Résumés
Résumé
Le 7 janvier 1961, Claude Gauvreau s’adresse au chef du surréalisme pour tenter de faire le point sur des questions vitales pour lui. Comment le surréalisme peut-il encore justifier sa résistance farouche à l’endroit de l’art non figuratif, alors que l’expressionnisme abstrait de l’École de New York triomphe dans toutes les grandes capitales de l’art ? Le surréalisme peut-il se renouveler ? Par ailleurs, comment faut-il interpréter le fait que l’évolution personnelle de Borduas ait amené le peintre à la fin de sa vie à prendre ses distances avec le surréalisme et l’automatisme ? Convaincu que le surréalisme conduit logiquement en peinture à l’automatisme, Gauvreau s’emploie dans cette lettre à réhabiliter auprès de Breton l’apport pictural de Borduas et de Riopelle. Cependant, si l’automatisme représente toujours pour lui une « révolution morale indéracinable », celle-ci trouve son fondement véritable dans l’éthique surréaliste. Persuadé qu’une forme de régression morale mine le champ de l’art et la pensée plasticienne tout particulièrement, exhortant Breton à une ouverture et une vigilance accrues, Claude Gauvreau défend vigoureusement la révolution surréaliste, « mouvement qui a acquis une envergure incommensurable » et qui reste à ses yeux le seul courant de pensée susceptible de jeter quelque clarté sur les interrogations capitales au sujet de l’art et de la vie.
Abstract
On January 7, 1961, Claude Gauvreau wrote to the leader of the Surrealist movement to raise what he felt were vital questions. How could Surrealism still justify its fierce resistance to non-figurative art while the Abstract Expressionism of the School of New York was triumphing in all the major art capitals ? Could Surrealism undergo a renaissance ? And how do we interpret the fact that Borduas’ personal evolution at the end of his life saw him distance himself from the Surrealist and Automatist movements ? Convinced that Surrealism in painting logically leads to Automatism, Gauvreau sought in his letter to reconcile with Breton the pictorial importance of Borduas and Riopelle. But if Automatism still represented for him a profound moral revolution, this found its true basis in the Surrealist ethic. Feeling that a form of moral regression was eroding the arts, especially the spirit of the visual arts, Claude Gauvreau implored Breton for greater openness and vigilance, fervently defending the Surrealist revolution as a movement that had gained “immeasurable importance”, that he saw as the only perspective able to illuminate the monumental questions of art and life.
Corps de l’article
Le non-figuratif révolutionnaire
Lorsque Claude Gauvreau écrit le 7 janvier 1961 à André Breton, le mouvement automatiste n’est plus. Poète et dramaturge, libertaire et moniste, il est l’auteur d’une oeuvre avant-gardiste encore largement méconnue. Des textes pleinement achevés comme Les entrailles, Étal mixte, Le vampire et la nymphomane, Beauté baroque, L’asile de la pureté, La charge de l’orignal épormyable, le Rose Enfer des animaux sont toujours inédits et certaines de ses pièces ont même été déclarées ouvertement « injouable[s][1] ». On pourrait croire, alors que se manifestent au Québec les premiers signes d’ouverture de la Révolution tranquille, que sa situation, comme celle de la plupart des acteurs de l’aventure automatiste, va bientôt s’améliorer. Le manifeste Refus global, tombé dans l’oubli depuis 1948, ne vient-il pas d’être réédité dans la Revue socialiste ? De plus, jugées récemment encore irrecevables et même subversives, les idées de l’égrégore automatiste visant à « renouveler les fondements de notre sensibilité[2] » ne trouvent-elles pas un écho de plus en plus enthousiaste auprès d’une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels ?
Pourtant, jamais la situation personnelle de Gauvreau n’a été plus précaire. Au début de 1960, Borduas meurt subitement à Paris. Déjà, l’année précédente, une mésentente subite avec le peintre en exil à Paris l’a plongé, de son propre aveu, dans « une profonde dépression[3] ». Le 4 septembre suivant survient la disparition de sa mère, Julienne Saint-Mars Gauvreau, qui, depuis le début, a soutenu sa carrière d’écrivain. Isolé, malgré l’aide de son frère Pierre, disposant dorénavant de peu de ressources pécuniaires et interné pour une longue période à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, Claude Gauvreau traverse alors « la période la plus noire de [s]a vie[4] ». C’est à cette époque qu’il rédige ses Poèmes de détention dans lesquels il dénonce avec virulence sa vie de « concentrationnaire ». C’est aussi durant cette période difficile qu’il écrit la longue lettre à André Breton que nous éditons ici[5]. Comme lors de maints échanges dans le passé sur les tribunes publiques, Gauvreau cherche à dégager, dans la plus grande objectivité possible, les principes sur lesquels prend appui l’automatisme et à étendre auprès de Breton l’influence de l’égrégore automatiste. Avant de présenter ce document unique, qui élargit notre compréhension des relations entre l’automatisme et le surréalisme, je voudrais rappeler certains jalons essentiels du rapport de Claude Gauvreau à André Breton.
Le père de Nadja
Même s’il connaît depuis la fin de son adolescence l’importance d’André Breton, Claude Gauvreau a mis plusieurs années à s’intéresser aux écrits du chef de file du surréalisme[6]. Le poète, si prompt à la discussion, est d’ailleurs resté un peu à l’écart en 1947 et 1948 des débats souvent orageux que suscite au sein du groupe automatiste l’évolution récente du surréalisme. À cette époque, pour Borduas et Fernand Leduc[7] notamment, il est devenu évident que ce courant de pensée est historiquement daté et que, s’il a exercé, durant la période de l’entre-deux-guerres, une influence de tout premier plan, il appartient désormais à un passé révolu. En mars 1948, reprenant à Borduas des expressions tirées du manifeste Refus global (encore inédit à cette époque), Fernand Leduc écrit à Breton pour dénoncer l’attitude opportuniste du surréalisme qui l’a amené à considérer les qualités accessoires de l’oeuvre d’art au détriment de « sa puissance dynamique révolutionnaire interne[8] ». La lettre de Leduc soulève l’ire de Breton, qui rompt aussitôt avec lui. Ce geste d’affirmation de Leduc n’est pas étranger à la publication, quelques mois plus tard, dans le manifeste Refus global, du texte « En regard du surréalisme actuel » dans lequel le chef du mouvement automatiste exprime publiquement des divergences de vue à l’endroit du surréalisme. À la suite du malaise que provoque son geste et qui suscite un différend profond au sein du groupe entre Borduas et ceux qu’il qualifie de « grands frères », le poète prend spontanément la part de Borduas, tout en cherchant à réunir les deux factions :
Mais le mal était fait ; il se dessina pour un temps deux ailes à l’intérieur de l’automatisme : les grands frères, Pierre Gauvreau, Riopelle et Perron, tendirent à se grouper ensemble ; tandis que les plus jeunes, Mousseau, Barbeau et moi, restèrent fidèles à Borduas. Cependant, je maintenais des contacts constants avec Riopelle et j’essayais de rétablir l’unité. Je suggérai à Pierre et Riopelle d’inclure leur critique dans le manifeste, mais ils ne le voulurent pas… sans doute pour ne pas briser l’homogénéité du geste collectif[9].
Il faut attendre l’année 1949 pour voir Claude Gauvreau se mettre « à lire massivement les ouvrages pré-surréalistes et surréalistes[10] ». Il a confié, dans « L’épopée automatiste vue par un cyclope », les circonstances peu favorables de son initiation à la pensée de Breton :
C’est par Leduc surtout que le sujet du surréalisme vint à ma connaissance ; hélas pour moi, Leduc était tout entier pris par l’esprit de censure inhérent au deuxième manifeste du surréalisme et, plus âgé que nous, il nous traitait sur un ton assez cavalier. Franchement, quand il abordait son sujet, Fernand me faisait penser à un père préfet sentencieux et grondeur. Cette attitude m’enlevait personnellement toute envie d’en connaître plus long sur le surréalisme et me rendait Breton très rébarbatif[11].
S’il se permet désormais en privé de critiquer Fernand Leduc, Claude Gauvreau ne questionne pas encore ouvertement le rapport de Borduas à Breton[12]. La nécessité d’amener le maître de Saint-Hilaire à clarifier sa pensée au sujet de l’auteur de L’amour fou et d’autres aspects de l’oeuvre de Breton s’imposera à lui avec force quelques années plus tard. De façon plus immédiate, ce sont les expériences d’écriture surréalistes qui retiennent alors son attention :
En quelques années, je fis (parfois avec effroi) toutes les expériences analogues à celles des grands poètes du xxe siècle — et, ces poètes, je ne les connaissais pas alors. Lorsque j’entrai en contact avec eux finalement, par les livres, leur révélation fut pour moi une bien merveilleuse et bien réconfortante confirmation. Oui, tous ces grands écrivains prophétiques de la lignée surréaliste : Lautréamont, Alfred Jarry, Jacques Vaché, André Breton, Arthur Cravan, Antonin Artaud, Aimé Césaire et combien d’autres[13] !…
Plus jeune, tout en cherchant à se couper de toute influence directe pour préserver son indépendance intellectuelle, Claude Gauvreau a néanmoins expérimenté diverses formes d’écriture automatique. Sa lecture des grands textes surréalistes, à vingt-quatre ans, marque cette fois un changement significatif à l’endroit de Breton. Ainsi, dans une lettre à Borduas, Gauvreau, dans un geste non dénué de cran, inscrit le nom de Breton comme ultime maillon de la chaîne des grands réformateurs modernes : « Nous sommes Descartes-Voltaire-Sade-Delacroix-Beethoven-Cézanne-Debussy-Lautréamont-Jarry-Artaud-Tzara-Picasso-Klee-Mondrian-Stravinsky-Breton, tout ça à la fois[14]. »
Dix-sept lettres à un fantôme
À cette époque, c’est toutefois dans la correspondance échangée avec son « fantôme », Jean-Claude Dussault, que l’on peut le mieux mesurer la place grandissante accordée par le poète aux écrits et à la pensée de Breton. Le surréalisme et son rayonnement de plus en plus large au plan international représentent en effet pour lui une référence pouvant encore servir de caution morale pour faire mieux entendre et accepter l’action des artistes surrationnels de Montréal :
Je puis ajouter ici que, si nous n’étions pas plongés dans l’ambiance d’une sensibilité collective en voie de dissolution, si nous ne vivions pas à une phase à peu près ultime de décomposition de la civilisation chrétienne, nous aurions peut-être moins besoin des modèles positifs (tels Apollinaire, Breton et Artaud) qui nous empêchent de nous résigner à la décadence générale[15].
Fait à remarquer, Nadja et L’amour fou[16] sont alors en vente libre dans la métropole et Claude Gauvreau en recommande chaudement la lecture à Dussault. Il se montre toutefois plus réservé à l’endroit d’Arcane 17 et du Surréalisme et la peinture[17], des ouvrages qui comportent selon lui des passages prêtant plus facilement le flanc à la critique. Mais ces occasions de prendre Breton en défaut sont rares. L’initiateur du surréalisme est, à ses yeux, un « penseur prophétique[18] ». À plusieurs occasions, Gauvreau loue le sens critique exceptionnel de Breton qui reste pour lui presque sans failles[19]. « Ce que le surréalisme apporte — et qu’il est le seul à apporter — explique-t-il à Dussault, ce sont les fondements d’une nouvelle sensibilité collective[20] », une idée que les automatistes exposeront à leur tour dans Refus global. Claude Gauvreau admire particulièrement la qualité d’attention portée par Breton à la vie inconsciente et aux mécanismes très fins de la pensée. Plus tard, il expliquera en effet que, « dans cette marche vers l’intérieur, aucun homme n’a su, plus qu’André Breton, attirer l’attention sur des sols vierges infiniment précieux à connaître ; et aucun homme n’a su, mieux que lui, maîtriser le génie de rendre palpables des nuances de perception apparemment intraduisibles[21] ». Ainsi, pour déjouer les calculs nuisibles de la pensée cartésienne et se livrer à l’exploration du vaste « continent intérieur », Breton a souvent eu recours dans le passé à la projection, comme le fait remarquer avec raison Gauvreau :
Breton est une personnalité fort différente de Mabille, et qui vous apportera autre chose que Mabille. Là où Mabille raisonne et analyse, Breton utilise constamment la projection.
Même dans ses écrits théoriques, qui sont nombreux, Breton s’exprime par projection. Il transmet ainsi des nuances, inaccessibles aux plus dialecticiens.
Les esprits rationnels ne peuvent souffrir Breton ; les esprits surrationnels, par contre, lui sont d’une reconnaissance inépuisable[22].
Tout en reconnaissant la largeur de vue de Breton, Claude Gauvreau a toutefois acquis la conviction que l’automatisme montréalais, par sa critique de la notion d’intention, dont il s’est entièrement affranchi, se situe cependant nettement au-delà du surréalisme :
Je sais fort bien que, dans la pensée de Breton, il n’est pas nécessaire que le « modèle » soit délibéré ni conscient pour être responsable de l’oeuvre, mais il n’en est pas moins vrai que Breton a tendance à confondre deux réalités distinctes : le moteur de l’acte et le résultat de l’acte, c’est-à-dire l’objet[23].
Dans son apologie Projections libérantes, parue en 1949, Borduas a en effet clairement formulé que « la conséquence est plus importante que le but[24] », un énoncé auquel Gauvreau donnera par la suite un large écho dans ses écrits. De plus, plusieurs des arguments mis de l’avant par Breton et les surréalistes ont perdu avec les années une bonne part de leur tranchant :
Il n’y a pas de doute dans mon esprit que l’attitude de Breton en la circonstance et l’attitude surréaliste en général, en ce qui concerne la critique des oeuvres, soient nettement retardataires sur la position automatiste surrationnelle, celle illustrée dans Projections libérantes par exemple. Le contenu manifeste — critère inventé par les surrationnels — me semble être un point de contact infiniment plus permanent et progressif que les vieux critères très relatifs et terriblement faillibles de l’apport à la connaissance et de l’intention révolutionnaire[25].
Ainsi, pour Claude Gauvreau, il est certain que « [l]a révolution surréaliste mène logiquement en peinture à l’automatisme[26] ». Aussi s’applique-t-il à démontrer comment, dans le domaine de l’art, et plus particulièrement celui de la peinture, leurs approches du médium divergent considérablement, non seulement quant aux moyens employés lors de la conception et la réalisation de l’oeuvre peinte sur le subjectile, mais aussi quant à la nature même du monde intérieur qu’elles ont pour visée de représenter :
En peinture, les tentatives surréalistes déterminèrent une profonde révolution. En général, cependant, cette peinture se borna à peindre réalistement des paysages de la vie inconsciente. Les éléments peints provenaient du libre jeu de l’inconscient — et c’était là que résidait leur initiative — mais l’exécution picturale de ces éléments suivait d’un assez long temps leur conception. Autrement dit : il y avait rupture entre la conception et l’exécution. L’inspiration d’origine inconsciente surgissait en éclair, mais les éléments révélés étaient ensuite exécutés de mémoire, patiemment, après coup, comme s’il se fût agi d’un objet du monde ordinaire[27].
Dans ses échanges avec Jean-Claude Dussault, Gauvreau aborde aussi la notion de « beauté convulsive ». C’est un point nodal de la pensée de Breton, qui fera ultérieurement, avec la définition de l’amour fou et de la femme-enfant, l’objet de longues discussions avec Borduas :
Vous m’interrogez sur la beauté convulsive. Je crois que, pour Breton, la beauté convulsive est le qualificatif par lequel il désigne tout contenu manifeste à caractère surréaliste.
La critique de Breton couvre ainsi un vaste terrain — mais un terrain qui n’est pas aussi vaste que celui couvert par la critique surrationnelle.
Le jugement de Breton englobe toute l’authenticité surréaliste imaginable, mais il se limite à elle. La critique surrationnelle ne se limite à aucune authenticité spécifique[28].
Le Cercle du livre de France
Après Fernand Leduc et le poète Rémi-Paul Forgues[29], c’est au tour de Claude Gauvreau de prendre l’initiative d’écrire à André Breton. Cette occasion se présente peu de temps après la fin de la rédaction de son roman Beauté baroque soumis par Gauvreau au prix du Cercle du livre de France ; Borduas est aussitôt informé de cette démarche : « Personnellement, j’ai écrit à Breton au sujet de mon texte Beauté baroque (qui est inscrit au CLF)[30]. » À ce jour, l’existence de cette lettre à André Breton[31] n’est toutefois pas attestée et diverses hypothèses peuvent ici être avancées à titre d’explication : sollicitant l’appui de Breton, il est possible d’envisager que Claude Gauvreau ait un temps considéré l’idée de lui soumettre le manuscrit de Beauté baroque — il établit lui-même une nette corrélation entre sa muse, Muriel Guilbaut, et le personnage de Nadja[32]. Peut-être espérait-il trouver, grâce à l’appui de Breton, qui avait soutenu dans le passé Riopelle[33], l’occasion d’une publication en France. Un second témoignage plus tardif semble suggérer que cette décision est restée à l’état de projet, Gauvreau s’étant plutôt résolu à suivre l’avis de Fernande Saint-Martin :
Je me souviens que Mousseau me conseilla d’envoyer le roman à André Breton, car c’était « trop fort pour le Cercle ». Fernande, elle, me conseilla d’inscrire Beauté baroque au concours du Cercle. On a beau être troublé, on suit toujours ses désirs fonciers. Le conseil de Fernande allait tellement selon mon penchant secret que je le suivis. Naturellement, c’est le vieux Mousseau qui avait raison[34].
