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Quand se met en place la Ve République et que Charles de Gaulle prend le pouvoir en 1958, il apparaît aux yeux de la majorité des Français comme « l’homme providentiel », le seul capable d’éviter au pays une guerre civile sur fond de guerre d’Algérie. Inséparable en ses débuts de ce providentialisme incarné et du prestige du « Général », confondant à l’instar de son inspirateur son propre destin avec celui du pays et se percevant chargé d’une mission historique, le gaullisme offre un curieux mélange de romantisme patriotique (la France a une « âme » dont « le Général » s’est fait « une certaine idée »), de messianisme historique (l’homme du jour est, selon ses propres termes, « investi par l’histoire ») et d’autoritarisme gestionnaire (renforcement de l’autorité du président, appui sur l’armée, mise en place d’un pouvoir fort, recours direct au référendum en cas de besoin, hiérarchisation pyramidale des prises de décision). À cette base idéologique, rodée depuis la création du Rassemblement du peuple français (RPF) en 1947, s’ajoute un populisme pragmatique et « bon enfant », de Gaulle s’avérant contre toute attente un remarquable show-man, habile dans l’utilisation du nouveau « média chaud » : la télévision. Mais si le gaullisme marche, et fait marcher, s’il survivra longuement à la disparition de son « lider maximo », c’est parce qu’il utilise au mieux les avantages d’une conjoncture unique et s’impose d’une manière singulière dans l’imaginaire social de l’après-guerre. Tandis que la IVe République de Vincent Auriol et de René Coty n’avait pu se dépêtrer des séquelles immédiates de la Seconde Guerre mondiale, le gaullisme est porteur d’un grand récit héroïco-épique qui rétablit la continuité historique du pays en effaçant la défaite de 1940 et en voilant l’ampleur de la collaboration sous le régime de Vichy. Marchant à la gloire et au culot, ce récit a pour fonction immédiate de renégocier la place de la France dans le monde en redéfinissant la nature et le statut de l’« universalité française » telle qu’elle s’était imposée à travers le classicisme (langue et culture) et la révolution (politique). Avec le mythe « de Gaulle » et l’héroïsation de la geste résistante se développe une nouvelle conception du « fait français », basée sur un régime de singularité : paradoxale et — pour cette raison — efficace, elle postule une curieuse universalité de la différence française, laquelle est une manière d’acter et de neutraliser autant que faire se peut le recul de la France sur l’échelle des puissances nationales. Plus ce recul se prononce, plus la singularité s’accuse et plus l’universalité se revendique. En plus de s’appuyer sur la Résistance et la Libération comme noyaux historiques de cette représentation de l’« universalité minoritaire », ce mécanisme est relayé par une large gamme de représentations corrélées : Vercingétorix est bientôt tenu pour le premier résistant de l’histoire de France et Jeanne d’Arc pour la première héroïne de la Libération. « Au fond, la France éternelle n’avait jamais accepté la défaite », résume Eric Hobsbawm dans son bel ouvrage de synthèse sur l’histoire européenne[1] ; c’est là une représentation forgée par le gaullisme, fondée sur le développement permanent de l’oxymore « souffrante, mais éternelle » et basée sur l’exaltation d’un héroïsme doux aux oreilles de la nation.
