Résumés
Résumé
Cet article détaille l’impact socio-économique de l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) aux échelles locale et nationale, mettant en lumière l’évolution vers une mission universitaire tripartie : enseignement, recherche et valorisation. Cette dernière – axée sur l’engagement régional et la valorisation de la recherche – devient essentielle dans un paysage compétitif et évolutif. Cette recherche emploie une méthodologie mixte combinant analyse quantitative de données financières et 18 entretiens pour examiner les interactions entre le cas d’étude, le secteur industriel et les instances gouvernementales. Les résultats soulignent l’impact relativement significatif de cette université régionale sur l’économie, en révélant les défis méthodologiques inhérents à l’évaluation des différents effets. L’article apporte ainsi une contribution à la compréhension du rôle des universités de petite ou de moyenne taille dans le développement économique et social régional.
Mots-clés :
- université,
- impact,
- connaissance,
- territoire,
- développement
Corps de l’article
Introduction
Depuis leur création au 12e siècle, les universités ont accompagné l’évolution des sociétés (Harloe et Perry, 2004). Les confédérations de maîtres et d’étudiants – premières fromes d’Université – visaient à enseigner aux élèves, remplissant ainsi la première mission des universités. À la suite de la révolution industrielle, les avancées technologiques et les transformations sociales ont accru l’importance accordée aux connaissances et à l’innovation. Le rôle des universités s’est ainsi élargi pour englober les activités de recherche. Cette révolution humboldtienne du début du 19e siècle, marquée par la création de l’Université de Berlin, introduit la deuxième mission contemporaine des universités (Vergnaud, 2018). Dès lors, les organisations publiques et privées (États, entreprises…) ont voulu tirer parti des connaissances produites par les universités (Compagnucci et Spigarelli, 2020). Durant toute cette époque, correspondant à la Deuxième Révolution industrielle, elles constituaient les principales infrastructures de production de connaissances.
À partir du milieu du 20e siècle et avec l’émergence de l’État providence, les universités ont diversifié leurs formations et élargi leurs champs de recherche pour répondre aux besoins de l’industrie et de la société. Au tournant du 21e siècle, les avancées technologiques ont nécessité de nouvelles formes de gouvernance poussant ainsi les universités à remplir une troisième mission pour renforcer leur ancrage territorial (Boiteau et Jameux, 2018). Cette nouvelle mission, selon Compagnucci et Spigarelli (2020), consiste en une vaste gamme d’activités depuis le transfert de la connaissance à la promotion de l’innovation, la participation aux pôles de compétitivité, et la formation d’un capital humain local (Berghaeuser et Hoelscher, 2019). Dans cette perspective, le rôle de l’Université ne se limite plus à la production et à la transmission des connaissances, mais elle occupe également une place primordiale au sein de l’écosystème de l’innovation.
L’objectif de cet article est de présenter l’analyse de l’impact de l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) sur son territoire. Celle-ci accueille environ 10 000 étudiants répartis sur quatre sites dans la Région Hauts-de-France. À l’issue d’une revue de littérature, nous examinerons dans un premier temps les incidences de chacune de ces missions universitaires sur le développement économique. En effet, les institutions d’enseignement supérieur et de recherche participent à la vie économique locale à travers la consommation de biens et de services, générant à la fois des effets directs, indirects et induits sur l’économie et l’emploi. Dans cette perspective, nous présenterons la méthodologie qui a servi à mesurer l’impact de l’ULCO – par mission universitaire – afin de comprendre son rôle dans le développement économique aux échelles locale et nationale, tout en pointant les différents défis méthodologiques liés à l’évaluation de cet impact. Dans un deuxième temps, nous aborderons les conséquences des politiques menées depuis les années 1990. En effet, le point de départ de notre démarche repose sur le constat que l’évolution récente des universités françaises a été marquée par des politiques publiques néo-libérales visant à répondre aux besoins des territoires face aux défis de la mondialisation. Ces politiques ont conduit à la multiplication des structures universitaires, ainsi qu’à leur hiérarchisation. Enfin, dans un troisième temps, nous aborderons l’impact de l’ULCO sur son environnement, à l’échelle locale comme nationale. Cette analyse, allant du niveau macro à micro, permettra une meilleure compréhension de l’impact des universités de petite ou de moyenne taille sur leurs territoires.
1. L’Université au 21e siècle
Cette revue de la littérature examine la manière dont les universités se sont adaptées aux changements économiques et sociétaux tout en assurant leurs différentes missions.
1.1 L’économie et la connaissance
À la fin du 20e siècle, les théories de la croissance endogène (Romer, 1986) ont mis en lumière le rôle du progrès technologique, de l’éducation, de la R&D et des externalités positives de la connaissance sur la croissance économique. Plus globalement, l’économie de la connaissance est devenue essentielle dans les processus de création de richesse (Foray, 2004). Ce nouveau système repose sur la production, la circulation et l’application des connaissances, redéfinissant ainsi les dynamiques socio-économiques (Castells, 1996; Khan, 2005). Cette évolution correspond au passage d’une société industrielle à une économie tertiaire, où les technologies de l’information et la sophistication des processus de production, soutenues par des travailleurs qualifiés, deviennent prépondérantes (Cai et Amaral, 2021; Hadad, 2017).
Dans ce contexte, si les universités n’ont plus le monopole de la production de la connaissance, elles restent néanmoins des acteurs majeurs de l’innovation et de la création de valeur, en lien avec les entreprises et les acteurs publics (Brennan et al., 2018). Les universités ont ainsi mis en place des structures de transfert de technologie[1] pour faciliter la commercialisation des résultats de la recherche (Pietrabissa, 2021). Toutefois, ces transformations ont soulevé de nouveaux défis pour les universités, notamment en matière de financement, de gouvernance et de qualité de l’enseignement et de la recherche.
