Résumés
Résumé
Cet article propose une analyse des conflits sociaux de la postindépendance dans les manuels d’histoire d’Haïti publiés depuis les années 1990. Cette période est en fait marquée par l’existence d’une double approche historiographique, proposant chacune une lecture des luttes sociales passées, ainsi que par des changements sociopolitiques (chute d’une dictature) et éducatifs (introduction d’une réforme éducative) survenus dans la société haïtienne. L’analyse proposée cherche à rendre compte des fondements épistémologiques et des enjeux éthiques liés à la construction du mode d’appréhension de la liberté proposé aux élèves à travers les manuels publiés depuis cette période. Nous montrons que le traitement des conflits sociaux à travers ces manuels participe d’une logique de légitimation des inégalités sociales (passées et présentes) en dissimulant l’idéal démocratique qui sous-tend la participation de certains groupes sociaux à des luttes sociales à travers l’histoire d’Haïti.
Mots-clés :
- conflits sociaux,
- liberté,
- approches historiographiques,
- inégalités sociales,
- idéal démocratique
Abstract
This article presents an analysis of the social conflicts of post-independence in Haiti's history textbooks published since the 1990s. This period is in fact marked by the existence of a dual historiographical approach, each part proposing a reading of past social struggles, and by the socio-political change (fall of a dictatorship) and educational change (introduction of educational reform) that occurred in Haitian society. The proposed analysis seeks to relate the epistemological foundations and the ethical issues linked to construction of the mode of apprehension of freedom proposed to the pupils in the history texts published since that period. We show that the treatment of social conflicts in these texts participates in a logic of legitimization of social inequalities (past and present) by concealing the democratic ideal that underlies the participation of certain social groups in social struggles throughout Haiti’s history.
Keywords:
- social conflicts,
- historiographical approaches,
- social inequalities,
- democratic ideal,
- freedom
Corps de l’article
Introduction
Le manuel scolaire, en plus d’être un outil pédagogique, participe à la transmission « […] d’un système de valeurs, d’une idéologie, d’une culture » (Choppin, 1992, p. 19). Dans le cas particulier de l’histoire scolaire, son contenu varie en fonction des mutations d’ordre politique, éducatif (Tutiaux-Guillon, 2009) ou historiographique (Heimberg, 2009). Le besoin de légitimation sociale et politique caractérisant l’histoire en général (Lautier, 1997) soulève des débats idéologiques concernant la transposition des savoirs savants dans les manuels d’histoire. Cette dimension idéologique ressort entre autres à travers la présentation des groupes sociaux, de leur rôle et de leur place (Le Marec, 2005; Demers, Éthier et Lefrançcois, 2010). La différenciation des groupes peut se faire d’un point de vue économique, social et politique. Sont alors considérées les inégalités sociales caractérisant les sociétés passées et présentes à la connaissance desquelles l’enseignement de l’histoire a pour objectif d’introduire les élèves (Audigier, 2013). Nous interrogeons ici la participation des manuels d’histoire à la légitimation d’un ordre social déterminé en nous basant sur leur description des groupes sociaux et de leurs rapports.
Cet article propose d’analyser le traitement des conflits sociaux dans les manuels d’histoire d’Haïti. Il vise à dégager les fondements épistémologiques et les enjeux éthiques liés à la vision de la liberté dans ces manuels en faisant ressortir la logique qui sous-tend les conflits qui y sont traités. Nous appréhendons ces manuels comme participant d’une légitimation de l’ordre social autocratique et inégalitaire qui persiste encore aujourd’hui, et ce, à travers une dissimulation de l’idéal démocratique. Celui-ci sous-tend la participation de certains groupes sociaux à des luttes sociales avant et après 1804. Ces manuels représentent ainsi un moyen discursif utilisé dans cette société haïtienne inégalitaire pour « […] se protéger du regard critique de ceux et celles qui s’en perçoivent comme les victimes » (McAll, 2017, p. 89).
Nous privilégions l’entrée par l’étude des conflits afin d’élucider ce rôle des manuels d’histoire d’Haïti – pourtant élaborés dans le contexte de la « transition vers la démocratie[1] » (Midy, 1996) en Haïti – dans la légitimation de cet ordre social. En nous inspirant de la recherche de Marc-André Éthier et ses collaborateurs (2011), nous procédons à une analyse thématique par laquelle nous relevons la description des groupes dans les manuels retenus, de leurs rôles et de leurs rapports. Nous dégageons ainsi les modalités d’identification des acteurs engagés dans les conflits en faisant ressortir les critères de leurs différences. Nous analysons séparément les conflits avant et après 1804, puis nous les comparons afin de cerner leur évolution.
Un échantillon limité de manuels d’histoire d’Haïti est analysé. Nous présentons l’analyse réalisée pour deux manuels d’histoire dont nous avons débuté l’étude dans le cadre de notre recherche. Ils figurent parmi les plus récents qui sont homologués par l’État haïtien. Ils sont rédigés après la publication, en 1990, de nouveaux programmes scolaires pour le primaire, et publiés chez l’éditeur le plus connu du pays, Henri Deschamps. L’historienne Odette Roy Fombrun en est l’auteure principale. Ils couvrent chacun l’une des deux périodes de l’histoire d’Haïti, dont l’indépendance proclamée en 1804 est le point de découpage. Leur titre indique d’ailleurs cette division. Le 1er manuel, publié en 2013, s’intitule Histoire d’Haïti. Des origines à l’Indépendance est utilisé pour les 3e et 4e années fondamentales, et le second, en 2014, Histoire d’Haïti. De l’Indépendance à nos jours, pour les 5e et 6e.