Élaboré dans l’immédiat après-guerre, ce consensus permet le retour du général au pouvoir en 1958 et constitue la base idéologique du régime. Le paradoxe veut cependant que son triomphe politique marque aussi le début de son effritement en tant que grand récit réparateur et unificateur. De 1958 à 1981, la base argumentative et narrative du gaullisme se décompose et se déconstruit peu à peu. Sur le plan extérieur, la France devient une « moyenne puissance » obligée de manoeuvrer ferme pour conserver une place convenable sur l’échiquier de la guerre froide. Mais c’est sur le plan intérieur que les choses sont les plus spectaculaires. En un peu plus de vingt ans, la France passe d’une société encore archaïque sur bien des points (économie, communication, système d’éducation), que Cohn-Bendit appellera « la France de tante Yvonne », à une société plus moderne, plus individualiste, plus ouverte sur l’extérieur, plus multiculturelle. Les « trente glorieuses » (1945-1975 — l’expression est de Jean Fourastié) ont des effets bénéfiques, mais le pays est traversé par des mouvements macroscopiques auxquels il s’adapte moins par choix que parce qu’il les subit. Perte des colonies, développement accéléré des villes en phase avec la reconstruction du pays, vagues importantes d’immigration, américanisation de certaines pratiques sociales et commerciales, avènement de la société de consommation, accroissement des loisirs, développement des médias, impacts directs du capitalisme oligopolistique et d’une première phase de libéralisation internationale des échanges (ce que François Mitterrand appellera un jour « l’arrivée de Zorro », c’est-à-dire la création de multinationales théoriquement capables sur le plan du capital réel de concurrencer ou de dominer n’importe quelle moyenne puissance) occasionnent des changements profonds sur le plan des idées, dont la montée relative du féminisme, l’influence grandissante de la culture populaire américaine (notamment en musique et au cinéma), la percée du libéralisme (giscardisme, rocardisme) et l’élaboration du « programme commun de la gauche » sont des éléments particulièrement significatifs.
Or, en dépit de ces chocs socioculturels nombreux et d’importance, une idée — un noeud d’idéologèmes, pourrait-on dire — se maintient à travers la tempête et va connaître une métamorphose spectaculaire quelque trente ans après la prise de pouvoir « du Général ». Cette idée est celle de l’universalité de la différence française précitée, et elle va bientôt prendre les habits de l’exception (culturelle) française.
Si elle circulait dans les esprits, les officines et les médias au moins depuis la création du ministère de la Culture par André Malraux en 1959, l’expression exception française ne devient véritablement un lieu commun du débat national en France qu’au moment où elle se confond avec celle d’exception culturelle lors des négociations de l’Uruguay Round, au sein du GATT, en 1986. Elle désigne alors une nécessité dont le passé et l’identité de la France seraient garants, celle de soustraire la production culturelle (notamment dans le domaine des industries culturelles) aux règles du commerce international des denrées et aux premiers élans de ce qui s’appellera bientôt « la mondialisation ». Dans les faits et les discours, et tout particulièrement sur la scène politique et diplomatique, cette exception française/culturelle trouve des définitions nombreuses et se voit rattachée selon les plumes et les camps idéologiques à l’héritage des Lumières, à l’universalisme républicain, à des réflexes protectionnistes, à la crainte d’une uniformisation des cultures, à un art de vivre et de goûter, à une tradition de revendications sociales, à un système d’éducation singulier dont les « grandes écoles » seraient le parangon, etc.
Si l’analyse de la constitution et de l’essaimage de cette représentation qui recycle et remet au goût du jour le nationalisme identitaire français en le projetant sur la scène internationale a été faite sur le terrain des études politologiques, sociologiques et économiques[2], on ne s’est pas vraiment avisé du fait que la généalogie de cette topique de l’exception nationale-culturelle avait fait fond sur un ensemble considérable de textes littéraires et de représentations imaginaires diffusés après la Seconde Guerre mondiale. Il y a pourtant là une imposante constellation idéologique, composée d’éclats, d’habitudes mentales, d’arguments latents, d’hypothèses données pour des certitudes et des évidences, d’images, de chansons, de films, de textes toujours déjà propres à être recyclés, réemployés, concaténés. Prenons un exemple tiré de cette manne, afin de faire voir concrètement ce qui sera en cause dans les travaux subséquents.
Datant de 1974, le texte qui suit est un fleuron de la « communication gouvernementale ». Produit du gouvernement dirigé par Jacques Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, il était destiné à célébrer les futurs pouvoirs enchanteurs de l’Agence pour les économies fraîchement créée. Les didascalies en italique sont de notre main :
Un père est à la pêche à la ligne avec son fils. Un bout de baguette dépasse du panier à provisions. Regard droit à la caméra, voix mâle, ton de l’évidence, gestuelle décontractée. Le gamin est absorbé par la pêche, en pleine confiance.
