Résumés
Résumé
Dans cette lettre écrite sur le vif, Hélène Cixous note quelques traits télégraphiques au sujet de l’ekphrasis, de ce que cette figure signifie pour elle tant dans sa pratique d’écriture que dans sa lecture des oeuvres d’art, que celles-ci soient littéraires ou picturales. L’art « appelle », dit-elle, à l’interprétation (musicale), il a « besoin d’être traduit dans son autre langue ». En art comme en littérature, l’oeuvre est « muette », « flot de paroles autour d’un certain silence ». Cixous évoque ainsi l’essentiel du regard, de l’échange entre « Regarder être regardé » qui se produit en elle : « Quand je regarde je suis absorbée, adoptée par le tableau », « je ne vois que là où ça me ressemble (je ne le découvre qu’après) ».
Abstract
In this impromptu letter, Hélène Cixous points out some of ekphrasis’s telegraphic features—its significance as a trope in her own writing as well as in her readings of various artworks, whether literary or painterly. Art, she argues, “calls” for (musical) interpretation; it “is to be translated in another, in its other language.” Artistically as well as literarily, the work is “mum”; it is a “flow of words around a given silence.” Cixous also alludes to the gaze’s essence, its exchange between “seeing and being seen” whenever it occurs within her: “When I look at the painting, I am absorbed, adopted by it,” “I cannot see unless it resembles me (I only discover it afterwards).”
Corps de l’article
Jeudi 11 Septembre 2014
[…]
Je me rends aux demipensées qui occupent tous les bancs de mon jardin intérieur et font de la résistance chaque fois que je leur dis : levez-vous ! On y va !
– Non ! Non ! marmonnent-elles. Onnyvapas ! Ça veut pas. Ça veut pas fabriquer une EKphrase de leurs Ekphrases.
Je les regardécoute et je dois me rendre à l’apparence : ce peuple réfractaire, ce sont elles-mêmes les EKphrases, celles qui me longent, doublent, accompagnent, mon choeur, choeur pour mes coeurs.
Tu as déjà deviné, avant même que j’aie dessiné cette adresse […] devant mon visage peint d’inquiétude, que je ne vais pas sureKphraser ma tribu d’EKphrases.
Et pour cause. Je (nous sommes nombreux et breuses sous ces deux lettres) n’ai jamais fait qu’EKphraser.
Je m’eKphrase chaque fois que je mets la plume c.à.d. la pointe du pied sur la
plage. Je tremble du froid-déjà, du froid qui m’attend, du froid qui tente de me faire fuir, je compte jusqu’à 3, un, deux, froid, et je ne me jette pas je reste comme endormie comme dehors, je compte encore jusqu’à 3, ou plutôt jusqu’à ce qu’un certain pas (tu sais, celui de J. D., celui d’ilyvad’uncertainpas) passe d’un instant à l’autre d’un pas à l’autre pas, et d’une gambade (quel mot hein ! faut qu’il soit sauf) nous voilà dedans le papier, comme un poisson dans l’eau – donc sans même y être entré/e. Poissons !J’eKphrase comme je respire, ça c’est de Montaigne que ça s’inspire. Chaque année je vais dans la Librerie, dans la tour, me retremper dans l’EKphrase ancestrale, l’UreKphrase. C’est apaisant, le temple. Tu ouvres le rouleau, tu entres dans le livre où tout est livre, tu as des étoiles sous les pieds, sous les bras, et le plafond du ciel déroule ses quarante-six volumes de voix sans âge.
Tiens : 46 dit en grec je n’arrête rien. Çamfaitpenser (comme dirait Ève ma mère) à « Continue » (comme dirait Derrida)
Je corolle : j’écris c. à. d. que je lis c. à. d. que je cultive les corollaires.
Toute « ma vie », ma « mavie » est un champ (marin ou terrestre) de corollaires. La nuit il y va du pas des rêves, troupeau d’EKphrases sauvages.
Ceci, qui galope sous mes pieds plumés, n’est pas une lettre, c’est une dérobade (tiens, encore un sauf mot), une EKphrase qui se tire.
En se taillant, elle laisse sur la p(l)age mouillée des sous-vêtements ou eK-shirts, preuve que quelqu’être, un eK-être, a pensé par là, sous forme de feuillets porteurs de germes de paragraphes (Proust dirait : graines)
Je t’envoie ces grumeaux en offrande humble, afin que tu puisses les réduire en cendres.
Dire qu’il y a trois mois que je bine ces sillons.
Il me vient à l’idée que peut-être toutes ces phrases que j’ai rafistolées pour nous exKcuser se sont unies pour me mener à ce mot merveilleux de biner, qui s’avère être un synonyme secret d’eKphraser. Je laisse le dictionnaire nous rafraîchir la mémoire.
J’ai biné et je bine les livres-papiers d’Alechinsky[1], d’Adel Abdessemed[2] (ils invoquent d’ailleurs sur papier, papier de Chine, ou papier canson)
J’ai commencé à biner dans les sillons de mon père, au jardin d’essai du Clos-Salembier. Quand je labourais et par là faisais corps avec le monde végétal, déjà je m’exerçais à horticultiver à la plume. Ce que font les artistes (peintres, sculpteurs, musiciens) quand il eKcréent à pleines mains.
Biner, ensuite semer
Je t’envoie les semences jetées à Arcachon. Un coup de Vent vint et me vola, en réalité, la page 3 ! ! !