Nos propos s’articulent ainsi. Après cette partie introductive, nous présentons brièvement les caractéristiques du contexte de production des manuels après les années 1990, sur les plans politique et historiographique. Nous abordons ensuite le fondement des conflits d’avant et d’après 1804. L’accent est mis sur leur dimension sociale, en nous inspirant des travaux historiographiques qui abordent les conflits historiques en Haïti sous cet angle. Les conflits décrits dans les manuels d’histoire sont présentés dans la troisième partie. Ensuite, la logique qui sous-tend le traitement des conflits dans les manuels est dégagée en montrant ce qu’il oblitère de leur fondement. Enfin, nous concluons l’article en précisant le problème posé par ce mode de traitement des conflits dans les manuels étudiés et les limites de cette étude.
1. Contexte politique et historiographique entourant la production des manuels d’histoire d’Haïti après 1990
Les manuels d’histoire d’Haïti rédigés après 1990 ont été produits dans un contexte caractérisé, entre autres, par des changements sociopolitiques en Haïti et par l’existence d’une double approche des conflits dans l’historiographie haïtienne. Haïti est entrée dans une phase de « transition vers la démocratie » marquée principalement par la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986 et par l’adoption, un an plus tard, d’une Constitution aux aspirations démocratiques[2]. Ce changement résulte de mouvements de contestations populaires contre un régime répressif et fondamentalement inégalitaire (Midy, 2017) instauré par François Duvalier en 1964. Cet ordre social autocratique et inégalitaire a caractérisé à la fois les sociétés saint-dominguoise et haïtienne (Alexandre, 1998). L’indépendance proclamée le 1er janvier 1804 a certes marqué la transition de Saint-Domingue à Haïti, mais des luttes sociales, souvent violentes, sont une constante aux deux sociétés.
L’historiographie haïtienne rend compte de ces luttes à travers une double approche. Celle d’avant 1946 s’appuie fondamentalement sur la dimension politique des conflits à Saint-Domingue et en Haïti, notamment pendant les quatre premières décennies (Hector, 1993). L’autre approche, postérieure à 1946, se consacre à la dimension sociale de ces luttes, au travers d’une prise en compte particulière des questions sociales (Hector, 1993). Outre la présentation de l’affrontement entre les groupes sociaux en conflit et la violence à laquelle ils recourent, la seconde approche permet d’en saisir les aspects sociaux[3]. Le fondement de ces conflits peut être considéré comme le droit que les différents groupes cherchent à maintenir, affirmer ou rétablir (Freund, 1983), c’est-à-dire, dans le cas des luttes haïtiennes, à la fois la liberté qu’ils réclament et le cadre pouvant la leur favoriser.
2. La dimension sociale des conflits sociaux à Saint-Domingue après l’Indépendance
Le code noir réglementait les rapports sociaux à Saint-Domingue et sa relation avec la France. Il instaurait un ordre social basé fondamentalement sur la domination et la violence des maîtres sur les esclaves pour faire fonctionner le système d’exploitation à Saint-Domingue en faveur de la France, au moyen du système de l’Exclusif[4] (Moïse, 2000). Des Africains étaient réduits en esclavage pour la production de denrées (sucre, café, cacao). Leur travail forcé représentait le principal moteur du système esclavagiste, colonialiste et raciste (Moïse, 2000). L’ordre social colonial établissait des distinctions, selon certains critères, entre les individus. Ceux-ci s’y positionnaient différemment. Il déterminait aussi les conditions d’exercice ou non de la liberté, d’où l’enjeu des conflits dans la colonie et leur persistance après l’indépendance en 1804.
2.1 Facteurs de distinction des catégories et des groupes à Saint-Domingue
À Saint-Domingue, les catégories sociales et les groupes à l’intérieur de celles-ci se différenciaient, se rapprochaient et s’opposaient principalement sur la base de quatre facteurs : la couleur de la peau, la liberté, la propriété et l’égalité (Moïse, 2000). Ces facteurs posaient des questions à la fois raciales ou de couleur (celle conférant une supériorité), sociale (libre ou non libre), économique (propriétaire ou non-propriétaire de la terre, principale et véritable source de richesse) et idéologique (position supérieure, inférieure ou égale).
Au départ, le code noir distinguait deux catégories de personnes : les maîtres (Blancs, libres à la naissance, capables d’être propriétaires de terres et d’esclaves) et les esclaves (Noirs, non-libres, inférieurs aux Blancs) (Moïse, 2000). Entre Blancs se posait la question de l’égalité, car tous n’avaient pas accès à la terre, source d’enrichissement. Tous ne s’entendaient pas non plus sur le système de l’Exclusif, profitable à certains et préjudiciable à d’autres (Étienne, 2007).