1.2 L’Université : un acteur clé du système économique
L’essor de l’économie de la connaissance et la multiplication des relations entre le savoir et la production économique ont profondément ébranlé la place traditionnelle de l’université dans la société contemporaine. Les politiques liées à l’enseignement supérieur et la recherche ont donc connu des ajustements importants, accompagnés d’une littérature scientifique diversifiée sur le sujet. Ainsi, de nombreuses théories ont vu le jour, proposant de nouveaux modèles théoriques de l’université, dont les plus représentatives sont les universités de Mode 2 (Gibbons, 1994), le modèle de l’université entrepreneuriale (Clark, 1998) et le modèle de la triple hélice (Etzkowitz, 2004).
Afin de répondre aux nouveaux défis mondiaux et de s’ancrer durablement dans leurs territoires pour stimuler la création de valeur, les universités ont adapté leurs missions (Compagnucci et Spigarelli, 2020). L’analyse de Michael Gibbons (1994) rend compte de cette évolution. Si le Mode 1 Science des universités s’intéressait à la production des résultats de la recherche disciplinaire, le Mode 2 Recherche, quant à lui, insiste surtout sur la transdisciplinarité des activités universitaires, en élargissant le spectre de l’ensemble des projets. Cela nécessite cependant la coopération et/ou la création de réseaux entre les diverses institutions et acteurs. L’université doit alors améliorer ses relations avec l’État et élargir son réseau et ses relations avec le secteur privé. On peut considérer le passage du Mode 1 au Mode 2 comme étant représentatif de l’engagement régional des universités.
Une lecture plus néo-libérale est proposée avec le modèle d’entrepreneuriat universitaire (Clark, 1998) qui présente l’université comme une entité proactive et dynamique cherchant à se positionner comme un acteur clé dans son écosystème territorial. Cette vision implique une autonomie accrue, une expansion du cercle d’influence par des partenariats stratégiques et l’intégration de l’esprit entrepreneurial à toutes ses activités, de l’enseignement à la recherche. Enfin, le modèle de la triple hélice d’Etzkowitz (2004) souligne la collaboration nécessaire entre l’université, l’industrie et l’État. L’auteur envisage un système où ces trois pôles interagissent pour améliorer les processus de production et de diffusion des connaissances, favorisant ainsi une approche transdisciplinaire et un ancrage territorial de l’université. Ces interactions sont considérées comme des catalyseurs pour le développement du territoire.
Finalement, ces différents modèles d’universités soulignent que cette institution est devenue un acteur clé du système économique mondial basé sur le savoir. Les connaissances produites, en son sein, doivent être mises à la disposition de la société dans son ensemble, en prenant en compte les exigences des différents contextes socio-économiques (Cai et Amaral, 2021). En effet, la valeur et la pertinence des connaissances varient selon une échelle temporelle et spatiale qui dépend largement des cadres politiques et socio-économiques des territoires d’accueil. D’une part, le contexte géographique affecte le processus de création de savoir : la recherche et les procédures créatives ne se déroulent pas dans le vide, mais dans un périmètre bien défini (Glückler et al., 2013). D’autre part, le facteur temporel peut également avoir des effets sur les relations entre le savoir et la croissance économique d’un territoire. Il apparaît que l’Université joue le rôle d’interface entre les divers acteurs concernés dans le secteur de la R&D (Recherche et développement) et à différentes échelles. Robertson (1994) propose le terme glocalisation pour décrire ce phénomène.
1.3 L’impact de l’Université : un enjeu politique, économique et social
L’Université se trouve désormais au centre des enjeux socio-économiques de notre temps, et son impact potentiel sur le développement territorial prend plus d’ampleur dans le débat public. Les gouvernements et les autorités régionales ont contribué à l’élargissement des missions traditionnelles de l’enseignement supérieur et de la recherche pour inclure, nous l’avons mentionné plus haut, une troisième mission – celle de l’engagement régional et de la valorisation – afin de répondre aux exigences du système économique. Cette évolution reflète à la fois la prise de conscience du politique et l’injonction attendue quant au rôle des universités dans l’économie locale, nationale et même européenne[2].
Il est dorénavant admis que la présence d’une université sur un territoire crée une diversité culturelle et intellectuelle, attirant des étudiants venus d’horizons divers ainsi que des enseignants et des chercheurs (Guerrero et Urbano, 2014). Ceux-ci participent activement à la vie économique locale en consommant des biens et des services, générant ainsi une valeur ajoutée induite et des effets positifs sur l’emploi. Les universités sont par conséquent des générateurs d’emplois directs et indirects, et ont un impact économique souvent considérable pour le territoire (Le Boulch et Baslé, 1998). Enfin, la troisième mission produit également des externalités positives sur le territoire, car elle repose sur des actions volontaires ayant pour but d’améliorer son attractivité (Etzkowitz, 2016).
Si l’analyse de l’impact d’une université est devenue stratégique pour les élus et les acteurs des territoires, cette démarche exige cependant la mise en oeuvre d’une méthodologie adaptée et d’une réflexion critique sur les hypothèses sous-jacentes à l’étude. En effet, les défis liés à l’évaluation de l’impact universitaire sur le développement local sont nombreux, obligeant à un choix pertinent d’indicateurs. Cela constitue la difficulté majeure de ce travail de recherche.
