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requin sous la mer
tu n’es rien car
grâce au soleil
je te vois
L’orignal porte en lui ses bois
ses forêts sa lune
pour peupler la nuit
pour calmer sa faim l’angoisse
qui fige le sang
l’eau noire de l’hiver
que faire,
se dit la girafe,
quand on est
la seule girafe
à deux pattes
sous le soleil ?
désir désir
effeuille-toi serpent
où que tu sois
auteur de mes doigts
mer nuage miroir ?
des animaux dans la plaine
hippopotame grand singe et
le V de la chauve-souris
surgie du petit carré de la nuit
la terre à crevasses
à peau d’hippopotame sec
la terre gercée
la terre sèche
la terre d’ombre déchirée
qui est là-dessous
le jour commence toujours de la même façon avec l’apparition des
collines trouant la brume comme des soleils levants… des chiens
aboient dans le silence où les grillons grillent déjà.
quelle simplicité la vie ! Rien n’importe sinon d’assurer la survie ;
bouffe et tout puisque là les motifs s’imposent.
audacieux pèlerinage dans les grottes inférieures où les saintes se
sont abandonnées au doux agneau, douces toisons, douces toisons où
s’agitent les jolies, doigts caressants de toutes.
— je peins des cou[c]hants touchants,
pour les madames d’ouestmont
quand elles regardent par les fenêtres
à leur pied
le monde
les animaux sont dans la plaine
hippopotames grands singes et
d’une chauve-souris
le V
qui serait surgie d’un petit carreau de nuit dans le ciel
la terre crevassée comme une peau d’hippopotame
la terre fendillée comme une lèvre
la terre aux nervures de ver et de sécheresse
la terre d’ombre déchirée
qui est là-dessous
Aube
vaporeuses
les collines de fruits de vapeur
avancent à peine
dans l’aube
abandonnant dans l’espace oublié de la nuit
l’oubli d’elles-mêmes
AUBE
vaporeuses
les collines de fruits
bougent à peine
dans l’aube
dans l’oubli d’elles-mêmes
MATIN
vaporeuses
les collines de fruits
avancent peu à peu
dans l’aube
dans l’oubli d’elles-mêmes
léda nocturne
oiselle aux volutes fantômes
si le vent
le mouvement de la mer
épouse l’étoffe dont
le rêve se revêt
tout le jour courir
sur une patte ou deux
ou quatre
arc ou ballon
chemin de fer
quel été nous avons
quel piano pour jeu
tombée d’un ciel de granit
et de pluie,
la giration des astres
à la façon de l’escargot
cheminant chez les hommes
immobile l’eau révèle que,
la masse de roc et de terre
à la plaine arrachée, un lac
y prend place, dont le lit
au profil de la montagne
correspond, le volume opaque
n’étant qu’illusion de l’eau,
matrice exacte d’une forme
à la très aérienne présence
très lourde nuit rabougrie
pied d’éléphant menaçant le fruit
si ne la dévorait bientôt
sa substance même
étoiles
miroitements d’astres sur l’étang
villes allumées
de sorte que l’aube soudain
s’offre aux lèvres
le vent dans le vert imagine la mer
férocité des lames
fruits noirs tombés de l’ombre
et les corps levés soudain
rien n’empêchera
la venue de mai
UN JOUR UN AUTRE
à dévorer : lourde
la poutre dans l’oeil de la lune
(en conséquence et vue d’ici une paille)
par le requin quadrupède
et l’éléphant carnassier
par l’ours solaire
le pointilleux alligator
mais déjà se corrode la nuit
où régnaient les fantômes
figurations diverses du cauchemar géomètre
ronge-moi aube de rouille
acide matinal
qui rend au blanc l’image
et la chair
à la poussière originelle
sorciers de l’île. à travers champs des paumes de peau tenant une dague. où
est le diable ? alors
par les blessures mortelles du spectre, loup-garou se consumant dans
la pierre, feu follet qui ferait l’ange déchu parmi les ailes, apparais-
sent les trouées dans les corps
coulées de lave dans l’iceberg, explosions solaires, abysses de la soif,
archipels de cendre et de tisons
par où pénètre le soleil
en l’abri vulnérable ?