Le processus d’affranchissement, selon des modalités diverses (Niort, 2012), a modifié cette distinction originelle. La possibilité d’être maître s’est étendue aux personnes affranchies, divisées en deux groupes. Les « Noirs libres » (esclaves devenus libres en achetant leur liberté ou pour un motif décidé par leur maître) et les Mulâtres (libres à la naissance, car résultant originellement de liaisons consenties ou forcées des maîtres avec leurs esclaves noires) (Barthélémy, 2006). Pour les affranchis, la liberté était liée à la question de l’égalité avec les Blancs, mais aussi entre eux. Dans le second cas, la question de la couleur[5] impliquait entre eux une inégalité d’accès à la propriété foncière (Barthélémy, 2006). Pour les esclaves, la question de la liberté impliquait de travailler pour eux-mêmes sur une petite parcelle (Lévy, 2006), mais constituait un obstacle à l’économie de plantation[6].
2.2 Positions antagoniques par rapport à l’ordre social colonial
Le positionnement des différentes catégories sociales ou groupes sociaux par rapport à l’ordre social colonial et au regard des facteurs susmentionnés permet de les distinguer pratiquement en deux camps (Édouard, 2013). D’un côté, les différents groupes sociaux (Blancs, Noirs, Mulâtres), de statut libre, qui se positionnaient en faveur de la logique d’assujettissement qui caractérisait l’ordre social colonial, puisque le maintien du système colonialiste, esclavagiste et raciste, selon diverses modalités, favorisait l’exercice de leur liberté.
De l’autre côté, les esclaves, qui, privés de la liberté, subissaient le plus sévèrement tout le poids de ce système, sont assujettis au travail forcé variable selon le lieu d’affectation (les champs ou le domicile du maître). La suppression de l’ordre social colonial est la seule logique leur garantissant l’exercice de leur liberté. Cet ordre impliquait un système basé sur des rapports sociaux égalitaires et non autocratiques, expérimenté déjà dans les sociétés maronnes[7]. Il consistait à favoriser l’accès de tous à la terre pour la production de leur subsistance et le commerce de l’excédent (Lévy, 2006).
2.3 Persistance de l’ordre social et conflits après l’Indépendance
En voulant rétablir l’esclavage à Saint-Domingue, par l’envoi de l’armée expéditionnaire, Napoléon Bonaparte visait le retour à l’ordre social colonial originel (maître/esclave, système de l’Exclusif). La menace de cette initiative pour la liberté des différents groupes des catégories noire et mulâtre les a rapprochés (volontairement ou de façon imposée) afin d’y faire face. L’indépendance acquise le 1er janvier 1804, au prix de luttes armées intenses entre l’armée expéditionnaire et les Noirs et Mulâtres unis, a consacré l’élimination des Blancs de la gestion politique de Saint-Domingue.
Les principales luttes armées après l’indépendance entre les différents groupes des Noirs et des mulâtres sont l’expression, sous des formes différentes et avec des nuances politiques, du fondement des conflits antérieurs à 1804. Ces luttes ont pour soubassement la volonté de maintenir ou de supprimer l’ordre social hérité du système colonialiste (Édouard, 2013). Les groupes sociaux qui exigeaient la liberté avant et après 1804 se distinguaient, se rapprochaient ou s’opposaient selon la façon dont ils l’appréhendaient. Leurs conflits ont donc été fortement liés à la question éthique et politique de la liberté et de l’existence de l’ordre social qui la rend possible ou la compromet.
3. Traitement des conflits dans les manuels d’histoire d’Haïti
Les deux manuels d’histoire d’Odette Roy Fombrun sont utilisés pour présenter la division des personnes en catégories et en groupes à Saint-Domingue et en Haïti, les intérêts liés à leur regroupement et les conflits qui les opposaient. Les situations conflictuelles d’avant et d’après 1804 sont décrites respectivement à partir de celui publié en 2013, puis à partir de l’autre en 2014.
3.1. La situation conflictuelle avant 1804
3.1.1 Les groupes
La catégorie raciale des Blancs se divise, dans le manuel, en deux grands groupes qui comportent des sous-groupes.
[Les Français] sont divisés en deux groupes : les grands Blancs et les petits Blancs. Le groupe des grands Blancs comprend : les hauts fonctionnaires, les grands planteurs et les négociants. Les hauts fonctionnaires sont les personnes qui dirigent la colonie. Ils sont responsables de l’administration, de la justice… Les grands planteurs sont des propriétaires de grandes plantations et de manufactures de canne à sucre, de cacao, de café, d’indigo… Ils possèdent de nombreux esclaves. La plupart de ces grands planteurs vivent en France. Ce sont des colons absentéistes. Ils ont des gérants dans la colonie pour administrer leurs biens. D’autres planteurs habitent dans la colonie. Ces colons administrent eux-mêmes leurs biens. Les négociants font le commerce entre la métropole et la colonie. [Les petits Blancs] sont boutiquiers, artisans, petits planteurs […].
p. 40
Pour ce qui est des critères de distinction des différents groupes à l’intérieur de cette catégorie, le manuel précise ceci :
Les Blancs de Saint-Domingue étaient divisés par leurs origines, leur degré de fortune et leurs options politiques. Les grands Blancs étaient des nobles […]. D’autres étaient des bourgeois […]. Les petits Blancs, descendants pour la plupart d’engagés[8], étaient des roturiers, issus du gros peuple de France.
p. 41
La catégorie des esclaves se divise en plusieurs groupes, distingués selon les tâches effectuées.
