Résumés
Résumé
Face aux exigences de transformations écosociales contemporaines, les universités doivent orienter leurs efforts d’innovation pédagogique envers la coconstruction d’un meilleur savoir-agir. C’est dans cette optique qu’une équipe d’un programme de maitrise professionnelle en environnement a conçu et mis en œuvre de nouveaux formats de productions de fin d’études. Dans cet article, nous présentons la démarche adoptée, les étapes de son déroulement ainsi que deux projets de fin d’études de type projet-création en éducation relative à l’environnement. Il ressort notamment que le nouveau dispositif de formation est de nature à favoriser une mobilisation des connaissances dans des contextes d’application non académiques, à permettre le développement d’un réseau de contacts dans des milieux de pratiques, à approfondir la réflexivité et à exercer une influence sur le processus de construction identitaire. À travers cet article, nous espérons stimuler les réflexions au sujet du développement de dispositifs pédagogiques universitaires orientés envers le développement du savoir-agir des personnes étudiantes.
Mots-clés :
- pédagogie de l’enseignement supérieur,
- innovation pédagogique,
- projet-création,
- réflexivité,
- déficit-nature,
- enseignement en plein air au secondaire
Abstract
Faced with the demands of contemporary eco-social transformations, universities must direct their educational innovation efforts towards the co-construction of better know-how. It is with this in mind that a team from a professional master's program in the environment designed and implemented new formats for capstone productions. In this article, we present the approach adopted, the stages of its development as well as two capstone projects of the project-creation type in EE. It appears in particular that the new educational dispositif is likely to promote the mobilization of knowledge in non-academic application contexts, has enabled the development of a network of contacts in practical settings, has contributed to the deepening of reflexivity and exerted an influence on the process of identity construction. Through this article, we hope to stimulate reflections about the development of university pedagogical devices oriented towards the development of student know-how skills and empowerment.
Keywords:
- higher education pedagogy,
- pedagogical innovation,
- creation project,
- reflexivity,
- nature-deficit,
- outdoor education
Corps de l’article
La complexité des enjeux écosociaux contemporains interpelle plus que jamais le monde de l’enseignement supérieur. En tant que ressac d’une vision du monde forgée au cœur de la modernité (Feltz, 2014 ; Latour, 2015 ; De Sousa Santos, 2016), la croissance des inégalités sociales, la destruction des écosystèmes de même que les bouleversements climatiques posent plus que jamais la nécessité d’une métamorphose culturelle (Latouche, 2014 ; Maffessoli, 2021 ; Sigrist, 2021 ; Charbonnier, 2022). Transformer nos manières de penser, de délibérer, de décider et de nous organiser collectivement pour vivre ensemble sur Terre interpelle de manière éminente le monde de l’enseignement supérieur. L’université doit assurer la mise en œuvre des conditions démocratiques de transformation du monde afin que celui-ci devienne toujours plus juste et plus harmonieux. Pour que l’université puisse remplir ce rôle critique, il apparait indispensable que les dispositifs de formation qu’elle mobilise soient cohérents avec ces finalités.
C’est dans ce contexte, non pas de réforme, mais de transformations en profondeur, qu’il nous faut désormais penser le champ de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur. Après s’être longuement intéressé aux apports des technologies de l’information et de la communication pour soutenir principalement un « savoir plus » en négligeant un « savoir pour quoi » (Lebrun et Viganò, 1995), il semble plus que jamais important d’élargir ce champ de recherche et de pratiques à une plus grande diversité de préoccupations socioéducatives, à commencer par l’importance d’offrir une formation qui soit porteuse de sens (Barbezat et Bush, 2014). En effet, face à la gravité, à la complexité et à l’irréversibilité dans certains cas des phénomènes de détérioration écosociale, de plus en plus de personnes étudiantes et de personnes enseignantes s’interrogent sur la signification et la contemporanéité des curriculums universitaires (Sauvé, Asselin, Marcoux et Robitaille, 2018 ; Marcotte-Joncas, 2020 ; Allali et Desforges, 2021 ; Champoux, 2021 ; MacDonald et coll., 2022).