Le roman de Claude Gauvreau, Beauté baroque, n’a pas obtenu, en 1953, le prix convoité et est resté inédit jusqu’à sa publication dans les Oeuvres créatrices complètes en 1977. L’échec essuyé auprès du jury du Cercle du livre de France ne semble pas avoir miné la résolution de l’écrivain d’écrire à Breton. Gauvreau choisit alors une autre voie et forme le projet de lui soumettre un texte de fiction qui lui serait directement adressé. Présenté en effet sous la forme d’une lettre, celui-ci relate divers épisodes de la longue amnésie qu’il a récemment traversée et dont les effets ne sont peut-être pas très éloignés des expérimentations psychiques des surréalistes[35]. Le 30 juillet 1953, comme c’est souvent l’habitude entre eux, Borduas est de nouveau renseigné sur ses projets d’écriture : « J’ai l’intention, d’ici octobre, d’écrire quelques sketches radiophoniques, une autre pièce de théâtre — et une “Lettre à André Breton[36]” où seraient narrées et commentées mes expériences psychiques de la saison dernière[37]. » De nouveau, le 14 septembre 1953, Borduas est mis au fait de ses intentions quant à ce projet : « Puis ce sera ma Lettre à André Breton — récit détaillé de mon expérience psychique (février-juin). Ensuite, je rentrerai à Montréal pour l’hiver[38]. » Même si cette « Lettre à André Breton » n’a pas été retrouvée, il y a tout lieu de penser que Claude Gauvreau envisageait alors de mener à terme le livre difficilement entrepris durant l’amnésie qui l’a frappé en février-juin 1953 et auquel il a choisi par la suite de donner le titre Ni ho ni bât[39]. Rien toutefois ne permet de croire que le récit de cette « expérience psychique » fut communiqué à André Breton.
Les échanges Gauvreau-Borduas
En 1954, Borduas est installé à New York. Claude Gauvreau, qui a eu vent de sa passion naissante pour une connaissance montréalaise, Rachel Laforest, profite de l’occasion pour l’interroger à nouveau sur Breton et sa conception de l’amour fou :
Vous-même, cher Borduas, avez parfois tendance (il me semble) à rejeter violemment ce que vous ne pouvez assimiler dans l’immédiat. Exemple : votre rejet d’Arcane 17 à une époque où les contraintes familiales vous interdisaient de songer personnellement à l’amour fou… aujourd’hui, seriez-vous aussi violent dans votre rejet[40] ?
Parmi les auteurs qu’il lit avec intérêt à cette époque, Claude Gauvreau mentionne les noms de Camus, de Sartre, d’Abellio et de Marx : pourtant, « la seule pensée profondément prophétique m’apparaît toujours celle de Breton ; une partie de la pensée de Breton[41] », écrit-il. En comparaison des autres écrivains, l’ampleur des vues de Breton reste à ses yeux insurpassée. Breton possède en effet le don de décrire les états de réalité les plus subtils : « En Breton, j’admire le poète. Le poète non pas en tant qu’il écrit de la poésie : il est inférieur à bien d’autres en cela. Le poète en tant qu’il pense. Le poète en tant qu’il a l’intuition de rendre accessibles d’impondérables nuances de réalité, des nuances intangibles à la notion catégorique[42]. »
À la fin de l’année 1955, l’état de santé de Claude Gauvreau se détériore de nouveau. Il est désormais hanté par des idées de suicide[43]. En juin 1956, à la suite d’une altercation avec une serveuse au restaurant La Hutte suisse, il est conduit à la prison de Bordeaux, puis à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu. C’est le début d’une période d’internement particulièrement éprouvante qui ne prendra fin qu’en juillet 1957. C’est dans ce contexte difficile que s’inscrit sa première lettre à André Breton.
Claude Gauvreau, surréaliste épictéléen[44]
La première lettre attestée de Claude Gauvreau à André Breton porte la date du 18 août 1956. Claude Gauvreau transmet un court billet à André Breton et accompagne celui-ci d’un échange de lettres apte à lui faire mieux comprendre, affirme-t-il, « les difficultés qu’ont eu à subir et à surmonter les surréalistes automatistes du Canada depuis quelques années[45] ». À ce mot sont aussi joints quelques échanges de lettres entre Gauvreau lui-même, le réalisateur Louis-Georges Carrier et Roger Rolland, directeur régional des programmes à la Société Radio-Canada[46]. On y trouve surtout exposées les difficultés récentes de Gauvreau avec le milieu télévisuel naissant de Montréal. Dans son billet, Gauvreau rappelle aussi de façon abrupte les circonstances du suicide de Muriel Guilbault, l’incinération de ses restes et l’inhumation de ses cendres au cimetière d’enfants[47] à la Pointe-aux-Trembles. On peut facilement imaginer l’étonnement de Breton à la réception d’un tel envoi.
Des renseignements fournis par Claude Gauvreau dans une lettre subséquente à Borduas montrent que les conditions globales de son existence sont devenues insupportables et qu’il est fermement résolu à se suicider en se jetant du toit de l’édifice qu’il habite[48]. Quelques semaines auparavant, en proie au délire, Gauvreau, sous prétexte qu’il est un « attentif lecteur de ses livres », a déjà sollicité par écrit à New York l’aide de l’auteur de la populaire série policière Perry Mason, Earle Stanley Gardner : « What can you do for me ? », demande Gauvreau à la fin de sa lettre. Malgré la perte de lucidité qui l’affecte, on trouve dans cet appel une marque d’estime qui montre que Breton reste bien présent à son esprit : « Pour moi, l’homme le plus lucide du 20e siècle n’est pas Winston Churchill ou Dwight Eisenhower, il est André Breton[49]. » Or quelle était cette fois l’intention de Gauvreau en faisant parvenir cet ensemble de lettres à Breton ? Peut-être une partie de la réponse à cette question se trouve-t-elle dans cette confidence, livrée deux ans plus tard à Borduas :
J’espérais qu’on pût tenter en ma faveur quelque chose ayant l’envergure et la force morale de ce que Breton tenta en faveur de Freud sous la menace nazie (cf. Trajectoires du rêve).
Je m’adressai à un homme d’action, par le moyen d’un code perceptible par la finesse psychologique[50].
Dans Trajectoires du rêve, paru dans la revue GLM, André Breton s’était en effet élevé en 1938 contre la menace d’arrestation de Freud par les nazis. Il est très possible que Claude Gauvreau ait recherché à cette occasion — d’une façon bien contournée, il faut le dire, mais peut-être aussi pour déjouer la censure qu’il dit exercée sur lui par les autorités de Saint-Jean-de-Dieu[51] — le soutien de l’homme d’action qu’il voit en Breton. « Fin psychologue », Breton ne peut selon lui manquer de déduire qu’il envisage le suicide[52] et qu’il peut le sauver en posant les gestes nécessaires à son élargissement de Saint-Jean-de-Dieu. André Breton n’a pas répondu à son appel et c’est en réalité grâce aux efforts et aux encouragements de son frère Pierre — que Claude Gauvreau critique par ailleurs de façon arbitraire — que « les idées de mort se dissip[e]nt graduellement[53] ». Claude Gauvreau se remet peu à peu à travailler et retrouve pour un temps la liberté.
Les derniers échanges avec Borduas
Dans le passé, Claude Gauvreau a abondamment questionné Borduas sur le nouveau rôle joué par l’École de New York dans le champ de l’art contemporain. Placée sous l’influence de l’abstraction géométrisante de Mondrian (une étape qui se limite aux considérations purement formelles et qui ne déborde pas le champ de l’art), l’avant-garde new-yorkaise reste pour Claude Gauvreau en deçà du surréalisme, lui dont « l’accent est définitivement placé sur l’exploration du monde intérieur de l’homme[54] ». L’évolution personnelle de Borduas, ses nouvelles allégeances américaines l’ont conduit à prendre ses distances non seulement avec l’acquis permanent[55] que représente dorénavant pour lui le surréalisme, mais aussi avec l’automatisme. Dans l’attachement de Gauvreau à la cause automatiste, que celui-ci lui a déjà présentée dans le passé comme « une révolution morale indéracinable[56] », Borduas perçoit même une sorte de fixation qu’il tente de secouer. Cependant, grâce aux demandes de Gauvreau, Borduas approfondit ces questions dans une série de lettres où il situe une dernière fois son rapport au surréalisme : « Le surréalisme, l’automatisme ont pour moi un sens historique précis. J’en suis maintenant très loin. Ils furent des étapes que j’ai dû franchir[57]. » Dans la première version de cette lettre, non envoyée à Claude Gauvreau et datée du 19 janvier 1959, Borduas exprime le fond de sa pensée sur cette question :
Non, je ne vous ferai pas encore une fois l’apologie du surréalisme. Vous savez la reconnaissance que je lui garde pour ce qu’il m’a donné jusqu’en 1948. Après ce fut la rupture irrémédiable. Plus fidèle, vous ne cessez de l’actualiser. Vous êtes le seul « surréaliste » qui m’intéresse. Sans doute parce que vous êtes loin de Breton et de ses amis. Pour vous c’est une question de rythme, d’abondance, de « terreur » comme l’on dit ici. Pour eux c’est toute une série d’attitudes figées dans le refus de reconnaître la marche du temps, l’évolution de la mécanique, les acquis de l’art pictural (en particulier de l’école de New York). Ils flattent une multitude de sujets qui m’emmerdent et ils vomissent sur ceux qui permettent ma foi en un avenir meilleur[58].
Deux jours plus tard, ce passage a été entièrement réécrit ; sans le dénaturer, Borduas a considérablement atténué le ton acerbe de son propos :
Le surréalisme (comme toute école) exprime un moment de l’aventure spirituelle de l’homme épousant, au moyen de formes nouvelles, enthousiasmantes et fraîches, certaines valeurs poétiques ainsi renouvelées. Surréalisme veut dire, avant 1950, à la fois l’expression précise et adéquate et la découverte (ou la défense) de ces valeurs morales. Après 50, le surréalisme ne veut plus dire qu’un académisme formel désagréable. La forme contient le fond. Quand elle se fane, se fige, le fond fait de même. (Goya reste merveilleusement émouvant. Pourtant nous sommes loin de sa figuration, de son contexte. N’en est-il pas ainsi des textes que vous citez[59] ?)
Dans cet échange de lettres, il est intéressant d’observer que Gauvreau, en tant que « surréaliste », intéresse Borduas dans la mesure où il reste loin « de Breton et de ses amis ». De plus, il est aussi significatif que, lors du premier anniversaire de la mort de Borduas, Claude Gauvreau, avec joie et « en pesant attentivement l’importance de l’acte[60] », accepte de « livrer publiquement une partie de la pensée privée de Borduas[61] » :
Est-il besoin de préciser que cette correspondance n’était pas unilatérale et que les opinions du grand peintre étaient discutées avec leur auteur parfois longuement ? Au sujet de cette lettre de 1954, je me souviens avoir contesté l’interprétation de Borduas de la pensée de Breton ; je me souviens aussi avoir utilisé les exemples du facteur Cheval et d’André Derain pour prouver que la qualité de leur objet influait sur la qualité de l’émoi ressenti. D’autres petites mises au point m’apparurent aussi nécessaires[62].
Dans ses derniers échanges avec Borduas, Gauvreau cite de concert des passages des manifestes surréalistes et du Refus global : « Ces phrases me semblaient et me semblent des éléments éthiques d’une pensée révolutionnaire qui sont loin d’avoir épuisé leur actualité[63]. » Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si, après la disparition de Borduas (« le seul homme indiscutablement supérieur que j’aie rencontré dans ma vie[64] »), au moment même où paraît dans la revue Liberté la lettre du 25 septembre 1954 dans laquelle Borduas discute avec passion d’Arcane 17, de L’amour fou et du « rôle “rédempteur” de la “femme-enfant”[65] », Claude Gauvreau se tourne à nouveau vers Breton.
La lettre du 7 janvier 1961 à André Breton
L’internement de Claude Gauvreau à Saint-Jean-de-Dieu ne lui interdit pas d’effectuer, lorsque son état le permet, des sorties hors de l’hôpital[66]. Lorsqu’il rédige cette lettre à André Breton, le poète exploréen n’ignore sans doute pas qu’il est sur le point de recevoir son congé de Saint-Jean-de-Dieu[67].
Dès ses premiers mots à Breton, sans faire allusion directement à son appel souffrant de 1956, Claude Gauvreau souligne qu’il a été plus d’une fois contraint à un « isolement forcé », un retrait involontaire sur lequel il revient plus loin dans sa lettre et qu’il impute en partie à la situation géographique éloignée du Canada. Il engage aussitôt la discussion avec Breton sur deux courts textes parus dans la revue Le surréalisme, même, s’excusant d’en avoir pris connaissance avec un peu de retard. Gauvreau s’y montre d’abord en accord avec la dénonciation du stalinisme en octobre 1956 par Benjamin Péret dans « Est-ce l’aube ? », texte qui répond toujours selon lui, à la suite des violents soulèvements ouvriers en Pologne et en Allemagne de l’Est, à une « vieille nécessité », soit l’écroulement du système tyrannique mis en place par le régime soviétique contre le prolétariat international.
De façon plus audacieuse, Gauvreau attire ensuite l’attention de Breton sur une virulente critique du surréaliste José Pierre. Cette diatribe contre l’artiste Georges Mathieu, parue en 1959 dans le cinquième numéro de la revue Le surréalisme, même, laisse encore place, selon lui, à la discussion. Avec une liberté de ton qui frôle parfois la témérité, Gauvreau semble vouloir amener Breton à admettre le rôle déterminant joué par l’abstraction lyrique, un courant d’avant-garde auquel appartient Riopelle et dont Georges Mathieu est l’une des figures les plus représentatives. Peut-être Gauvreau, en ce début de l’année 1961, croit-il être en mesure de fléchir Breton en raison du succès remporté par les expressionnistes abstraits, l’École de New York ayant alors définitivement assuré son hégémonie sur le monde de l’art et supplanté Paris comme capitale du monde artistique.
Il reste néanmoins étonnant de voir Gauvreau ainsi recourir à l’exemple de l’artiste Georges Mathieu. Présenté en effet par José Pierre comme « l’indiscutable promoteur de ce “tachisme” réactionnaire[68] » et le « commis-voyageur de l’absolutisme et de l’orthodoxie[69] », Mathieu, au regard des surréalistes, s’est irrécusablement compromis, en mai 1958, avec l’Église catholique et l’extrême droite en commémorant le 840e anniversaire de la Fondation de l’Ordre des Templiers. Perçue comme avant-gardiste en Europe et ailleurs dans le monde, la peinture gestuelle de Mathieu relève pour Gauvreau d’une forme d’automatisme psychique qu’il considère depuis longtemps dépassée par l’automatisme surrationnel canadien. Mais Claude Gauvreau semble déterminé à faire entendre à Breton que le surréalisme ne saurait être un « agglomérat de conceptualisations fixes[70] » et que si le surréalisme espère « rester vivant », il doit accepter d’évoluer. D’un même souffle, il n’oublie pas de rappeler à Breton que c’est l’idée même d’automatisme[71], largement propagée à l’origine par le surréalisme, qui a permis l’éclosion des divers courants lyriques abstraits à travers le monde.
Gauvreau oriente ensuite la discussion vers un sujet plus litigieux encore, en insistant sur le fait que, dans le passé, certaines pensées de droite ou d’extrême droite ont été « capables d’une authenticité expressive assez belle[72] ». Il cite à cet égard les exemples fournis par certaines oeuvres futuristes de Marinetti, Severini, Boccioni et Balla qui, bien qu’elles soient nées du fascisme, conservent, dit-il non sans esprit de provocation, « une fraîcheur et une vigueur qu’on ne peut qu’admirer[73] ». Plus loin, non sans ruse, il évoque aussi l’artiste Giorgio De Chirico, célébré par les surréalistes durant sa période « métaphysique » des années 1910-1920 puis condamné par le groupe en 1928 : « une barbe lui a poussé au front… une sale vieille barbe de renégat[74] », écrit Queneau. Or par un retournement de situation qui n’a pas échappé à Gauvreau, on trouve au printemps 1957, dans le deuxième numéro de la revue Le surréalisme, même que dirige Breton, un article favorable à De Chirico sous la plume de José Pierre… N’est-ce pas la preuve que le surréalisme peut évoluer ?