2. Les implications politiques des universités régionales françaises
La deuxième partie de revue de littérature explore l’évolution des universités françaises en vue de comprendre la manière dont le cadre international – ci-dessus – a été adopté et adapté à la France.
2.1 L’évolution de la carte universitaire française
La longue histoire de l’Université française remonte au 12e siècle, avec l’émergence de communautés autonomes de maîtres et d’étudiants[3] à travers l’Europe, qui ont suscité une demande croissante pour le savoir et ont conduit à la création de nouvelles formes institutionnelles : les universités (Dang Vu, 2011). À partir des Trente glorieuses, l’économie française se tertiarise progressivement et développe de plus en plus d’emplois dans le secteur des services, nécessitant davantage de main-d’oeuvre qualifiée. Cependant, la concentration de l’enseignement supérieur à Paris a longtemps été considérée comme un obstacle à la démocratisation de l’enseignement et à la promotion de l’égalité territoriale. Bien que la loi Faure des années 1960[4] ait tenté de contrecarrer cette tendance, les universités sont restées majoritairement regroupées dans les grandes villes, malgré les efforts de l’État (Vergnaud, 2018).
Le Plan Université 2000 (PU2000), adopté en 1990 sous le mandat du président François Mitterrand, a marqué une étape importante dans la démocratisation de l’enseignement supérieur français[5]. Il visait pour l’essentiel à répondre aux besoins nationaux liés au développement des établissements d’enseignement et de recherche (Veltz, 2006). Après cette phase, les universités ont été appelées à jouer un rôle de premier plan dans la recherche, en lien avec l’innovation, dans la quête de visibilité et de compétitivité internationale des territoires. Cette nouvelle orientation a affecté tous les domaines d’activité de l’université, en particulier la recherche scientifique. Cette dernière est devenue un élément clé de la compétitivité économique, avec comme injonction de transformer les innovations scientifiques en produits industriels (Sánchez-Barrioluengo et Benneworth, 2019). En conséquence, les politiques françaises en matière d’innovation, d’enseignement et de recherche ont été à nouveau réformées par le gouvernement de Lionel Jospin en septembre 2000. L’adoption du décret 2000-893 visait à favoriser l’interaction entre les universités, les entreprises et les technologies de l’information et de la communication, tout en mettant l’accent sur la vocation entrepreneuriale des universitaires (Dauphin, 2015).
2.2 Des changements de politiques
Dans le milieu européen, la nécessité d’harmoniser les différents parcours d’enseignement supérieur a conduit à la Déclaration de Bologne[6]. Celle-ci a conduit à la création de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES) et a fixé des objectifs en 1998. Cette réforme a permis une augmentation de l’offre et de la demande pour le premier cycle d’enseignement supérieur, ainsi que l’adoption du système à trois cycles indépendants (licence, master et doctorat) (Garcia, 2009). En 2005, le cadre des qualifications de l’EEES – L/M/D – a été adopté afin de faciliter la mobilité des étudiants au sein de la zone, grâce à l’utilisation d’un système de crédit ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System).
En 2007, sous l’approche du New Public Management d’inspiration néo-libérale, le gouvernement du président Nicolas Sarkozy a adopté la loi relative à la liberté et responsabilité des universités (LRU) dans le but de développer la capacité d’action des universités. Cette loi permet à l’université d’adopter ses propres stratégies de gestion, de financement et de ressources humaines tout en gardant la notion de l’État stratège. Cependant, cette liberté de gestion ne doit pas être vue comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de poursuivre les objectifs de développement des modèles universitaires français (Pierronnet, 2018).
Au 21e siècle, le pilotage de l’enseignement supérieur en France relève toujours d’une logique étatique. Les organes de décision tels que les conseils de l’université, le conseil scientifique et le président élu sur un mandat de cinq ans sont devenus les acteurs clés de la gouvernance des universités. Dans ce cadre où la concurrence entre les universités est devenue un élément essentiel, les meilleurs établissements sont récompensés par une hausse de leurs subventions. En revanche, ceux qui se montrent incapables de maintenir leur propre gestion sont sanctionnés et perdent leur autonomie en passant sous la tutelle du ministère.
2.3 L’année 1991 : la création d’une université multisite
L’évolution des universités françaises dans les années 1990 a été caractérisée par l’apparition de nouveaux besoins de formations chez les étudiants ainsi que de demandes croissantes d’innovation des régions, de la société et des industries. Face à cette évolution, le gouvernement français a dû trouver des solutions. Dans le cas de la Région Hauts-de-France, il a été décidé la création d’une université multisite afin de combler les disparités en matière d’enseignement supérieur et de recherche dans les principales villes régionales. Toutefois, pour que cette initiative puisse atteindre ses objectifs, il était nécessaire de comprendre en amont les besoins locaux de formations ainsi que les demandes des étudiants, afin d’assurer une gouvernance optimale entre les sites.
Ainsi naquit l’ULCO en 1991. L’université s’est implantée dans quatre villes moyennes de la Région pour renforcer les liens entre le développement économique et l’enseignement supérieur. L’ULCO a été considérée comme un modèle des nouvelles universités françaises qui cherchaient à l’époque à répondre à la fois à la demande croissante en matière de formations et à combler les inégalités entre les territoires (Dang Vu, 2011).
3. La méthodologie de recherche
Depuis les années 2000, l’impact des études socio-économiques de l’enseignement supérieur gagne de l’ampleur en France. L’importance de ces études a été confirmée avec la publication du rapport Universités et Territoire par la Cour des comptes en début 2023. Dans cette perspective, notre étude propose d’approfondir cette problématique en adoptant une approche méthodologique à trois niveaux, pour prendre en compte les trois missions de l’ULCO.
