Résumés
Résumé
Les enseignants ont-ils plus d’autonomie pédagogique qu’autrefois? Sont-ils devenus des professionnels de l’enseignement? Il semble que leur autonomie professionnelle ne soit pas entièrement reconnue. Ils sont souvent traités comme des subordonnés. Du moins, nos recherches montrent qu’ils sont souvent accusés pour des fautes d’insubordination. Nous présentons ici quelques-uns de nos résultats de recherche portant sur les décisions de justice pour insubordination contre des enseignants.
Mots-clés :
- autonomie professionnelle,
- enseignement,
- insubordination,
- éthique professionnelle,
- décision de justice
Abstract
Do teachers have more pedagogical autonomy than in the past? Did they become teaching professionals? It seems that their professional autonomy is not fully recognized. They are often treated as subordinates. At least, our research shows that they are often accused of offenses of insubordination. Here we present some of our research findings on insubordination court decisions against teachers.
Keywords:
- professional autonomy,
- teaching,
- insubordination,
- professional ethics,
- court decision
Corps de l’article
Introduction
Les enseignants québécois sont aujourd’hui formés pour adopter des comportements professionnels. Historiquement, l’idée de professionnaliser les enseignants apparaît dans le rapport Parent[1], paru en 1963 : « En situant la formation des instituteurs au niveau universitaire nous avons recommandé la première mesure requise pour que l’enseignement puisse se comparer aux autres professions » (1963, tome 2, p. 213). Dès les années 1960, des programmes universitaires sont créés pour remplacer les anciennes écoles de formation des maîtres. À partir de 1967, la formation universitaire devient obligatoire pour enseigner (Hamel, cité par Proulx, 2018). Le mandat des universités est de former les futurs professionnels de l’enseignement. Le modèle de l’enseignant professionnel va lentement s’imposer pour remplacer le modèle du maître instruit. Le maître instruit était celui qui avait avant tout une très bonne connaissance des matières à enseigner. Or, dans les écoles d’autrefois, le maître bénéficiait de peu d’autonomie dans son travail (Hamel, 1995). Il enseignait sous le regard de ses supérieurs, mais seul dans sa classe, il pouvait tout de même choisir quelques activités pédagogiques opportunes et judicieuses.
Les nouvelles formations universitaires amènent dorénavant les maîtres à développer des compétences sur l’enseignement, l’apprentissage (gestion de classe, pédagogie, didactique, évaluation, difficultés d’apprentissage, etc.), les particularités des populations étudiantes, l’éthique et l’histoire de l’éducation, en plus de bien maîtriser les matières à enseigner. À la suite de ce type de formation, il est souhaité que les enseignants acquièrent une plus grande autonomie professionnelle pour faire valoir leurs compétences pédagogiques (Lessard et Bourdoncle, 2002).
Les enseignants ont-ils plus d’autonomie pédagogique qu’autrefois? Sont-ils devenus des professionnels de l’enseignement? On définit habituellement un professionnel selon trois caractéristiques[2]. La première concerne son expertise, car il doit posséder des connaissances spécialisées pour réaliser ses tâches. En second lieu, il doit être habilité à exercer son jugement d’une manière autonome. Troisièmement, un lien de confiance doit présider aux interactions entre le professionnel et son client (Desaulniers et Jutras, 2006). Dans le cas des enseignants, ils doivent se conduire en tout temps de manière à maintenir non seulement la confiance des élèves, mais aussi celle des parents et de la population[3].
Théoriquement, les enseignants pourraient être considérés comme des professionnels de l’enseignement du fait que ces trois caractéristiques les définissent et qu’ils sont formés dans les universités québécoises pour se comporter comme de véritables professionnels.
Cependant, il semble qu’ils ne possèdent pas encore une pleine autonomie professionnelle, c’est-à-dire une pleine maîtrise pour décider de leur formation, déterminer leurs compétences, circonscrire leurs responsabilités, baliser leur liberté pédagogique, délimiter leur autorité professionnelle sur les élèves et définir leur statut moral. D’une part, ils ne sont pas reconnus comme des professionnels par l’Ordre des professions du Québec[4]. D’autre part, leur travail est régi par des instances[5] gouvernementales sur lesquelles ils n’ont que peu d’influence. Cette situation a pour effet de les priver de l’autonomie indispensable à la gestion de leur propre profession (Tardif, 2005). Ils jouissent certes de certains espaces d’autonomie[6] et d’une indépendance du jugement dans le choix des activités pédagogiques et des outils d’évaluation, mais leur travail s’exerce sous le contrôle de chefs d’établissements. En revanche, on ne pourrait pas dire qu’ils sont des exécutants soumis à leur hiérarchie, ou qu’ils sont asservis à leur supérieur immédiat.
Ce manque de reconnaissance explique peut-être pourquoi les enseignants du Québec ne se sont pas dotés de règles normatives formalisées et consignées dans un code d’éthique[7] (Gohier, 1999; Prairat, 2013; Jeffrey, 2018). Un code d’éthique, habituellement rédigé par les professionnels eux-mêmes, comporte un ensemble de principes, de normes et de valeurs qui visent le soutien à la prise de décision. Il incarne la sagesse pratique devant inspirer les professionnels. L’élaboration d’un code d’éthique aurait pu constituer une occasion en or pour clarifier et délimiter leurs nombreuses responsabilités et leur statut moral. Pourquoi baliser leur statut moral? Parce que les enseignants doivent agir dans l’école et hors de l’école afin de maintenir leur intégrité et la réputation de l’école. La Cour suprême du Canada, dans la cause Ross (1996), a déclaré que les enseignants doivent faire preuve d’une moralité exemplaire dans l’école et hors de l’école. Ils ne peuvent pas tenir publiquement des propos racistes ou homophobes sans que cela influence leur enseignement. C’est pourquoi la question de leur statut moral devient un enjeu important dans la rédaction d’un code d’éthique.