En France on a toutes sortes de choses.
On a la meilleure cuisine du monde.
Une industrie puissante.
La pétanque.
Une histoire glorieuse.
On a aussi une situation géographique privilégiée.
La Tour Eiffel.
Et… la pêche à la ligne. Petit rire complice.
Oui, en France, on a tout ça, et bien plus encore.
Le ton se fait sérieux…
Mais une chose nous manque, une chose essentielle.
Le pétrole.
Le pétrole, nous devons l’acheter à d’autres.
Cher.
Trop cher.
C’est notre richesse qui s’en va et notre façon de vivre qui est menacée.
Alors, que peut-on faire ?
Et bien d’abord, mieux utiliser l’énergie.
Et cela, justement, nous pouvons le faire sans changer notre façon de vivre.
À partir du 15 septembre [1974], l’Agence pour les économies d’énergie vous dira comment.
Vous verrez : en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées[3].
Chef-d’oeuvre en son genre, et en son genre seul, que ce parangon du cocorico hexagonal adapté aux circonstances. La coprésence du père et du fils, réunis pour la pêche, souligne que sont en jeu l’avenir et la transmission du french way of life. La série de clichés et de chromos, les images de la vidéo accompagnant le texte forment un kit d’identité nationale complet, la cuisine et la pétanque voisinant avec la figure de l’Empereur et le dessin d’une de ses batailles, tandis que résonnent le canon et la rumeur des grognards (« Une histoire glorieuse »). Aucune femme : l’économie et le devenir de la nation sont une affaire d’hommes. L’aspect le plus spectaculaire de cette entreprise de persuasion est que la dernière phrase fait un véritable carton. Cette antithèse aux allures de zeugme[4] devient un slogan qui marche illico formidablement bien et est adopté sur-le-champ par les médias de grande diffusion et la population[5]. L’une des raisons de ce succès vient de ce qu’il met un baume sur les inquiétudes suscitées par un « premier choc pétrolier » que le moindre canard relaye en produisant des tonnes de discours anxiogènes. Mais il en est d’autres, imputables aux structures rhétoriques et axiomatiques de l’imaginaire social hexagonal : cette phrase touche ce point idéal où la très légendaire faculté nationale de faire un « mot d’esprit » rejoint la non moins très légendaire philosophie de comptoir ; elle distingue fortement des autres d’un nous qui se déduit des mots « France » et « on », lesquels donnent si bien ce nous pour allant de soi qu’il n’est pas nommé comme tel ; elle oppose la matière à l’esprit (français), la médiocrité à l’invention (française), le hasard naturel à l’intelligence humaine (française), les pays qui ont du pétrole à la France (française). Et, surtout, elle fait de la nation une exception culturelle (française) par rapport à d’autres nations implicites, qui n’ont que des qualités moindres, par exemple la vulgaire possession d’une richesse naturelle.
Dans la logique qui sous-tend notre dossier, ce slogan gouvernemental bientôt repris par tout un chacun est une éclisse appelée à soutenir une identité devenue problématique. Il fait partie d’un ensemble composé de récits, de performances poétiques, de matériaux iconographiques, de discours cognitifs (tenus pour tels), de saynètes théâtrales, que charroie l’imaginaire social des années qui vont de la prise de pouvoir par le Général de Gaulle en 1958 à celle de François Mitterrand en 1981 (ces deux dates sont indicielles). Il s’agit là d’un travail de sédimentation et de gestation latent. Ces multiples traces montent en épingle des exceptions françaises variées, ponctuelles, corrélées à des thématiques ou des fantasmatiques particulières (dans le cas précédent : la crise pétrolière, le french way of life, l’approvisionnement et la consommation d’énergie), et ces exceptions partielles préparent et accompagnent l’émergence d’une représentation où se croiseront dans les années 1980 l’idéologie (nationaliste), la diplomatie (internationale) et le commerce : l’exception (culturelle) française. Les études ici rassemblées analysent quelques-unes parmi les plus importantes de ces exceptionnalités partielles des années 1958-1981. Même si elles ne sont pas directement reliées au moment de leur apparition, elles engendrent par effet cumulatif une imprégnation des esprits les disposant plus tard à croire dur comme fer à l’existence d’une exceptionnalité nationale globale traversant la durée historique (quoique paradoxalement léguée par l’histoire). En somme, la thèse soutenue peut se résumer ainsi : la théorie des exceptions partielles conduit à la proclamation d’une exception globale toute théorique.