Appui
Je m’appuie sur toi […]
Ce que fait un « tableau » (o–) : s’appuie sur le spectateur
Un livre : s’appuie sur « le lecteur » l’ecteur
→ – publier ne pas publier –
? ds Corollaire[3]
→ On écrit pour se faire – répondre ? 3 fois
1) je suis ma 1ère lectrice consolatrice.
2) l’écriture m’éclaire, me donne la parole.
Ne me donne pas sa parole
Me laisse espérer –
3) la lecture
Mystère absolu de la publication.
*
Cas de l’artiste[4] Cas particulier
→ le besoin de l’artiste d’être accompagné d’1 interprète
→ p.ê. m̂ chose qu’1 partition musicale ?
Besoin d’être traduite ds son autre langue
Art – appelle
→ Flot de paroles autour d’1 certain silence.
C. en littérature.
C’est qu’il y a le secret et ce n’est pas moi, c’est toi, lecture, qui vas p-ê me le révéler.
Mon secret.
→ Tjs ? de la faute (heureuse) → qu’est ce que j’ai fait là, mon Dieu !
→ m̂ les artistes les + réservés, les + ermites c. Hantaï[5], désirent passionémt le retour
D’ailleurs certains st insatiables (jamais assez regardés)
On a vitalt ce besoin du Regard. → cf. Stendhal Montesquieu × 2[6]
J. D. et moi.
(Maintenant que plus J. D. → qui ? –[7]
*
Regarder être regardé
→ Qd je regarde, je suis absorbée, adoptée par le tableau
→ Didi H 1 gd regardeur.
→ Qd je regarde → je ne vois que là où ça me ressemble (je ne le découvre qu’après)
je regarde ac mon moi)
*
que le livre aussi est « muet » c. 1 tableau, il ne sait pas ce qu’il dit.
Il ne sait m̂ pas comment il s’appelle.
*
Narcisse a besoin qu’Écho ait besoin qu’il ait besoin d’elle.
*
Le tableau me lit : me fouette, me pique, me chatouille
me propose l’énigme, la mienne
Si je ne suis pas émue, remuée, agie… Affectée
Rapport amoureux, érotiq–
Ressemblance → 1 des moi-s
→ c. Proust décrivant Albertine : objet esthétique (qd Albertine dort – trouver la dimension mythologiq–, le mythe)
→ Lecture : m̂ rapport au livre et à l’oeuvre : la diff = question de langue. Le tableau me parle ds sa langue → ce que j’en entends. On s’entend
(C. ac les chats : on s’entend entre langues dissemblables.)
Parties annexes
Note biographique
Née à Oran en Algérie, Hélène Cixous est l’auteure d’une soixantaine d’ouvrages touchant la littérature, la philosophie, la psychanalyse et les arts. Poète, essayiste, critique littéraire, dramaturge, auteure de nombreux textes sur l’art, elle a exploré tous les aspects de la création. Elle a contribué, dans la mouvance de Mai 68, à la fondation de l’Université expérimentale de Paris viii (Vincennes), de même, qu’en 1974, à celle du Centre de recherches en études féminines (qui devient en 2006 le Centre d’études féminines et d’études de genre), instituant ainsi le premier doctorat dans ce domaine. Avec Michel Foucault, elle crée le Groupe information-prison (gip) et travaille étroitement avec Jacques Derrida dans le cadre du Collège international de philosophie, où elle tient un séminaire depuis 1983. Auteure de théâtre, elle écrit pour le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine (L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, L’Indiade, ou l’Inde de leurs rêves, La Ville parjure, ou le Réveil des Érynies, Tambours sur la digue). L’art a toujours été au coeur de la pensée et de l’oeuvre de l’écrivain, tant dans son versant fictionnel qu’essayistique. Depuis les années 2000, elle a accompagné le travail de plusieurs artistes, parmi lesquels Simon Hantaï, Nancy Spero, Roni Horn, Pierre Alechinsky, Luc Tuymans, Andres Serrano et Adel Abdessemed. Un recueil de ses écrits sur l’art intitulé Peinetures a paru en 2010 aux Éditions Hermann. Son livre Homère est morte (Paris, Galilée, 2014) a reçu le prix Marguerite-Duras et l’ensemble de son oeuvre lui a valu le prestigieux Prix de la langue française en 2014.
Notes
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[1]
Cf. Hélène Cixous, Le Voyage de la racine alechinsky, Paris, Galilée, coll. « Écritures/Figures », 2012. (N. d. É.)
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[2]
Cf. Hélène Cixous, Ayaï ! Le cri de la littérature, Paris, Galilée, coll. « Lignes fictives », 2013 et Hélène Cixous et Adel Abdessemed, Insurrection de la poussière, suivi de A. A. et H. C., Correspondance, Paris, Galilée, coll. « Écritures/Figures », 2014. (N. d. É.)
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[3]
Cf. Hélène Cixous, Corollaires d’un voeu, à paraître aux Éditions Galilée en 2015. (N. d. É.)
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[4]
Il s’agit de l’artiste créateur d’oeuvre visuelle. (N. d. É.)
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[5]
Cf. Hélène Cixous, Le Tablier de Simon Hantaï. Annagrammes, suivi de H. C. et S. H., Lettres, Paris, Galilée, coll. « Écritures/Figures », 2005. (N. d. É.)
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[6]
Dans Vie de Henry Brulard, Stendhal consulte deux fois Montesquieu pour lui demander ce qu’il pense de lui. (N. d. É.)
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[7]
Le feuillet 3 est effectivement manquant et la parenthèse reste ouverte. (N. d. É.)