Il existe néanmoins une pléiade de textes de loi, de réglementations, de lettres d’entente et de décrets gouvernementaux qui ont pour visée de réguler le travail des enseignants au Québec. Cette documentation comporte un certain nombre de prescriptions éthiques (LIP, 19, 22), lesquelles ne couvrent cependant que très partiellement leurs nombreuses responsabilités. Comme agents de l’État, les enseignants sont également régis par le Code civil et d’autres types de réglementations, comme la Loi sur la protection de la jeunesse, le Code criminel et les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Leur convention collective comporte très peu d’indications d’ordre éthique, et celles présentées ont un degré de généralité très large. Par exemple, il y est écrit que les enseignants peuvent être sanctionnés pour immoralité, mais le genre de faute d’immoralité n’est pas indiqué.
Les recherches que nous menons depuis plus de vingt ans visent à colliger l’ensemble des régulations qui s’adressent aux enseignants québécois. En fait, nous souhaitons mettre au jour le cadre normatif de leur travail. Nous nous intéressons autant aux obligations légales qu’aux obligations éthiques, puisque les unes et les autres sont complémentaires. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que les décisions de justice portant sur le travail des enseignants comportent ces deux types d’obligations. Nous avons donc choisi d’étudier les décisions de justice, car celles-ci constituent une jurisprudence qui devrait orienter les pratiques des enseignants (Jeffrey, 2020, 2017). Après avoir colligé des centaines de décisions de justice, nous avons réalisé qu’un très grand nombre d’entre elles concernent des situations d’insubordination qui donnent lieu à des tensions entre un enseignant et ses supérieurs.
Les causes pour insubordination ont ceci d’intéressant qu’elles décrivent pourquoi un enseignant aurait dû se comporter de telle ou telle manière plutôt que d’une autre. En fait, elles indiquent des balises pour l’encadrement de l’autonomie professionnelle des enseignants. L’analyse des décisions de justice sur l’insubordination permet également de mettre au jour des zones de conflit dans les relations entre les enseignants et leur direction scolaire. L’insubordination, en effet, cache parfois un rapport de pouvoir qui envenime le climat scolaire. Nous avons aussi constaté que les enseignants et les chefs d’établissement ne connaissent pas toujours très bien les limites de leurs responsabilités.
Dans un premier temps, nous présentons les grandes orientations de notre recherche. Par la suite, nous clarifions les concepts d’insubordination et de sanctions disciplinaires. Enfin, nous présentons quelques résultats de nos recherches qui portent explicitement sur la liberté pédagogique et les limites de l’autorité des enseignants sur les élèves.
1. Recherches sur l’insubordination
Au tournant du deuxième millénaire, nous avons lancé un vaste projet de recherche pour étudier les décisions de justice concernant les fautes professionnelles des enseignants[8]. Nous voulions connaître les accusations les plus courantes portées contre des enseignants dans le cadre de leurs fonctions. Nous avons donc colligé des centaines de décisions de justice provenant des tribunaux de toutes les instances judiciaires, depuis les cours d’arbitrage du travail jusqu’à la Cour suprême du Canada[9]. Le seul critère retenu pour la recension de cette littérature assez inhabituelle était un manquement ou une faute en lien avec l’autonomie professionnelle. Dans les conventions collectives, les fautes sont le plus souvent relatives à l’incapacité physique ou mentale, à la négligence à remplir ses devoirs, à l’insubordination, à l’inconduite et à l’immoralité (Convention collective nationale 2015‑2020, 9‑2.22). En examinant cette littérature, nous cherchions à connaître les arguments juridiques et éthiques avancés par les juges pour prendre leurs décisions. Dans ces arguments se trouvent des balises normatives légitimes – que nous pouvons traduire en termes d’obligations et de responsabilités professionnelles – pour l’encadrement du travail et du statut des enseignants.
Nous avons réalisé que les décisions de justice les plus nombreuses concernent des fautes d’insubordination. C’est surtout au niveau du tribunal d’arbitrage du secteur de l’éducation du Québec, qui prend en considération les griefs[10] des enseignants, que sont entendues les causes pour insubordination. Ce type de causes est intéressant en ce qu’il présente généralement la contestation ou la résistance d’un enseignant contre sa direction scolaire. Il nous est apparu qu’il fallait savoir pourquoi un enseignant a été sanctionné pour une faute d’insubordination. Un enseignant a-t-il enfreint un règlement scolaire? A-t-il refusé d’acquiescer à la directive[11] d’un membre de sa direction scolaire? Ou bien a-t-il tenu un langage inapproprié? Il appert que nombre d’enseignants ont été sanctionnés parce qu’ils ont désobéi à leur supérieur hiérarchique. Or, avaient-ils raison de s’opposer à leur chef d’établissement?