Aux deux bouts du bateau sont placées deux études portant sur des objets que tout voudrait antinomiques et a priori sans rapport : une controverse savante de longue portée mobilisant la corporation des historiens et la littérature consacrée à l’ennemi public nº 1 sous les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Mesrine. Les analyses respectives de Marc Angenot et de Benoît Denis montrent combien dans l’un et l’autre cas, du côté d’une loi historique normative et du côté d’un hapax criminel circonstanciel, c’est bien d’une spécificité nationale qu’il est question. Marc Angenot suit à la trace cette affirmation selon laquelle la France, du fait de ses traditions, de son histoire et d’une sorte d’esprit particulier, aurait été dès toujours indifférente et inaccessible au fascisme. Cette thèse d’une exceptionnalité politique et idéologique, soutenue par René Rémond, figure centrale des études historiques dans les années 1950 et 1960, est la base d’un nombre imposant de débats et de discussions, ainsi que de la réception hostile dont sont victimes les travaux de Robert O. Paxton, Ernst Nolte et Zeev Sternhell publiés dans les années 1970. Oscillant entre le tueur froid et cynique et le bandit d’honneur et de grand chemin, le personnage de Jacques Mesrine alimente une littérature nombreuse, journalistique ou de témoignage, à laquelle s’adjoint la prose autobiographique du criminel, laquelle constitue le dispositif matriciel où tous les autres textes viennent puiser nonobstant le fait qu’il est lui-même un ramassis de poncifs et de clichés sur « la saga monotone des grands criminels » (Michel Foucault). Mais dans ce recyclage, l’ennemi autobiographique nº 1 maintient une dimension singulière, « française », dans la mesure où il se démarque du hors-la-loi diffusé par la culture populaire américaine et sublime sa condition de paria en se présentant comme la victime d’une société dont il aurait accepté au moins partiellement les offres (il fut de son armée, par exemple).
Entre ces deux bornes se suivent six études classées deux par deux selon les objets de recherche : les représentations de l’élite intellectuelle ; la culture populaire (cinéma, musique) ; la condition féminine.
Dans la fabrication des élites intellectuelles de la République, l’École nationale d’administration occupe une place à part. Sarah Sindaco retrace les principes présidant à la création de l’ENA et la valorisation de l’énarque dans l’imaginaire hexagonal, avant d’examiner les textes littéraires produits par des énarques et le traitement littéraire réservé à ces derniers dans des textes : de ses lectures se dégage un curieux mélange de fascination et de critique à l’endroit d’une créature qui devient d’autant plus nationalement exceptionnelle que l’institution dont elle est le produit aurait le pouvoir d’effacer ses origines sociales. Il est sans doute difficile de penser en trois couleurs, mais pas pour Le Nouvel Observateur qui, en mai 2010, est sûr qu’aucun de ses lecteurs ne cillera devant cette affirmation : « C’est une exception française. À l’instar de Zola volant au secours de Dreyfus, les penseurs tricolores s’engagent volontiers dans le débat public[6]. » Sur ce plan, le ciel des sixties est ombré par une sérieuse éclipse. En effet, le point de vue adopté par François Provenzano le conduit à observer que le structuralisme est « ajusté aux grands complexes idéologiques de la doxa gaulliste des années 1960 », qu’il sature l’espace intellectuel, qu’il s’érige en norme de sorte qu’il produit aussi bien des cohortes d’adhérents, indifférents à l’engagement de la pensée devant l’histoire, que quelques figures emblématiques. Son étude suit deux de ses figures, Jean Borie et Henri Lefebvre, dont les travaux passent par l’examen du devenir du « couple », pour retrouver une dimension politique, mal considérée dans la doxa épistémologique du moment.