Nous, les personnes auteures de cet article, avons été engagées activement dans un projet d’innovation pédagogique au supérieur. Le projet auquel nous avons pris part concerne la conception et la mise en œuvre de nouveaux formats de productions de fin d’études dans le cadre d’un programme interdisciplinaire de maitrise professionnelle en environnement. La visée est celle d’améliorer l’adéquation de cette activité pédagogique face aux nouvelles attentes écosociales entretenues à l’égard de l’université (Quirion, 2021). Par cette communication, nous espérons stimuler la réflexion et inspirer d’autres groupes d’actrices et d’acteurs universitaires à entreprendre une démarche d’innovation pédagogique semblable à la nôtre. La première partie de l’article explicite la démarche qui a été réalisée en vue de concevoir et d’implanter l’innovation pédagogique. La deuxième partie présente succinctement deux exemples de productions de fin d’études de type projet-création réalisées par des étudiantes (coauteures de cet article) ayant pris part au projet pilote. En prenant appui sur leurs expériences d’apprentissage singulières, la dernière partie met en exergue certains des bénéfices associés au dispositif de formation de projet-création pour le champ de l’éducation relative à l’environnement (ERE), comprise en tant que « dimension essentielle de l’éducation fondamentale » (Sauvé, 2001).
Démarche d’innovation pédagogique
Dans le cadre de l’exercice décanal de révision des programmes, les membres de la direction du Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE) de l’Université de Sherbrooke se sont engagés avec l’ensemble de leur équipe professionnelle dans une réflexion collective afin de repenser en profondeur l’activité pédagogique qui encadre la réalisation de la production de fin d’études du programme de maitrise professionnelle en environnement. Depuis les débuts du programme en 1974, cette activité a pris la forme d’un essai écrit traditionnel. Toutefois, depuis quelques années, certaines personnes étudiantes expriment de plus en plus le souhait de s’engager d’une diversité de manières dans la réalisation de leur production de fin d’études. Pour ces personnes, l’essai, caractérisé par une dimension individuelle et principalement théorique, ne semble pas constituer le type de travail le plus adéquat pour s’engager d’une manière qui convient à leurs intérêts, leurs aptitudes et leurs talents particuliers.
En septembre 2020, la première auteure de cet article a été mandatée afin de codévelopper et coordonner la mise en œuvre de nouveaux formats de production de fin d’études (en addition à la production traditionnelle de type « essai »). En plus des visées habituelles de construction de savoirs en lien avec divers enjeux socioécologiques, les visées de ce travail d’innovation pédagogique se voulaient cohérentes avec une éthique de la responsabilité (Jonas, 2013 [1979]). Loin d’une conception techniciste ou gestionnaire de l’environnement, pour Sauvé (2001), une éthique de la responsabilité en matière d’ERE invite à une pédagogie de la conscience, de la lucidité, de l’authenticité, de la solidarité et de la sollicitude, ou du care (Gilligan, 1986). En accord avec Hungerford et Volk (1990) de même qu’avec Sauvé (2001), l’approche adoptée dans le cadre de la conception du nouveau dispositif pédagogique a misé sur la mobilisation du vouloir-agir des personnes étudiantes pour les aider à renforcer leur pouvoir-agir et vice-versa. Le nouveau design de l’activité de production de fin d’études au CUFE s’inscrit donc en cohérence avec une approche de l’éducation à l’écocitoyenneté transformatoire et émancipatoire (Thésée et coll., 2015 ; Champoux, 2021).
La réalisation du projet d’innovation pédagogique visant la création de nouveaux formats de production de fin d’études s’est déroulée de septembre 2020 à avril 2022. Inspiré par la démarche du Scholarship of Teaching and Learning (SoTL) (Bélisle, Lison et Bédard, 2016), le projet a été structuré en six volets qui se chevauchent partiellement dans une démarche itérative : 1) analyse de l’état des lieux, 2) recherche documentaire et empirique, 3) idéation et conception, 4) expérimentation, 5) évaluation et amélioration, 6) communication.
L’analyse de l’état des lieux a permis de faire le point sur les conceptions entretenues par les membres de la direction et du personnel professionnel du CUFE à l’égard de la production de fin d’études : ses forces et ses limites au regard du contexte actuel.
La recherche documentaire a servi à l’identification des formats de productions de fin d’études innovants proposés dans divers programmes de maitrise de type interdisciplinaire, dans des universités d’Amérique du Nord et d’Europe. Le constat réalisé à la suite de ce premier volet est qu’un certain nombre de dispositifs de production de fin d’études, alternatifs à l’essai, sont mis en œuvre dans divers programmes de maitrise professionnelle de type interdisciplinaire, mais que très peu d’entre eux semblent s’appuyer explicitement sur des fondements éducatifs et pédagogiques reconnus (Champoux, inédit). Par ailleurs, la recherche documentaire a également révélé qu’il existe très peu de démarches d’innovation pédagogique semblables à la nôtre qui ont fait l’objet d’une communication scientifique (Champoux, inédit).
