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Yvan Noé Girouard est directeur général de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Travaillant pour l’AMECQ depuis 1990, Yvan Noé Girouard nous dévoile au fil de cette entrevue une grande partie de l’histoire des médias communautaires québécois. Journaliste de formation, il explique comment les médias écrits communautaires se sont rassemblés au Québec en 1980 pour former l’AMECQ, puis il présente le fonctionnement général des journaux communautaires et évoque enfin les défis qui se posent à ces médias aujourd’hui.
- En nous parlant un peu de votre parcours, pourriez-vous nous expliquer comment vous en êtes venu à vous intéresser aux médias communautaires ?
Je vais commencer par présenter l’AMECQ, et ma vision de ce qu’est cette association et puis juste après ça je reviendrai sur mon parcours personnel. L’AMECQ regroupe présentement 87 journaux communautaires. On entend par journal communautaire, un journal qui est édité par un organisme à but non lucratif. Je tiens à faire une petite précision sur le mot communautaire. Ce terme est aussi utilisé par les hebdos privés qui se disent communautaires parce qu’ils desservent la communauté. Cette expression vient de l’anglais community news. Mais ce n’est pas la même chose que ce que nous entendons par communautaire. Pour nous, communautaire, ça veut dire qui appartient à la communauté. Ce sont donc des organismes à but non lucratif, partant de personnes qui dans un milieu décident de se doter d’un outil de communication qui leur appartient. Alors, un journal est créé pour traiter de l’information locale. Le dénominateur commun de nos 87 membres, c’est que ce sont des journaux qui diffusent de l’information locale et régionale. C’est donc la prise en charge de l’information locale et régionale par les citoyens.
- Et cela remonte peut-être au 19e siècle. Est-ce qu’il y avait déjà des journaux communautaires au siècle dernier ?
Je ne sais pas, mais si on parle de la période actuelle, l’avènement des journaux communautaires au Québec a pris naissance vers le milieu des années 1970. Il y avait des journaux qui naissaient comme ça à gauche, à droite, sans qu’il y ait de concertation. Et, à un moment donné, ces journaux ont commencé à frapper à la porte du ministère des Communications du Québec. Et face à ces demandes, les gens au Ministère ont dit : Bon c’est bien intéressant, mais il y a trop d’intervenants, vous allez vous regrouper. Comme ça on va dialoguer avec un seul groupe pour l’ensemble. À ce moment-là, ce n’était pas structuré, c’étaient des journaux champignons qui naissaient de façon éparse. Notamment sur la Haute-Côte-Nord, il y avait beaucoup de villages avec des journaux communautaires. À Montréal, il y avait un autre groupe qui existait aussi. Et donc ces deux groupes-là se sont joints à d’autres journaux en novembre 1980 à Québec pour fonder l’Association. Et puis ça a fait boule de neige, parce que le Ministère accordait des subventions aux journaux. Il y a eu un creux de vague en 1985 parce que le ministre de l’époque a cessé de donner des subventions. Mais on travaille en partenariat quand même, depuis la naissance de l’Association, avec ce qui est maintenant le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec. On travaille pour la bonification des subventions ; le programme a été renouvelé il y a trois ans. Il y a une bonne entente qui existe et les journaux peuvent recevoir également de la publicité gouvernementale. Pour répondre à la question du début, moi je suis arrivé à l’AMECQ en 1990. J’étais auparavant directeur d’un journal communautaire, j’étais journaliste, je faisais de la gestion, de l’administration, ce journal s’appelait Le Monde. A l’époque, ce journal publiait 23 000 exemplaires, deux fois pas mois, et j’étais sur le point de laisser mes fonctions là-bas. Et l’Association était alors dans un creux de vague, il y avait eu un congrès à Rivière-du-Loup en 1990 et on se demandait si l’Association n’allait pas fermer. À ce moment-là, il y a Raymond Gagnon, qui a été nommé président… Je dis nommé parce qu’il y avait seulement 20 personnes à l’assemblée générale. Alors, M. Gagnon a dit : « Si on est pour mourir, ce sera debout et non à genoux, on va se battre, on va trouver des solutions. » À ce moment, ils m’ont demandé si je ne voulais pas devenir secrétaire général de l’Association. On a restructuré l’Association comme ça. Moi, le premier mandat qu’on m’a donné, ça a été de prendre mon véhicule et de visiter tous les journaux qui étaient encore membres, il y en avait seulement 23, dont la moitié n’avaient pas renouvelé leur adhésion depuis deux ans. L’Association était comme à l’abandon. Alors on a restructuré ça. Petit à petit, on a augmenté le nombre de membres. Et, à un moment donné, en 2000, on a atteint les 100 membres. Présentement, il y en a 87.