Les esclaves des champs, [précise le manuel], sont les plus nombreux. Ils travaillent dans les plantations et les manufactures. Les esclaves domestiques s’occupent de leur maître. Ils prennent soin de sa famille, de sa maison… Les esclaves à talents peuvent être musiciens, cordonniers, cochers. Ils jouissent d’une certaine liberté, mais travaillent au bénéfice de leurs maîtres. Les esclaves sont surveillés par des commandeurs, qui les fouettent au moindre écart. Beaucoup de ces commandeurs sont eux-mêmes des esclaves
p. 42
La catégorie des affranchis se divise en deux groupes distingués selon les modalités de leur affranchissement, mais aussi sur une base raciale.
Les affranchis, [selon le manuel], sont d’origines diverses. Ils peuvent naître libres ou bien obtenir leur liberté de leur maître. Certains Blancs accordent la liberté à leur enfant né d’une esclave […]. Cet enfant est un mulâtre. On l’appelle aussi homme de couleur. Parfois ils accordent aussi la liberté à la mère. D’autres colons donnent la liberté à des esclaves qui leur ont rendu un service particulier ou à des esclaves trop vieux pour travailler. Certains esclaves à talents achètent leur liberté de leurs maîtres. Tous ces anciens esclaves sont appelés Noirs libres ou affranchis noirs.
p. 43
Après la proclamation de la liberté générale prononcée par les commissaires français Sonthonax et Polvérel, le manuel évoque deux autres groupes d’affranchis.
Le groupe des anciens libres comprend les affranchis. Certains possèdent des habitations et des esclaves. Le groupe des nouveaux libres comprend les anciens esclaves [qui] viennent d’être libérés par les commissaires et soutiennent leurs actions.
p. 65
Quand Toussaint Louverture, un Noir, présenté par le manuel comme un affranchi, parvient au pouvoir à Saint-Domingue, le groupe des nouveaux libres est subdivisé selon leur rôle. Le manuel précise qu’« en janvier 1801, Toussaint prend possession de l’Est. Il proclame la liberté générale des esclaves et organise le travail. Comme dans la partie occidentale, les anciens esclaves doivent être soit soldats, soit cultivateurs » (p. 79).
3.1.2 Les intérêts des groupes et leurs conflits
Les Blancs ne s’entendaient pas sur le système de l’Exclusif. Les planteurs blancs s’opposaient aux négociants et aux fonctionnaires, qui eux, représentaient l’autorité française à Saint-Domingue.
[Le planteur] ne peut produire que ce qui est nécessaire à la métropole. Il ne peut acheter d’un autre pays les marchandises dont il a besoin. À cause de toutes ces restrictions, le colon producteur est contre le pacte colonial. Ce commerce enrichit cependant les négociants de la colonie et de la métropole. Ils sont en faveur du système de l’Exclusif (p.45). […] Les colons planteurs se révoltent contre l’autorité. Ils rejettent le système de l’Exclusif.
p. 50
En revanche, la question de l’égalité est un point sur lequel les planteurs blancs particulièrement ne transigent pas avec les autres catégories sociales, esclaves et affranchis (Noirs ou Mulâtres), car « pour eux, les affranchis et les esclaves ne sont pas des personnes » (p. 53).
Les conflits entretenus par les esclaves s’articulent autour de la liberté, qui en représente le principal motif. Elle est au principe de diverses actions que les esclaves ont entreprises. Premièrement, le manuel précise ceci : « Assoiffés de liberté, de nombreux esclaves fuient les habitations, gagnent les mornes. Ils sont appelés marrons » (p. 43). Deuxièmement, ils s’organisent et dirigent leur révolte contre les Blancs. « Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, des milliers d’esclaves, armés de piques, de machette [sic]… envahissent la grande Plaine du Nord. Ils dévastent la plaine, mettent le feu aux habitations et massacrent nombre de Blancs » (p. 56).
Troisièmement, leur participation à d’autres luttes armées, sous l’instigation de certains affranchis ou Blancs, se fait au nom de la promesse de la liberté. Deux cas sont rapportés dans le manuel : 1) « Au moment de signés [sic] le concordat de Damien, les colons refusèrent d’accorder la liberté à 300 esclaves appelés “les suisses” qui avaient combattus [sic] aux côtés des affranchis »[9] (p. 54); 2) « Sonthonax réalise que la France risque de perdre la colonie de Saint-Domingue. Pour la garder, il doit s’appuyer sur les esclaves, qui sont en majorité. Il proclame alors la liberté générale des esclaves le 29 août 1793 dans le Nord » (p. 64). Ce second cas fait état de l’appui fondamental des esclaves au commissaire Sonthonax, qui avait pourtant « […] fait massacrer des marrons et attaquer les bandes [d’esclaves révoltés] » (p. 62).