Ensuite, un volet empirique a permis de faire le point sur les attentes et les aspirations des personnes étudiantes à la maitrise en environnement ainsi que de personnes formatrices ayant l’expérience de direction des essais dans ce même programme. Une première discussion de groupe, d’une durée d’environ 90 minutes, a réuni onze personnes étudiantes (dont certaines récemment diplômées) de la maitrise en environnement. À la suite de cette discussion, il a été possible de dégager certaines aspirations communes de même que certains besoins qui ne semblent pas être entièrement comblés à travers la rédaction d’un essai. Une deuxième discussion de groupe, d’une durée équivalente, a réuni onze personnes formatrices habilitées à encadrer des productions de fin d’études à la maitrise en environnement. De manière similaire, lors de cette rencontre, les personnes participantes ont pu échanger au sujet de leurs diverses expériences en qualité de directrice et de directeur d’essais, de spécifier les limites éducatives et pédagogiques de ce type de production de fin d’études et de préciser des pistes d’améliorations afin de l’enrichir. De manière générale, les résultats issus des deux discussions de groupe ont pointé en faveur de la conception de dispositifs pédagogiques offrant plus de flexibilité quant aux manières par lesquelles les personnes étudiantes peuvent témoigner des apprentissages réalisés ainsi que d’une plus grande ouverture à l’expression d’intérêts, d’aptitudes et de talents singuliers de même qu’à l’intégration d’une démarche réflexive plus soutenue. Par ailleurs, les personnes directrices ont souligné l’importance que cette activité soit l’occasion de donner un sens plus profond aux apprentissages réalisés, tout en accompagnant la transition vers le monde professionnel.
Grâce aux données primaires et secondaires recueillies, la phase d’idéation et de conception qui a suivi a débouché sur deux dispositifs pédagogiques : un projet-intervention et un projet-création. Dans le contexte spécifique du CUFE, la principale différence entre les deux formes de travail a reposé sur la dimension fortement collaborative de l’intervention, nécessitant une habileté à mobiliser un grand nombre de parties prenantes. Le projet création a quant à lui été conçu de manière à offrir un cadre flexible permettant le croisement de divers savoirs, orientations épistémologiques et aptitudes particulières des personnes étudiantes. Sur une période de douze mois, ces deux dispositifs ont été coconstruits grâce au travail collaboratif de toute l’équipe pédagogique du CUFE (accompagnée notamment par une professeure spécialiste de l’évaluation) ainsi que par douze personnes étudiantes et leur direction, qui ont expérimenté ces nouvelles formes de production de fin d’études dans le cadre d’un projet pilote. Mentionnons que dix personnes étudiantes ont choisi de s’engager dans le projet intervention et deux personnes étudiantes, dans le projet-création. Cet article se penche plus spécifiquement sur le cas du projet-création.
Au cours des deux sessions universitaires pendant lesquelles s’est déroulée la phase d’expérimentation (projet-pilote), une grande vigilance a été portée par l’ensemble des personnes intervenantes du projet afin de soulever les aspects qui fonctionnaient bien et ceux qui demandaient une amélioration. La réflexion a porté sur un grand nombre d’aspects constitutifs de l’activité, notamment les documents d’accompagnement destinés aux personnes étudiantes, les différentes grilles d’évaluation critériées qui ont été conçues et le partage des rôles et responsabilités des actrices et des acteurs impliqués.
La phase d’évaluation a été réalisée grâce à la tenue de deux séries d’entretiens individuels avec chacune des personnes étudiantes et des personnes formatrices. Ces entretiens ont permis de constater que le niveau de satisfaction des personnes impliquées est élevé. Les personnes étudiantes ont exprimé que le caractère tangible et authentique de la production de fin d’études a contribué à leur engagement dans sa réalisation. Le fait de savoir que leur travail profiterait à des personnes dont ils connaissent l’identité a grandement contribué à leur motivation. En effet, plusieurs ont dit s’être engagés dans ce type de production afin d’éviter de voir leur travail « tabletté ». Nous soulignons au passage que, s’agissant d’une maitrise de type professionnel, les personnes finissantes de ce programme ne se destinent pas d’emblée au domaine de la recherche académique. Les personnes formatrices ont, quant à elles, exprimé le plaisir qu’elles ont eu à accompagner des projets authentiques, originaux et « collés » à la réalité professionnelle, soulignant également que ce type d’activité finale devrait avoir un effet positif sur la transition vers l’emploi. En effet, de l’avis de plusieurs des personnes impliquées dans le projet pilote, les personnes étudiantes ont pu nouer des relations professionnelles qui leur seront d’une aide considérable dans le cadre de leur recherche d’emploi en environnement.