L’étude des causes pour insubordination, à bien des égards, permet de révéler les rapports conflictuels entre les directions scolaires et les enseignants. Un grand nombre d’enseignants ont contesté une sanction pour insubordination parce qu’ils la considéraient comme injuste. Cela montre d’emblée que les points de vue, les valeurs et les arguments des directions scolaires et des enseignants (appuyés par leur syndicat) peuvent être contradictoires; ce qui peut avoir pour effet d’envenimer les relations entre eux. Il arrive que des membres d’une direction scolaire voient de l’insubordination là où il n’y en a pas, ou, a contrario, qu’un enseignant n’admette pas avoir adopté un comportement d’insubordination, alors qu’il est effectivement dans son tort. Ce décalage peut engendrer des affrontements majeurs au sujet des obligations et des responsabilités de chacun.
Dans notre recherche, nous avons étudié des décisions de justice où un enseignant conteste une sanction pour insubordination qu’il considère comme injuste. Lorsqu’un enseignant dépose un grief, c’est que la situation conflictuelle avec sa direction n’a pas pu être réglée à l’amiable[12], car les divergences étaient vraisemblablement trop profondes. Par ailleurs, il est pertinent de supposer que nombre de situations d’insubordination, malgré leur gravité, sont réglées à l’amiable. Un conflit entre un enseignant et sa direction scolaire peut trouver une conclusion satisfaisante pour les deux parties[13], puisqu’une entente ou un compromis est certainement préférable à une bataille judiciaire.
Sur des centaines de causes d’insubordination entendues par le tribunal d’arbitrage du Québec entre 1970 et 2017, nous en avons retenu 49. De ce nombre, nous en avons choisi 24 à partir des trois critères suivants, dans le but de mener des analyses plus approfondies : 1) la nature et la gravité de l’insubordination en lien avec la pertinence de la sanction; 2) une complexité permettant de mettre en évidence les obligations et les responsabilités professionnelles des enseignants; 3) des conflits où l’entêtement des partis et des personnalités a conduit à des impasses. Ces 24 situations d’insubordination nous ont permis de clarifier, du moins en partie, les limites des libertés académiques, pédagogiques et disciplinaires des enseignants d’une part, et les limites de l’autorité des directions scolaires sur les enseignants[14] d’autre part.
2. L’insubordination, l’autorité scolaire et le régime disciplinaire
Dans cette partie, nous définissons d’abord les trois aspects de l’insubordination. Par la suite, nous abordons le thème de la légitimité des sanctions disciplinaires pour ce type de faute.
2.1 Définir l’insubordination
La faute pour insubordination touche à plusieurs types de comportements considérés comme inacceptables dans un milieu de travail (Le Corre, Laroche et Bernier, 2013). Elle constitue habituellement un manquement volontaire et intentionnel. Lorsqu’une personne en autorité décrète qu’il y a une faute, elle doit alors évaluer sa gravité et mener une intervention conséquente.
Nous avons regroupé en trois catégories les fautes d’insubordination retenues pour notre recherche. Premièrement, il y a les fautes à l’égard des règles, deuxièmement, celles à l’égard d’une directive de la direction et, troisièmement, celles concernant une conduite outrancière. Dans la première catégorie se trouvent les situations où un enseignant ne respecte pas les règles conventionnées de l’institution scolaire, par exemple si un enseignant quitte sa classe avant la fin du cours sans aviser la direction, s’il prend des vacances alors qu’il n’y a pas droit, s’il est souvent en retard, s’il manque aux règles d’hygiène, porte des vêtements inappropriés, prend trop de retard dans la remise des notes à la fin d’un trimestre ou ne respecte pas le projet éducatif de l’école. Ces situations d’insubordination sont volontaires, puisque l’enseignant se doit de connaître les règles et dispositions administratives qui régissent son travail.
La seconde catégorie comprend les situations où un enseignant ne respecte pas la directive d’un membre de sa direction, par exemple s’il ne se présente pas à un rendez-vous avec un membre de la direction, ne remet pas à la direction sa planification pédagogique, refuse de participer à une activité de formation qui lui est personnellement dédiée ou ne veut pas accomplir une tâche d’enseignement que lui propose sa direction. Ces situations d’insubordination révèlent souvent des comportements de confrontation entre un enseignant et un membre de sa direction.
La troisième catégorie se compose de fautes pour conduites outrancières, par exemple si un enseignant insulte un collègue ou un membre de la direction, dénigre des élèves, profère des propos méprisants ou injurieux lorsqu’il s’adresse aux parents d’élèves, utilise un langage grossier dans une réunion, harcèle un membre de sa direction ou critique sur Facebook, dans un style acerbe et virulent, les décisions de sa direction. Ces comportements constituent de l’insubordination dans la mesure où un enseignant doit respecter des normes professionnelles de civilité qui l’invitent à montrer en toutes situations un respect irréprochable à l’égard d’autrui (D’Aoust, Saint‑Jean, Trudeau, 2005). Dans une cause pour propos grossiers (cause 4)[15], l’arbitre affirme que l’enseignant devait respecter en tout temps, même lors d’une journée de formation, ses devoirs de civilité et de convivialité.
Dans le monde scolaire, il arrive souvent qu’un enseignant refuse d’acquiescer aux directives de son supérieur immédiat. Soulignons d’emblée que la directive d’un supérieur constitue un acte de pouvoir. Un supérieur est autorisé à adresser à un enseignant ou à l’ensemble des enseignants des directives pour des raisons administratives. De ce fait, il possède une autorité sur les enseignants. Il en va de même pour l’enseignant qui, en position d’autorité sur les élèves, leur adresse constamment des directives pour des raisons d’apprentissage et de discipline.
