Résumés
Résumé
Bien que l’entrepreneuriat fasse l’objet de recherches académiques depuis près de deux siècles (Chell, 2008), son enseignement ne s’est véritablement institutionnalisé dans les écoles de gestion que depuis les années 1990 (Eyraud, 2016). Alors que cet enseignement repose le plus souvent sur des méthodes pensées pour être efficaces en mode présentiel, quelle expertise pédagogique doit-on développer pour la formation à distance? Et quelle posture professionnelle le professeur doit-il adopter pour développer cette expertise? C’est à ces questions que tente de répondre cet article qui présente les stratégies développées par l’École des sciences de l’administration (ÉSA) de l’Université TÉLUQ, une université à distance francophone associée au réseau de l’Université du Québec. Il est soutenu que la conception d’un programme d’études à distance en entrepreneuriat basé sur des approches pédagogiques innovantes visant l’acquisition de savoirs expérientiels et d’apprentissages authentiques par l’étudiant ne peut se faire sans que le professeur tire avantage des préceptes de l’approche-programme (Basque, 2017) et de la posture professionnelle du praticien-chercheur en enseignement (Bédard, 2017). Différentes propositions de recherche-action sont mises de l’avant pour construire l’expertise pédagogique nécessaire à l’enseignement à distance de l’entrepreneuriat.
Mots-clés :
- Entrepreneuriat,
- formation à distance,
- expertise pédagogique,
- praticien-chercheur,
- apprentissage expérientiel
Corps de l’article
Introduction
Depuis quelques années, plusieurs études portent sur l’enseignement et la pédagogie de l’entrepreneuriat (Carrier, 2009; Fayolle et al., 2016). La définition d’une pédagogie entrepreneuriale axée sur l’apprentissage reste toutefois un champ à développer (Fayolle, 2013). Les études ne couvrent que partiellement les problématiques soulevées en la matière et s’adressent majoritairement à l’enseignement en présentiel.
Bien que les écrits qui s’intéressent à l’enseignement à distance tendent à démontrer que celui-ci donne de bons résultats auprès des entrepreneurs (Verzat et al., 2015), beaucoup de travail reste à faire pour construire, a minima, de bonnes pratiques en la matière. En effet, l’enseignement de l’entrepreneuriat à distance soulève deux problématiques majeures : 1) la transposition éventuelle de dispositifs pédagogiques à distance et le développement de nouveaux outils pédagogiques; 2) une pédagogie particulière qui nécessite une nouvelle posture de la part des professeurs. Ainsi, et afin de contribuer au développement de ces pratiques, cet article présente les stratégies pédagogiques innovantes mises en place à l’École des sciences de l’administration (ÉSA) de l’Université TÉLUQ, une université à distance francophone associée au réseau de l’Université du Québec.
Il est soutenu que la conception d’un programme d’études à distance en entrepreneuriat visant l’acquisition de savoirs expérientiels et le développement d’apprentissage authentique par l’étudiant (Lombardi, 2007; Neck et al., 2014) ne peut se faire sans que le professeur qui lui enseigne 1) tire avantage des préceptes de l’approche-programme (Basque, 2017) et 2) privilégie une certaine posture professionnelle, celle du praticien-chercheur en enseignement (Bédard, 2017). Il est invité à soutenir l’étudiant dans l’intégration de ses apprentissages dans un programme d’enseignement dont les différentes composantes (les orientations pédagogiques, les cibles d’apprentissage et le matériel didactique) sont harmonisées et cohérentes entre elles. Pour ce faire, il est appelé à contribuer à la construction de l’expertise pédagogique dans son domaine d’enseignement.
1. Les défis pédagogiques de l’enseignement de l’entrepreneuriat
L’entrepreneuriat est une discipline de recherche toujours en pleine évolution. Plusieurs courants se sont développés au fil du temps. Au-delà d’une analyse portant sur les traits de caractère communs aux entrepreneurs – qui ne s’est révélée que partiellement vérifiée –, les recherches en entrepreneuriat semblent toutes converger vers la triade entrepreneur-occasions d’affaires-créativité. Bien que l’ensemble des chercheurs ne s’entendent pas sur la nature même de l’occasion, qu’elle soit préexistante à l’entrepreneur (Kirzner, 1997), repérée par l’entrepreneur (Filion & Lima, 2011; Mintzberg & Westley, 2001; Popadiuk & Choo, 2006) ou créée par l’entrepreneur (Filion & Lima, 2011)[1], le processus de transformation d’une idée en occasion d’affaires par l’entrepreneur lui-même ne semble plus être mis en débat.
Ainsi, si l’on définit l’entrepreneuriat comme étant « une discipline qui étudie le processus par lequel les entrepreneurs identifient, explorent et exploitent une opportunité » (Surlemont, 2007, p. 2), la question de la capacité à enseigner l’entrepreneuriat se pose. Ainsi, comme toutes disciplines, l’entrepreneuriat peut être enseigné, mais qu’enseigne-t-on au juste? Comment l’enseigne-t-on? Comment mesure-t-on les impacts de cet enseignement sur l’apprentissage des étudiants?