Quatrièmement, même en devenant libres, les anciens esclaves n’acceptaient pas les conditions dans lesquelles les dirigeants, peu importe leur couleur, les plaçaient. Cette situation les motivait à lutter encore malgré l’avènement au pouvoir d’un Noir, Toussaint Louverture.
[Toussaint] impose, [selon le manuel], des règlements de culture inspirés de ceux de Sonthonax et d’Hédouville. Il les fait appliquer avec rigueur par les militaires, qui deviennent des inspecteurs de culture (p. 67). Partout où [ils] sont appliqués, la production augmenta et l’économie progressa. Les cultivateurs étaient cependant mécontents. Ces règlements faisaient d’eux des esclaves de la production. Tous ceux qui le pouvaient se révoltaient […] ou désertaient les habitations, gagnaient les mornes, préférant cultiver un lopin de terre pour leur compte.
p. 79
L’égalité est le principal motif d’entrée en conflits des affranchis contre les blancs et les esclaves libérés. Plusieurs faits dans le manuel l’attestent : « Les affranchis se révoltent [contre les blancs] pour obtenir la jouissance de tous leurs droits civils et politiques » (p. 50). En devenant des anciens libres après la proclamation des commissaires français, et parce que certains d’entre eux sont propriétaires fonciers et d’esclaves, « ils ne sont pas d’accord avec la libération générale des esclaves » (p. 65).
Le rétablissement de l’esclavage décidé par Napoléon a provoqué l’union des « anciens libres » (Noirs et Mulâtres) et des « nouveaux libres ».
Quand Leclerc déporte Rigaud, les anciens libres réalisent que leur sort est lié à celui des nouveaux libres. Ils comprennent enfin qu’il n’y a que l’union, que l’entente pour garantir la liberté et l’égalité à Saint-Domingue.
p. 86
3.2. La situation conflictuelle après 1804
Les habitants du nouvel État se composent principalement des anciens libres (Noirs et Mulâtres) et des nouveaux libres, essentiellement noirs. Les objets de conflits relatés dans le manuel s’articulent principalement autour du pouvoir, de la question de couleur et de celle de la propriété.
3.2.1 Les groupes et leurs intérêts
Pour ce qui est des nouveaux groupes sociaux, il y a d’un côté l’armée, et plus particulièrement les généraux. Ceux-ci constituent une partie des élites noires et mulâtres après l’Indépendance. Le privilège d’exercer le pouvoir est un élément qui leur est commun.
L’administration est militaire. Les hauts gradés de l’armée sont chargés d’appliquer de sévères règlements de culture. Ils abusent de leurs pouvoir [sic]. […] Les élites (noire et mulâtre [sic]) [sont] installées dans les villes, […] occupent les villes-ports […]. [Elles] adoptent la culture française et le mode de vie des anciens colons (p. 4). Seuls les hommes des deux élites noire [sic] et mulâtres peuvent voter
p. 26
Ce sont les militaires et les autres membres de l’élite qui sont les principaux bénéficiaires des terres concédées par l’État militarisé.
[Dessalines] afferme des propriétés surtout aux officiers, qui deviennent des fermiers de l’État (p. 8). [Christophe] donne aux dignitaires de la noblesse les anciennes habitations coloniales […] (p. 15). [Pétion] distribue des terres aux hauts gradés de l’armée, à titre de “don national”. [Il] généralise ensuite sa politique et distribue des terres aux hauts dignitaires du pouvoir, aux membres du Sénat, aux sous-officiers et soldats (p. 18). Le gouvernement de Boyer suit la même politique agraire que Pétion en distribuant des terres
p. 23
Il y a les cultivateurs d’un autre côté. Ils forment la paysannerie. La masse des cultivateurs selon le manuel renvoie au « [monde] des paysans, qui restent attachés à leur culture africaine […] » (p. 4). Leur rôle et leur condition dans le nouvel État sont définis immédiatement après 1804.
Les cultivateurs sont obligés de travailler sur les habitations ; ne peuvent se déplacer comme ils le veulent ; peuvent être battus dans certains cas ; peuvent être punis de mort en cas de vol ; sont placés sous le contrôle des militaires qui rendent aussi la justice […]
p. 8
La division entre ces deux groupes sociaux se base sur les conditions politiques et économiques dans lesquelles évoluent les personnes du nouvel État. Le manuel précise que « le pays se divise […] en deux mondes : celui des paysans […] et celui des élites (noires et mulâtres) […] » (p. 4).
3.2.2 Les intérêts des groupes et leurs conflits
Les conflits entre les généraux ou les élites se déroulent autour de l’élément commun susmentionné. Ils se manifestent sur le plan politique et comportent un fond racial. Ils conduisent à des assassinats et des guerres civiles.