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La première mission de l’université porte sur l’éducation. Cette mission est dorénavant accessible à toutes les classes socio-économiques grâce aux politiques de démocratisation de l’enseignement supérieur. Les dépenses liées au fonctionnement et à l’investissement, le nombre de personnels administratifs et enseignants, le nombre d’étudiants inscrits dans les deux premiers cycles universitaires, les dépenses de consommation de biens et de services doivent être pris en compte pour mesurer son impact sur le territoire.
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L’impact de la deuxième mission, la recherche, est mesuré en prenant en compte les budgets globaux des laboratoires, les différentes dépenses des composantes de recherche, le nombre de personnels dédié à ces activités, ainsi que le nombre de doctorants. Les dépenses de consommation de biens et de services sont également prises en compte dans le but de quantifier les effets économiques de la recherche.
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La troisième mission, l’engagement régional et la valorisation, comprend les actions de transfert de connaissances industrielles ou sociales, ainsi que les activités de création technologique. Les budgets dédiés à la valorisation, les dépenses de fonctionnement et d’investissement, les revenus générés par les brevets ainsi que la prise en compte des start-ups universitaires permettent de mesurer l’impact de cette mission.
3.1 La présentation du cas d’étude
Dans cette section nous présentons le cadre de la création de l’ULCO dans quatre villes moyennes de la Région, tout en explorant ses caractéristiques et l’évolution de ses missions.
3.1.1 La genèse du projet
La création de l’ULCO est l’aboutissement d’une histoire marquée par l’expansion des antennes universitaires de Lille depuis 1962 et leur consolidation vers la fin des années 1980. Néanmoins, ces entités n’avaient pas réussi à pallier les inégalités en matière d’enseignement supérieur et de recherche au sein de la zone du Littoral Côte d’Opale. Cette région, dotée d’une démographie relativement jeune, était confrontée à une offre universitaire fragmentée et insuffisante (Mille, 2002). Les structures d’enseignement supérieur lilloises préexistantes se limitaient à des formations de premier cycle, sans véritable implication dans la recherche.
Dans l’optique de combler ces lacunes et de répondre à un besoin croissant de qualifications, les autorités locales ont plaidé – auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) – pour l’établissement d’une université autonome dans les zones d’emplois principales du Littoral de la Côte d’Opale. Cette initiative s’insérait dans la stratégie nationale du PU2000 (Dang Vu, 2011; Vergnaud, 2018), qui a conduit à l’annonce de la création de l’ULCO le 9 juin 1990, un projet approuvé par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche en mai 1991. En fusionnant les antennes dispersées à travers les principales villes de la Côte d’Opale, l’ULCO fut envisagée comme une institution à la fois multipolaire et pluridisciplinaire, inspirée de modèles universitaires québécois (Mille, 2002).
3.1.2 L’écosystème infrarégional
Le territoire de la Côte d’Opale, comprenant les villes de Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer, a subi des transformations significatives au cours des dernières décennies. Après plus d’un siècle d’activités industrielles (mines, métallurgie, textile), cette région a fait face à d’importants défis à partir de la fin des années 1970, atténués en partie par la construction du tunnel sous la Manche et le déploiement de nouvelles infrastructures de transport (Bruyelle et Thomas, 1994). Ces avancées ont facilité l’intégration de l’économie locale dans les circuits économiques français et européens, et renforcé la cohésion territoriale entre les municipalités côtières pour surmonter ces défis.
De ce point de vue, la création de l’ULCO a marqué une étape significative vers l’unité régionale, renforcée par la création du Syndicat mixte de la Côte d’Opale. La région du Littoral Côte d’Opale s’est progressivement distinguée comme une entité distincte, caractérisée par ses spécificités économiques, sociales et culturelles, aspirant à un développement équilibré entre ses différentes zones.
3.1.3 Une université multisite
Dunkerque est une ville moyenne qui connaît une reconversion économique difficile depuis la fin du 20e siècle. Boulogne-sur-Mer, quant à elle, est une ville portuaire connue pour son industrie de pêche, en particulier pour son port, ses plages et son centre historique. Calais est une ville située sur la côte de la Manche, à environ 34 km de Douvres en Grande-Bretagne, et est un important centre de transport de passager. Saint-Omer est une ville qui est principalement basée sur l’agriculture et l’industrie alimentaire, mais est également connue pour son patrimoine historique et culturel. La présence d’une université était pensée comme un moyen permettant de catalyser la reconversion économique de ces villes, étant donné son rôle présumé dans l’innovation et le transfert de technologie (Mille, 2004).
Nous proposons de déterminer les effets économiques de l’ULCO afin d’évaluer son rôle dans le développement régional, en plus de son impact sur les marchés d’emplois. Cette évaluation permettra, entre autres, de mesurer l’efficacité de la gouvernance et la gestion universitaire de la part de l’ULCO.
3.1.4 Un ethos évolutif
L’ULCO s’est fixé trois objectifs principaux pour répondre aux divers besoins de la population, des autorités locales et du monde industriel : 1) offrir des formations aux trois niveaux (L/M/D); 2) interagir avec les acteurs socio-économiques et institutionnels de son territoire; 3) améliorer la qualité de vie des étudiants sur ces sites.