Dans son analyse de la situation politique, Claude Gauvreau se montre en revanche plus critique vis-à-vis de l’extrême gauche, celle des situationnistes, et de Guy Debord tout particulièrement. Si les prétentions de ce mouvement en émergence ne représentent qu’une nouvelle tentative de la gauche pour faire avaler les conceptions fonctionnalistes et les formes artistiques moribondes de « l’indigestible “réalisme socialiste”[75] », « il serait la plus incroyable tartufferie pendable de ces dernières années[76] ». Il peut certes paraître singulier de voir ainsi Claude Gauvreau préférer l’extrême droite à l’extrême gauche, sous prétexte que la première adopte une conduite plus franche : « Avec ceux de droite, nous savons toujours à quoi nous en tenir : il n’y a pas d’équivoque au sujet de ce qu’ils sont. Le stalino-soviétisme n’a pas cette franchise[77] ». Il est hautement probable que l’argument invoqué répond à une exigence de nature rhétorique et que cette assertion doit être mise en rapport avec une de ses préoccupations essentielles du moment. Alors qu’il écrit ces lignes à André Breton, Claude Gauvreau cherche en effet à ressusciter une affaire avec des éléments d’extrême gauche qui a entaché son honneur en 1954 lors de l’exposition La matière chante et s’emploie non sans difficulté à faire paraître « Aragonie et surrationnel[78] », une riposte adressée au romancier et journaliste communiste Pierre Gélinas. En raison de la disparition soudaine de L’autorité du peuple, cette réplique n’avait pu être publiée à l’époque dans les pages de l’hebdomadaire et Gauvreau y avait même flairé un cas de censure. Au printemps de 1961, sa persévérance est récompensée et le texte paraît intégralement dans La revue socialiste[79].
Surréalisme et automatisme
La seconde partie de la lettre de Gauvreau à Breton porte de façon plus directe sur les rapports entre l’automatisme québécois et le surréalisme. L’apport de Borduas et Riopelle lui paraît bien évidemment plus essentiel que celui de Mathieu. Claude Gauvreau commence par faire état d’un texte de Breton écrit contre le surréalisme nord-américain ; son information étant, dit-il, partielle, sinon fausse, il invite Breton à lui faire part de ses réserves à ce sujet, ce qui tend à accréditer l’hypothèse qu’il souhaite inciter Breton à s’engager avec lui dans un échange épistolaire semblable à celui qu’il a pratiqué avec Borduas. « Je ne demande qu’à être renseigné[80] », écrit de nouveau Gauvreau à la fin de la lettre. C’est une invitation à laquelle Breton, cette fois encore, fera la sourde oreille.
Cette lettre de Gauvreau à Breton se fait pourtant particulièrement intéressante en ce qu’elle aborde des questions fondamentales relatives aux rapports restés tendus au cours des ans entre automatisme et surréalisme. Dans cet envoi à Breton, la pensée de Gauvreau se présente aussi sous un jour un peu différent et la lettre permet de réinterpréter certains de ses échanges antérieurs avec Borduas. Dans une certaine mesure, on n’aurait pas tort de supposer que Borduas y figure même à titre de tiers inclus, de destinataire secret ou de « fantôme », et que cette lettre ne fait que prolonger, à travers la figure de Breton, le dialogue interrompu avec lui.
De toute évidence, Claude Gauvreau a formé le dessein de faire valoir auprès de Breton « l’apport pictural gigantesque[81] » de Borduas et, dans une moindre mesure, celui de Riopelle. Toutefois, dans le passé, certains jugements émis par le maître de Saint-Hilaire sur le surréalisme l’ont laissé insatisfait. Aussi, tout en exposant de manière franche à Breton quelques-unes des réserves exprimées par Borduas sur le surréalisme, Gauvreau ne manque pas de lui faire part des divergences de vues significatives avec ce dernier. Ainsi, sur l’originalité de l’expressionnisme-abstrait américain, Gauvreau manifeste son désaccord avec Borduas, en raison de la présence lors de la première exposition surréaliste aux États-Unis des artistes Robert Motherwell et William Baziotes. En termes clairs, dans une affirmation qui ne peut cette fois manquer de plaire à Breton, l’expressionnisme abstrait, au plan strict des faits et de la vérité historique, selon Gauvreau, ne serait pas aussi « dégagé du surréalisme[82] » que l’affirme Borduas. Dans une autre proposition révélatrice où sa pensée se démarque fortement de celle de Borduas, Gauvreau laisse entendre qu’il est disposé à accorder à l’automatisme l’universalité que Borduas prête d’emblée aux expressionnistes-abstraits et ajoute que, contrairement à lui, il n’aurait pas éprouvé de gêne à « faire valoir l’autorité des apports de l’automatisme canadien qui est préexistant à l’expressionnisme-abstrait[83] ». Claude Gauvreau discute aussi le choix de l’année 1950, à partir de laquelle, allègue Borduas, le surréalisme devient un « académisme formel désagréable[84] ». La lecture de ces lignes suffit à montrer que l’intention de Gauvreau n’est pas au premier chef d’épargner Breton, mais bien d’exposer les faits tels qu’ils sont. Or si Gauvreau tient à démontrer que le surréalisme ne peut plus, « sans trahir un figement […] anathématiser les apports de Borduas et de Riopelle et de quelques autres[85] », il lui paraît tout aussi nécessaire de rappeler qu’il a soutenu, contre l’avis de Borduas, « que certains apports éthiques du surréalisme étaient encore ce qu’il y avait de plus neuf et de plus prophétique sur terre[86] » et qu’ils n’ont jamais été surpassés.
Depuis La matière chante en 1954 et l’apparition au Québec cette même année des mouvements plasticiens, Claude Gauvreau est en effet persuadé qu’une forme de régression morale mine le champ de l’art : s’il a déjà la conviction que le surréalisme a été dépassé sur le plan plastique par l’automatisme et d’autres mouvements, il n’a toutefois pas acquis la certitude que ces changements ont été accompagnés d’un progrès éthique correspondant ; dès lors, retourner en deçà de la révolution éthique surréaliste lui paraît impossible. Ce point d’achoppement, abondamment discuté avec Borduas, est soumis à Breton :
Je n’ai jamais pu résoudre ceci faute de renseignements, mais je me demandais si les disciplines plus récentes n’avaient pas une tendance à se limiter à des préoccupations exclusivement esthético-plastiques, attitude d’esprit désuète pour le surréalisme chez qui les préoccupations esthético-plastiques n’avaient plus d’importance majeure, car on y avait pris conscience du fait que la justesse esthétique découlerait automatiquement de l’authenticité de l’expression des recherches nouvelles[87].
Dans cette lettre, Claude Gauvreau déclare qu’il n’est pas prêt à reconnaître que le surréalisme est sur le déclin. L’importance du mouvement a atteint « une envergure incommensurable[88] » et ses apports ont transformé l’aventure humaine. Malgré ces propos élogieux, Gauvreau ne peut résister à l’envie de faire la leçon au « pape du surréalisme » en soulignant que « seule la théocratie romaine prétend à l’infaillibilité[89] ». Ainsi, pour conserver « la vitalité nécessaire à l’accueil des apports les plus aigus du moment[90] », il exhorte Breton à une ouverture et une vigilance accrues. Il prend congé par un vibrant témoignage d’admiration dans lequel il sollicite à nouveau une réponse de Breton, en réitérant avec conviction que le surréalisme demeure, avec le romantisme, l’un « des deux mouvements les plus fructueux et les plus indispensables des temps modernes[91] » et qu’il est même « le seul courant de pensée capable d’apporter de la lumière à la plupart des interrogations capitales[92] ».
La pensée de Claude Gauvreau concernant André Breton a continué à évoluer, mais il est clair qu’il ne soulève plus la même passion. Interrogé au restaurant La Hutte suisse en 1966 par Jan Depocas au sujet de l’auteur de L’amour fou, Gauvreau a ces mots :
C’est un grand prosateur… moins grand poète qu’Artaud ou Tzara. Je lis toujours Breton avec délice. Dans ses moments de grande acuité, n’a-t-il pas prévu tout ce qui s’est déroulé jusqu’à nous ? Il est facile de se voir prétentieusement comme le nombril du monde, comme le point de départ de toute vérité… mais ne faut-il pas rendre justice au grand d’entre les grands ? Borduas écrivait jadis : « Breton seul demeure incorruptible. »
Borduas s’est séparé de Breton par la suite. Mais ce jugement de Borduas n’était pas gratuit[93].
La tentation du classicisme
Un an avant sa mort, alors qu’il confie encore que l’exemple des surréalistes lui a appris « à jeter tous les freins à la poubelle[94] » et que « ces risques assumés virilement sont les plus féconds de toute [s]on existence[95] », Claude Gauvreau se prête au jeu du Questionnaire Marcel Proust que lui fait parvenir l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu. Dans ce questionnaire, Gauvreau est invité à identifier « ses poètes favoris ». Après avoir rapidement désigné Nerval, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud et signalé qu’il a toutefois un intérêt plus prononcé pour les poètes rattachés au surréalisme — Lautréamont, Corbière, Cravan, Tzara et Artaud — apparaît enfin sous sa plume, avant les noms des poètes québécois Gaston Miron, Gilbert Langevin et Pierre K. Dieu, celui d’André Breton : « Je ne peux omettre André Breton, quoique j’aurais le petit grief à formuler contre lui que, Français de naissance et conditionné malgré lui par les traditions sacrées du vieux pays, il ait trop scrupuleusement cru devoir respecter la correction linguistique[96]. »
Si Claude Gauvreau porte à cette occasion son jugement le plus sévère sur André Breton, c’est qu’il perçoit que l’écrivain, malgré les prétentions du surréalisme d’échapper à la littérature, pratique « le beau style », geste qui le rend dès lors, comme Valéry, récupérable par les pouvoirs et l’institution littéraire. Mais « honnête poète », malgré ses écarts, Breton ne saurait être oublié et c’est sur une note positive que prend fin le dernier hommage rendu au père du surréalisme.
Je le soupçonne aussi d’avoir côtoyé la tentation du classicisme à la fin de sa vie. Malgré ses fulgurantes prises de conscience illuminatrices qui semblaient appeler toutes les licences régénératrices, on ne le verra peut-être pas en fin de compte constamment engagé sans rémission dans la révolution poétique comme d’autres poètes moins superbes phraseurs mais plus radicalement anticonformistes. Au moins au début de sa carrière, et peut-être parce qu’il n’avait pas été élève des jésuites, le métèque Tzara se sentait libre de toutes les conventions contraignantes ! Breton, à mon grand regret, me semble à la merci de la bénédiction prochaine de nos épais bonzes locaux au même titre que le néo-mallarméen Valéry… ou le sera avant peu. Est-il très sain que l’audace impétueuse ait tendance à céder du terrain à l’élégance de style ? C’est ce qui me semble s’être produit graduellement chez Breton et devoir par conséquent lui mériter l’ignominieuse tolérance de nos éteignoirs professionnels. Il faudra tout de même jeter un voile pudique sur certains passages d’une gaillarde pétulance. N’importe l’avenir et les feintes assimilations ! tout honnête poète saura toujours gré à Breton d’avoir été l’auteur de Nadja et de L’amour fou[97].
Lettre à André Breton, le 7 janvier 1961
Note de l’éditeur
Cette lettre[98] de Claude Gauvreau à André Breton provient du fonds Gilles-Rioux[99] ; elle est conservée depuis 1995 à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal. Elle m’a été aimablement communiquée à l’automne 2010 par madame Sarah de Bogui, qui y agissait alors à titre de chef de bibliothèque. Un examen de la correspondance de Gilles Rioux conservée dans ce fonds m’a permis de retracer la trajectoire suivie par cette lettre et d’éclairer les circonstances de son acquisition.
Le 6 mars 1969, Gilles Rioux, étudiant en histoire de l’art à Paris, amorce une thèse (qu’il ne complétera pas) ayant pour sujet « Borduas et le surréalisme, affinités et divergences ». Il écrit ainsi à José Pierre pour retracer des lettres que Claude Gauvreau aurait supposément fait parvenir entre 1947 et 1949 à André Breton :
Pour avoir fait office de secrétaire des Automatistes, le poète Claude Gauvreau me dit avoir adressé à André Breton quelques lettres vers les années 1947-8-9 environ. Lettres auxquelles André Breton vous aurait demandé de répondre. Sans présumer de la teneur de ces lettres, je les tiens comme étant de très grande importance, parce qu’elles sont une tentative de contact et de liaison avec la source originale du surréalisme[100].
Nous ignorons tout des circonstances des échanges évoqués par Gilles Rioux entre Claude Gauvreau et lui, et plusieurs des informations ici ayant Claude Gauvreau comme source alléguée sont sujettes à caution[101]. D’autres renseignements recueillis à ce stade initial de prospection montrent clairement que l’information de l’étudiant reste alors fort lacunaire.
Étant toujours sans réponse, Gilles Rioux adresse à la fin du mois d’avril à José Pierre une seconde missive[102] dans laquelle il présente de façon plus étoffée l’objet de sa recherche. Celle-ci vise, dit-il, à reconstituer les débuts du surréalisme en milieu québécois avant la Seconde Guerre, à étudier les interprétations que l’on a pu en proposer et à examiner la forme que Borduas lui a donnée dans Refus global. Soulignant « l’intérêt historique capital » que revêtent à ses yeux les lettres de Gauvreau à Breton, il cherche à obtenir auprès de José Pierre un rendez-vous afin de pouvoir en cerner le contenu :
Ainsi, nous savons de façon certaine que Breton avait invité Borduas et les Automatistes à participer à l’Exposition internationale du Surréalisme de 1947. Il y eut à ce moment-là un échange de lettres entre le poète Claude Gauvreau et Breton. Cependant, comme Breton était fort occupé et avait mieux à faire que de s’occuper de ces jeunes exaltés d’outre-Atlantique, c’est vous qu’il a chargé du soin d’adresser encouragements et bons voeux. J’aimerais pouvoir retracer les autres, celles qui avaient été adressées à Breton (puis à vous ?) et qu’il vous avait transmises[103].
Dès le lendemain, José Pierre lui répond par courrier, en s’excusant d’avoir égaré sa lettre initiale. Il avise Gilles Rioux que certains des renseignements fournis sont inexacts et qu’il sera lui-même en cette affaire d’un piètre secours. N’ayant eu en effet aucun contact avec les surréalistes avant 1952, il se déclare bien incapable de lui dire « ce qui s’y pensait (ou disait) vers 1947… » :
La seule occasion où j’ai eu l’honneur d’être le correspondant de M. Gauvreau, c’est à l’occasion d’un article paru dans le no 5 (et dernier) du Surréalisme, même, où j’attaquais le fameux peintre fasciste Mathieu : je crois me souvenir que ça n’avait pas plu à mon interlocuteur. Mais, étant ma propre secrétaire (ce que je déplore, car il m’est difficile de me prendre sur mes propres genoux), j’ignore assez où peut se trouver sa (pourtant fluviale, si j’ai bonne mémoire) missive… Voilà : vous savez tout[104] !
Le 13 mai suivant, en dépouillant son courrier, Gilles Rioux a toutefois la surprise de trouver la lettre originale de Gauvreau à André Breton, rédigée à une date beaucoup plus tardive qu’il ne le croyait. On peut facilement imaginer la joie du jeune chercheur, lui qui a déjà commencé à rassembler ce qui deviendra la plus importante collection de documents surréalistes en Amérique du Nord. La « lettre-fleuve » de Claude Gauvreau est accompagnée d’un court message de José Pierre : « Par un pur hasard, j’ai retrouvé la lettre de Claude Gauvreau à Breton, qui me fut communiquée (j’ai oublié si j’y ai répondu — il me semble que oui[105] !). La voici, gardez-la. Cordialement, José Pierre[106] ». Cette lettre de Claude Gauvreau est demeurée la propriété de Gilles Rioux jusqu’à son décès, en 1995. Aucune exégèse de l’oeuvre de Claude Gauvreau, à ce jour, n’a fait mention de l’existence de cette lettre, qui a bien été postée et qui a été reçue par André Breton ; ni le poète lui-même ni Gilles Rioux n’ont fait état publiquement de ce document resté inédit.