En cinéma et en musique, l’exceptionnalité française prend des formes inattendues. La célèbre verve qui irrigue les dialogues du scénariste Michel Audiard est le plus souvent vue, en raison de traits comme la gouaille ou la figuration archaïque de l’amour, comme la marque d’un support idéologique traditionnel. Marion Froger démontre que, dans le climat identitaire problématique alentour, cette verve donnée pour une performance dont tout Français pourrait et peut être capable relance la possibilité d’une communauté fondée sur la connivence rhétorique et sur les interactions de la parole. Sylvain David prend acte d’une particularité rarement relevée : c’est du côté de ses critiques musicaux et de ses théoriciens en prise directe que le rock et le punk français ont fait leur marque, établissant un divorce entre leur vision fantasmatique de la musique qu’ils affectionnent et une réalité sociale toujours déceptive ou médiocre. Cette dissonance est typique et si bien cultivée par les critiques et les musiciens hexagonaux qu’elle a valeur de singularité, quand bien même elle est escortée d’une incapacité à reconnaître la façon dont ailleurs, en Angleterre par exemple, les musiciens mélangent styles, formes et idées, quelquefois issus de… France, pour trouver du nouveau.
L’émergence et la montée en puissance du féminisme, les améliorations progressives (fort lentes[7]) apportées à la condition féminine constituent des éléments fondamentaux des années 1958-1981. Dans l’optique ici adoptée, les oeuvres de deux écrivaines sont retenues parce qu’elles développent, non sans difficulté, des figures d’exception qui combattent les images traditionnelles de « la femme française », qu’elles soient celle de l’épouse, à la fois mère, compagne obéissante et ménagère, ou celle de la courtisane boulevardière et glamour. Djemaa Maazouzi relit les oeuvres tourmentées d’Albertine Sarrazin, très vite accusées de ne fournir qu’une version conventionnelle de la marginalité. Jouant sur plusieurs tableaux, l’auteure de La cavale tire certes une part de son exceptionnalité d’une alliance « déjà vue » entre le truand et les références culturelles, mais le reste, qui importe davantage, elle le doit à la féminisation de cette équation, au travail sur la langue, sur l’énonciation et sur le brouillage identitaire auquel elle se livre dans son écriture. Nelly Wolf montre que les trois premiers romans d’Annie Ernaux sont pris dans une autre problématique : le déficit croissant de la croyance dans un sujet collectif appelé à régénérer l’histoire. Les armoires vides, La femme gelée, Ce qu’ils disent ou rien prennent acte du déclin du mythe du « peuple ouvrier », mais le remplacement de ce dernier par la femme émancipée ne va pas de soi non plus. Prenant pour intertextes des essais de sociologues, ces romans finissent par les contredire ; s’appuyant sur Le deuxième sexe de Beauvoir, ils n’en respectent pas la positivité combattante, et la narratrice ernalienne s’éprouve comme altérité dans des figures d’exception qu’elle met à sa main, comme le « garçon manqué » ou « la femme totale ».
Tous les éléments flirtent avec l’axiome qu’il y a de l’exception dans le Français. Ils le font d’une façon souvent matoise, on le remarquera, car ils associent presque tous une sorte de naturalité, ou de bonhomie, ou de moyenneté à l’idée d’extraordinarité (il pêche à la ligne celui dont les idées surpasseront ceux qui possèdent le pétrole), et sont autant de flammèches préparatoires à quelque brasier de plus grande importance. Les études qu’on va lire prouvent que, dans le travail opéré par l’imaginaire social, il n’y a jamais de fumée sans tôt ou tard un feu[8].
Parties annexes
Notes biographiques
Sylvain David
Sylvain David est professeur adjoint au Département d’études françaises de l’Université Concordia. Il a publié le livre Cioran. Un héroïsme à rebours (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2006) et codirigé — avec François-Emmanuël Boucher et Janusz Przychodzen — les collectifs La Paix. Esthétiques d’une éthique (Berne et New York, Peter Lang, 2007) et Que peut la métaphore ? Histoire, savoir et poétique (Paris, L’Harmattan, coll. « Épistémologie et philosophie des sciences », 2008).