Malgré le succès du projet-pilote, certaines améliorations doivent encore être apportées au dispositif initialement prévu. Parmi celles-ci, certaines apparaissent prioritaires. D’abord, en ce qui concerne le projet-création, il convient de mieux accompagner les personnes étudiantes afin qu’elles puissent conjuguer les temporalités académiques et celles, fort différentes, de l’activité créatrice. Ensuite, pour le projet-intervention comme pour le projet-création, il semble approprié d’offrir aux personnes étudiantes une formation plus approfondie en méthodologie de recherche collaborative.
Deux projets de fin d’études de type projet-création en ERE
Julia Lamoureux et Laurelle Quintin, deux étudiantes à la maitrise en environnement à l’Université de Sherbrooke, ont profité de la flexibilité offerte par l’option projet-création pour explorer le champ de l’ERE : un domaine de savoirs qui, pour elles, est source de motivation, de sens, d’engagement et de créativité. Au cœur de leur projet respectif, sans que cela ait émané d’une directive du dispositif de formation, les deux étudiantes ont développé un intérêt pour le rôle de l’éducation face au problème de déficit-nature (Louv, 2005 ; Kuo, Barnes et Jordan, 2019), un problème qui s’inscrit dans le prolongement de la faille dichotomique entre nature et culture (De Sousa Santos, 2016 ; Ferdinand, 2019).
Julia Lamoureux, biologiste de formation et ornithologue amateure, a choisi de combiner sa passion pour l’aquarelle et sa biophilie afin de créer un album illustré qui s’adresse à des enfants de trois à huit ans. La démarche de création poursuivie par l’étudiante l’a amenée à consulter des libraires jeunesse, des éducatrices à la petite enfance de même que les enfants de trois à quatre ans qui sont sous leur supervision. Ces rencontres ont servi de guide dans les choix esthétiques de l’œuvre en plus d’orienter le fil narratif du récit. L’album présente dix-huit illustrations dans lesquelles une petite fille de la forêt fait découvrir à son amie citadine les phénomènes naturels qui se déroulent au cœur de la ville. L’auteure mise sur la beauté de la nature et l’émerveillement des deux protagonistes.
Laurelle Quintin, environnementaliste et vulgarisatrice scientifique, a choisi de réinvestir ses connaissances scientifiques et ses aptitudes professionnelles dans le milieu de l’éducation formelle. Ayant appris qu’un des enjeux de l’éducation en plein air au secondaire concerne le manque de ressources pédagogiques (Ayotte-Beaudet, Vinuesa, Turcotte et Berrigan, 2022), Laurelle a consulté des personnes enseignantes en sciences au secondaire pour mieux comprendre leurs besoins concrets. Cela l’a menée à créer trois situations d’enseignement et apprentissage (SEA) pour l’enseignement des sciences en plein air au premier cycle du secondaire, principalement liées au biomimétisme et aux phytotechnologies. Les SEA permettent de couvrir plusieurs des savoirs visés par le Programme de formation de l’école québécoise tout en apportant de nouvelles notions qui piquent la curiosité des élèves et qui contribuent à la contextualisation des apprentissages (Ayotte-Beaudet et Potvin, 2020).
Des implications pour le champ de l’ERE
Afin de mieux comprendre comment l’engagement dans le projet créatif a pu contribuer à l’amélioration du savoir-agir ainsi qu’au renforcement du vouloir-agir et du pouvoir-agir des deux étudiantes et ce, en exerçant une influence sur leur vision du monde, la construction de leur identité et le développement de leur pouvoir d’action (Jutras, 2010), un questionnaire contenant quatre questions ouvertes leur a été soumis environ deux semaines après avoir déposé la version finale de leur travail. Les étudiantes y ont répondu par écrit. C’est sur la base de ces réponses que la première auteure de cet article présente son interprétation en faisant ressortir les implications potentielles du dispositif de projet-création pour le champ de l’ERE.