La lettre de Claude Gauvreau à André Breton a été présentée au public pour la première fois en 2009 lors de l’exposition Nourritures surréalistes[107], dont la direction a été confiée à madame Sarah de Bogui. C’est elle qui, en novembre 2010, m’a fait parvenir un fac-similé de la lettre, souhaitant que ce document, encore ignoré de l’ensemble de la communauté des chercheurs, puisse un jour prochain intégrer le corpus épistolaire de Claude Gauvreau. Pareille invitation ne pouvait rester lettre morte. Lors des échanges qui ont suivi, des faits supplémentaires concernant la cession du fonds Gilles-Rioux, ainsi que les circonstances précises ayant mené à la découverte de la lettre, m’ont été rapportés :
Cette lettre a donc rejoint les archives de Gilles Rioux qui ont fait partie des documents transférés par sa famille à la bibliothèque après son décès. Ce legs est la conséquence de la relation de connaissance et de sympathie existant entre Gilles Rioux et ma prédécesseure, madame Geneviève Bazin, dont le père, Jules Bazin, fut l’un des fondateurs de la revue Vie des arts où Gilles Rioux s’est impliqué et a fait la connaissance de Geneviève.
L’existence de la lettre est restée ignorée, car les « papiers Rioux », comme on les appelle à la bibliothèque, étaient en vrac dans des boîtes et personne ne s’y était encore attaqué jusqu’au moment de la préparation de l’exposition de 2009. J’avais seulement jeté un coup d’oeil rapide à un inventaire global que j’avais demandé à un employé de faire pour avoir une idée du contenu de ces archives (la lettre s’y trouve mentionnée, mais pour une raison inconnue, je ne m’y suis pas arrêtée à ce moment-là…). J’ai voulu par la suite exploiter ces « papiers » pour l’exposition et c’est là que j’en ai fait un tri pièce par pièce et que je suis tombée sur l’échange entre Rioux et José Pierre ainsi que sur la lettre de Gauvreau[108].
La suite appartient désormais à l’histoire de la correspondance de Claude Gauvreau. La lettre a donc été mise en vitrine en 2009 avec plusieurs documents clefs de notre histoire culturelle, dont un exemplaire des éditions princeps de Refus global[109], de Projections libérantes[110] et d’Étal mixte[111].
La lettre que nous éditons ici présente un appareil critique qui vise à mettre en lumière plusieurs faits et éléments de discussions nécessaires au lecteur d’aujourd’hui. Elle donne aussi accès à un autoportrait de Claude Gauvreau présenté pour la dernière fois en 1977[112]. Fidèle à la vie et miroir elle-même, la lettre n’est-elle pas en définitive un lieu privilégié à travers lequel Claude Gauvreau a choisi de s’autoreprésenter et de se révéler à nous ? Reste maintenant au lecteur à découvrir à son tour cette lettre unique, qui voit le jour après un demi-siècle.
Établissement du texte
Par souci de fidélité au texte original, j’ai pris le parti de toucher le moins possible à l’orthographe et à la ponctuation, sauf lorsque la lisibilité du texte l’exigeait. Dans le cas des titres d’ouvrages cités par Claude Gauvreau, j’ai remplacé les guillemets par l’italique, comme le veut l’usage actuel. Le lecteur désireux de consulter le document original de 1961 trouvera également un fac-similé de la lettre.
Gilles Lapointe
Montréal, [le] 7 janvier 1961
Cher André Breton,
Ayant été plus d’une fois contraint à un isolement forcé, mon information a cruellement été affectée. La situation géographique du Canada français, de toutes façons, n’aide guère en ce domaine. Or, ce n’est que tout récemment que j’ai pu avoir en ma possession les cinq premiers exemplaires de la publication Le surréalisme, même[113].
Cette acquisition a eu l’effet stimulateur coutumier. Les textes sont en ma possession depuis trop peu de temps pour que j’aie eu le loisir de tout en lire, mais deux écrits ont particulièrement retenu mon attention : la dénonciation qui me semble définitive de la caducité stalino-soviétique par Benjamin Péret[114], et l’attaque contre Georges Mathieu par José Pierre[115].
L’écrit de Péret m’a tout de suite semblé l’assouvissement d’une vieille nécessité, il m’a semblé affirmer une haute et stricte vérité[116]. L’article de José Pierre, de son côté, m’a semblé représenter une utile mise en garde.
Cependant, si la pensée de Péret est pleinement satisfaisante, celle de José Pierre m’a semblé laisser une marge à la discussion.
Le titre — « Les Templiers de la Barbouille » — est un peu gênant. Si le terme « Templiers » semble se justifier par certaines affirmations de Mathieu lui-même[117], le terme « Barbouille » est un des clichés navrants de la plus ancienne et de la plus réactionnaire critique[118]. Je concède pourtant que ceci est de peu de conséquence…
Ce qui me porte à une réflexion un peu moins légère, c’est qu’on semble prendre Mathieu à partie uniquement pour le contenu idéologique de ses oeuvres. La généralisation de ceci pourrait amener à une intolérance tatillonne assez désastreuse et même, elle ne me semblerait pas tellement éloignée de la pente du Zhdanovisme[119]. Ce n’est pas moi qui vous apprendrai que la valeur intentionnelle est d’importance mineure dans l’expression d’un être, et que la valeur sensible de son acte (pure conséquence) a une signification autrement importante aux yeux de la critique progressive.
Je ne dis pas que les préoccupations de Mathieu avec des thèmes archaïques soient agréables, mais il reste que sa pensée consciente, comme celle de n’importe quel homme, n’est qu’une fraction infime de sa pensée totale. Même s’il prétend conserver le sens de telle ou telle babiole, ne peut-on continuer, nous, à accorder de l’attention à ce qu’il affirme en fait et qui échappe sans doute à ses préméditations ?
« La conséquence est plus importante que le but[120] », disait Borduas ; et cette prise de conscience m’en semble une majeure de la pensée contemporaine.
Né dans une province où la théocratie a quelque pouvoir, j’ai été depuis longtemps un militant anti-clérical et anticatholique et on ne peut me soupçonner loyalement de faiblesse envers le dogmatisme orthodoxe dont je suis parfaitement en position de mesurer la nocivité de l’action. Cette position m’oblige d’ailleurs à une répugnance très forte envers toute forme de dogmatisme.
Mais la vraie force n’est-elle pas celle qui ne bâillonne jamais ? Celui qui est conscient de sa force n’est-il pas certain de triompher dans la confrontation des pensées divergentes ?
Pourquoi alors ne pas admettre pour Mathieu cette liberté d’expression qu’il serait peut-être prêt à dénier aux autres ? et pourquoi ne pas le vaincre, s’il y a lieu, par l’affirmation d’une pensée dynamique plus nécessaire ?
Je parle de ces choses avec d’autant plus de sérénité que la forme d’expression de Mathieu, qui est à peine dégagée de l’automatisme psychique[121] (ou réalisme psychologique) de Hartung[122], est à mon avis totalement dépassée depuis longtemps par l’automatisme (« surrationnel[123] ») auquel je suis associé (en tant qu’écrivain car je suis très peu peintre[124]).
Je me demande d’autre part si José Pierre n’interprète pas quelque peu tendancieusement même la pensée consciente de Georges Mathieu. Ce qui m’oblige à cette interrogation, c’est que les propos théoriques de Mathieu rapportés dans le Panorama des arts plastiques contemporains de Jean Cassou[125] (page 728) me semblent s’accorder avec les constatations de l’évolution actuelle et ne comporter aucune incompatibilité (à quelques détails près) avec l’émancipation révolutionnaire propulsée par le surréalisme.
Vous savez mieux que moi que le surréalisme ne peut être un agglomérat de conceptualisations fixes et qu’il est soumis spontanément à une évolution obligatoire dans la mesure où il est vivant.
L’idée d’automatisme rendue familiarisée par le surréalisme est à l’origine des oeuvres libres et lyriques de l’ère strictement contemporaine, même si certains tenants de ces disciplines n’ont pas été capables de résister à la très vieille et subjective tentation d’effectuer cette filiation à travers l’opposition ou le rejet (ce qui est l’indice que certain progrès critique n’a pas été assumé par tous, le vieux balancement dialectique d’un extrême à l’autre n’ayant rien d’inéluctable et étant réductible par une prise de conscience nouvelle) ; l’aspect de ces oeuvres diffère évidemment de celui des travaux surréalistes plus anciens.
Du reste, il n’est pas sans précédent que des oeuvres issues d’une pensée se disant de droite ou d’extrême droite aient été capables d’une authenticité expressive assez belle ; nous devons, nous esprits puissants, pouvoir ce qui ne leur est possible à eux : émettre l’impartialité et la très méritoire ouverture d’esprit aptes à la reconnaissance des qualités sensibles comprises dans ces oeuvres (tout en affirmant, bien entendu, le rejet total des conséquences politiques qui pourraient découler de telle pensée et en sachant même au besoin prévenir ces conséquences). En écrivant les quelques mots précédents, je pense au futurisme. N’est-il pas vrai que les vieilles oeuvres futuristes — celles de Marinetti[126], de Severini[127], de Boccioni[128], de Balla[129] — conservent encore aujourd’hui une fraîcheur et une vigueur qu’on ne peut qu’admirer ? Ces oeuvres furent en partie à l’origine du fascisme (dont la première phase n’est peut-être pas incompatible avec la pensée nietzschéenne[130]) ; bien sûr, le fascisme ne saisit pas très tard la nature subversive de ces oeuvres et décréta leur écrasement parce que la liberté qu’elles faisaient rayonner encore lui apparut compréhensiblement exécrable et nuisible.
L’oeuvre de Georges Mathieu n’est-elle pas dans une certaine mesure comparable à celle des futuristes ? Ne peut-on juger ses intentions détestables, et reconnaître quand même la valeur non conformiste et la qualité sensible de ses travaux (dans la mesure où elles existent) ?
De l’autre côté, il y a les situationnistes… et je me demande si ceux-là ne souhaitent pas faire pour la soi-disant gauche traditionnelle ce que Mathieu semble faire pour la droite : c’est-à-dire, lui permettre la diffusion d’apports qui semblent originaux plutôt que le simple port à retardement des défroques des mouvements contemporains déjà familiers et affirmés. Il y a chez eux quelques éléments sympathiques (les moins marxistes d’origine, Asger Jorn[131] et quelques autres ; alors que l’ex-marxiste Guy-Ernest Debord[132] semble celui qui porte les oeillères les plus astringentes). Si le situationnisme, avec son apparente originalité, n’est qu’un nouveau moyen pour faire avaler l’indigestible « réalisme socialiste[133] » irrecevable jusqu’à maintenant dans ses formes caduques, ce serait la plus incroyable tartufferie pendable de ces dernières années.
Le droitisme de la pensée de Mathieu serait alors davantage une initiative individuelle que le gauchisme des marxistes-situationnistes.
L’extrême droite n’est-elle pas en fait moins pernicieuse que certaine soi-disant gauche parce qu’elle est plus franche ? Avec ceux de droite, nous savons toujours à quoi nous en tenir : il n’y a pas d’équivoque au sujet de ce qu’ils sont. Le stalino-soviétisme n’a pas cette franchise : le magnifique Péret[134] a bien démontré que le stalinisme et le néo-stalinisme sont la plus monstrueuse Tartufferie des temps modernes.
Comme tout automatiste ou tout surréaliste, j’ai eu à ferrailler à droite comme à gauche. Un exemple me semble révélateur. Lors de la manifestation La matière chante en 1954, j’ai eu affaire à un certain Claude Picher[135] qui vint révéler que des objets mystificateurs avaient été inclus parmi les travaux surrationnels agréés par Borduas ; ce Picher fonctionnait sous l’égide de l’Union Nationale mais il était aussi un sympathisant stalinien, ce qui n’a rien de particulièrement stupéfiant puisque telle caducité est fort compatible avec telle autre caducité. En réplique à Picher, j’attaquai occasionnellement le « fascisme bleuâtre[136] » dont mon contradicteur était une des ganaches ; mes articles là-dessus furent publiés sans difficulté. Or je fus attaqué à la même époque d’un côté plus ouvertement stalinien[137] : ma riposte à ce sujet (en plein régime théocratico-fascisto-conservateur) fut carrément bâillonnée et ne put jamais parvenir à la publication. Pourtant, les duplessistes dominaient la scène : et l’opposition stalinienne semblait, en apparence tout au moins, numériquement très faible. La soi-disant gauche parvint donc à appliquer sa censure oppressive tandis que les « fascistes bleuâtres » au pouvoir ne purent parvenir à me faire taire. Ce fait me semble très significatif. Il est vrai que la botte duplessiste (dont le fascisme était assez édulcoré) n’eut jamais la pesanteur de la botte hitlérienne ; il est vrai aussi que je fus emprisonné quelques mois plus tard[138]. Cet emprisonnement est peut-être imputable exclusivement à la maladie : mais une petite marge demeure pour la spéculation. Certaines manigances contribuèrent peut-être à provoquer ces événements ; mais ces manigances étaient-elles dues aux éléments de gauche, ou aux éléments de droite ? Peut-être, après tout, faut-il penser à quelque difforme coalition de l’un et l’autre des éléments réactionnaires…
Quoi qu’il en soit, pour ce qui est de Mathieu, je vous livre la réponse que vient de faire mon ami le peintre Marcel Barbeau[139] à la question : « Que pensez-vous de Georges Mathieu[140] ? » lors d’une interview conçue par moi :
En ’56, j’ai vu une exposition de Georges Mathieu à la galerie Kootz de New York[141]. Cette exposition m’a beaucoup plu, mais j’y sentais déjà une tendance vers le mécanisme, mécanisme[142] du geste (geste, rotation du bras décrivant[143] une courbe très régularisée, rotation du poignet, gestes qui me semblaient très extérieurs).
Le jugement de Marcel Barbeau portait sur la réalité de l’oeuvre de Mathieu, il portait sur le contenu définitif de ses tableaux. Tout jugement, partant d’apriorismes ou de supputations des valeurs intentionnelles, me semble très aléatoire.
José Pierre[144] n’a pas contesté le non-conformisme que Michel Tapié[145] attribue à Mathieu[146] ; pour l’instant, je pense que ce non-conformisme de droite peut être respectable dans la mesure où il est productif d’expressions sensibles inédites et où il comporte un émoi au-dessus de l’ordinaire. Il s’agit d’établir en quoi la démarche de Mathieu est novatrice.
Des critères trop exclusifs obligeraient au rejet de Baudelaire (dont l’admiration assez cocasse pour Joseph de Maistre[147] ne fait pas de doute) ou celui[148] de Nietzsche (chez qui une pensée radicalement révolutionnaire voisine avec une pensée conservatrice purement passive) et de plusieurs autres.
J’avoue que je me demande un peu si José Pierre ne conserve pas un certain attachement sentimental aux valeurs critiques du bolchevisme[149] qui deviennent de plus en plus surannées. Peut-être, en s’attaquant à des fétiches de droite assez vulnérables, a-t-il cédé à la propension de faire diversion quant aux événements de Hongrie et au besoin de détourner un peu l’attention des déclarations de Péret ? Ici peut-être suis-je injuste. Peut-être José Pierre estimait-il les positions de Péret comme implicites dans son article, et peut-être considérait-il que Péret avait réglé la question une fois pour toutes. Quoi qu’il en soit, les reproches de José Pierre à l’égard de Hantaï[150] et de Judit Reigl[151] (reproches qui comportent une part d’interprétation peut-être contestable) sont futiles si on les met en regard de la responsabilité de l’écrasement de la révolution hongroise par les troupes de Khrouchtchev[152].
Il n’est pas impossible qu’il y ait des tendances individuelles différentes chez les surréalistes ; et peut-être les tendances de José Pierre le portent-elles du côté d’Édouard Jaguer[153] ?
En tout cas, la peinture de Borduas et celle de Riopelle me semblent constituer un apport beaucoup plus capital que celle de Mathieu.
Là-dessus, des ambiguïtés ont pu se glisser.
Un de mes amis m’a dit que vous aviez écrit un texte contre l’automatisme nord-américain ; il n’a malheureusement pas pu me fournir de précisions. Peut-être avait-il en tête votre texte « Du Surréalisme en ses sources vives[154] » qu’il n’interprétait pas très justement, car l’automatisme ne m’en semble pas exactement le propos. Vous comprendrez que ce sujet m’intéresse très vivement, et que, dans mon isolement physique, je souhaite ardemment être informé à ce sujet.
Ce qui est certain, c’est que Borduas, dont l’apport pictural gigantesque ne saurait être diminué efficacement, a vu de l’académisme dans le surréalisme récent. Pas très longtemps avant sa mort aussi, il présentait comme très positif que l’expressionnisme-abstrait ait été « dégagé du surréalisme[155] » et il semblait tenir rigueur à l’automatisme canadien d’être issu assez directement (et avec une assez grande ignorance initiale, il faut en convenir) du surréalisme. La déclaration de Borduas est historiquement inexacte, puisque l’expressionnisme-abstrait procède à quelque distance de Gorky[156] et plus immédiatement de Robert Motherwell[157], lequel fut un participant, en compagnie de Baziotes[158] et avant l’existence de l’expressionnisme-abstrait, de la première exposition internationale du surréalisme aux États-Unis[159].
Je crois pouvoir expliquer pourquoi Borduas se sentait gêné de faire valoir l’autorité des apports de l’automatisme canadien qui est préexistant à l’expressionnisme-abstrait et pourquoi il accordait à l’expressionnisme-abstrait l’universalité qu’il niait à l’automatisme. Mais je ne l’expliquerai pas aujourd’hui[160].