- De quel type d’information traitait le journal Le Monde pour lequel vous travailliez avant d’aller à l’AMECQ ?
C’était de l’information locale de quartier, c’était l’information du quartier Saint-Michel. C’est un journal qui est axé beaucoup sur les activités des organismes communautaires du quartier, parce que l’hebdo local ne couvre pas ce genre d’activité là. Alors le journal Le Monde a été mis sur pied par un organisme communautaire qui s’appelait le Carrefour populaire Saint-Michel… Puis, après ça, le journal s’est détaché de l’organisme communautaire.
- Et comment sont diffusés tous ces journaux communautaires ? Est-ce que c’est par le biais des abonnements ?
Non, la plupart de nos journaux sont distribués par le porte-à-porte ou alors à des points de dépôt situés dans des commerces.
- Ce sont des bénévoles qui viennent frapper aux portes des habitants du quartier ?
Non, en région c’est Poste Canada qui le fait. À Montréal, ce sont des entreprises comme Publisac par exemple, ce sont des distributeurs privés.
- Est-ce que les journaux communautaires sont plus présents dans les petits villages, disons en milieu rural ?
Oui, parce qu’en milieu rural le problème de financement est moindre. Il faut savoir qu’un journal communautaire se finance par la vente de publicité locale, c’est-à-dire essentiellement par les commerçants. Plus la ville est petite, et plus c’est facile d’avoir du financement, parce que la population s’identifie à son journal, la population incluant naturellement les commerçants. Les commerçants qui ne paraissent pas dans le journal se sentent donc mal à l’aise. Ils se sentent obligés d’être présents dans le journal communautaire. Mais dans les grandes villes, ce n’est plus la même mentalité. En milieu urbain, c’est plus difficile d’aller chercher les commerçants.
-Ce sont donc les petits commerçants qui représentent la plus importante source de financement des journaux communautaires ?
Oui, la vente de publicité et les subventions gouvernementales. Il y a un programme qui s’appelle Aide au fonctionnement des médias communautaires.
- Quel est le journal communautaire qui a le plus gros tirage ?
C’est La Gazette de la Mauricie, qui est un journal régional, qui publie à 75 000 exemplaires. Elle couvre une grande partie de la Mauricie, elle n’est pas distribuée seulement à Trois-Rivières. Parmi les plus petits, il y a en qui publient à 200 exemplaires. Sur notre site, il y a un répertoire des membres où les journaux sont classés par tirage.
- Au début de l’entrevue, vous aviez commencé par définir un journal communautaire en le différenciant des journaux privés. Est-ce que vous faites aussi une différence entre journaux communautaires et presse alternative ?
Oui, le dénominateur commun, c’est l’information locale et régionale. La presse alternative, il faut faire attention. Il y a des journaux qui appartiennent à des individus, et donc qui ne sont pas communautaires, on les appelle les journaux thématiques. Mais, le plus souvent, ce sont des journaux d’organismes communautaires qui vont transmettre de l’information, ils vont s’identifier comme un journal appartenant non pas à la population, mais à un organisme communautaire. Alors, nous avions en 2000 une centaine de membres, on avait essayé d’élargir notre champ d’action pour prendre tout ce qui était communautaire. C’est comme ça qu’on s’est aperçu que dans la presse communautaire au sens large il y avait des journaux thématiques. Il y en avait un qui s’occupait d’agriculture biologique par exemple. Mais à ce moment on s’est dit qu’on ne pouvait pas répondre aux besoins de tous les médias communautaires. Alors, on a été obligé de refermer nos portes. On n’a exclu personne évidemment, c’est pour ça qu’on a encore quelques membres qui sont thématiques.
- Et pourquoi avoir décidé de ne plus représenter la presse alternative ?
Parce qu’on ne peut pas les représenter adéquatement, auprès du ministère de la Culture et des Communications, parce qu’ils ne sont pas reconnus comme des médias communautaires admissibles à recevoir des subventions. C’est une des raisons. C’est pour ça qu’on est revenu à la base, la prise en charge de l’information locale, et non pas sur des sujets thématiques.
-Vous risqueriez de perdre des subventions à ce moment-là ?
Non, mais ces journaux-là ne sont pas reconnus, ils ne peuvent pas recevoir de subventions de toute façon. Nous, on ne peut pas recevoir des journaux trop disparates, il faut garder une uniformité entre nos membres. Déjà que c’est pas évident avec 87 membres. Parmi nos membres, il y en a une vingtaine qui sont des tabloïds. Les autres sont des journaux de format magazine. Certains font très professionnel avec un papier glacé et avec des couleurs. Et il y en a d’autres qui sont faits encore presque à la main, avec une mise en page qui n’est pas tout à fait adéquate. On essaie de garder une espèce de point commun, sinon ce serait un ramassis de toutes sortes de choses.