Des savoirs environnementaux transférables
Premièrement, nous reconnaissons que les étudiantes ont construit un savoir écologique approfondi concernant plusieurs notions environnementales de première importance au regard du déclin de la biodiversité : biomimésie, phytotechnologies, déficit-nature, communication entre les végétaux, etc. Nous constatons par ailleurs qu’elles se sont familiarisées avec certaines dimensions axiologiques et praxéologiques relatives au champ de l’ERE, notamment les visées et les objets de même que la diversité des courants et des approches. Le tissage épistémologique entre ces nouveaux savoirs et ceux dont elles étaient initialement porteuses leur a permis de développer des compétences en matière d’intervention en ERE. Une des particularités est que ces apprentissages ont été faits dans un contexte concret d’application, ce qui est de nature à favoriser davantage leur capacité à mobiliser ces apprentissages dans de nouvelles situations qui ne se vivront pas dans le cadre universitaire (Giamellaro, 2017).
Une identité écologique plus complexe
Deuxièmement, nous observons que l’activité semble avoir permis aux étudiantes de se forger une compréhension plus holistique des phénomènes écosociaux, ce qui peut avoir joué un rôle dans la construction de leur identité écologique (Thomashow, 1996). En effet, les lignes de rupture entre nature et culture semblent leur apparaitre désormais plus clairement et la nécessité de les repenser dans d’autres termes fait maintenant partie de leur vision du monde.
D’un point de vue holistique, il a été possible de créer des liens entre les pathologies humaines et environnementales et de penser comment l’amélioration de notre relation à l’environnement et de nos connaissances sur le monde naturel permettrait peut-être aussi de guérir nos propres maux physiques et psychologiques. (Laurelle)
Nous pensons que la tenue d’un journal réflexif en tant qu’élément inclus dans le dispositif de projet-création a pu jouer un rôle positif à cet égard. Les consignes (ou plutôt les orientations) associées à cet outil d’autoformation se veulent flexibles afin d’être adaptées aux besoins de chaque personne étudiante et aux particularités de chaque projet. Afin d’accompagner le travail de création de Julia, il lui a été suggéré d’effectuer un travail de mémoire sur sa propre enfance et ses rapports à l’environnement. Il semble que les réflexions menées par cette dernière sur son histoire de vie et ses rapports au monde ont ouvert à leur tour de nouvelles pistes de réflexion et de création et ont participé à la prise de conscience par l’étudiante de ses propres processus d’écoontogénèse (Berryman, 2002).
Comme Robin Wall Kimmerer (2013), mon intérêt envers la nature m’est venu avant tout parce que j’ai toujours trouvé beaux les organismes qui vivaient dans la nature autour de chez moi. J’aimais le goût des fruits qui poussaient dans le jardin de ma grand-mère, ce qui me motivait à lui poser des questions sur le cycle de vie des abricots alors que j’avais seulement cinq ou six ans. Petite, j’aimais utiliser tous mes sens pour découvrir et apprendre du vivant qui m’entourait. J’ai découvert ma sensibilité au vivant en allant de l’action de grimper dans les arbres, de laisser les limaces gluantes parcourir mes mains et mes bras jusqu’à croquer dans une prune trop mûre qui nourrissait non seulement mon corps, mais aussi un vers bien charnu. (Julia)
Le développement d’un savoir-agir
Troisièmement, toutes les personnes impliquées dans le projet d’innovation pédagogique s’entendent pour dire que l’espace de liberté créé par le dispositif de projet création a contribué au développement de leur savoir-agir.
[Avant de commencer le projet] je soupçonnais déjà fortement l’importance de la nature au cours du développement d’un enfant, mais j’ignorais tous les effets négatifs qu’un manque de contact avec l’environnement naturel pouvait engendrer. […] Lors du projet, j’ai pris conscience de l’importance de l’émerveillement en ERE, ce qui me donne l’impression de comprendre davantage comment agir dans ce domaine. (Julia)
Le caractère authentique de l’activité aurait aussi contribué à donner plus de sens à l’activité de fin d’études, ce qui constitue un des buts du nouveau dispositif. À cet égard, la contextualisation des apprentissages dans des situations concrètes de mobilisation des connaissances est en effet reconnue pour stimuler l’intérêt des personnes apprenantes (Potvin et Hasni, 2014).