Voici cependant ce que Borduas m’écrivait de Paris dans une lettre datée du 21 janvier 1959 :
Certes, il ne s’agit pas d’abandonner prématurément — même jamais — les éléments de poésie, de vie, qui soient valables. Les formes, les expressions changent indéfiniment selon les nécessités de l’enthousiasme, de la fraîcheur, mais le fond mystérieux, jamais tout à fait rejoint, garde son pouvoir d’appel, de transformation de l’extérieur et de renouvellement de lui-même.
Il y a là, entre vous et moi, un malentendu difficile à résoudre. Plusieurs lettres de New York en faisaient l’objet en autant que je me rappelle.
Une école, ou mouvement, au nom précis (exemple : le surréalisme) n’exprime — en dehors de ses personnalités — qu’un « rapport momentané » d’une forme (en temps et lieu déterminés) à un fond poétique « absolu ». Vous semblez oublier le rapport et identifiez le vocable à l’absolu. À ce compte, pour nous définir, nous devrions énumérer toutes les écoles du passé qui ont laissé des traces vivantes en nous. Ce serait incommode et inutile : le présent contenant le passé.
Le surréalisme (comme toute école) exprime un moment de l’aventure spirituelle de l’homme épousant, au moyen de formes nouvelles, enthousiasmantes et fraîches, certaines valeurs poétiques ainsi renouvelées. Surréalisme veut dire, avant 1950, à la fois l’expression précise et adéquate et la découverte (ou la défense) de ces valeurs morales. Après 50, le surréalisme ne veut plus dire qu’un académisme formel désagréable. La forme contient le fond. Quand elle se fane, se fige, le fond fait de même. (Goya reste merveilleusement émouvant. Pourtant nous sommes loin de sa figuration, de son contexte. N’en est-il pas ainsi des textes que vous citez ?) L’aventure poétique enrichie du surréalisme emprunte depuis d’autres voies, d’autres formes. Bien sûr qu’on peut toujours soutenir que la Terre tourne en sens inverse du bon sens ; elle n’en tourne pas moins cependant comme il lui convient[161].
La date 1950 me semble arbitraire. Si l’académisme s’est installé dans le surréalisme, il a eu lieu plus tôt. Borduas ne peut évidemment pas reconnaître (en relation avec ce qu’il affirme) qu’il ne voyait pas clair quand il exprimait son admiration du surréalisme en 1948 : il lui a fallu s’accorder un délai de deux ans à l’immixtion de cet académisme.
En tout cas, pour ma part, je soutenais auprès de Borduas que, même si quelque académisme avait envahi des manifestations de l’expression surréaliste (ce que je ne pouvais évidemment pas vérifier, les objets n’étant matériellement pas à ma portée), il demeurait que certains apports éthiques du surréalisme étaient encore ce qu’il y avait de plus neuf et de plus prophétique sur terre. Je lui citais certaines vieilles phrases des manifestes surréalistes et je lui disais que ce niveau éthique n’avait jamais été rejoint ou dépassé à date. Dépasser ces apports, j’y étais évidemment consentant ; mais retourner en deçà de cette révolution éthique me semblait absolument inadmissible. Il me semblait nécessaire de constater que Borduas et d’autres avaient dépassé le premier surréalisme sur le plan strictement esthético-plastique, mais je me demandais si ce dépassement s’accompagnait d’un progrès éthique correspondant. Je n’ai jamais pu résoudre ceci faute de renseignements, mais je me demandais si les disciplines plus récentes[162] n’avaient pas une tendance à se limiter à des préoccupations exclusivement esthético-plastiques, attitude d’esprit désuète pour le surréalisme chez qui les préoccupations esthético-plastiques n’avaient plus d’importance majeure[163], car on y avait pris conscience du fait que la justesse esthétique découlerait automatiquement de l’authenticité de l’expression des recherches nouvelles.
Je sais que les surréalistes ont maltraité Riopelle, qui peut bien ne pas être imperméable à toute envie arriviste. Peut-être d’ailleurs la production récente de Riopelle marque-t-elle un certain assagissement ; mais il reste que, dans une exposition à Montréal de la collection Larivière[164] qui comprenait plusieurs tableaux récents des plus nouvelles disciplines, le tableau de Riopelle était encore le plus neuf et le plus vigoureux et le plus prophétique de tous.
Ce fait me tracasse un peu, quant aux rapports avec le surréalisme.
Le surréalisme peut-il se permettre, sans trahir un figement dans une attitude antérieure devenue cristallisée, d’anathémiser les apports de Borduas et de Riopelle et de quelques autres ?
L’importance capitale des oeuvres ne peut-elle avoir le pas sur la conduite un peu faillible des individus ?
Ainsi, Borduas parle de 1950. Que s’est-il passé pour lui en 1950 ? Est-ce l’année d’une déception, ou celle où certaine naïveté survivant chez lui lui fut révélée de façon cuisante ? Je sais que Borduas fut associé au groupe Tapié[165] : les assauts surréalistes contre ce groupe le prirent-ils au dépourvu et démontrèrent-ils[166] une certaine crédulité chez lui dont le malaise ne put jamais être surmonté ? Ou encore, en mettant en veilleuse le point de vue critique, lequel ne concerne que la disponibilité du spectateur, se décida-t-il à ne plus accorder de l’attention qu’à ses problèmes de création et jugea-t-il que, pour ses tableaux d’une facture profondément évoluée, les apports surréalistes étaient désormais une nourriture insuffisante et inutile ? Je ne sais.
Je sais en tout cas que seule la théocratie romaine prétend à l’infaillibilité et qu’un défaut d’infaillibilité ne devrait pas provoquer l’exclusion des apports dont la générosité appelle naturellement l’adhésion.
Je constate que vous accordez une attention fort légitime aux travaux de Giorgio De Chirico[167] dont la pensée théorique n’est plus valable[168]. Cette ouverture d’esprit ne pourrait-elle s’exercer au bénéfice de Borduas, et même de Riopelle, dont les apports sont aussi révolutionnaires que ceux de Chirico mais d’une époque plus récente ?
Je pense à Matisse qui, un moment donné, s’ancra dans un fauvisme arrêté et ne put plus rien recevoir de ce qui vint après lui. Je pense aussi à Picasso qui, plantant son pieu à la borne de la figuration cubiste, ne put rien admettre de l’art abstrait. L’étape du freinage est une étape dangereuse : dangereuse pour la vitalité de celui qui freine. Je n’affirme pas que le surréalisme soit à la phase déclinante où l’on freine, je ne dis pas que le surréalisme n’ait plus la vitalité nécessaire à l’accueil des apports les plus aigus du moment ; mais je pense que, là aussi, une mise en garde pourrait ne pas nuire.
Sans doute j’ignore bien des choses.
Je ne demande qu’à être renseigné.
Comme je l’écrivais à Borduas, l’importance du surréalisme atteint une envergure incommensurable. Des apports surréalistes, fussent-ils de quelques décades déjà, ont transformé l’aventure humaine ; ce qui était révélation bouleversante est devenu acquis quotidien parfaitement rafraîchissant — comme certains apports romantiques qui nous sont aujourd’hui tout naturels après avoir été des innovations transformantes. Et j’estime que le surréalisme a une importance encore plus large que le romantisme, avec qui il est un des deux mouvements les plus fructueux et les plus indispensables des temps modernes.
On m’a dit que Le surréalisme, même ne paraissait plus (quoique j’aie constaté que le contenu d’un numéro 6 était annoncé[169]). Je souhaite que le surréalisme saura retrouver et maintenir un truchement valable pour l’univers entier ; car le surréalisme est le seul courant de pensée capable d’apporter de la lumière à la plupart des interrogations capitales.
Si vous trouvez un moment pour me répondre, j’aimerais entendre votre conception des sujets que j’ai traités.
Avec une éclatante admiration,
Claude Gauvreau
3480 avenue Van Horne
app. 3, Montréal
Qué. Canada.
p.s. J’aimerais bien faire connaissance avec ce Coup de semonce[170] dont il est question dans l’article de José Pierre.
Parties annexes
Annexe
Note biographique
Gilles Lapointe est professeur au Département d’histoire de l’art de l’UQÀM. Il s’intéresse aux enjeux théoriques liés à la modernité artistique québécoise dans une perspective interdisciplinaire. Ses recherches en cours portent sur l’artiste multidisciplinaire Edmund Alleyn et sur les rapports d’intertextualité qu’entretiennent les oeuvres de Réjean Ducharme et d’Arthur Rimbaud. Il est l’auteur de plusieurs études et essais, dont L’envol des signes. Borduas et ses lettres (Montréal, Fides, coll. « Nouvelles études québécoises », 1996) et La comète automatiste (Montréal, Fides, coll. « Nouvelles études québécoises », 2008).
Notes
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[1]
En 1953, je rédigeai ma première longue pièce de théâtre : L’asile de la pureté (quatre actes). Jean Gascon me dit d’elle qu’elle était “absolument injouable”.
Claude Gauvreau, « Autobiographie », dans Oeuvres créatrices complètes, Montréal, Parti pris, coll. « du chien d’or », 1977, p. 13 -
[2]
Paul-Émile Borduas, Refus global, dans Écrits I (éd. André-G. Bourassa, Jean Fisette et Gilles Lapointe), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », 1987, p. 338.
-
[3]
Claude Gauvreau, « Autobiographie », dans Oeuvres créatrices complètes, p. 14.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
La lettre a fait l’objet d’une première publication aux éditions Le temps volé en 2011, avec un tirage limité, soit 85 exemplaires numérotés : Claude Gauvreau, Lettre à André Breton, le 7 janvier 1961 (éd. Gilles Lapointe), Montréal, Le temps volé éditeur, collection « de l’essart », no 8, 2011.
-
[6]
Pour aller dans le sens de Ray Ellenwood, pour qui il « semble toujours nécessaire de prendre au sérieux le témoignage de Gauvreau qui, en rappelant les années 1944-1946, insiste : “même si je ne connaissais pratiquement rien au surréalisme, j’étais persuadé de l’avoir dépassé poétiquement parlant, par le livre que j’écrivais” ». (Ray Ellenwood, « Influence et dépassement du surréalisme chez Claude Gauvreau », dans Lise Gauvin [dir.], Les automatistes à Paris. Actes d’un colloque, Laval, Les 400 coups, coll. « Post-scriptum », 2000, p. 69.)
-
[7]
Sur les rapports entre Fernand Leduc et André Breton, voir « Le surréalisme », dans Fernand Leduc, Vers les îles de lumière. Écrits, 1942-1980 (éd. André Beaudet), LaSalle, Hurtubise hmh, coll. « Cahiers du Québec. Textes et documents littéraires », 1981, p. 35-39, et Gilles Lapointe, « Un soleil noir dans le sablier automatiste : la constellation Breton », dans Claude Beausoleil (dir.), Héritages du surréalisme, Montréal, éditions du Noroît, coll. « Chemins de traverse », 2010, p. 51-63.
-
[8]
Fernand Leduc, Vers les îles de lumière, p. 81.
-
[9]
Claude Gauvreau, « L’épopée automatiste vue par un cyclope », dans Écrits sur l’art (éd. Gilles Lapointe), Montréal, l’Hexagone, coll. « Oeuvres de Claude Gauvreau », 1996, p. 56.
-
[10]
Claude Gauvreau, « Autobiographie », dans Oeuvres créatrices complètes, p. 12.
-
[11]
Claude Gauvreau, « L’épopée automatiste vue par un cyclope », dans Écrits sur l’art, p. 42. « Leduc se méfia toujours de moi — quoiqu’il avait pour moi une sorte d’estime. » (Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 26 avril 1950 », dans Correspondance 1949-1950, Montréal, l’Hexagone, coll. « Oeuvres de Claude Gauvreau », 1993, p. 362.)
-
[12]
En 1969, Claude Gauvreau explique que les arguments invoqués par Borduas pour refuser de participer à l’Exposition internationale du surréalisme ne l’avaient pas convaincu à l’époque. « L’hypothèse qu’il ne voulait pas apparaître internationalement dans un rôle de subalterne par rapport à Breton n’est pas à rejeter a priori. Pour ma part, je persiste à croire que cette participation aurait été possible et qu’elle aurait permis aux apports originaux de l’école de Montréal de se faire connaître et de rayonner largement… la différence de nature entre les travaux proprement dits surréalistes et les travaux dits automatistes devant être perceptibles et contribuer à leur intérêt plutôt que de lui nuire. » (Claude Gauvreau, « L’épopée automatiste vue par un cyclope », dans Écrits sur l’art, p. 53.)
-
[13]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 30 décembre 1949 », dans Correspondance 1949-1950, p. 25.
-
[14]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 29 novembre 1949 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas (éd. Gilles Lapointe), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau monde », 2002, p. 91.
-
[15]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 26 janvier 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 76.
-
[16]
Je vous recommande fermement à titre d’accostage deux livres d’André Breton qui circulent actuellement à Montréal. Ce sont : Nadja et L’amour fou.
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 22 mars 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 213 -
[17]
« Arcane 17 et Le surréalisme et la peinture ont quelques-uns de ces passages peu sûrs. — mais vous n’en trouverez pas souvent dans L’amour fou. » (Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 26 avril 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 357.) « Vous m’avez dit avoir acheté L’amour fou. L’avez-vous lu ? C’est certainement l’un des livres les plus représentatifs de Breton./Breton — et les rares hommes comme lui qui ont presque toujours raison — quel parfait défi pour le sens critique ! » (Ibid., p. 356.)
-
[18]
Cyrano, Sade, Novalis, Nerval, Corbière, Pétrus Borel — j’en passe et d’excellents ! — Lautréamont, Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Dostoïevski, Kafka, Guillaume Apollinaire, Vaché, Jarry, Cravan, Freud, Artaud, Breton, Tzara, Gisèle Prassinos, Mabille, Crevel, Éluard (l’ancien), Césaire, Henri Pichette, Péret, etc. Voilà ce qui compte, et qui laissera sa trace ! Autour de combien de ces penseurs prophétiques ne tente-t-on pas de réaliser le silence le plus complet !
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 26 janvier 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 71 -
[19]
Les erreurs et les coins dépassés sont tellement rares chez eux, que c’est une réconfortante confirmation de perspicacité critique que de les y découvrir quand ils s’y trouvent !
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 26 avril 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 357 -
[20]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 8 février 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 137. Claude Gauvreau fait directement écho au manifeste Rupture inaugurale, signé par Breton et Riopelle : « Après vingt-cinq années d’irradiation ininterrompue, le Surréalisme ne se flatte pas d’avoir franchi plus qu’une étape liminaire, apporté davantage que le besoin d’une nouvelle sensibilité collective. » (André Breton, Henri Pastoureau, Jean-Paul Riopelle et al., Rupture inaugurale, Paris, Éditions surréalistes, 1947, p. 11. Les italiques sont dans le texte.)
-
[21]
Claude Gauvreau, « “L’exploration du dedans”, les surrationnels se placent à l’avant-garde », L’autorité du peuple, 26 juin 1954, p. 5 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 271.
-
[22]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 22 mars 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 214.
-
[23]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 30 mars 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 245. « Pour pouvoir connaître davantage le mécanisme de la pensée, il va falloir que cette part du désir humain qui est inconsciente s’exprime — et soit analysée après-coup. Amener à la lumière tous les besoins refoulés de l’humanité, concilier la vie inconsciente et la vie consciente, abolir les limites du rêve et de la réalité : tels étaient les espoirs sublimes du surréalisme ! » (Claude Gauvreau, Trois lettres, Montréal, éditions d’Orphée, 1991, p. 34.)
-
[24]
Paul-Émile Borduas, Projections libérantes, dans Écrits I, p. 447.
-
[25]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 30 mars 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 244.
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[26]
Claude Gauvreau, « Montréal, octobre 1950 », dans Trois lettres, p. 35.
-
[27]
Ibid., p. 34-35.
-
[28]
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 2 mai 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 385.
-
[29]
Forgues fut un grand disciple du surréalisme ; il écrivit même à Breton. Quel sera son avenir ?
Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 10 mai 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 436 -
[30]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 12 mai 1953 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 111.
-
[31]
Cette lettre de Claude Gauvreau n’a pas été retrouvée dans le fonds André Breton conservé à Paris à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. En raison d’un pacte conclu avec Muriel Guilbault, qui lui a expressément demandé de la « cacher », Claude Gauvreau est dans une position équivoque lorsque vient le moment de publier Beauté baroque. Voir mon étude, « La lettre sous le regard du cyclope. La loi du secret dans la correspondance de Claude Gauvreau et Paul-Émile Borduas », dans La comète automatiste, Montréal, Fides, coll. « Nouvelles études québécoises – hors série », 2008, p. 91-115. Le roman Beauté baroque est entièrement consacré à Muriel Guilbault. Le ton familier avec lequel Gauvreau parle du suicide de Muriel Guilbault dans la lettre de 1956 (voir infra, p. 91) est un indice qui fait penser que cette première lettre fut effectivement postée à André Breton.