Pierre Popovic
Cofondateur du CRIST (Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes), Pierre Popovic enseigne la littérature au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Il a notamment publié des textes de fiction (Le dzi. Nouvelles, Montréal, Fides, 2009), des essais critiques sur la littérature française (Imaginaire social et folie littéraire. Le second Empire de Paulin Gagné, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Socius », 2008) et sur la littérature québécoise (La contradiction du poème. Poésie et discours social au Québec de 1948 à 1953, Candiac, Les Éditions Balzac, 1992), de la théorie-fiction (avec Michel Biron, Un livre dont vous êtes l’intellectuel, Montréal, Fides, 1998). Il a publié plus de deux cents articles en revue dont ces deux études récentes : « La sociocritique : présupposés, visées, cadre heuristique. L’École de Montréal », Revue des sciences humaines, no 299, septembre-octobre 2010, p. 13-29 ; « La dimension politique du soleil », dans Marie-Andrée Beaudet et Karim Larose (dir.), Le marcheur des Amériques. Mélanges offerts à Pierre Nepveu, Montréal, Paragraphes, 2010, p. 133-144.
Notes
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[1]
Voir Eric J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes. Histoire du court xxe siècle, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Historiques », 2003 [1999].
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[2]
Voir par exemple les travaux de Gilles Lazuech (L’exception française. Le modèle des grandes écoles à l’épreuve de la mondialisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999), d’Yves Tinard (L’exception française. Pourquoi ?, Paris, Maxima, 2001), de Christian Saint-Étienne (L’exception française. Pour un nouveau modèle démocratique de croissance, Paris, Armand Colin, 1992), de Laurent Wirth (L’exception française. 19e-20e siècles, Paris, Armand Colin, coll. « Synthèse/Histoire », 2000).
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[3]
Capsule vidéo : « Communication du gouvernement. Article 16 – loi du 7 août 1974 », visible à l’adresse www.culturepub.fr/videos/agence-pour-les-economies-d-energie-on- n-a-pas-de-petrole (dernière consultation : 24 mai 2010).
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[4]
L’expression fait en effet succéder du positif au négatif, mais en un débalancement logique issu de la réécriture d’un zeugme qui se lit comme suit : « avoir du pétrole et des idées ».
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[5]
Au point d’entraîner très rapidement chez les humoristes et les chanteurs la fabrication d’une kyrielle de formules détournées, lesquelles procèdent généralement par une substitution de complément d’objet : « des idées » devient « des idiots », « des betteraves », « Poulidor ». Le chanteur populaire Michel Sardou renchérira sur le racisme en puissance de l’expression : « Ils ont du pétrole, mais c’est tout. » Aujourd’hui encore ledit slogan fait des bourgeons. Dans un passé récent, « des idées » ont cédé le pas à « Zidane », « des Arabes », etc.
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[6]
« Dossier : le pouvoir intellectuel », Le Nouvel Observateur, no 2376 (du 20 au 26 mai 2010), p. 8-19.
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[7]
La « tutelle maritale », par exemple, obligeant une femme à avoir l’accord de son mari pour accepter un emploi, ne disparaît qu’en 1965.
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[8]
Nota bene : Attelé à un projet de recherche international de longue haleine, dont on trouvera des traces dans deux publications antérieures (La Ve République des Goncourt. Études réunies par Claudia Bouliane et Pierre Popovic, Montréal, Chaire James McGill de langue et littérature françaises, coll. « Discours social », vol. 30, 2008, et François Provenzano et Sarah Sindaco (dir.), La fabrique du Français moyen. Productions culturelles et imaginaire social dans la France gaullienne (1958-1981), Bruxelles, Le CRI/Ciel, 2009), ce collectif a bénéficié au fil de son développement de multiples soutiens. Que soient remerciés le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, la Direction des relations internationales et le Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, le Département des études françaises de l’Université Concordia.