En 2008, l’ULCO a créé le Centre d’Entrepreneuriat du Littoral (CEL) pour compléter les formations entrepreneuriales universitaires et encourager l’engagement des étudiants dans l’entrepreneuriat. Le CEL est un service transversal visant à développer et à ancrer la stratégie entrepreneuriale de l’université. Au sein de ce tiers-lieux académique[7], l’université a mis en place des espaces offrant aux étudiants l’accès à une infrastructure de bureaux partagés, similaire au cotravail[8]. Ces espaces sont situés dans chacun des sites de l’université, permettant un accès plus large aux étudiants. La création du CEL en 2008 n’est pas un hasard, elle vient après la déclaration de la LRU en 2007. Cette initiative s’inscrit donc dans la continuité des réformes étatiques de gouvernance universitaire en France qui guide le développement de l’ULCO depuis sa création.
3.2 Les données mobilisées
Afin de parvenir à mesurer l’impact de l’ULCO sur son territoire d’accueil la méthodologie proposée se base sur une mixité d’indicateurs, inspirés par la revue de la littérature sur les études d’impact des universités.
3.2.1 L’importance croissante des études d’impact
La compréhension du rôle de l’Université sur le territoire et sur le développement socio-économique requiert des études et des outils d’analyse spécifiques. Cette étape est devenue inévitable, car des dynamiques nombreuses et complexes sous-tendent l’évolution de ces institutions (Reddy, 2011). Celles-ci ont en effet prospéré dans des contextes urbains variés, allant des métropoles aux villes périphériques.
Les études d’impact des établissements d’enseignement supérieur trouvent leurs origines à la fin du 20e siècle, avec les premières publications aux États-Unis dès 1970 (Khalaf et al., 2021). Depuis lors, ces études ont connu une montée en puissance, s’imposant au cours des dernières années comme un élément incontournable de la gouvernance universitaire à l’échelle internationale. En effet, l’Université, en tant qu’institution, n’est pas simplement un lieu d’acquisition de connaissances ou un centre de recherche. Elle est un acteur du développement territorial (Clark, 1998) ainsi qu’un vecteur de transformation sociale et économique. Son influence dépasse les murs de ses amphithéâtres et des laboratoires pour s’inscrire dans le tissu même de son écosystème.
Il est donc impératif de s’interroger sur la manière dont l’Université, dans sa mission tripartite d’enseignement, de recherche et d’engagement régional, interagit avec son environnement. Comment, à travers ses actions et initiatives, influence-t-elle le développement économique, social et urbain de sa région ? Et, inversement, comment l’écosystème, avec ses spécificités et ses enjeux, façonne-t-il les orientations et les actions de l’Université ?
3.2.2 Les données quantitatives
Dans le cadre de cette recherche – qui s’inscrit au sein d’un projet de thèse commandé par le président de l’ULCO –, une démarche exploratoire a été adoptée pour cerner l’impact socio-économique de l’université. Après une revue de littérature sur les études d’impact, une liste exhaustive d’indicateurs spécifiquement adaptés au contexte de l’ULCO a été élaborée. Cette étape préliminaire a permis d’identifier les données à examiner pour évaluer les retombées de l’université sur son environnement local et national.
La collecte des données quantitatives a nécessité une collaboration étroite avec plusieurs services administratifs de l’ULCO, notamment la Direction des affaires financières, la Direction des études et de la vie étudiante, la Direction de la recherche et de la valorisation, ainsi que la Direction des ressources humaines. Les échanges ont abouti à la compilation d’un ensemble de données brutes venant de chaque département. Ces données reflètent la diversité des indicateurs clés de performance liés à chaque mission de l’ULCO – offrant ainsi une base pour la mesure des effets économiques.
En complément, des données macro-économiques fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ont été intégrées à l’étude. Ces informations relatives au contexte national et de la Côte d’Opale apportent un éclairage sur des variables telles que la consommation des ménages ou la médiane des salaires. Ces données permettent donc de contextualiser l’impact de l’ULCO dans un cadre plus large.
Par ailleurs, cette recherche a bénéficié de données issues d’une précédente étude d’impact réalisée dans le cadre d’un mémoire de master en 2018. L’intégration de ces informations contribue à enrichir l’analyse, offrant une perspective longitudinale et permettant d’apprécier les évolutions dans le temps. L’ensemble de ces données a été traité, analysé et classifié selon les trois missions de l’ULCO.
3.2.3 Les interviews et les sources extérieures
Notre analyse ne se limite pas à une évaluation financière, mais s’étend à des dimensions plus larges telles que l’ancrage urbain de l’université, sa participation au bien-être social et son rôle dans l’attractivité du territoire. Afin d’approfondir ces aspects, une série de 18 entretiens a été réalisée avec des acteurs internes et externes à l’établissement. Parmi les interviewés figurent des responsables de la valorisation, des vice-présidents – spécialisés dans différents domaines tels que la recherche, les partenariats, les ressources humaines – ainsi que le directeur du CEL et des chargés de mission entrepreneuriat et valorisation.
En parallèle, des discussions ont été engagées avec des acteurs extérieurs, incluant des représentants de la Société d’accélération du transfert de technologies Hauts-de-France (SATT-HDF), de l’Agence d’urbanisme et de développement de la Région Flandre-Dunkerque (AGUR), ainsi que des chercheurs externes et le directeur de Biggar Economics – un cabinet d’expertises en analyse économique des institutions d’enseignement supérieur et de recherche européennes.
Pour compléter cette démarche, la littérature grise a également été consultée, notamment des publications dans la presse et des documents émis par le Service de communication de l’ULCO – comme la revue universitaire Empreinte, publiée annuellement. Ces ressources offrent un éclairage supplémentaire sur les contributions diverses de l’université à son environnement.