-
[32]
Il écrit à Dussault : « Chez elle, oui vraiment, il y a beaucoup de la Nadja de Breton. » (Claude Gauvreau à Jean-Claude Dussault, « Lettre du 2 mai 1950 », dans Correspondance 1949-1950, p. 396.)
-
[33]
Il faut souligner aussi que, dans la largeur d’esprit caractéristique, André Breton fit bon accueil aux apports surrationnels et qu’il soutint particulièrement Riopelle.
Claude Gauvreau, « Débat sur la peinture des automatistes », dans Écrits sur l’art, p. 329 -
[34]
Claude Gauvreau, « L’épopée automatiste vue par un cyclope », dans Écrits sur l’art, p. 72.
-
[35]
Avant l’écriture de Ni ho ni bât, Gauvreau a lu Michel Carrouges et Gabriel Delanne, deux collaborateurs de la revue surréaliste Médium. Dans son livre André Breton et les données fondamentales du surréalisme paru en 1950, Carrouges émet l’hypothèse « qu’un certain nombre de troubles hallucinatoires, de singulières rencontres, de pressentiments vérifiés » seraient des phénomènes méconnus de parapsychologie. Voir Claude Gauveau, Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 400, note 85.
-
[36]
Cette lettre n’est pas celle qui est éditée dans le présent ouvrage.
-
[37]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 30 juillet 1953 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 115.
-
[38]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 14 septembre 1953 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 117.
-
[39]
En 1953, Claude Gauvreau précise en effet que : « L’expérience d’amnésie fut épouvantablement pénible. Je finis par sortir graduellement du brouillard et rédigeai (de peine et de misère et sans pouvoir réussir à le compléter définitivement) un livre intitulé Ni ho ni bât. Je croyais que Muriel Guilbault était encore en vie. (Avant le début de cette expérience psychique j’avais lu Michel Carrouges et Gabriel Delanne.) » (« Lettre de Claude Gauvreau à Earle Stanley Gardner, 1er juillet 1956 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 245.) « J’ai aussi deux gros livres : Dix-Sept Lettres à un fantôme (correspondance avec Dussault) et Ni ho ni bât ; mais il ne s’agit pas là spécifiquement d’oeuvres créatrices. » (« Lettre de Claude Gauvreau à Janou Saint-Denis, 19 août 1968 », dans Janou Saint-Denis, Claude Gauvreau, le cygne, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1978, p. 205.) Le 14 janvier 1959, Amnésie, un texte radiophonique de Claude Gauvreau inspiré de Ni ho ni bât, est diffusé à la radio de Radio-Canada dans le cadre de la série Images du Canada. Voir aussi le commentaire de Jacques Ferron sur le manuscrit inédit « Lobotomie », « un chef-d’oeuvre de vécu psychotique » selon l’affirmation du psychiatre Lorenzo Morin (Jacques Ferron, Du fond de mon arrière-cuisine, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. 224-228).
-
[40]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 11 septembre 1954 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 141.
-
[41]
Ibid.
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[42]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 1er octobre 1954 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 160.
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[43]
Voir Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 10 novembre 1955 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 164-172.
-
[44]
Sur la copie de la lettre également datée du 18 août 1956 adressée à Louis-Georges Carrier, Claude Gauvreau signe « Claude Gauvreau, surréaliste épictéléen ». (Fonds André Breton, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, brt c Sup 365). Allusion à Épictète (Hiérapolis, Phrygie 50 — Nicopolis, 125 ou 130), philosophe de l’école stoïcienne. Pour Épictète, l’homme n’est pas responsable des représentations qui surgissent à la conscience, mais de leur usage. Prisonnier d’un univers qui le dépasse, il lui est inutile de révérer les dieux, car il n’existe ni bien ni mal. L’important pour cet esclave affranchi est de préserver sa liberté.
-
[45]
Cette lettre olographe (un feuillet), écrite à l’encre noire, a été rédigée à l’endos de la couverture de Refus global. Voir infra, p. 91.
-
[46]
Il s’agit de la réponse de Roger Rolland, directeur régional des programmes de la Société Radio-Canada, aux lettres de Claude Gauvreau du 23 juillet et du 6 août 1956. Roger Rolland justifie l’interruption de la série Astéroïde 1313. Soucieux de « conserver toute autorité sur la production de nos émissions » et jugeant que cette condition est « nettement inacceptable », le directeur régional des programmes refuse d’accorder à Claude Gauvreau « le droit de veto absolu sur chaque élément de chaque distribution ». Il se montre par ailleurs disposé à évaluer la série L’imagination règne et demande à Gauvreau de la faire parvenir à Marc Thibault. Dans sa lettre du 20 septembre 1956 à Borduas, Gauvreau décrit de façon détaillée le bon accueil qu’il reçut de Marc Thibault. Voir Claude Gauvreau, Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 181, 182 et 190.
-
[47]
Il n’est pas impossible que Gauvreau cherche ainsi à présenter Muriel Guilbault à Breton comme une « femme-enfant ».
-
[48]
[Le psychiatre] Roger R. Lemieux est directement responsable de ma tentative de suicide — et il eut le culot d’exiger presque de la reconnaissance pour être venu me chercher sur le toit de ma demeure (où j’avais pris vingt fois mon élan afin de me laisser choir sur le bitume, et où j’étais venu plusieurs fois à un vingtième de pouce de tomber).
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 20 septembre 1956 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 181-182 -
[49]
Claude Gauvreau à Earle Stanley Gardner, Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, « Lettre du 1er juillet 1956 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 249.
-
[50]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 11 avril 1958 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 200.
-
[51]
Le 11 avril 1958, Gauvreau en prévient Borduas : « Ce n’est pas sans contrainte que j’ai écrit cette lettre, étant donné l’omniprésence de la censure postale ici. » (Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 11 avril 1958 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 201.)
-
[52]
Déjà dans sa lettre du 10 novembre 1955 à Borduas, Claude Gauvreau évoque son suicide : « Depuis quelques mois, un message ultime de suicidé, complètement écrit, repose dans un tiroir de mon bureau. Je ne m’en suis pas encore servi. J’attends, j’attends, j’attends… » (Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 168.)
-
[53]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 20 septembre 1956 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 182.
-
[54]
Claude Gauvreau, « Paul Gladu, Tartufe falsificateur », dans Écrits sur l’art, p. 307.
-
[55]
Paul-Émile Borduas à Claude Gauvreau, « Lettre du 16 septembre 1954 », dans Paul-Émile Borduas, Écrits II, t. 2 (éd. André-G. Bourassa et Gilles Lapointe), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », 1997, p. 640-641.
-
[56]
Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas, « Lettre du 11 septembre 1954 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 142.
-
[57]
Paul-Émile Borduas à Claude Gauvreau, Petite Pierre angulaire posée dans la tourbe de mes vieux préjugés, dans Écrits II, t. 2, p. 1029.
-
[58]
Ibid., p. 1043.
-
[59]
Ibid., p. 1045.
-
[60]
Claude Gauvreau, « Documents », Liberté, vol. III, no 13, janvier-février 1961, p. 430 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 311.
-
[61]
Ibid.
-
[62]
Ibid.
-
[63]
Cette éthique ne se résume pas aux quelques réalisations plastiques et poétiques accomplies parallèlement à elle, elle les dépasse. Par exemple, celle qui se dégage de l’Anthologie de l’humour noir me semble toujours l’éthique la plus englobante, la plus exigeante et la plus neuve qui ait cours sur terre.
Claude Gauvreau à Borduas, « Lettre du 5 février 1959 », dans Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 210-211 -
[64]
Claude Gauvreau, « L’épopée automatiste vue par un cyclope », dans Écrits sur l’art, p. 39.
-
[65]
Paul-Émile Borduas à Claude Gauvreau, « Lettre du 25 septembre 1954 », dans Écrits II, t. 2, p. 646-653.
-
[66]
Déjà dans sa lettre à Breton, il donne l’adresse du domicile qu’il partage avec sa tante Adrienne (Baba), au 3480 avenue Van Horne à Montréal.
-
[67]
Son dossier médical indique qu’il reçoit son congé de l’hôpital le 11 février 1961. Mais il est réadmis le 3 mai suivant. Voir Claude Gauvreau, Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 74.
-
[68]
José Pierre, « Les Templiers de la Barbouille ou la peinture au service du fascisme », Le surréalisme, même, no 5, printemps 1959, p. 63.
-
[69]
Ibid.
-
[70]
Voir infra, p. 101.
-
[71]
José Pierre s’est montré fort critique de l’utilisation de l’automatisme psychique par Borduas. Il évoque encore en 1998, lors du cinquantenaire de Refus global, les « dérives » passées de Hantaï et Mathieu : « À Paris même, nous avons connu, vers 1956-1957, une dérive de l’automatisme de caractère à la fois intégriste et fascisante, animée par l’ex-surréaliste Simon Hantaï et par le monarchiste bien connu Georges Mathieu. La preuve était ainsi apportée que, privé de ses assises révolutionnaires et devenu un simple instrument de conduites mégalomanes sous couvert de quête de la “peinture-peinture”, l’automatisme pouvait conduire au pire… » (José Pierre, « L’automatisme trahi », dans Lise Gauvin [dir.], Les automatistes à Paris. Actes d’un colloque, p. 63-64.)
-
[72]
Voir infra, p. 101.
-
[73]
Voir infra, p. 101.
-
[74]
Propos cité par Nicole Geblesco, « De Chirico, Giorgio », dans Adam Biro et René Passeron (dir.), Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 121.
-
[75]
Voir infra, p. 102.
-
[76]
Ibid. Lors d’un entretien, Claude Gauvreau a déclaré que « Le “réalisme-socialiste”, c’est l’imbécillité absolue. […] c’est le pompiérisme esthétique du temps de Napoléon III ». (Jan Depocas, « De l’amour fou à Vénus-3 : entretien avec Claude Gauvreau », Parti pris, vol. 3, no 9, avril 1966, p. 14-19 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 351.)
-
[77]
Voir infra, p. 102.
-
[78]
Une importante polémique survint en 1954 dans le journal L’autorité du peuple lors de l’exposition La matière chante, organisée par Claude Gauvreau. Cet hebdomadaire disparut à l’époque et la réponse de Claude Gauvreau à Pierre Gélinas ne fut publiée qu’en 1961. Voir « Aragonie et surrationnel », La revue socialiste, no 5, printemps 1961, p. 57-65. Dans le liminaire, Gauvreau écrit : « Ce vieux texte est publié aujourd’hui afin de servir la justice et pour que soit enfin assouvie la liberté d’expression. » (Claude Gauvreau, « La peinture surrationnelle est-elle une fumisterie ? Aragonie et surrationnel », dans Écrits sur l’art, p. 273.)
-
[79]
Claude Gauvreau, « Aragonie et surrationnel », La revue socialiste, no 5, printemps 1961, p. 57-68 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 273-288.
-
[80]
Voir infra, p. 111.
-
[81]
Voir infra, p. 107. Au début des années 1950, André Breton a loué publiquement Borduas, reconnaissant Refus global comme une oeuvre de caractère surréaliste : « Il n’y a pas si longtemps — déjà quelques années — que dans une publication canadienne, le surréalisme s’est reconnu comme dans un miroir. Cette publication était inspirée par notre ami Paul-Émile Borduas que je me console mal de ne pas avoir rencontré durant l’été 1944, comme je flânais dans Montréal, avant de partir pour la Gaspésie ou en revenant de Sainte-Agathe. Paul-Émile Borduas, tout en poursuivant son oeuvre de peintre, une des mieux situées aujourd’hui, s’est révélé un animateur de premier ordre en suscitant autour de lui une pléiade de jeunes poètes et artistes dont les aspirations fondamentales se confondent avec celles du surréalisme, quand bien même à l’épreuve se manifesteraient des divergences dues à l’écart des générations. La publication dont il s’agit, Refus global, empruntait son titre au très lucide et courageux manifeste qui l’ouvrait, rédigé par Borduas et contresigné par quinze de ses jeunes amis. La lecture de ce manifeste m’a pleinement convaincu de l’identité des façons de voir et d’appréhender le monde dans les milieux les plus évolués du Canada comme d’ici. » Ce bref témoignage d’André Breton a été reproduit pour la première fois dans le numéro 17 de mai-juin 1954 de la revue Arts et pensée. Breton l’avait formulé dans le cadre de l’émission La revue des Arts et des Lettres diffusée sur les ondes de Radio-Canada de 1950 à 1952, dont Roger Rolland était alors le réalisateur. Celui-ci écrit : « J’avais demandé à Pierre Emmanuel, alors directeur du service nord-américain de la rtf, de bien vouloir faire enregistrer à Paris, pour La revue des Arts et des Lettres, une série de causeries (d’environ huit minutes chacune), que nous avions familièrement appelée “la série des grands hommes”. […] C’est ainsi que nous avons diffusé, dans le cadre de cette émission, les voix de Mauriac, Claudel, Supervielle, Breton, Jouve et d’un certain nombre d’autres dont les noms, pour l’instant, m’échappent. » (Roger Rolland à Gilles Rioux, 8 décembre 1970, fonds Gilles-Rioux, Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal.)
-
[82]
Voir Paul-Émile Borduas, [Approximations], dans Écrits I, p. 541.
-
[83]
Voir infra, p. 108.
-
[84]
Cette lettre de Borduas est inédite lors de l’envoi à Breton. Elle sera publiée ultérieurement dans Liberté, no 22, avril 1962, p. 249-250.
-
[85]
Voir infra, p. 110.
-
[86]
Voir infra, p. 109.
-
[87]
Voir infra, p. 109-110.
-
[88]
Voir infra, p. 111.
-
[89]
Voir infra, p. 111.
-
[90]
Voir infra, p. 111.
-
[91]
Voir infra, p. 111. Claude Gauvreau a expliqué que les Romantiques sont à l’origine de la vision moniste du monde qui se capte d’un seul regard : « La vieille révolution des Romantiques a été poursuivie progressivement : ils avaient abattu les cloisons entre le tragique et le comique, toutes les autres catégories se pulvérisent maintenant. Les thèmes autrefois jugés méprisables, les éléments orduriers sont ennoblis par l’usage poétique, dans un contexte moniste. Roture et sublime, extatique et tiède, sagesse et absurde, grotesque et délicat cohabitent intimement ; ils peuvent matérialiser la légitimité de tout le sensible, à l’intérieur même d’un unique objet. “Refus global” avait pressenti cette justesse foncière de tout ce qui est sans contrainte. “Refus global” avait reconnu et vanté ce besoin de liberté totale. » (Claude Gauvreau, « Nous en reparlerons dans dix ans », Situations, vol. 1, no 2, février 1959, p. 43.)
-
[92]
Voir infra, p. 112.
-
[93]
Jan Depocas, « De l’amour fou à Vénus-3 : entretien avec Claude Gauvreau », Parti pris, vol. 3, no 9, avril 1966, p. 14-19 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 351-352.
-
[94]
Claude Gauvreau, « À propos de miroir déformant », Liberté, vol. 12, no 2, mars-avril 1970, p. 101.
-
[95]
Ibid.
-
[96]
Claude Gauvreau, « Réponse au questionnaire Marcel Proust », dans Victor-Lévy Beaulieu (dir.), Quand les écrivains québécois jouent le jeu, Montréal, Éditions du Jour, 1970, p. 111-122 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 359-360.
-
[97]
Ibid.
-
[98]
Lettre dactylographiée, six feuillets paginés 1-6. Elle porte sur la première page l’inscription manuscrite à l’encre bleue, « Montréal, 7 janvier 1961 » et, à la page 6, la signature manuscrite de Claude Gauvreau. Une retouche à l’encre est aussi visible à la page 5, où l’adjectif « vigoureuse », fautif, a été corrigé en « vigoureux ».
-
[99]
Gilles Rioux (1942-1995) a découvert le surréalisme au cours de ses études à Paris dans les années 1960. C’est à cette époque qu’il entreprend la constitution de sa collection qu’il ne cessera d’enrichir jusqu’au début des années 1990. Il est titulaire d’une maîtrise en arts de l’École pratique des hautes études de Paris (1967-1972). Durant sa carrière, il a enseigné à l’Université de Montréal, à l’Université Concordia, à l’Université de Toronto et dans divers collèges. Il est aussi l’auteur d’articles sur le surréalisme parus dans la Gazette des beaux-arts (Paris) et dans Vie des arts. Il est décédé à Montréal en 1995. Il a légué à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal la vaste collection d’ouvrages originaux qu’il a rassemblée sur le surréalisme. Celle-ci comprend plusieurs centaines de monographies, dont trois cents publications surréalistes, majoritairement en édition originale, quatre cents catalogues d’exposition (1930-1990), cent périodiques (1940-1950) et trente-quatre manifestes. Selon les responsables de la Bibliothèque, cet ensemble, qui compte 4 000 documents, représente la plus importante collection publique sur le surréalisme en Amérique du Nord. Le fonds Gilles-Rioux inclut aussi de la correspondance, des dossiers d’artistes, des coupures de presse, des photographies, des programmes, des invitations pour des expositions, etc.