[…] certains généraux, [affirme le manuel], ne sont pas d’accord avec les options de Dessalines (le premier dirigeant haïtien) […] et sur la répartition des terres. Tout le monde veut être propriétaire. Le mécontentement augmente quand Dessalines se fait proclamer empereur […] et exige le contrôle des titres de propriété. Cela encourage quelques généraux à conspirer contre Dessalines. Le 17 octobre 1806, il est assassiné […]. Après la mort de Dessalines, le pays est encore divisé et connaît une guerre civile. Pétion dirige l’Ouest et le Sud [1807-1818]. C’est un État républicain. Christophe contrôle le Grand Nord et l’Artibonite[10]. Les élites se disputent le pouvoir sur la base de la couleur. Le préjugé de couleur, hérité des Français, contribue à leur division (p. 4). [De 1843 à 1967], […] les élites continuent leurs luttes pour le pouvoir »
p. 26
Les conflits entretenus par les cultivateurs concernent leur traitement dans les faits et à travers les dispositions juridiques relatives aux politiques agraires. Ce traitement a suscité leur mécontentement et leurs soulèvements contre des gouvernements. Selon le manuel, « les hauts gradés abusent de leur pouvoir. Les cultivateurs sont mécontents. [Ils] fuient les habitations sucrières et s’installent dans les mornes » (p. 4).
4. Logique de légitimation de l’ordre social colonial dans les manuels d’histoire d’Haïti
La logique de légitimation de l’ordre social colonial à travers le traitement des conflits postcoloniaux dans les manuels s’opère de trois manières. Premièrement, le manuel laisse une imprécision quant au fondement de la liberté voulue par les esclaves avant l’indépendance. Il ne l’assimile pas clairement à la question de la propriété. Or l’approche historiographique priorisant la dimension sociale des conflits historiques haïtiens établit pourtant ce rapport. Cette liberté y est comprise comme étant liée au travail pour soi qui exige une double condition : la non-appropriation du corps par autrui et la possession d’une petite portion de terre permettant la réalisation et la mise à profit de ce travail pour soi (Fick, 2000).
En oblitérant cette dimension de la liberté recherchée par les esclaves, le manuel assimile implicitement celle-ci à l’oisiveté. Cette assimilation apparaît dans cette déclaration de Sonthonax à l’occasion de la proclamation de la liberté générale des esclaves :
Ne croyez pas que la liberté dont vous allez jouir soit un état de paresse et d’oisiveté. En France, tout le monde travaille et tout le monde est libre. À Saint-Domingue, soumis aux mêmes lois, vous suivrez le même exemple. Rentrez dans vos ateliers ou chez vos anciens propriétaires, vous recevez un salaire de vos peines. Vous ne serez plus la propriété d’autrui, vous resterez les maîtres de la vôtre et vous vivrez heureux. La liberté vous fait passer du néant à l’existence, montrez-vous digne d’elle, abjurez à jamais à l’indolence comme le brigandage, ayez le courage de vouloir être un peuple et bientôt vous égalerez les nations européennes.
Fombrun, 2013, p. 66
Ainsi, le seul cadre qui semblerait pouvoir occuper utilement ces esclaves devenus libres semble être celui défini à travers la production dans les plantations. Celle-ci est inhérente à l’ordre social colonial, à la fois autocratique et inégalitaire. Le manuel analysé fournit donc une représentation stéréotypée de la liberté chez ces personnes, celle de la non-occupation. C’est une représentation dont le rôle tend à masquer la complexité d’une réalité (De Suremain, 2009). Le manuel analysé paraît construire une image qui disqualifie des personnes asservies à travers la présentation de leurs rôles et de leurs positions par rapport à l’ordre social colonial. Il semble participer à la reproduction d’un discours traduisant une injustice profonde d’elles (Brunet et Demers, 2018).
Deuxièmement, étant donné l’imprécision de cette dimension de la liberté, le manuel ne permet pas de saisir la continuité entre les conflits entretenus par les esclaves à Saint-Domingue et ceux des cultivateurs après l’indépendance en 1804. Or ces conflits surgissent parce que le nouveau statut de cultivateur n’a pas changé les conditions de travail, qui demeuraient identiques à celles d’avant 1804. Elles compromettaient la liberté voulue par les cultivateurs. Mais le manuel renvoie plutôt leur mécontentement à la militarisation de la culture.
Comme Toussaint, Dessalines est convaincu que sans production [impliquant le travail des cultivateurs dans les plantations], il n’y a pas d’indépendance économique véritable. Tout le monde doit donc travailler. Dans les villes, on fait la chasse aux vagabonds. Dans les campagnes, les paresseux sont durement punis. Pour augmenter la production, Dessalines interdit la coupe et l’exportation du bois de campêche qui occupent les travailleurs en dehors des plantations. Cette militarisation de la culture mécontente les cultivateurs.
Fombrun, 2014, p. 8
Or cette militarisation concourt au maintien de l’ordre social qui a été préjudiciable pour les esclaves. Paul Cheney (2018) en rend compte de façon éclairante :
De plus d’une façon, le passé a déterminé les choix de ses élites dirigeantes, et […] la césure de l’indépendance obscurcit bien souvent les continuités économiques, sociales et politiques avec l’Ancien régime, qui se résument en un mot : plantation. […] Les élites militaires et politiques – souvent confondues étant donné la militarisation extrême de la société haïtienne pendant la révolution – ressemblent fort à l’élite qu’elles ont remplacée, à savoir les propriétaires blancs des plantations de Saint-Domingue de l’Ancien régime »
par. 1, 2
Les mouvements insurrectionnels menés avant 1804 par les esclaves, et après par les cultivateurs traduisent leur rejet d’être confinés dans le travail forcé, véritable fondement de l’ancien ordre colonial. En effet, le caractère autocratique et inégalitaire du travail nécessite la contrainte d’une catégorie sociale au travail forcé que seule l’utilisation de la violence peut favoriser l’émancipation ou la permettre. La conception de la liberté chez les groupes contraints au travail forcé ne saurait donc se résumer seulement à l’obtention d’un statut particulier. Elle se conjugue aussi avec des visées éthiques d’égalité s’apparentant à certaines idées rousseauistes, puisque, comme l’écrit Paul Ricoeur (2000), « c’est la gloire de Rousseau […] d’avoir, si l’on ose dire, rapatrié pour la philosophie de la liberté la question du pouvoir politique et de la souveraineté » (p. 986).