Un enseignant peut refuser d’acquiescer aux directives d’un membre de sa direction si celles-ci ne sont ni claires ni précises, si son supérieur abuse de son pouvoir, s’il n’est pas en mesure d’accomplir ce qui lui est demandé ou si l’accomplissement de la tâche exigée ne lui revient pas. Son refus remet alors en question la légitimité de l’autorité de son supérieur. Il devra bien sûr être en mesure d’expliquer son refus à l’aide d’arguments recevables. Nous avons relevé que des enseignants, plutôt que de présenter des arguments pour défendre leur refus, déployaient plutôt une attitude colérique et vindicative (causes 4, 6 et 7). Certains d’entre eux ont également manifesté leur désaccord par un comportement agressif, des actes d’intimidation ou des menaces. À l’évidence, ces réactions constituent des offenses inacceptables qui aggravent la situation d’insubordination.
Le spectre des directives de la part de l’autorité scolaire peut être très large et toucher la pédagogie, la gestion de classe, la moralité ou toute autre activité qui concerne le travail et le statut des enseignants, ce qui compromet, à bien des égards, leur autonomie professionnelle. Les directives peuvent concerner des activités qui se déroulent dans l’école ou hors de l’école alors que l’enseignant est en fonction, ou même lorsqu’il n’est pas en fonction. À cet égard, une direction scolaire peut interdire aux enseignants de participer à une activité organisée par des élèves hors de l’enceinte scolaire et hors des heures scolaires. À titre d’exemple, dans la cause d’un enseignant de Roberval (cause 1), la direction scolaire avait interdit à son personnel de participer à l’activité étudiante de l’après-bal de fin d’études. Deux membres du personnel de l’école, un psychologue et un enseignant, ont été sanctionnés parce qu’ils ont transgressé cette directive en se présentant à l’après-bal de fin d’études, qui se déroulait le 21 juin alors que l’année scolaire venait de se terminer. L’enseignant a contesté la mesure disciplinaire, mais l’arbitre a donné raison à la direction. Pourquoi? Uniquement parce que la directive de la direction avait été enfreinte.
Cette décision montre l’étendue du pouvoir disciplinaire des directions scolaires sur les enseignants. Dans la célèbre cause Audet (1996), les juges de la Cour suprême du Canada avaient écrit que les enseignants sont en position d’autorité ou de confiance à l’égard des élèves de leur école, même hors des heures de classe. Il est donc présumé que les enseignants sont en fonction 365 jours par année, 24 heures sur 24, c’est-à-dire qu’ils ne pourraient pas entièrement jouir, comme tous les autres travailleurs, du droit à la vie privée. Les mêmes juges, dans la cause Ross (1996), ont conclu que les enseignants devaient avoir une moralité exemplaire autant à l’école que dans leur vie privée. La décision Ross est entièrement acceptable, puisqu’il s’agissait d’un enseignant qui tenait des propos antisémites sur la place publique. Le juge en chef de la Cour suprême avait précisé sa pensée en écrivant : « Loin de moi l’idée de vouloir ainsi soumettre la vie entière des enseignants à un contrôle démesuré dicté par des normes morales plus strictes. Cela risquerait d’entraîner une violation importante des droits à la protection de la vie privée et des libertés fondamentales des enseignants » (Ross, 1996, p. 45). La Cour suprême, dans les causes Audet et Ross, a malgré tout validé la règle selon laquelle l’autorité d’une direction scolaire s’applique aux enseignants, même hors de l’école. Par exemple, un chef d’établissement peut interdire aux enseignants d’adopter certains comportements dans le cadre d’une activité scolaire extramuros (Jeffrey et al., 2017, 2016, 2009).
Nous avons constaté que les conflits entre enseignants et directions scolaires surgissent le plus souvent lorsque des directives se trouvent dans une zone grise, lorsque les responsabilités de chacun ne sont pas clairement établies, lorsqu’elles ne semblent pas raisonnablement justifiées ou encore lorsqu’elles touchent à des activités parascolaires qui se déroulent hors de l’école. Si une consigne n’est pas raisonnablement justifiée, l’enseignant peut l’interpréter comme un abus d’autorité. Il aura le sentiment qu’on s’en prend à son intégrité professionnelle ou à la valeur de sa personne. Les enseignants sont très sensibles aux directives qui leur semblent inappropriées, abusives ou infantilisantes.
2.2 Les sanctions disciplinaires
Puisqu’une direction scolaire possède un pouvoir disciplinaire sur les enseignants, elle a un droit de gérance sur leur travail et leurs conduites. Dans une situation de faute professionnelle avérée, diverses sanctions disciplinaires et mesures administratives peuvent être imposées à un enseignant. Lorsque la faute est volontaire, la sanction est disciplinaire, alors qu’une faute involontaire est suivie d’une mesure administrative. Une mesure administrative est habituellement de moindre valeur juridique et ne peut être contestée devant un tribunal d’arbitrage. La mesure administrative vise à remédier à une situation inacceptable, comme une incapacité physique ou psychologique liée à la toxicomanie.
Selon le Code du travail du Québec, une sanction disciplinaire constitue « toute mesure [...] prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif » (article L. 1331‑1). Par une sanction disciplinaire, un chef d’établissement demande à un enseignant de corriger son comportement. Une telle sanction ne peut viser à punir la personne de l’enseignant, mais uniquement l’acte fautif. L’enseignant doit s’engager à cesser immédiatement son comportement, sinon il peut recevoir une nouvelle sanction. Pour la direction scolaire, une sanction sert à rétablir la légitimité des règles scolaire et à rappeler à l’enseignant ses obligations et responsabilités. Un enseignant dispose de 20 jours pour contester une sanction disciplinaire[16].