-
[100]
Lettre inédite de Gilles Rioux à José Pierre, adressée de Paris le 6 mars 1969. Un feuillet tapuscrit (double au carbone conservé dans le fonds Gilles-Rioux, Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal).
-
[101]
Ces pistes de recherche sont quelque peu hasardeuses. Comme on l’a vu, Claude Gauvreau s’est intéressé au surréalisme seulement après 1949 ; il serait pour le moins étonnant que le groupe automatiste lui ait confié la responsabilité des échanges avec Breton alors qu’il était jeune et encore inexpérimenté. De plus, aucune autre source ne permet de corroborer le fait qu’il ait agi chez les automatistes à titre de « secrétaire ».
-
[102]
Gilles Rioux à José Pierre, Paris, lettre du 27 avril 1969, un feuillet tapuscrit (double au carbone conservé par Gilles Rioux, fonds Gilles-Rioux, Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal).
-
[103]
Gilles Rioux à José Pierre, Paris, lettre du 27 avril 1969.
-
[104]
José Pierre à Gilles Rioux, Paris, 28 avril 1969. Lettre autographe, un feuillet, encre noire, conservé dans le fonds Gilles-Rioux, Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal.
-
[105]
Cette lettre n’a pas été retrouvée.
-
[106]
Carte postale de José Pierre à Gilles Rioux, 13 mai 1969, conservée dans le fonds Gilles-Rioux, Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Université de Montréal.
-
[107]
L’exposition a eu lieu du 28 septembre 2009 au 31 mars 2010 à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, Pavillon Samuel-Bronfman, Université de Montréal.
-
[108]
Sarah de Bogui à Gilles Lapointe, courriel du 6 novembre 2010.
-
[109]
Paul-Émile Borduas, Pierre Gauvreau, Claude Gauvreau et al., Refus global, Saint-Hilaire, Mithra-Mythe, 1948.
-
[110]
Paul-Émile Borduas, Projections libérantes, Saint-Hilaire, Mithra-Mythe, 1949.
-
[111]
Claude Gauvreau, Étal mixte, Montréal, éditions d’Orphée, 1968.
-
[112]
Rencontrés à leur domicile le 5 janvier 2010, Pierre Gauvreau et Janine Carreau ont accueilli avec enthousiasme l’idée de publier cette lettre au Temps volé éditeur. Prévenus antérieurement par madame de Bogui de sa découverte, ils connaissaient déjà l’existence de ce document, dont ils avaient reçu copie. C’est lors de cette rencontre que fut proposé de reproduire dans le livre l’autoportrait à l’huile de Claude Gauvreau, une oeuvre rarement présentée au public. Jacques Marchand rappelle que celle-ci fut exposée du 24 janvier au 28 février 1977 durant l’hommage rendu au poète à la Bibliothèque nationale du Québec. Voir Jacques Marchand, Claude Gauvreau, poète et mythocrate, Montréal, vlb éditeur, 1979, p. 406. L’oeuvre est également reproduite dans France Capistran, Cahier Claude Gauvreau — poète, Montréal, Office national du film, 1975, p. 3. Dans le présent numéro, l’autoportrait est reproduit à la page 66.
-
[113]
Le surréalisme, même [Revue, cinq numéros parus (octobre 1956 à printemps 1959) ; directeur : André Breton]. […] Avec son format carré, Le surréalisme, même ne ressemble guère aux revues de l’avant-guerre. C’est une publication luxueuse où les reproductions d’oeuvres plastiques occupent une place importante, sans enlever toutefois la part qui leur revient à la poésie et aux contributions théoriques. Les prises de position politique [sic] non plus ne sont pas absentes en cette période où les surréalistes ne pouvaient rester indifférents devant la dégradation de la situation intérieure française, la guerre d’Algérie et la répression de la révolution hongroise. […] Au sortir d’une période “d’occultation profonde et véritable”, les cinq livraisons du Surréalisme, même traduisent un besoin du groupe d’intervention et d’ouverture. Un sixième numéro, annoncé, ne devait jamais paraître.
Michel Carassou, « Le surréalisme, même », dans Adam Biro et René Passeron (dir.), Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 390-391 -
[114]
Dans une note qui clôt le premier numéro de la revue Le surréalisme, même, Benjamin Péret écrit qu’il faut marquer « d’une bannière de feu ce jeudi 28 juin 1956 où les ouvriers de Poznan se sont soulevés contre la tyrannie du parti de la police russe. Rien n’a manqué pour souligner le caractère prolétarien de cette révolte : assaut de la prison, destruction des archives, libération des détenus, attaque de l’immeuble du parti dit par antiphrase communiste et du siège de la police politique. Rien n’a manqué, dis-je, pas même le refus des soldats de tirer sur les ouvriers insurgés, puisque l’un deux, s’étant opposé à jouer un rôle d’assassin, a été tué sur place par un officier. Espérons, soit dit en passant, que, dans l’époque où nous vivons ici, cet exemple suscitera les méditations qu’il mérite. » (B. P. [Benjamin Péret], « Est-ce l’aube ? », Le surréalisme, même, no 1, octobre 1956, p. 156.)
-
[115]
José Pierre, « Les Templiers de la Barbouille ou la peinture au service du fascisme », Le surréalisme, même, no 5, printemps 1959, p. 63-64.
-
[116]
Benjamin Péret rappelle que « l’insurrection de Poznan, de même que la révolte des travailleurs de Berlin-Est, en 1953, succède à une série de manifestations de mécontentement, voire d’hostilité, dans divers pays soumis à la dictature policière imposée par Moscou (manifestations d’étudiants à Prague, protestations à Budapest, etc.). C’est donc le second craquement d’importance qui ébranle l’édifice dressé par le stalinisme à la fin de la seconde guerre. Souhaitons que la prochaine secousse amène l’écroulement de tout le système et soit le prélude de l’instauration d’une société véritablement humaine. » (Benjamin Péret, art. cit., p. 156.)
-
[117]
José Pierre cite ce propos de Mathieu de 1948 qui « déplore “l’éloignement de nos princes dont les règnes furent remplacés par ceux de l’anonymat et de l’irresponsabilité” tandis que ses oeuvres exaltent le despotisme des rois de France ». De même, au Japon, Mathieu « exalte — toujours en d’énormes toiles — le général Hideyoshi, sorte de Richelieu local ; en Allemagne, c’est la soumission de l’empereur Henri IV au pape Grégoire VII qui l’inspire. Pendant que les autres abstraits-fascistes renchérissent sur les postulats esthético-scientifiques du maître […], Mathieu commémore, à sa manière, le 840e anniversaire de la Fondation de l’Ordre des Templiers — destiné, comme on sait, à combattre et convertir les infidèles musulmans — en brossant une vaste Bataille de Tibériade ». (José Pierre, « Les Templiers de la Barbouille ou la peinture au service du fascisme », Le surréalisme, même, p. 63-64.)
-
[118]
Le mot « barbouille » qualifie la mauvaise peinture.
-
[119]
Andreï Alexandrovitch Jdanov (Tver, 1896 – Moscou, 1948), théoricien et homme politique russe. Claude Gauvreau fait ici allusion « à la nouvelle politique culturelle de Moscou qui s’affirma à partir de 1946 avec la nomination d’Andreï Alexandrovitch Jdanov comme troisième secrétaire du Parti en 1946. […] Jdanov se fit le grand défenseur de l’orthodoxie stalinienne, non seulement dans les domaines économique, social et politique, mais aussi littéraire, philosophique et artistique. » (François-Marc Gagnon, Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954, Outremont, Lanctôt éditeur, 1998, p. 417.) « Le jdanovisme a été et demeure (jusqu’à nouvel ordre) une doctrine officielle de l’URSS en esthétique. […] Il est notable que, partout où l’automatisme est attaqué salopement et démagogiquement, il y a un partisan du “réalisme socialiste” dans le décor. » (Voir la section intitulée « Pourquoi le djanovisme existe-t-il ? », dans Claude Gauvreau, « La peinture surrationnelle est-elle une fumisterie ? Aragonie et surrationnel », dans Écrits sur l’art, p. 287-288.)
-
[120]
Paul-Émile Borduas, Projections libérantes, dans Écrits I, p. 447.
-
[121]
Dans ses Commentaires sur des mots courants, Borduas distingue trois formes d’automatisme : l’automatisme mécanique, l’automatisme psychique (les deux premières étant pratiquées par les surréalistes) et l’automatisme surrationnel (pratiquée par les automatistes montréalais). « Automatisme psychique : […] en peinture : a surtout utilisé la mémoire. Mémoire onirique : Dali ; mémoire d’une légère hallucination : Tanguy, Dali ; mémoire des hasards de toute espèce : Duchamp, etc. À cause de la mémoire utilisée, l’intérêt se porte davantage sur le sujet traité (idée, similitude, image, association imprévue d’objets, relation mentale) que sur le sujet réel (objet plastique, propre aux relations sensibles de la matière employée). » (Paul-Émile Borduas, Commentaires sur des mots courants, dans Écrits I, p. 302-303.)
-
[122]
Hans Hartung (Leipzig, 1904 – Antibes, 1989), peintre, dessinateur et graveur, d’origine allemande, il est considéré comme l’un des maîtres de l’abstraction lyrique.
-
[123]
Automatisme surrationnel : écriture plastique non préconçue. Une forme en appelle une autre jusqu’au sentiment de l’unité, ou de l’impossibilité d’aller plus loin sans destruction. En cours d’exécution aucune attention n’est apportée au contenu. L’assurance qu’il est fatalement lié au contenant justifie cette liberté : Lautréamont. Complète indépendance morale vis-à-vis l’objet produit. Il est laissé intact, repris en partie ou détruit selon le sentiment qu’il déclenche (quasi-impossibilité de reprise partielle). Tentative d’une prise de conscience plastique au cours de l’écriture (plus exactement peut-être “un état de veille” — Robert Élie). Désir de comprendre le contenu une fois l’objet terminé. Ses espoirs : une connaissance aiguisée du contenu psychologique de toute forme, de l’univers humain fait de l’univers tout court.
Paul-Émile Borduas, Commentaires sur des mots courants, dans Écrits I, p. 303-304 -
[124]
Deux autoportraits, un à l’huile, et l’autre à la gouache, de Claude Gauvreau sont connus. Celui à l’huile, de 1941, est reproduit dans cet ouvrage, p. 66 ; le second, de 1945, qui porte le titre Autoportrait-Anarchiste, est une gouache sur carton, de format 18,7 × 16, 9 cm. Claude Gauvreau a aussi présenté au 75 de la rue Sherbrooke Ouest, du 21 au 28 janvier 1957, une série de dessins automatistes réalisés à l’encre. Le critique Rodolphe de Repentigny rapprocha à cette occasion ces encres et les dessins d’Henri Michaux : « Les dessins de Claude Gauvreau […] font par un aspect au moins penser à ceux de Henri Michaux : dans les deux cas, il s’agit d’un travail poétique graphique indissociable d’une oeuvre poétique littéraire. Dans les deux cas aussi, il s’agit de dessins faits sans préoccupation d’une esthétique particulière, si ce n’est celle de l’adhésion à un état affectif ou imaginatif particulier. » (Rodolphe de Repentigny, « Dessins poétiques de Claude Gauvreau », La Presse, 25 janvier 1957, p. 15.)
-
[125]
Jean Cassou (Bilbao, 1897 – Paris, 1986), conservateur en chef du Musée d’art moderne de Paris et critique d’art. Gauvreau fait allusion ici à son récent livre, Panorama des arts plastiques contemporains (Paris, Gallimard, coll. « Le Point du jour », 1960).
-
[126]
Filippo Tommaso Marinetti (Alexandrie, 1876 – Bellagio, 1944), écrivain. Il est l’auteur du célèbre Manifeste du futurisme, qu’il diffusa à Paris en 1909. Considérant que le fascisme concrétise les idéaux des thèses futuristes, il adhère en 1919 au parti fasciste et signe en 1924 Futurisme et fascisme. En 1931, les surréalistes fustigent l’adhésion de Marinetti au fascisme. Sur les rapports entre surréalisme et futurisme, voir Noëmi Blumenkranz, « Futurisme », dans Adam Biro et René Passeron (dir.), Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, p. 176-177.
-
[127]
Gino Severini (Cortone, 1883 – Paris 1966), peintre et mosaïste italien. Élève de Giacomo Balla, il signe en 1910 le Manifeste des peintres futuristes.
-
[128]
Umberto Boccioni (Reggio de Calabre, 1882 – Vérone, 1916), peintre, sculpteur et théoricien du mouvement futuriste italien. Lié avec Marinetti, il a publié en 1910 le Manifeste des peintres futuristes.
-
[129]
Giacomo Balla (Turin, 1871 – Rome, 1958), peintre, dessinateur et sculpteur italien. Il a enseigné le divisionnisme à Severini et Boccioni, et signé en 1910 le Manifeste des peintres futuristes.
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[130]
Friedrich Nietzsche (Röcken, Thuringe, 1844 – Weimar, 1900), philosophe allemand. Allusion au surhomme dont Zarathoustra annonce la venue et à la récupération de Nietzsche par le national-socialisme. Claude Gauvreau n’a pas caché son admiration pour Nietzsche. Dans sa « Réponse au questionnaire Marcel Proust », Nietzsche est nommé comme un de ses « héros dans la vie réelle », un de ces hommes « qui allient le courage physique au courage intellectuel ». (Claude Gauvreau, « Réponse au questionnaire Marcel Proust », dans Écrits sur l’art, p. 360.)
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[131]
Asger Jorn (Vejrun, 1914 – Aahus, 1973), peintre danois. Promoteur du groupe Cobra (1948-1951), il fonda à Paris en 1955 l’Internationale situationniste.
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[132]
Guy Debord (Paris, 1931 – Bellevue-la-Montagne, 1994), écrivain et théoricien. Il est l’un des fondateurs de l’Internationale situationniste. « En novembre 1958, à l’occasion d’un débat public, Debord marque la rupture irréductible selon lui entre “le nouvel usage de la vie, début d’une révolution culturelle”, qui est celui de l’Internationale situationniste et la “fuite réactionnaire hors du réel” à quoi il réduit le surréalisme. » (Jean-Clarence Lambert, « Situationnisme », dans Adam Biro et René Passeron [dir.], Dictionnaire du surréalisme et de ses environs, p. 383.)
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[133]
« Dans un texte de 1937, après avoir rappelé l’adhésion du surréalisme aux principes du matérialisme dialectique, André Breton écrit : “nous repoussons comme erronée la conception du ‘réalisme socialiste’ qui prétend imposer à l’artiste, à l’exclusion de toute autre, la peinture de la misère prolétarienne et de la lutte entreprise par le prolétariat pour sa libération”. » (Adam Biro et René Passeron, « Réalisme socialiste », dans Dictionnaire du surréalisme et de ses environs, p. 353.) Dans un texte de 1953, « Du “réalisme socialiste” comme moyen d’extermination morale » publié dans Arts, André Breton rappelle « qu’on est jamais allé aussi loin “dans le plus aberrant ‘art des cimetières’” » (ibid., p. 354) et « que le réalisme socialiste n’est qu’une imposture de plus » à mettre au compte d’un régime qui doit être jugé dans son ensemble.
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[134]
De toute manière, si l’on rapproche les événements survenus ces dernières semaines dans les territoires dominés par la Russie des grèves et manifestations d’étudiants en Espagne, des luttes ouvrières de l’an passé, des protestations contre le rappel des disponibles et contre la guerre d’Algérie, en France, on incline à penser qu’on assiste aux premières tentatives du prolétariat international pour reprendre en main la direction de ses luttes, en rejetant le poids mort des organisations traditionnelles. Et l’on ne peut que désirer que cette étape soit franchie le plus rapidement possible.
B. P. [Benjamin Péret], « Est-ce l’aube ? », Le surréalisme, même, p. 156 -
[135]
Claude Picher, un critique d’art de la Ville de Québec, révéla que deux faux tableaux automatistes furent soumis par les artistes Jean Paul Lemieux et Edmund Alleyn lors de l’exposition La matière chante organisée par Claude Gauvreau. Celui d’Edmund Alleyn, intitulé ironiquement Ça arrive dans les meilleures familles no 1, fut choisi par Borduas, ce qui déclencha une longue polémique. Voir Claude Picher, « Les “Boy-Scouts” de M. Gauvreau au bal de la matière qui chante », L’autorité du peuple, 22 mai 1954, p. 6. Sur cette affaire, voir également Claude Gauvreau, « La matière chante (encore) : le porte-parole des peintres abstraits répond aux attaques d’un “figuratif” », L’autorité du peuple, 15 mai 1954, p. 7 et p. 5 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 245-250 ; Claude Gauvreau, « Le débat Gauvreau-Picher : qu’est-ce que l’automatisme ? », L’autorité du peuple, 29 mai et 5 juin 1954, p. 1, 4, 5 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 254-265 ; Claude Gauvreau, « “L’exploration du dedans”, les surrationnels se placent à l’avant-garde », L’autorité du peuple, 26 juin 1954, p. 5 ; repris dans Écrits sur l’art, p. 266-272. Pour une analyse de cette polémique, voir François-Marc Gagnon, op. cit., p. 898-924.