3.3 L’analyse des données
Les indicateurs ont été classés en trois sous-catégories, respectivement dédiées aux effets directs, indirects et induits. La définition classique de ces derniers types d’effets repose sur une revue de la littérature, englobant les études d’impact universitaire menées en France depuis les années 1990. Les effets directs recouvrent les dépenses de l’établissement liées à la masse salariale relative à chaque mission, tandis que les effets indirects englobent les dépenses de consommation de biens et de services de la part de l’université pour accomplir la mission en question (Tableau 1).
Dans le cas de l’ULCO, 82 % du total des dépenses pour l’année 2021 correspond à la masse salariale, ce qui conduit à considérer que les 18 % restants correspondent aux dépenses de consommation. La dernière catégorie d’indicateurs, les effets induits, permet d’estimer les dépenses du personnel administratif et enseignant ainsi que celles des étudiants afin de sonder les contributions de leurs consommations sur les deux échelles de l’étude d’impact.
Cette analyse prend en compte deux échelles différentes. D’une part, l’échelle infrarégionale, qui se concentre spécifiquement sur la zone du Littoral Côte d’Opale, centrée autour des quatre communes où l’ULCO est implantée. D’autre part, l’échelle nationale, qui embrasse la totalité de la France métropolitaine[9]. Cette approche permet de comprendre non seulement l’impact local et direct de l’ULCO sur ses territoires d’accueil, mais aussi son influence plus large au niveau national.
4. Les résultats de l’étude d’impact
Nous présentons dans cette section les résultats de notre étude de l’impact de l’ULCO, en mettant en avant les effets directs, indirects et induits de chacune de ses trois missions pour l’année 2021.
4.1 Les effets sur l’économie locale et nationale
En prenant en compte les effets directs, indirects et induits, l’étude met en évidence le poids économique des différentes missions de l’ULCO pour l’année 2021 sur l’économie infrarégionale et nationale, avec des retombées considérables pour chacune d’elles. Les résultats montrent que l’université a généré un total de revenus équivalent à près de 98 millions d’euros, dont 78 % correspondent à une subvention pour charges de service public (Tableau 2).
Les effets directs de l’université sur l’économie ont été évalués à partir des dépenses de salaire de chaque mission. La somme des effets directs nationaux des trois missions de l’ULCO totalise environ 66 millions d’euros, dont 18 millions en effets directs infrarégionaux (Tableau 3). Pour l’année 2021, les effets – aux deux échelles – liés aux activités d’enseignement supérieur ont eu le plus d’impact sur l’économie avec un total de 32 millions d’euros – soit 48 % du total des effets directs nationaux.
Les effets indirects de l’université sur son environnement ont été évalués à partir des dépenses liées à la consommation de biens et de services de l’ULCO[10]. Le total des effets indirects nationaux est supérieur à 26 millions d’euros et les effets indirects infrarégionaux valent environ 7 millions d’euros (Tableau 4). On constate aussi que les effets indirects nationaux pour la troisième mission ont les effets les plus importants sur l’économie, avec presque 15 millions, soit 55 % du total national. Cela tient à la nature de cette mission qui vise à développer les territoires à proximité de l’université par la création de tiers-lieux universitaires et l’implémentation de bibliothèques universitaires ouvertes au grand public dans les quatre communes de l’université.
Les effets induits de l’université sur son environnement ont été évalués à partir des retombées économiques générées par la consommation de biens et de services du personnel et des étudiants – sur la base des données de l’INSEE estimant la consommation des ménages par tranche d’âge. Les effets induits nationaux totalisent plus de 146 millions d’euros et les effets induits infrarégionaux totalisent un peu moins de 103 millions (Tableau 5). Les effets induits nationaux de la première mission ont le plus d’impact sur l’économie, avec 137 millions d’euros, soit 94 % du total national. Cela est dû au grand nombre d’étudiants inscrits aux deux premiers cycles, en plus du nombre du personnel élevé affecté à la mission d’enseignement[11].
En conclusion, l’étude d’impact souligne l’importance de l’investissement dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche de différentes tailles, car même les universités régionales ont la capacité de stimuler l’activité de leur territoire. L’ULCO joue un rôle important, relativement à sa taille, dans le développement de la région. Les résultats de l’étude montrent que chacune des missions de l’université contribue de manière différenciée à l’économie nationale et infrarégionale, même si la première mission reste la plus dominante (Tableau 6).
La totalité des dépenses de l’université pour l’année 2021 dépassait les 92 millions d’euros. Celles-ci ont généré un impact d’environ 128 millions d’euros à l’échelle de Dunkerque, Boulogne-sur-Mer, Calais et Saint-Omer, tandis que l’impact de l’ULCO sur le territoire national dépasse les 238 millions d’euros. L’écart s’explique par le nombre important de personnels (62 %) qui habite en dehors des quatre communes. Ainsi, pour chaque euro investi, l’université génère 1,39 € à l’échelle infrarégionale et 2,59 € à l’échelle de la France.
4.2 Les effets sur l’attractivité du territoire
Au fil de ses trois décennies d’existence, l’ULCO a exercé une influence considérable – par rapport à son budget et à sa taille – sur le tissu social et culturel de la zone du littoral, au-delà de ses retombées économiques. Elle se distingue par ses échanges actifs avec les divers acteurs régionaux, dépassant ses contributions financières directes et à court terme[12].