Selon les normes du droit du travail, trois principes doivent être respectés dans l’administration des sanctions : celui de la proportionnalité, selon lequel une sanction doit être équivalente à la gravité de la faute, celui de la gradation, qui veut qu’à une première offense la sanction soit moins sévère qu’à une nième offense, et celui de l’interdiction de la double sanction, c’est-à-dire que l’employeur ne peut pas punir deux fois la même faute. La sanction la moins sévère est l’avis disciplinaire, puis il y a les suspensions, et enfin le congédiement. Un chef d’établissement peut imposer une sanction plus ou moins sévère selon les facteurs suivants : les circonstances, la nature des fonctions occupées, l’âge, l’ancienneté, le dossier disciplinaire antérieur, l’absence de préméditation, la formulation d’excuses, la provocation, le caractère isolé de l’acte et l’attitude de l’enseignant.
Notre recherche montre que les autorités scolaires sont plutôt sévères à l’égard des enseignants, et la règle de la gradation des sanctions n’est pas toujours respectée. Cependant, toutes les sanctions sont contestables devant la cour d’arbitrage. Les décisions des arbitres sont variables, mais nous avons constaté que ceux-ci respectent habituellement le régime hiérarchique du monde scolaire.
3. Discussion de quelques causes d’insubordination
Rappelons que les causes retenues pour notre analyse proviennent du tribunal d’arbitrage du travail du secteur de l’éducation du Québec et qu’une cause a été entendue parce qu’un enseignant a contesté la sanction reçue. Il revenait alors à l’arbitre de trancher le litige. Même si certaines causes remontent aux années 1970, force est de constater que la conception qu’ont les arbitres de l’insubordination n’a pas beaucoup changé. On observe une forte cohérence entre les décisions judiciaires d’hier et d’aujourd’hui. Pour la discussion, nous avons choisi des causes qui portent sur des enjeux d’autonomie professionnelle et d’autorité des enseignants.
Dans la cause Tessier (cause 2), l’enseignant est responsable de classes de français et d’histoire depuis 21 ans. En 1995, le conseil d’école entérine une nouvelle règle au sujet de la notation des travaux d’élèves : les enseignants ne peuvent plus mettre une note inférieure à 40 % dans le bulletin des élèves, à moins d’une dérogation approuvée par la direction. Cette règle avait été préalablement acceptée par la majorité des enseignants, à l’exception notamment de l’enseignant Tessier, qui écrit une lettre de protestation au ministère de l’Éducation et une autre au directeur des services éducatifs de sa commission scolaire pour s’en plaindre. La commission scolaire appuie fermement la direction de l’école, mais l’enseignant Tessier inscrit tout de même dans le premier bulletin de l’année scolaire des notes inférieures à 40 %, puis reçoit une lettre de réprimande dans laquelle il lui est demandé de changer les notes. Refusant d’obtempérer, l’enseignant est suspendu trois jours sans salaire pour insubordination. L’enseignant conteste ensuite sa suspension devant le tribunal d’arbitrage, mais l’arbitre maintient la sanction. Monsieur Tessier ne lâche pas prise et inscrit de nouveau, dans le deuxième bulletin de l’année, des notes inférieures à 40 %. Toutefois, la direction intercepte les bulletins et modifie les notes avant de les faire suivre aux parents. L’enseignant Tessier écrit alors à certains parents pour leur signifier que leur enfant aurait dû recevoir une note inférieure à celle inscrite sur leur bulletin. Cette fois, il est suspendu pour cinq jours. Il conteste une deuxième fois la sanction devant le tribunal d’arbitrage, et l’arbitre maintient une nouvelle fois la sanction.
Hélas, la situation perdure. Au troisième trimestre, il inscrit de nouveau sur le bulletin des notes inférieures à 40 %. Lors de la discussion entre ce dernier et la direction scolaire, l’enseignant traite notamment le directeur de « personnage méprisable ». Finalement, l’enseignant est suspendu pour 48 jours sans salaire. Il conteste une troisième fois cette suspension. L’arbitre réduit la suspension à 20 jours, en précisant cependant que la commission scolaire est dans son droit de lui imposer une troisième sanction. L’arbitre conclut sa décision en précisant : « Ce n’est pas parce que monsieur Tessier a une longue expérience comme enseignant qu’il cesse d’être soumis à l’autorité de l’école et à ses politiques. L’expérience ou l’ancienneté ne donnent pas l’immunité ». Autrement dit, l’arbitre critique la sévérité de la sanction, mais il ne défend d’aucune façon l’attitude de l’enseignant Tessier. En fait, il reconnaît que l’enseignant Tessier ne possède pas l’autonomie professionnelle concernant la notation scolaire et qu’il doit respecter les règles de l’école, même si l’enseignant Tessier pouvait posséder de très bonnes raisons de contester une règle qui, à ses yeux, fausse la réalité des résultats scolaires des élèves.