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[136]
Allusion à Maurice Duplessis, qualifié par Gauvreau de « Torquemada bleuâtre ». « Agacé par le persiflage de Picher […] Gauvreau décida de “descendre” sur le terrain de l’insulte, traitant Picher avec une verve incroyable de “mesquin”, de “morpion régionaliste”, de “porte-drapeau de la Sclérose Obligatoire” […] “de courtisan du fascisme bleuâtre”. » (François-Marc Gagnon, op. cit., p. 909-910.)
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[137]
Pierre Gélinas, « La querelle des peintres devient une querelle de mots », L’autorité du peuple, 12 juin 1954, p. 6. « Directeur de Combat, Gélinas avait déjà pris position pour une forme de réalisme socialiste en art contre ce qu’il appelait l’“art fermé”, l’art d’évasion caractéristique de la petite bourgeoisie, notamment à l’oeuvre, selon lui, chez les surréalistes français et les automatistes québécois. » (François-Marc Gagnon, op. cit., p. 908.) François-Marc Gagnon fait aussi remarquer que « Claude Gauvreau aurait réagi à cet article de Gélinas si des circonstances incontrôlables n’étaient pas venues l’en empêcher. Ces circonstances sont ni plus ni moins que la disparition de l’hebdomadaire L’autorité du peuple avant même que Gauvreau ait pu y envoyer sa réplique. » (Ibid., p. 909, note 60.)
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[138]
Le 18 novembre 1954, Claude Gauvreau, qui a posé un geste violent à l’endroit de sa tante Adrienne, est conduit à la prison de Bordeaux puis transféré, le 27 novembre, à l’hôpital psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu.
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[139]
Marcel Barbeau (Montréal, 1925 –), peintre, signataire de Refus global. Uni par une indéfectible amitié à Marcel Barbeau, Claude Gauvreau a été au cours des ans l’un des plus ardents défenseurs de son oeuvre. Voir, en particulier, son témoignage sur Barbeau dans Claude Gauvreau et Jean-Claude Dussault, Correspondance 1949-1950, p. 364-365.
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[140]
Voir Claude Gauvreau et Marcel Barbeau, « Interview de Marcel Barbeau », Université du Québec à Montréal, Service des archives et de gestion de documents, fonds d’archives Marcel Barbeau, cote 110p-010 /4. Tapuscrit, neuf feuillets, numéroté 1-9, non daté, signé à la page 9 à la machine à écrire des initiales « C. G. ». Le tapuscrit comporte une mention manuscrite, à l’encre bleue, de Claude Gauvreau : « Ceci vient d’être envoyé à Goulet », allusion à André Goulet, directeur des éditions d’Orphée à Montréal. L’interview comprend 25 questions. À la question 6, Gauvreau demande à Marcel Barbeau : « Que pensez-vous de Georges Mathieu ? Que pensez-vous de Pierre Soulages ? » En ce qui concerne nommément Soulages, Barbeau répond : « Je n’ai vu que deux tableaux de Soulages, c’est insuffisant pour porter un jugement. » (Claude Gauvreau et Marcel Barbeau, « Interview de Marcel Barbeau », ibid., p. 2.)
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[141]
Georges Mathieu a en effet exposé pour la première fois à la galerie Kootz de New York du 15 mars au 3 avril 1954. Un catalogue, non paginé, présentant des textes de Igor Troubetskoy, Stéphane Lupasco et Michel Tapié ainsi que des illustrations, a été conservé. Mathieu est de retour à New York en 1957. Ninon Gauthier situe plutôt la visite de Marcel Barbeau au printemps ou à l’été 1957 : « Marcel se souvient d’avoir vu quelques peintures de Mathieu à New York dans une galerie vers 1956 ou 1957 alors qu’il cherchait à s’y installer. Il ne se souvient pas exactement de la date ni de la galerie. […] Il n’est jamais allé à New York pendant que Borduas y était, car il n’en avait pas les moyens. » (Ninon Gauthier pour Marcel Barbeau, courriel du 24 juin 2011 à Gilles Lapointe.) Dans un courriel ultérieur, Ninon Gauthier précise : « Marcel n’a pas vu d’exposition Mathieu à New York, mais il a vu quelques tableaux dans une galerie. Comme il y est allé peu de temps avant de partir pour l’Ouest, sa visite à New York ne peut se situer qu’au printemps ou à l’été 1957. Il était à Vancouver en période de maturation des pêches dans Okanagan Valley, car il a brièvement participé à leur récolte. Je situe ce voyage en septembre, car la récolte se prolonge jusque assez tard en septembre dans cette région. » (Ninon Gauthier pour Marcel Barbeau, courriel du 28 juin 2011 à Gilles Lapointe.)
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[142]
Dans le tapuscrit : « le mécanisme ».
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[143]
Dans le tapuscrit : « écrivant ».
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[144]
José Pierre (1927, Bénesse-Maremme [Landes] – Paris, 1999), écrivain et critique d’art. Il participe de façon régulière aux activités du groupe surréaliste de 1952 jusqu’à sa dissolution, en 1969. Il est aussi l’un des organisateurs, en 1960, de l’exposition surréaliste de New York, Surrealist Intrusion in the Enchanters’ Domain. Voir Gérard Legrand, « Pierre, José », dans Adam Biro et René Passeron (dir.), Dictionnaire du surréalisme et de ses environs, p. 334-335.
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[145]
Michel Tapié de Celeyran (Château de Mauriac, Tarn, 1909 – Paris, 1987), critique d’art et galeriste.
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[146]
Allusion à ce passage du texte de José Pierre : « Cette opération, en tout cas, connaît un total succès dans les milieux de “l’abstraction lyrique” : une véritable coalition idéologique et esthétique s’établit entre les peintres de la Galerie Rive Droite (Tapié) et ceux de la Galerie Kléber, jusqu’alors hostiles à Mathieu. » (José Pierre, « Les Templiers de la Barbouille ou la peinture au service du fascisme », Le surréalisme, même, p. 64.)
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[147]
Joseph de Maistre s’est prononcé contre la Révolution française, la démocratie et les idées nouvelles. Pourtant, dans « [Hygiène] », Baudelaire écrit : « De Maistre et Edgar Poe m’ont appris à raisonner. » (Charles Baudelaire, Oeuvres complètes [éd. Claude Pichois], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 669.)
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[148]
Dans le tapuscrit : « celle ».
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[149]
Claude Gauvreau sait sans doute que José Pierre a été membre des Jeunesses communistes avant d’adhérer officiellement en 1952 au groupe surréaliste.
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[150]
Simon Hantaï (Bia, Hongrie, 1922 – Paris, 2008), peintre. Breton a salué la première exposition de Hantaï présentée à la galerie L’Étoile scellée en 1953 en signant la préface du catalogue : « “Une fois de plus, comme peut-être tous les dix ans, un grand départ” […]. Se rapprochant de Mathieu et de l’abstraction lyrique, le voici en 1957 mêlé aux “capétiens” de la galerie Kléber et donnant dans un mysticisme que les surréalistes fustigent dans “Coup de semonce”. » (René Passeron, « Hantaï, Simon », dans Adam Biro et René Passeron [dir.], Dictionnaire du surréalisme et de ses environs, p. 199.) Hantaï a rompu avec Breton en 1955 à cause de son refus de reconnaître l’écriture automatique et l’expressionnisme abstrait.
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[151]
Judit Reigl (Kapuvàr [Hongrie], 1923 –), peintre. « C’est entre 1953 et 1955 que Judit Reigl participe aux activités du groupe surréaliste à Paris, où elle est arrivée en 1950. Breton salue en elle la première femme qui soit parvenue, en peinture, à une violence lyrique digne de Lautréamont. » (René Passeron, « Reigl, Judit », dans Adam Biro et René Passeron [dir.], Dictionnaire du surréalisme et de ses environs, p. 354.) José Pierre écrit : « Au lendemain des événements de Budapest, deux peintres d’origine hongroise, Simon Hantaï et Judit Reigl, se retrouvent en parfait accord avec Mathieu pour célébrer la symbolique conversion au catholicisme d’Étienne ier, roi de Hongrie. » (José Pierre, « Les Templiers de la Barbouille ou la peinture au service du fascisme », Le surréalisme, même, p. 64.)
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[152]
Nikita Sergheïevitch Khrouchtchev (Kalinovka, 1894 – Moscou, 1971), homme politique russe.
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[153]
Édouard Jaguer (Paris, 1924 – Paris, 2006), critique d’art, dessinateur et poète. Il fonda avec Max Clarac-Serou et Iaroslav Serpan la revue Rixes ; il participa par la suite à la revue et au mouvement Phases créé en 1953. « Après la disparition de ces deux publications, Édouard Jaguer voulut créer une nouvelle structure d’accueil pour les individus ou les groupes qui, dans la lignée du surréalisme ou de l’abstraction lyrique, cherchaient de nouvelles formes d’expression. […] En 1959, Édouard Jaguer se rapprocha d’André Breton, et tout en maintenant l’originalité et l’indépendance de son mouvement, il participa à l’activité du groupe surréaliste. » (Michel Carassou, « Jaguer, Édouard », dans Adam Biro et René Passeron [dir.], Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, p. 221.)
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[154]
Claude Gauvreau cite de mémoire et fait sans doute ici allusion au texte intitulé « Du surréalisme en ses oeuvres vives » paru dans la revue Médium — Communication surréaliste, nouvelle série, no 4, janvier 1955, p. 2-4.
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[155]
Comme plusieurs signataires du manifeste, Borduas accepta de répondre au questionnaire préparé par la revue Situations pour souligner le dixième anniversaire de la parution de Refus global. Interrogé, non sans une pointe d’ironie, sur « l’influence universelle » de Refus global, Borduas répond : « Malgré les éléments spirituels de Refus global, sa portée mondiale est nulle en dépit d’échos français, anglais, japonais et américains. Les réponses étrangères ont situé spontanément ce texte dans la lignée surréaliste, alors en pleine actualité, sans en voir l’aspect divergent. La critique canadienne n’a pas été plus lucide, au contraire. Les contacts en sont restés là. Par la suite, d’un peu partout, monta une vague similaire, heureusement cette fois, dégagée du surréalisme. Cette vague a eu une portée universelle. Le mérite en revient particulièrement à New York : sans rien nous devoir évidemment. » (Paul-Émile Borduas, « Nous en reparlerons dans dix ans », Situations, vol. 1, no 2, février 1959, p. 33-34 ; repris dans Paul-Émile Borduas, « [Approximations] », dans Écrits I, p. 541.)
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[156]
Arshile Gorky (Ajotz Droze, 1904 – New York, 1948), peintre et dessinateur d’origine arménienne.
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[157]
Robert Motherwell (Aberdeen, 1915 – Provincetown, 1991), peintre expressionniste abstrait américain.
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[158]
William Baziotes (Pittsburgh, 1912 – Reading, 1963), peintre américain associé à l’Action Painting.
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[159]
Évocation de l’exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism présentée au Musée d’art moderne de New York en 1936-1937, à l’initiative d’Alfred H. Barr.
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[160]
Claude Gauvreau fait allusion à la réponse de Borduas à la quatrième question que lui a adressée la rédaction de la revue Situations : « Où situez-vous l’informel, le plasticisme, le tachisme et le transfigurationisme ? » : « Comment puis-je assurer que l’informel, le tachisme, le plasticisme se situent dans la filiation de l’automatisme ? Ne faudrait-il pas un fameux toupet, ayant quelque titre à la paternité, pour s’en prévaloir publiquement ? Cependant, plus humblement, je sais qu’au Canada l’automatisme est antérieur à ces différentes facettes d’une même liberté initiale. » (Paul-Émile Borduas, « Nous en reparlerons dans dix ans », Situations, vol. 1, no 2, février 1959, p. 32 ; Voir Paul-Émile Borduas, « [Approximations] », dans Écrits I, p. 540.)
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[161]
Paul-Émile Borduas à Claude Gauvreau, « Lettre du 21 janvier 1959 », dans Écrits II, t. 2, p. 1044-1045.
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[162]
Claude Gauvreau fait notamment allusion aux courants néoplasticiens inscrits dans le prolongement de Mondrian et de Barnett Newman.
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[163]
Voir la lettre de Claude Gauvreau à Paul-Émile Borduas du 11 septembre 1954 : « Le surréalisme, lui, a transcendé l’esthétisme ; la préoccupation esthétique est une étape assimilée par lui. » (Claude Gauvreau, Lettres à Paul-Émile Borduas, p. 141. Voir aussi le contenu de la note dans ce même livre, p. 365, note 26.)
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[164]
Allusion à l’exposition Collection du docteur Paul Larivière présentée du 12 novembre au 4 décembre 1960 au Musée des beaux-arts de Montréal (Voir Vie des arts, 1960, no 20, p. 51). Selon la liste des tableaux exposés, Riopelle y a présenté au no 70 Autour des sommets (huile sur toile, 1957, 89 x 116 cm). La grande majorité des 89 oeuvres montrées au public ont été réalisées dans les années 1950. On y retrouve notamment, parmi les exposants, les noms de Jean Atlan, Hans Arp, Milton Avery, Giuseppe Capogrossi, Jean Dewasne, Jean Dubuffet, Jean Fautrier, Sam Francis, Hans Hartung, Auguste Herbin, Hans Hoffman, André Lanskoy, Alberto Magnelli, André Masson, Georges Mathieu, Robert Motherwell, Ben Nicholson, Serge Poliakoff, William Ronald, Gérard Schneider, Kurt Schwitters, Antoni Tàpies, Victor Vasarely, Bram Van Velde, Wols et Zao Wou-Ki. Je remercie Yseult Riopelle, qui m’a aimablement communiqué ces informations.
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[165]
L’information de Claude Gauvreau est-elle exacte ? Encouragé par la galeriste Martha Jackson qui le représente à New York, Borduas a bien tenté en février 1956 d’entrer à la galerie Rive Droite, où travaille comme conseiller artistique Michel Tapié de Celeyran. Ses démarches, cependant, n’aboutirent pas. Voir Paul-Émile Borduas, « Lettre à Michel Tapié », dans Écrits II, t. 2, p. 814-815.
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[166]
Dans le tapuscrit : « lui démontrèrent-ils ».
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[167]
Allusion peut-être à la décision d’André Breton, directeur de la revue Le surréalisme, même, qui ouvre les pages de la revue à un article de José Pierre faisant l’éloge des nombreux points communs qui, selon lui, rattachent le « cheminement spirituel de De Chirico et de Kandinsky de 1910 à 1919 ». (José Pierre, « Kandinsky et Chirico », Le surréalisme, même, no 2, printemps 1957, p. 37.)
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[168]
Claude Gauvreau n’ignore pas que Breton, après avoir longtemps été fasciné par Giorgio De Chirico (ils ont correspondu en 1920), a rompu officiellement avec ce peintre en raison de son affiliation au groupe Valori Plastici, attiré par l’idéologie fasciste. « Quelle plus grande folie que celle de cet homme, perdu maintenant parmi les assiégeants de la ville qu’il a construite et qu’il a faite imprenable ! » (André Breton, Le surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, 1979 [1928], p. 13.)
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[169]
Sur la couverture du no 5, on peut lire : « Au sommaire du numéro 6 : Hans Bellmer vous présentera Friedrich Schroeder Sonnenstern, le prince des petits pains (Révélations de Berlin 1959). André Breton : Enfin Jean Benoît nous rend Le grand cérémonial. Également Onze cartes d’analogie. »
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[170]
Il s’agit du tract surréaliste Coup de semonce du 25 mars 1957 contre l’exposition « capétienne » de la galerie Kléber perçue comme « une opération montée contre le surréalisme », tract dont José Pierre est fort vraisemblablement lui-même l’auteur. L’en-tête présente la silhouette hilare d’un diable asiatique. Le texte concerne notamment Mathieu et Simon Hantaï : « De tout artiste nous sommes en droit d’exiger aujourd’hui qu’il prenne un minimum d’engagement moral, mais sans équivoque, à l’égard de l’immonde tyrannie dont la tête, quel qu’en soit le masque, est à Rome. » (Coup de semonce, 25 mars 1957, grand in-4, 32 x 25 cm, papier voiron vert pâle, 4 p.)