[…] le fait de compléter un projet concret était certainement un facteur de motivation. Puisque le projet est tangible, il donne également plus de sens à la démarche entreprise. (Laurelle)
Une réflexivité enrichie
Enfin, le processus de communication des résultats du projet d’innovation pédagogique, qui se matérialise entre autres par la rédaction de cet article même, nous a conduits à effectuer une ultime boucle de rétroaction sur le design de l’activité. En effet, il faut savoir que le design du dispositif prévoit la réalisation d’un bilan des apprentissages, lequel formule des consignes précises afin de guider la réflexion des personnes étudiantes. De l’avis de plusieurs des personnes formatrices, les réflexions produites par l’ensemble des personnes étudiantes ayant pris part au projet pilote demeurent quelque peu superficielles. C’est-à-dire que les réflexions se concentrent largement sur ce qui a été accompli versus les attentes formulées en termes de compétences. On retrouve là une des critiques adressées par Schneuwly (2015) au modèle du praticien réflexif. Sur le plan éducatif, le bilan des apprentissages vise davantage une forme d’approfondissement et de prolongement des apprentissages réalisés dans le cadre de l’activité et non seulement un portait formel de ce qui est déjà manifeste à travers la production de fin d’études en tant que telle. C’est justement cet enrichissement de la réflexion que semble avoir permis le questionnaire écrit que nous avons remis aux deux étudiantes qui participent à la rédaction de cet article. Les deux premières questions étaient formulées comme suit :
-
Q1. Pensez-vous que le projet-création a pu contribuer à enrichir votre réflexion relativement à certains enjeux socioécologiques ? Pourquoi ?
-
Q2. Pensez-vous que le projet-création a pu contribuer à renforcer votre savoir-agir ainsi que vos sentiments de vouloir-agir et de pouvoir-agir ? Pourquoi ?
Prenant acte des limites associées aux consignes de la première version du bilan des apprentissages, nous avons revu ces dernières afin de permettre une réflexion plus authentique. La formulation des deux questions précédentes semble présenter un avantage sur le plan de l’approfondissement de la réflexivité.
Il importe également de noter que les réponses à la deuxième question ont fait apparaitre une limite potentielle du dispositif pédagogique. En effet, si l’on peut admettre sans peine une amélioration du savoir-agir, il demeure difficile de conclure que les personnes étudiantes ont véritablement vécu un renforcement de leur vouloir-agir et de leur pouvoir-agir. En entretien, le témoignage de Laurelle nous a mis la puce à l’oreille : celle-ci nous a confié son incertitude à poursuivre son engagement dans le domaine de l’ERE, car elle a « l’impression que l’ERE ne [lui] permet pas d’agir directement sur les réalités environnementales ». Il demeure difficile à cette étape de savoir si l’empowerment mitigé de Laurelle est dû à une lacune du dispositif. En effet, en éducation, nous ne pouvons attendre de nos actions des impacts immédiats et aisément mesurables. Il demeure possible que les effets de cette expérience de construction de savoirs se déploient sur le long terme contribuant à l'amélioration du vouloir-agir et du pouvoir-agir en d'autres temps et d’autres lieux. Nous retenons tout de même l'importance de demeurer vigilants en tant qu’éducateurs et qu’éducatrices afin que les innovations pédagogiques que nous mettons en œuvre ne se satisfassent pas simplement de l’atteinte d’un « savoir plus », mais qu’elles contribuent de manière significative à la coconstruction réciproque d’un savoir, d’un vouloir et d’un pouvoir agir soutenus en continu par une réflexion sur le « pour quoi » agir.
Conclusion
La phase de projet pilote est désormais terminée et l’innovation pédagogique relative aux nouveaux dispositifs de production de fin d’études est à présent implantée. Il ressort notamment que le nouveau dispositif de formation est de nature à contribuer à augmenter la motivation des personnes étudiantes, à favoriser une mobilisation des connaissances dans des contextes concrets d’application qui ne sont pas académiques, à développer un réseau de contacts dans des milieux de pratiques, à favoriser le développement de la réflexivité et potentiellement, à construire une identité écologique plus complexe. Des améliorations continueront à être apportées et ce, grâce aux apports conjoints des personnes étudiantes, des personnes enseignantes, du personnel professionnel et du personnel de direction. Pour toutes les personnes impliquées, il s’agit en somme de prendre part à un mouvement d’innovation pédagogique déjà bien amorcé afin de participer avec audace, courage et confiance à la coconstruction d’une université du futur qui soit plus écologique et plus humaniste.
Parties annexes
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