Dans nombre de causes, des titulaires de classe ont pris des décisions allant à l’encontre des intérêts des élèves, à l’instar de l’enseignant Xavier, qui punit une élève en lui donnant des pages et des pages d’un volume d’histoire à copier et à remettre pour le lendemain (cause 3). L’arbitre précise dans cette cause que la Loi sur l’instruction publique offre à l’enseignant une certaine liberté disciplinaire dans sa classe, mais qu’elle doit s’inscrire dans le cadre du projet éducatif de l’école. De plus, il rappelle à l’enseignant que ses propres droits en tant qu’enseignant passent après ceux des élèves :
L’autonomie que le plaignant revendique a des limites. Ni la loi ni la convention collective ne lui garantissent une autonomie professionnelle qui donne préséance à ses droits sur ceux des élèves et qui le soustrait du devoir de collaboration à la mise en oeuvre des moyens propres à assurer que les besoins des élèves soient rencontrés et que leurs droits soient respectés.
Jeffrey et Harvengt, 2017, p. 75
Étant donné que de jeunes enseignants se distinguent par leur style vestimentaire, nous nous sommes intéressés à une décision d’arbitrage qui touche leurs libertés quant à l’esthétique corporelle et vestimentaire (cause 4). La nouvelle directrice du Centre multiservice des Samares, qui offre plusieurs programmes professionnels en santé, cherchait notamment à interdire le port du jean, de la barbe et des cheveux colorés. Dans cette cause, l’arbitre fait valoir que les règles de la directrice de l’école portent préjudice aux enseignants, du fait qu’il y a atteinte à leur liberté d’expression et à leur vie privée. L’arbitre cite, pour soutenir sa décision, la spécialiste du droit Anne‑Marie Delagrave, qui écrit :
Enfin, certaines exigences concernant l’apparence physique constituent selon nous une atteinte flagrante au droit au respect de la vie privée, et cela particulièrement lorsque le salarié se trouve limité dans ses choix concernant son apparence non seulement pendant les heures de travail, mais également en dehors de celles-ci [...]. L’interdiction du port de la barbe et de la coloration capillaire de même que les exigences concernant la longueur des cheveux en sont de bons exemples. À notre avis, tous ces éléments de l’apparence physique relèvent d’un choix de nature fondamentalement privée ou intrinsèquement personnelle et sont donc protégés « a priori » par le droit au respect à la vie privée.
Jeffrey et Harvengt, 2017, p. 107
L’arbitre a souligné finalement que la direction scolaire n’avait pas démontré que l’objectif poursuivi était suffisamment légitime et important.
La question de l’autorité des enseignants sur des élèves en activité hors du cadre scolaire a été discutée dans plusieurs griefs. Un enseignant est en position d’autorité sur tous les élèves de son école durant ses heures de travail. S’il travaille dans une grande école, il a le devoir d’intervenir dans tous les espaces de l’école (corridors, cafétéria, salle de sport, cour de récréation, autobus scolaire, etc.) et auprès de n’importe quel élève pour le ramener à l’ordre. Son autorité demeure entière, comme le montrent les causes 1 et 5. Dans la cause 5, l’enseignant se présente à une activité de cabane à sucre organisée par les élèves, mais qui avait été interdite par la direction. Dans la cause 1, l’enseignant se présente à la fête de l’après-bal, alors que la direction a interdit à tout son personnel d’y participer.
Les décisions des arbitres sont unanimes dans ce type de cause, car un enseignant est présumé être en position d’autorité pour toutes les activités qui impliquent les élèves de l’école, que l’activité se déroule dans l’espace scolaire ou hors de l’espace scolaire, qu’elle soit organisée par l’école ou par les élèves. Par conséquent, un enseignant qui accompagne des élèves dans un tournoi sportif ou lors d’un séjour touristique reste entièrement responsable des élèves. Les mêmes règles institutionnelles, lors de ces activités, s’appliquent aux élèves autant qu’aux enseignants. Lorsque l’activité est organisée par des élèves et qu’elle se déroule hors du cadre scolaire, la direction peut interdire à son personnel d’y participer. Si un enseignant y participe tout de même, il se trouve alors en position d’autorité sur les élèves, mais il commet une insubordination.
L’autorité de l’enseignant sur les élèves hors du cadre scolaire comporte toutefois plusieurs zones grises. En effet, faut-il penser qu’un enseignant est en fonction dès qu’il rencontre à l’improviste un élève dans un centre commercial, dans un bistrot ou sur un terrain de golf? Cette question a été abordée dans les causes où un enseignant s’est trouvé dans un débit d’alcool fréquenté par les élèves, où ceux-ci buvaient de l’alcool. À deux reprises, des arbitres ont considéré que l’enseignant doit aviser le serveur s’il croit que les élèves n’ont pas la majorité. En ce qui concerne les autres espaces publics, nous n’avons pas trouvé de causes pouvant éclairer la situation.
Comment évaluer si un enseignant est en position d’autorité sur un élève hors de l’école alors qu’il n’est pas en fonction? Cette question demeure pour l’instant ouverte. Cependant, soulignons deux conditions qui devraient être prises en compte. D’abord, on ne peut pas présumer du lien d’autorité d’un enseignant sur un élève. Cela signifie que l’autorité de l’enseignant n’est pas automatiquement reconnue par un élève hors du cadre scolaire. Si l’élève ne reconnaît pas l’autorité de l’enseignant, alors ce dernier ne détient aucun pouvoir sur lui[17]. Ainsi, un juge devrait être en mesure d’évaluer la capacité d’autorité de l’enseignant sur les élèves hors du contexte scolaire. D’autre part, est-ce qu’un enseignant est vraiment habilité à discipliner un élève hors du contexte scolaire? Rien ne nous le laisse croire. Un enseignant n’est pas un policier, et il ne connaît aucune méthode d’intervention auprès de jeunes qui auraient un comportement prohibé hors du cadre scolaire. À cet égard, un enseignant n’a pas plus d’autorité sur un élève que n’importe quel autre citoyen. Même si un enseignant, hors d’un cadre scolaire, est reconnu comme leur « enseignant » par un groupe d’élèves, on ne peut présumer qu’ils reconnaissent son autorité sur eux. Dans une même situation, un policier qui ne serait pas en fonction n’aurait pas plus d’autorité que l’enseignant. C’est bien qu’il en soit ainsi, puisqu’est alors protégée la vie privée des policiers, comme devrait l’être celle des enseignants.