Influence territoriale et synergies éducatives
L’évolution budgétaire de l’ULCO témoigne de son engagement au respect des directives nationales du MESR – qui hiérarchisent les budgets alloués aux universités par des contrats quinquennaux. L’éventail de 88 diplômes proposés reflète une stratégie dynamique pour répondre aux divers besoins éducatifs et professionnels et préserver la raison d’être fondatrice de cette université – décentraliser l’accès aux formations universitaires au sein de la Région.
La mise en place de programmes spécialisés sur les différents sites en réponse aux transformations industrielles locales illustre l’adaptabilité de cette institution face aux exigences technologiques et compétences spécialisées du marché. Cette caractéristique n’est pas unique à l’ULCO, mais correspond aux défis de l’économie basée sur la connaissance glocalisée. Par exemple, à Dunkerque, l’installation du terminal méthanier et la création de l’institut français du froid, Innocold, ont stimulé la création d’un parcours de formation en froid industriel. À Saint-Omer, un bachelor industrie et numérique a été lancé en 2019 pour répondre aux besoins de la transition numérique dans l’industrie.
Contribution à la recherche et à l’innovation
L’université se concentre sur des domaines de recherche pertinents pour la localisation de thématiques telles que la mer et le littoral – transformations et enjeux, les mutations technologiques et environnementales et humanité et territoire. Avec 14 laboratoires de recherche spécialisés dans divers domaines, l’ULCO constitue un pôle important pour catalyser l’innovation régionale. Ainsi, ses trois axes de recherche, mentionnés ci-dessus, sont alignés avec les défis régionaux et globaux, visant des résultats bénéfiques pour la Région. En nous basant sur les données de l’archive ouverte HAL, nous pouvons recenser plus de 2400 publications liées à des chercheurs de l’ULCO, lesquelles ont été citées environ 5000 fois.
Engagement entrepreneurial et insertion professionnelle
La création du CEL sur les quatre campus – participant à la création de 12 microentreprises tertiaires – et les partenariats avec le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) et la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) montrent une volonté d’interagir et de créer des synergies avec l’écosystème local, encourageant l’entrepreneuriat étudiant. Par ailleurs, l’ULCO, via le SUAIOIP (Le Service universitaire d’accueil information orientation et insertion professionnelle), propose une gamme de services pour l’insertion professionnelle, incluant des stages majoritairement dans la Région. Les taux d’insertion en emploi des diplômés de licence professionnelle et de master s’élèvent respectivement à 86,6 % et 91,1 % après 30 mois, illustrant un succès de ces dispositifs d’accompagnement.
Gouvernance et partenariats stratégiques
L’ULCO coordonne ses différents sites et missions malgré des ressources limitées. Le manque de ressources humaines est un obstacle cité pour répondre adéquatement aux demandes des collectivités locales ou des entreprises. L’alliance A2U avec les universités d’Artois et de Picardie Jules Verne, et la collaboration avec le Pôle métropolitain de la Côte d’Opale montrent une stratégie d’extension de l’influence de l’ULCO. Ainsi, la participation et l’engagement de l’université dans des projets de recherche communs et des partenariats avec les acteurs territoriaux amplifient son rôle dans le développement territorial.
On constate donc que l’ULCO participe au développement régional des Hauts-de-France, bien au-delà de ses contributions économiques directes. Son engagement dans l’enseignement, la recherche, l’innovation et l’insertion professionnelle ainsi que ses partenariats et ses initiatives étudiantes renforcent son ancrage régional et améliorent l’attractivité de son territoire. Toutefois, les défis tels que la gestion des ressources, l’internationalisation et la coordination multisite exigent un modèle de gestion ouvert et adaptatif.
5. Discussion
L’ULCO est un cas intéressant pour comprendre le rôle des nouvelles universités françaises dans le développement territorial. Cette étude a montré que même les universités de taille modeste participent activement à la vie socio-économique à travers leur mission tripartie, en plus de leur rôle clé dans la promotion de la connaissance et de l’innovation.
Les résultats soulignent l’importance de l’investissement dans l’enseignement et la recherche pour favoriser le développement régional. Mais, à l’heure où les universités sont soumises à une pression constante de la part de la société et de l’État pour produire de la valeur économique et sociale, il est légitime de se demander si la mission première de ses établissements ne risque pas d’être mise de côté. En effet, si la production et la transmission de connaissances sont les fondements de l’enseignement supérieur, ne risquent-elles pas d’être sacrifiées au nom de la « valorisation » ? La question de la pertinence de la mission de valorisation – connaissances produites et diffusées par l’université – se pose alors pour une université régionale comme l’ULCO.
La mission première de l’ULCO a le plus d’impact sur l’économie, avec des effets directs, indirects et induits importants. Ainsi, les différents financements destinés aux deux premières missions permettent à l’université de produire des résultats et des connaissances. Ensuite, le processus de valorisation, ou troisième mission, opère une sélection des connaissances ayant une valeur industrielle ou sociale, avant que les bureaux de transfert de technologies ne transforment et transfèrent ces connaissances aux institutions, aux entreprises, aux communautés, aux citoyens, aux start-ups et aux tiers-lieux.
L’analyse approfondie de ce cas d’étude montre une troisième mission en cours d’évolution, comme en témoignent les résultats quantitatifs, les implications sociales et industrielles soulignées ainsi que les entretiens, notamment avec le premier vice-président de l’établissement. Cette orientation ne réduit pas l’importance de la première mission qui continue de recevoir la majorité des ressources financières et humaines. Cependant, l’évolution des activités de valorisation soulève des questions quant à leurs effets futurs. Particulièrement dans le contexte où la stratégie principale de l’université repose sur la création de brevets industriels, une démarche à la fois coûteuse et longue.