Troisièmement, le manuel oblitère également l’organisation sociale mise en oeuvre dans le cadre du marronnage. Tenir compte de celle-ci constitue une lecture positive du mouvement insurrectionnel des personnes contraintes au travail forcé. Cela permettrait de dégager la dimension démocratique et égalitaire de leur alternative à l’ordre social colonial. Celle-ci est en écho aux droits de la personne, au regard du fondement de la liberté évoqué par Carolyn Fick (2000).
Conclusion: Un repère pour une conception démocratique de la société haïtienne
L’enseignement de l’histoire, à travers une formation critique, représente un rempart scolaire pour prémunir les élèves contre la reproduction des inégalités sociales rendue possible compte tenu de la forme scolaire (Éthier et Lefrançois, 2019). Il représente une manière de dire le monde (passé et présent), certes diversifié sur le plan culturel, mais aussi caractérisé par des distinctions sur les plans économique, politique et social (Audigier, 2013). Faire ressortir la contribution de l’histoire scolaire à l’éducation citoyenne au travers des droits de la personne (Moisan, 2019) pourrait, entre autres, favoriser cette formation critique émancipatrice. Se pose le problème de la manière dont la description des groupes sociaux dans les manuels d’histoire pourrait participer à cette formation. Le problème est également posé en tenant compte des concepts éthiques comme la liberté et des réalités ou des idées impliquant des conflits sociaux. La démocratie est censée elle-même impliquer à la fois la liberté et le conflit social. D’où l’utilité de celui-ci pour l’étude de la manière dont les manuels d’histoire rendent compte des savoirs universitaires (Morand, 2008).
Les manuels d’histoire d’Haïti, rédigés dans un contexte de transition vers la démocratie, pourraient mobiliser les conflits – menés par des groupes sociaux contraints au travail forcé, comme esclaves dans la société coloniale, ou comme cultivateurs dans la société haïtienne après 1804 – pour dégager un modèle social démocratique qui a existé à travers l’histoire d’Haïti. En effet, la volonté de démocratiser la société haïtienne après la chute de la dictature en 1986 s’est traduite par un refus de l’ordre social colonial de la part de certains groupes sociaux qui en étaient les victimes historiques. Franklin Midy (2017) rappelle que le mouvement social qui mettait en oeuvre, entre autres, les résistances contre la dictature, visait « […] un changement radical de la société inégalitaire et d’exclusion […] (p. 23) ainsi que « […] la transformation de l’État autocratique oppressif […] » (p. 24). Or, cette revendication est une constante des luttes armées menées par les personnes contraintes au travail forcé par la répression.
La présentation de la dimension politique des conflits sociaux dans les manuels d’histoire analysés s’inscrit dans l’approche historiographique d’avant 1946. Le rapport de leur fondement avec la question de la liberté pour les esclaves et les cultivateurs reste implicite. Aussi, l’apport de ces manuels d’histoire, élaborés pourtant dans un contexte démocratique, à la construction d’une pensée critique, reste problématique. Ils permettent difficilement d’appréhender la dimension démocratique des mouvements populaires dans l’histoire d’Haïti. Le discours relatif aux personnes asservies pourrait ne pas permettre aux élèves de réfléchir sur la réalité sociale dans laquelle ils évoluent. Celle-ci conserve en effet les traces des inégalités historiques.
Cette analyse est limitée. Le nombre de manuels étudiés ne permet pas d’étendre nos conclusions aux autres manuels d’histoire d’Haïti. Celles-ci suggèrent tout au plus des pistes de réflexion. Il semble utile d’en souligner trois. Premièrement, il s’agit de l’approfondissement des questions d’inégalités sociales à travers les manuels d’histoire. Deuxièmement, dans le cas particulier des manuels d’histoire d’Haïti, le sentiment que pourrait générer le traitement des groupes contraints au travail forcé (esclaves et cultivateurs) chez les élèves. Troisièmement, comme l’a déjà soulevé Yannick Le Marec (2005), il s’agit de saisir « […] le problème de l’écriture des manuels scolaires dans leur rapport à la connaissance scientifique et donc de leur exigence de rigueur » (p. 133).