Nous avons défini quatre critères visant à établir si un enseignant est en fonction, donc en position d’autorité, en présence d’élèves hors de l’espace scolaire. Le premier concerne la nature scolaire de l’activité. Un enseignant est en position d’autorité dans toutes les activités scolaires. Un enseignant qui rencontre fortuitement des élèves au cinéma ou au centre sportif peut être en position d’autorité si les élèves y sont pour des raisons scolaires. Le deuxième critère a pour objet une consigne claire d’une direction scolaire qui déclare que les enseignants sont en position d’autorité sur les élèves pour une activité qui se déroule dans un contexte non scolaire. Le troisième critère porte sur la nature du lieu. Dans un espace réservé aux adultes, comme un débit de boisson, il est reconnu aux enseignants une autorité sur les élèves. Enfin, le quatrième critère touche les situations hors du cadre scolaire, mais lorsque l’enseignant est invité comme enseignant, par exemple dans le cas où des parents invitent des enseignants à une fête d’enfants. Dans cette situation, l’activité est sans lien avec la directive scolaire et l’enseignant est soustrait à son rôle d’autorité si un parent est en position d’autorité sur son enfant. En somme, la présence d’un élève à une activité n’établit pas automatiquement l’enseignant dans son rôle d’autorité. Les situations étant trop diverses et circonstanciées, chacune devrait être examinée en tenant compte du contexte et des personnes en présence. Cependant, dans les situations où un enseignant séduit un élève de son école pour développer un lien amoureux ou obtenir une faveur sexuelle, alors son autorité est d’emblée reconnue. Cette situation étant particulière, on ne peut l’étendre aux situations disciplinaires où un enseignant rencontre un élève en train de commettre un délit dans un supermarché par exemple.
En somme, la position d’autorité d’un enseignant sur des élèves doit être évaluée dans chaque situation. On ne peut pas la présumer. Hors du cadre scolaire, il faudrait donc prouver qu’un élève reconnaît l’autorité d’un enseignant, c’est-à-dire son pouvoir d’intervention. Ainsi, cette question de l’autorité de l’enseignant sur les élèves reste ouverte. Pourtant, elle est très importante, car il arrive régulièrement qu’on reproche à un enseignant d’avoir omis de faire preuve d’autorité sur un élève alors qu’il n’était pas en fonction, et par surcroît, que la scène ne se déroulait pas dans un contexte scolaire. Il y aurait donc lieu de faire une distinction entre l’autorité et le pouvoir d’un enseignant.
Soulignons, pour terminer cette partie, que d’autres causes, que nous ne pouvons pas présenter ici par manque d’espace, ont permis de préciser les limites de la liberté d’expression des enseignants, les limites de leurs libertés pédagogiques, leur droit d’utiliser du matériel scolaire qu’ils ont fabriqué eux-mêmes, leur devoir de collégialité et leur devoir de civilité. L’arbitre Jean M. Morency écrit au sujet de la liberté pédagogique dans la cause de l’enseignant qui avait abusé de son pouvoir pour punir un élève : « Il n’est donc pas juste et bien fondé de croire et de soutenir que les enseignants détiennent un pouvoir absolu dans leurs classes et qu’ils peuvent exercer celui-ci comme bon leur semble et sans droit de regard de la direction » (Jeffrey, 2017, p. 252). Dans une autre cause, l’arbitre Blouin précise « qu’un employeur est en droit […] d’imposer certaines orientations et qu’il appartient à l’enseignant de se plier aux exigences formulées par l’école et non à l’école de se plier à l’enseignant » (Jeffrey, 2017, p. 252).
Conclusion
Chaque cause est unique et montre différentes facettes de l’insubordination en enseignement. Malgré tout, notre recherche sur l’insubordination a permis de préciser davantage les limites de l’autonomie professionnelle des enseignants. On ne peut fonder une conception de la responsabilité professionnelle uniquement sur des décisions de justice, mais elles permettent tout de même de clarifier un certain nombre de règles qui encadrent la liberté pédagogique et l’autorité des enseignants.
Pourquoi les situations d’insubordination sont-elles si nombreuses? La complexité des relations entre des enseignants et une direction scolaire explique en partie cette récurrence. À cette raison s’adjoignent plusieurs autres facteurs. Certains enseignants ont ouvertement contesté leur supérieur. Ces contestations sont considérées par les directions scolaires comme des actes d'insubordination, même si un enseignant avait raison. Brieschke (1985) reconnaît qu’un certain type d’insubordination peut être avantageux sur le plan de la créativité, qui se caractérise par le fait que des travailleurs décident de ne pas appliquer des directives qui, selon eux, ne sont pas adaptées à leur milieu de travail ou occasionnent davantage de problèmes que de solutions. Dans les faits, chaque situation dite d’insubordination doit être examinée dans son contexte et mise en relation avec la reconnaissance d’une dignité inaliénable à chaque employé.