par la faiblesse de l’oeil
la bouche rieuse
mise au monde
cela surgit avec un cri
dans le sang la vie
(dans l’eau de naître
poisson en terre
déjà faut-il mourir ?)
par où pénètre le soleil ?
avec lui la ville l’espèce
les armures de la neige
la poussière et les chaînes
dans les parois de l’âme
se brisent les glaces
« qui est la plus belle ?
chère âme
princesse éclatée ? »
linéaire l’eau frêle
qui porte les continents la pierre
et l’Éternité bouche obscure
un friselis de l’espace solaire
où les points d’ombre dans le désert
bercent leurs palmes
(à peine posés là oasis
d’où contempler la déchirure terrestre)
soulèvement minutieux de l’onde
entre les corps
ce qui lie la jonque et la mère
et les arrache l’une de l’autre
cri blanc
midi soir et matin
la plus haute tour
se penche tant
qu’elle invente trois fois l’horizon
l’eau de l’amante est une estampe de pluie qui
me ronge le sang
coque fragile ainsi que la pierre d’éternité
s’érodant planète rongée d’un pôle à l’autre
entre le soleil et nous l’équatoriale césure
franchie par les champs
les cordillères
les typhons sur la mer
depuis le ciel ouvert le pointillé de la crête
à ce point-ci du jour et de l’année jusque
dans l’abîme nocturne où s’immobiliserait
l’astre sans doute s’il allait cesser de
chavirer
coeur éteint lave poreuse aux flancs des cratères
forêts emportées peuples détruits
la cendre la cendre toujours
puis les veines commencent à bruire
ruisselets sous la peau
dans les creux tendres du joli corps mouillé
ce matin
ardoise déchirée où je m’inscris
maya
quel est mon nom
à dresser dans la pierre entre les fleurs vives
et les terres séchées
tête borgne
avec un seul oeil désabusé sur l’empire
grande moue blanche
lèvre amère aux bandelettes poreuses
une lame d’acier vertical
à l’écart
une lame d’obsidienne
la nuit mangée déjà par la peau
par le satiné matin rosissant
se rogne
tôt ou tard m’atteindra la gueule
le discours assassin
un peu d’air s’il vous plaît
mon dernier souffle
lune oiseau poisson
caraïbes passé l’hiver passé le fiel
fille corail palmier
tout le miel une seule abeille
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bouche pour aspirer le ciel
bouche pour crier peu à peu
bouche pour bouche
bouche dans la pierre rousse
bouche parée de dentelles
bouche sous regard doux
bouche au collier de jade
bouche à l’oreille tendue
bouche petit puits où palpite l’eau douce
bouche tendre abîme où je m’abîme
bouche solaire bouche de nuit
bouche pour effarer les ombres
bouche en larmes
bouche au beau rire
bouche où je m’assoiffe
bouche où je péris corps et biens
bouche
L’OEUF
Que tient la main (ce qu’on aperçoit de profil
entre l’index et le pouce) ?
rose
aux veines fragiles
— sédiments sans doute et très secrets bien que par
les apparences trahis —
parallèlement posés à la surface polie de la forme
ainsi prisonnière (mais avec tendresse tenue
sans passion hormis l’insistance qu’il faut
pour ne point laisser tomber la proie
l’animale
sinon pour l’émoi de part et d’autre
que provoquerait le geste
s’il advenait que)
or
immobile est le destin
oeuf que du marbre tira l’activité de l’artisan
ainsi que d’une poule
l’oeuvre
Parties annexes
Note
-
[1]
Le poème de Paul-Marie Lapointe qui a pour premier vers « le jour commence toujours de la même façon avec l’apparition des collines » (voir infra, p. 30) est dactylographié au verso d’une lettre de Katharine A. Benzekri datée du 25 juillet 1975.