-
[52]
Sur la réception du roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, voir surtout Pierre-Yves Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle. Étude de la réception de l’oeuvre, Genève, Droz, 1980.
-
[53]
Anne-Hélène Allirot, « La male royne boiteuse : Jeanne de Bourgogne », dans Anne-Hélène Allirot et al. (dir.), Royautés imaginaires (xiie-xvie siècles), Turnhout, Brepols, 2005, p. 119-133. Sur les rapports entre Jeanne de Bourgogne et Jean de Vignay, voir également Les traductions françaises des Otia Imperialia de Gervais de Tilbury par Jean d’Antioche et Jean de Vignay, édition de la troisième partie (éd. Cinzia Pignatelli et Dominique Gerner), Genève, Droz, coll. « Publications Romanes et Françaises », 2006, p. 100-102.
-
[54]
Claudine A. Chavannes-Mazel, « From amusement to ambition. The books of the first Valois queen Jeanne de Bourgogne and those of her predecessors », p. 22-23. Disponible en ligne : www.researchgate.net/publication/305108799_JEANNE_BOOKS_english-_not_in_print (Ce texte constitue la version en anglais, non publiée, du chapitre « De boeken van Jeanne de Bourgogne, koningin van Frankrijk (r. 1328-1349) » dans Johann-Christian Klamt et Kees Veelenturf (dir.), Representatie. Kunsthistorische bijdragen over vorst, staatsmacht en beeldende kunst, opgedragen aan Robert W. Scheller, Nijmegen, Valkhof Pers, 2004, p. 84-110) : « Si, pour les reines d’autrefois, les livres n’étaient qu’un passe-temps, ils servent plutôt le sens du devoir et les ambitions politiques de Jeanne de Bourgogne. Sa bibliothèque se veut le reflet de la descendance extraordinaire, sainte et glorieuse de la nouvelle maison royale française de Valois, et plus particulièrement la sienne. À côté de ce type d’ouvrage, on trouve aussi des textes de dévotion qui servent à souligner sa piété. » Nous traduisons.
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[55]
Voir Keith Busby, « Post-Chrétien Verse Romance. The Manuscript Context ».
-
[56]
Francis Gingras, « Décaper les vieux romans : voisinages corrosifs dans un manuscrit du xiiie siècle (Chantilly, Condé 472) », dans Francis Gingras et Ugo Dionne (dir.), op. cit., p. 37.
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[57]
Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, Paris, Seuil, coll. « Points », 1971, p. 10.
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[58]
La formule n’apparaît que dans W (fol. 3rb ; éd. H. Michelant, p. 17).
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[59]
Tzvetan Todorov, op. cit., p. 10.