On doit admettre, par ailleurs, que des gestionnaires ne sont pas nécessairement toujours bien formés pour interagir avec les enseignants. Leurs manières sont gauches. Dès que des questions leur sont posées et qu’on leur demande des explications supplémentaires, l’administration se cabre. Pourtant, ces demandes ne sont pas nécessairement des actes d’insubordination (Nelson, 1984). Or, la ligne est parfois ténue entre une attitude de défiance vis-à-vis de l’autorité scolaire et la réaction raisonnable d’un employé confronté à une nouvelle organisation du travail (Schwartz, 1993).
Rappelons que même si l’école s’est démocratisée au début des années 1970, un régime hiérarchique à tendance paternaliste y survit encore. Pour régler les mésententes entre des enseignants et leur direction scolaire, nous prônons l’institution d’un comité de conciliation composé notamment d’enseignants et d’administrateurs qui auraient pour mandat de traiter les conflits dans les situations d’insubordination. Un tel comité aurait une place intermédiaire pour réguler les différends avant de recourir aux tribunaux. L’analyse des situations d’insubordination dans les causes retenues laisse voir que la plupart d’entre elles auraient pu trouver une résolution à l’amiable. Nous croyons cette solution préférable à l’affrontement des procureurs, avec des arguments souvent factices, adressés à un juge devant arbitrer les conflits.
Enfin, nous pourrions soutenir que les enseignants n’ont pas à attendre un code d’éthique pour agir de manière respectueuse et responsable, faire preuve d’autocritique, s’autoréguler, attirer la confiance des élèves et se comporter avec professionnalisme. La plus grande majorité des enseignants agissent avec professionnalisme lorsqu’ils montrent, dans chacune de leurs décisions, leur maîtrise des compétences à enseigner et à gérer une classe. De plus, leur formation de quatre ans les rend aptes à justifier de manière responsable chacune des décisions qu’ils prennent dans le cadre de leurs fonctions. Par ailleurs, il semble que la population leur accorde sa confiance même s’ils n’ont pas de code d’éthique. Néanmoins, nous souhaitons tout de même que les enseignants se dotent d’un code d’éthique qui permettrait à juste titre de distinguer leurs responsabilités et celles de leur direction scolaire. Pourquoi attendre de nouvelles fautes d’insubordination pour approfondir cette question primordiale?
Parties annexes
Notes
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[1]
Le rapport Parent, publié en 1963, fait état des orientations politiques prises par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec formée en 1961. Parmi les apports les plus marquants de ces orientations, soulignons la création d’un ministère de l’Éducation, la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, la formation universitaire des enseignants et la création des universités publiques.
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[2]
La littérature est très riche sur cet aspect, et nous savons qu’une profession peut être définie selon plusieurs autres caractéristiques.
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[3]
Pour donner un contre-exemple, le lien de confiance entre un avocat et son client ne concerne pas la population.
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[4]
Cet organisme gouvernemental a pour mandat de déterminer les groupes de travailleurs pouvant être reconnus comme professionnels.
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[5]
Ces instances, sous la gouverne du ministère de l’Éducation, prennent des décisions qui déterminent le travail des enseignants au quotidien dans la classe.
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[6]
Tous les syndicats de l’enseignement au Québec luttent depuis de nombreuses années pour obtenir une plus grande autonomie professionnelle.
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[7]
On dit aussi « code de déontologie ». Le terme déontologie est le plus souvent utilisé par les groupes de travailleurs reconnus comme professionnels par l’Ordre des professions du Québec.
-
[8]
Ce travail a bénéficié du soutien financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
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[9]
Nous avons consulté plusieurs banques de données, dont celles de l’Institut canadien d’information juridique (CanLII); de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ); de Quicklaw, d’Azimut et de Natquest. Ces banques sont accessibles depuis le site Web de la bibliothèque de l’Université Laval. Plusieurs décisions ne sont pas éditées ou sont scellées, c’est-à-dire qu’elles sont indisponibles pour notre étude.
-
[10]
Un grief est déposé lorsqu’un enseignant conteste la sanction qu’il a reçue de son établissement scolaire.
-
[11]
Dans les textes de droit sont aussi utilisés les mots « consigne » et « ordre » comme dans « recevoir un ordre de la direction scolaire ».
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[12]
On doit considérer qu’un très grand nombre de situations d’insubordination sont réglées à l’amiable. Par exemple, la menace d’une sanction peut amener un enseignant à s’amender.
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[13]
Il va de soi que nous n’avons pas accès à ces situations. Aussi, on peut très bien imaginer des situations où un directeur d’établissement adresse à un enseignant un avis d’insubordination et que ce dernier ne le conteste pas.
-
[14]
Le chapitre trois (p. 233‑278) de notre livre Éthique et insubordination en éducation présente l’ensemble des conclusions de notre recherche.
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[15]
Les références des causes sont présentées à la fin du texte. Elles sont numérotées de 1 à 7.
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[16]
Une règle implicite veut que l’enseignant obéisse à l’autorité d’abord et pose un grief par la suite.
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[17]
Cette autorité est supposée par les juges de la Cour suprême du Canada et sert d’argument pour rendre un verdict de culpabilité dans la cause Audet (1996). Nous avons examiné cet argument dans Jeffrey et Harvengt (2020).
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