-Est-ce que vous avez des liens avec le regroupement pour la presse alternative, Altermédias ?
Non, nous avons des liens avec l’Association des radios communautaires et la Fédération des télévisions communautaires. On a des liens avec ces deux associations, parce que la structure est semblable à celle de nos journaux et ils font de l’information locale.
- Et vous avez un projet de vous associer ensemble pour former un réseau de médias communautaires ?
Non, on garde des liens ensemble, mais il n’y a pas de fusion. À l’occasion, on fait des projets communs. Comme en ce moment, on a commandé une étude sur l’état de la situation des médias communautaires au Québec.
- Et le critère pour adhérer à l’AMECQ, vous aviez dit qu’il fallait être un OBNL, mais est-ce que les coopératives peuvent aussi adhérer ?
Les OBNL et les coopératives de solidarité peuvent adhérer à l’AMECQ. On a deux coopératives de solidarité qui sont membres de l’AMECQ. Les coopératives de travailleurs et les coopératives de commerçants sont reconnues comme des entreprises privées. On ne les accepte pas, parce que les coopératives de travailleurs appartiennent aux travailleurs, et elles ne sont pas accessibles à toute la population. Le journal communautaire appartient à la communauté. Il doit être accessible à tout citoyen qui veut s’impliquer. Le journal communautaire doit avoir une structure démocratique, avec une assemblée générale par année, et des membres qui élisent le conseil d’administration. Le Ministère par exemple a refusé des journaux qui se disaient communautaires parce que sur le papier ils avaient une charte, mais parallèlement à ça on s’est aperçu que ce sont des employés de la municipalité qui rédigeaient le journal et il n’y avait pas de structure démocratique permettant aux citoyens de s’impliquer.
- Dans votre conseil d’administration, est-ce qu’il y a aussi de simples citoyens ?
Non, parce que nos membres sont l’ensemble des journaux communautaires. Le mandat de l’AMECQ est d’offrir des services de soutien et de formation aux journaux communautaires ; nous sommes là pour les aider. Notre formation, on la dirige surtout vers l’écriture journalistique, la mise en page, la gestion, la vente de publicité, tout ce qui touche à la production d’un journal communautaire. Alors on donne de la formation lorsqu’on organise des congrès annuels. Tous les deux ans, on effectue une tournée dans les régions, on donne des ateliers de formation. Nous publions également des fascicules de formation. En tout, nous avons publié 16 fascicules de formation qui traitent de tous les aspects de la publication d’un journal. Présentement nous travaillons à la production de DVD sur l’écriture journalistique.
- Et donc la plupart des articles des journaux communautaires sont rédigés par les habitants du quartier. Il n’y a pas de journalistes professionnels ?
Oui, ce sont les citoyens qui s’impliquent bénévolement qui écrivent les textes, c’est pour ça qu’ils ont besoin d’une formation, parce que ce ne sont pas forcément des personnes qui ont une expertise en communication ou qui ont fait des études en journalisme. Donc toute personne qui veut s’impliquer peut écrire. Quand il y a des journaux mieux organisés, comme La Gazette de la Mauricie ou Le Haut-Saint-François, qui sont des entreprises d’économie sociale, alors ils ont des employés, une équipe et des journalistes qui sont là pour écrire des textes. Cependant, dans la majorité des journaux, ce sont des bénévoles qui écrivent.
- Est-ce que l’arrivée d’Internet a provoqué un tournant pour l’AMECQ ?