Dans le cas de l’ULCO, quatre résultats de recherche en sciences dures sont en processus de brevet, mais cette procédure prend un temps considérable. Ces indicateurs ne figurent toujours pas dans le bilan financier de l’établissement, mais les brevets peuvent éventuellement constituer un poste de financement important pour l’ULCO. Ainsi, envisager d’autres voies pour la valorisation des connaissances devient essentiel. La création de start-ups et de spin-offs universitaires émerge comme une alternative viable, inspirée par des exemples réussis comme l’Université catholique de Louvain (Bou Abdo et al., 2022). Cette approche – en évitant des processus longs et coûteux de brevetage – pourrait offrir à l’ULCO et à des institutions similaires un moyen plus agile et immédiat de contribuer au dynamisme économique et à l’innovation régionale.
Conclusion
Depuis sa création il y a 30 ans, l’ULCO s’est établie peu à peu pour pouvoir participer aux jeux d’acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche dans la Région Hauts-de-France. Elle a étendu son offre de formation et propose aujourd’hui 88 diplômes. Cela s’est traduit par l’augmentation de son budget, passant de 20 millions d’euros en 2008 (Hcéres, 2009) à 94 millions d’euros pour l’année 2021. Cette évolution ne s’explique pas uniquement par l’augmentation du nombre d’étudiants, passant de 8683 en 2017/2018 à environ 9873 en 2021/2022 ; elle s’explique également par une mise en conformité, de la part de l’administration universitaire, aux exigences ministérielles via des contrats quinquennaux.
Selon l’étude, l’impact économique direct de l’ULCO est estimé à environ 66 millions d’euros par an, avec des effets indirects et induits dépassant les 160 millions d’euros. De plus, l’université contribue à la création d’environ 1000 emplois directs et plus de 4000 emplois indirects et induits. Au-delà de sa fonction d’acteur économique et d’employeur, l’ULCO façonne un écosystème au sein d’une région en pleine mutation post-industrielle, grâce à ses partenariats, à ses collaborations et à ses interactions avec divers acteurs industriels, gouvernementaux et civils.
Ainsi, bien que la première mission de l’ULCO reste prépondérante, la diversification des méthodes de valorisation des connaissances semble être une pratique durable. Celle-ci pourrait non seulement accélérer le transfert de connaissances vers le secteur industriel et la société, mais aussi enrichir l’expérience étudiante et de recherche. En explorant activement ces voies alternatives de valorisation, l’ULCO pourrait ainsi renforcer son rôle en tant qu’acteur clé de l’innovation et du développement territorial, assurant ainsi un équilibre entre toutes ses missions.
Finalement, l’impact de l’ULCO sur la région doit être relativisé. Même si l’université a su favoriser le développement régional, sa taille reste considérablement petite par rapport à d’autres universités de la Région et de la France. En outre, l’université pourrait faire face à des problèmes de gouvernance en essayant de répondre à toutes les demandes venant des secteurs publics et privés. Avec un effectif total de 1037 personnes, dont 52 % d’enseignants-chercheurs, et un patrimoine immobilier de 110 000 m², les ressources de l’université restent limitées.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Dans le cas des universités publiques françaises, c’est l’État qui a mis en place ce type de structure de transfert de technologies et de connaissances : les Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT).
-
[2]
Ce rôle est illustré par le Processus de Bologne qui continue à influencer les modèles de gestion des universités au sein des pays membres (Brøgger, 2019).
-
[3]
Ces communautés ont été le catalyseur nécessaire pour la création de structures dédiées à l’enseignement supérieur.
-
[4]
Loi numéro 68-978 du 12 novembre 1968.
-
[5]
En 1960, la France comptait 310 000 étudiants. Elle en compte en 2021 près de 3 millions. Par ailleurs, en 2000, 26 % des étudiants étaient localisés en Île-de-France, contre 35 % en 1964, indiquant un certain rééquilibrage entre la capitale et les régions (Canals et al., 2003).
-
[6]
Cette déclaration vient à la suite d’un processus qui a commencé au début des années 1990 et qui continue jusqu’à présent avec le processus de Bologne et celui de Lisbonne.
-
[7]
Concept proposé par Bouncken (2018).
-
[8]
Nous avons recueilli ces informations lors d’un entretien semi-directif avec le directeur du CEL.
-
[9]
La distinction entre les échelles nationale et locale dans l’étude d’impact est évaluée en prenant en compte la répartition du personnel universitaire et des étudiants entre les quatre communes de l’ULCO et le reste de la France. Ceux résidant dans la zone du Littoral sont considérés comme des indicateurs infrarégionaux, tandis que l’ensemble de ces indicateurs constitue la portion nationale utilisée pour mesurer les différents effets de chacune des trois missions de l’ULCO.
-
[10]
On considère que les dépenses liées à la consommation de la part de l’ULCO équivalent à 18 % du total des dépenses. En nous basant sur l’étude d’impact effectuée en 2018 à l’ULCO, nous considérons que 26 % de ces dépenses sont effectuées à l’échelle des quatre communes de l’université.
-
[11]
Dans le cas de la France, les académiques occupent des postes d’enseignants-chercheurs, donc on les considère tous dans la première mission.
-
[12]
Les informations et données présentées ci-dessous résultent d’un processus de collecte, effectué à travers une série de quinze interviews approfondies. Cette démarche a permis d’assurer une compréhension approfondie des multiples facettes de l’ULCO et de son impact sur la région.
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