Parties annexes
Notes
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[1]
Franklin Midy envisage ainsi cette expression : « […] quand je parle dans le cas d’Haïti de transition vers la démocratie, je me réfère essentiellement aux transformations profondes, aux mutations sociales et culturelles auxquelles on assiste aujourd’hui, surtout depuis le début des années 1980. Mutations qui expriment et nourrissent à la fois la crise de la société d’exclusion, qui animent et que produit tout ensemble le mouvement social pour le changement et la démocratie » (p. 227). Pour un approfondissement de l’idée qui sous-tend cette expression, voir Franklin Midy (1996). La transition vers la démocratie : lever les obstacles ou poser les fondements. Dans Hurbon, L. (dir.). Les transitions démocratiques. Actes du colloque international de Port-au-Prince, Haïti.
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[2]
Cette dimension démocratique de la constitution de 1987 est soulignée dès le préambule. Il y est précisé entre autres que « Le Peuple Haïtien proclame la présente Constitution : Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur; conformément à son Acte d’indépendance de 1804 et à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. […] Pour implanter la démocratie qui implique le pluralisme idéologique et l’alternance politique et affirmer les droits inviolables du Peuple Haïtien ». Pour un approfondissement des autres aspects liés à la démocratie et inclus dans cette constitution, et dans son préambule en particulier, voir celle-ci à l’adresse https://mjp.univ-perp.fr/constit/ht1987.htm
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[3]
Michel Hector affirme que les travaux réalisés selon la première approche historiographique « [] s’inscrivent dans cette perspective de diffusion et de réalisation d’une histoire nationaliste fortement ethnocentriste et presque exclusivement limitée à l’examen des phénomènes politiques, qu’il s’agisse de problèmes liés aux rivalités pour le pouvoir ou des questions relevant des conflits dans la sphère de l’idéologie politique. […] Aux environs de 1946 s’ouvre une nouvelle période qui dure jusqu’à maintenant. […] Les préoccupations fondamentales héritées de l’époque antérieure demeurent encore. Mais cette fois s’y dégage une connotation sociale nettement plus forte et plus riche qu’auparavant. Les travaux insistent de plus en plus sur les aspects sociaux liés tant aux structures coloniales qu’aux luttes libératrices […] et aux politiques appliquées par les élites dominantes de l’ère postrévolutionnaire […] » (p. 546).
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[4]
Le système de l’Exclusif, appelé aussi « pacte colonial » fonctionnait selon la formule stipulant que « les colonies sont créées par et pour la métropole, et non l’inverse » (Etienne, 2007, par. 45). Toujours selon Sauveur Pierre Étienne (2007, par. 45), « en vertu du Pacte colonial, la monarchie éliminait la liberté de commerce. Et le commerce exclusif avec la France plaçait la colonie dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de la mère patrie : et pour la vente de ses denrées tropicales, et pour son approvisionnement en articles manufacturés et en main-d’oeuvre noire ».
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[5]
Pour Micheline Labelle (1987), « le problème [c’est-à-dire la question de couleur] prend sa source dans la société coloniale de Saint-Domingue où, au XVIIIe siècle, la population se compose d’esclaves, majoritairement noirs sans l’être tous, différenciés entre eux (commandeurs, esclaves d’ateliers, de jardins, de maisons, etc.), d’affranchis, majoritairement mulâtres sans l’être tous, également différenciés (gens de petits métiers, commerçants, planteurs, etc.) et de colons blancs (depuis les petits blancs jusqu’aux grands planteurs créoles et négociants métropolitains) » (p. 19, 20).
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[6]
Selon Michaël Lévy (2006), « Pour eux [les esclaves], la liberté signifiait la propriété individuelle de petits lopins de terre et la production de récolte pour les marchés locaux et non pour l’exportation » (p. 55). L’octroi de ce lopin de terre, appelés « les places à vivre », aux esclaves a été une décision des maîtres pour que « […] chaque esclave […] le cultive individuellement et puisse subvenir à ses besoins » (p. 52). Lévy ajoute que « les places à vivre étaient secondaires pour les maîtres mais centrales pour les esclaves. Ils voulaient leur liberté pour s’y consacrer entièrement » (p. 52).
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[7]
Franklin Midy (2009) définit ainsi le marronnage comme une « […] stratégie ou tactique de résistance culturelle à la servitude, par la fuite, adoptée par des esclaves disposés à coexister en marge de la société de plantation, dans le but premier de recouvrer leur liberté naturelle et leur autonomie socioculturelle » (par. 48). Il précise par ailleurs « [qu’il] fut une forme de résistance constante et efficace à l’esclavage colonial […], partout dans les colonies d’Amérique. Il donna lieu à la formation, aux frontières de la société de plantation, de communautés libres, qui étaient parfois reconnues indépendantes par traité […] » (par. 55).
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[8]
Le manuel définit ainsi les engagés : « [Ils] étaient des Blancs libres qui vendaient leur liberté pour trois ans afin de payer leur voyage de la France à Hispaniola » (p. 34).
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[9]
Selon le manuel, le concordat de Damien est, « [un traité de] paix entre Blancs et affranchis […] » (p. 53). En effet, toujours selon les précisions du manuel, « les Blancs, vaincus [par les affranchis], et surtout effrayés par les révoltes des esclaves, signent le 23 octobre 1791 le concordat de Damien qui reconnaît les droits politiques des affranchis » (p. 53).
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[10]
L’Artibonite est une région se trouvant au sud de celle du Grand Nord selon la division territoriale qui prévalait après l’Indépendance.
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