On commence à peine à s’interroger. Les journaux communautaires sont tout le temps en retard sur la technologie, sur l’informatique. Quand les ordinateurs sont sortis, cela a pris presque 10 ans avant qu’ils soient informatisés. On a commencé à s’informatiser de façon sérieuse seulement en 1995, c’était lorsque le ministère de la Culture et des Communications a décidé de redonner des subventions pour permettre d’informatiser nos journaux, alors la majorité des journaux s’est intéressée à l’informatique. C’était tout un changement de culture, c’était dur pour le bénévolat, avant les bénévoles se réunissaient beaucoup pour faire la mise en page, ça se faisait en équipe, il y avait la reliure et le brochage. Avec l’avènement des ordinateurs, cela a coupé un peu dans le bénévolat, parce qu’une personne seule peut faire la mise en page avec son ordinateur. Pour revenir à Internet, il a fait son apparition dans le milieu des années 1990. Beaucoup de journaux apparaissent maintenant sur Internet, il suffit que quelqu’un décide de transmettre de l’information et il peut faire son journal sur Internet. Ce n’est pas forcément un journal de propriété collective. On peut appeler ça la parole citoyenne, mais ça ne veut pas dire que la parole citoyenne est synonyme de journalisme. N’importe qui peut s’improviser blogueur, mais sans faire du journalisme. On retrouve beaucoup de gens qui donnent leur opinion, mais qui ne font pas du journalisme de faits. À l’AMECQ, il y a des gens qui commencent à se poser la question de savoir si on ne pourrait pas abandonner la parution sur papier et ne paraître que sur Internet. Mais de quelle manière ce journal pourrait-il être encore communautaire ? On s’interroge là-dessus. Il y a aussi le cas des petites municipalités. La moyenne d’âge des gens du village est assez élevée, ce ne sont pas de gens qui ont grandi avec Internet. Alors, est-ce que ces gens vont avoir le réflexe de prendre un ordinateur ? Plusieurs n’en ont pas. Vont-ils faire un effort pour aller capter leur journal local et aller chercher de l’information sur un site Internet ? Il faut savoir aussi que le taux de pénétration d’un journal local imprimé, dans une petite municipalité, ce n’est pas loin de 90 ou 94 %. Avec un taux de lecture supérieur à 85 %.
- C’est énorme.
Oui, il y a une appartenance en milieu rural au journal communautaire, il y a des gens à qui tu vas demander de sortir le numéro d’il y a 10 ans, ils vont te le sortir parce qu’ils les collectionnent. Les tabloïds vont généralement au recyclage, mais les journaux sous format magazine vont traîner à la maison pendant un mois ou deux mois, les gens vont les lire, les relire. Une même personne peut relire le journal trois fois.
- Mais donc la crainte avec Internet, c’est qu’il y ait une moindre implication des habitants ?
Ce qui fait la force des journaux communautaires, c’est que ce sont des journaux de propriété collective et de structure démocratique, comment peut-on y arriver avec quelqu’un qui fait un journal sur Internet ? Comment peut-on arriver à impliquer une équipe pour faire un journal ? Il va falloir se poser des questions là-dessus. Les radios communautaires et les télévisions communautaires aussi peuvent être diffusées sur Internet. Alors, est-ce que cela va impliquer qu’ils passent encore par une antenne ou un câblodistributeur ? La diffusion sur Internet dépasse le cadre du village ou de la région. C’est un peu la même chose pour un journal. Quelques-uns commencent à diffuser le journal sur Internet, tout en gardant le format papier. La visibilité peut alors dépasser les limites de distribution du journal papier.
- Et ça, c’est une combinaison que vous trouvez intéressante ?
Il reste à se pencher là-dessus, ce n’est pas à moi de dire qu’on va vers cette direction ou une autre. Nous allons tenir un colloque le 23 octobre 2010 qui va porter sur l’avenir des médias écrits communautaires. Ce sera le 30e anniversaire de fondation de l’Association. Moi, je voudrais faire un 30e anniversaire qui ne soit pas tourné vers le passé, mais plutôt tourné vers l’avenir, en commençant à s’interroger là-dessus. On va aborder la problématique d’Internet à ce moment-là.
- Et je suppose que la problématique du financement sera aussi toujours présente lors de ce colloque. C’est une problématique récurrente des journaux communautaires.
Disons que depuis qu’il y a le programme avec le Ministère ça va mieux, il s’agit d’une partie du financement, ce n’est pas la plus grosse partie, c’est la partie qui permet de dire : on a une base. Avec la crise économique, on s’est dit que les journaux communautaires allaient subir le contre coup. Eh bien, non. Ils ont bien survécu à cela, ils n’ont pas été affectés par la crise. Les revenus publicitaires n’ont pas baissé. On a peut-être eu un journal qui a fermé, en partie à cause de la vente de publicité, mais il y avait d’autres problèmes avec ça. Les journaux communautaires ont bien survécu globalement, les commerçants ont continué à annoncer dans le journal. Il faut savoir que les financements provenant des publicités représentent environ entre 75 et 80 %. Et étant donné que les journaux communautaires sont généralement produits par des bénévoles, la majorité n’ont pas de salaires à payer et il y a parfois un local mis à sa disposition gratuitement par la municipalité. Les coûts de production sont alors moins élevés. Il faut que la vente de publicité compense les coûts d’impression de distribution, c’est ça le gros des dépenses, alors ça va bien avec le questionnement de tout à l’heure, avec Internet, il n’y a plus ce problème. Alors ça va faire partie de notre réflexion, mais à ce moment-là le Ministère va se dire : Tiens, si le journal n’a plus à payer les frais d’impression, on n’a plus à payer de subventions. Ça va être un autre problème, il faut commencer à réfléchir à ça.