Selon Fayolle et al. (2006), l’enseignement de l’entrepreneuriat passe à la fois par les compétences techniques (comment rédiger un plan d’affaires, comment obtenir du financement, etc.) et l’acquisition d’attitudes entrepreneuriales. Cet enseignement à deux niveaux permet d’agir sur les éléments du développement entrepreneurial identifiés par le Global Entrepreneurship Monitor (GEM, 2006)[2], soit la faisabilité entrepreneuriale (savoirs techniques) et la désirabilité entrepreneuriale (attitudes entrepreneuriales).
Béchard et Grégoire (2005, 2009) soulignent l’importance de la conception ontologique de l’enseignant dans sa capacité à définir des méthodes d’enseignement. Ils proposent un cadre analytique des différents modèles d’enseignement de l’entrepreneuriat. Dans ce contexte, nous croyons que l’enseignement peut tour à tour emprunter différents modèles afin d’offrir un continuum adéquat. Cependant, et pour ce faire, un changement de posture s’impose dans la mesure où il ne suffit pas d’apprendre l’entrepreneuriat en tant que discipline académique, il faut également apprendre à être un entrepreneur (Lombardi, 2007).
En s’inspirant de Kearney (1999), Surlemont (2007) souligne que l’enseignement doit tirer avantage de trois approches pédagogiques pour faciliter l’apprentissage du processus entrepreneurial :
Une approche pédagogique expérientielle : l’apprentissage de l’étudiant se construit sur sa propre expérience plutôt que celle des autres. Ainsi, il est demandé à l’étudiant de réaliser des projets de cours à partir de son propre projet entrepreneurial ou, s’il n’en a pas, d’un projet entrepreneurial réaliste qui saura l’interpeler de façon concrète.
Une approche réflexive : ici, le bilan des apprentissages est essentiel. Il doit être vu par l’étudiant comme une démarche positive faisant partie intégrante de son cheminement, ce qui nécessite une conceptualisation d’outils réflexifs spécifiquement dédiés à l’entrepreneuriat.
Une approche collective (coopérative) : la capacité de l’étudiant à travailler en groupe où chacun des membres du groupe doit normalement contribuer à l’apprentissage collectif.
De la même façon, Lahn et Erikson (2016), en faisant écho à Surlemont (2007), proposent une lecture de l’évolution de l’enseignement en entrepreneuriat en trois temps :
La phase 1, basée sur une approche rationnelle de planification où le cours est conceptualisé de façon plutôt magistrale et individuelle. L’accent est mis sur l’acquisition de savoirs.
La phase 2, fondée sur l’expérience où le cours est conceptualisé autour de simulations et de stages dans les entreprises. L’accent est dans ce cas mis sur l’efficacité individuelle et le développement personnel.
La phase 3, établie sur l’apprentissage authentique et réflexif. On insiste alors sur le savoir apprendre, la création d’artéfacts entrepreneuriaux ainsi que le bricolage entrepreneurial (la disposition d’appareiller des ressources que l’on a sous la main, sans planification préalable).
Dans ce cadre, si l’enseignement de savoirs techniques est assez étoffé, puisque dans le cas de l’entrepreneuriat ceux-ci sont généralement une adaptation de cours généraux en sciences de l’administration (marketing, ressources humaines, finances, etc.), du travail reste à faire sur les manières dont ces savoirs peuvent s’enseigner de façon plus efficace dans un contexte de cours en entrepreneuriat.
Selon certaines études, les méthodes basées sur un enseignement magistral sont les moins susceptibles de favoriser le développement du processus entrepreneurial (Carrier, 2009). C’est donc un changement de posture qui s’impose de la part de l’enseignant, celui-ci devenant un mentor (coach) des apprentissages plutôt qu’un dépositaire-transmetteur de savoirs. Puisque les méthodes diffèrent grandement de la transmission de savoirs explicites, il modifie sa façon d’enseigner pour se concentrer sur les savoirs tacites.
Cet enseignement trouve ses fondements dans les approches expérientielles, effectuelles[3] et l’apprentissage authentique (Lombardi, 2007; Neck et al., 2014; Sarasvathy, 2008), mais également, et plus récemment, dans l’approche par design (Lahn & Erikson, 2016). Ainsi, ces éléments suggèrent de développer les habiletés et les compétences entrepreneuriales chez les étudiants en les plaçant dans des situations réalistes d’entrepreneuriat. Qui plus est, cet enseignement change la posture de l’étudiant, lequel est appelé à jouer un rôle proactif dans le développement de ses connaissances.
Le Tableau 1 ci-dessous présente les stratégies pédagogiques généralement utilisées dans l’enseignement de l’entrepreneuriat en présentiel (d’après Carrier, 2009; Fayolle, 2013).
Ce tableau fait déjà état d’un vaste répertoire de stratégies pédagogiques. Cependant, si une partie de ces stratégies sont adaptées à l’enseignement présentiel, parfois avec certains défis, la question de savoir comment on peut les adapter à l’enseignement à distance se pose.
2. L’enseignement à distance de l’entrepreneuriat à l’Université TÉLUQ
En vue d’offrir un programme adéquat d’études à distance en entrepreneuriat, différentes considérations sur l’apprentissage doivent être clairement articulées afin de tirer avantage des approches expérientielles, réflexives et collectives définies par Surlemont (2007). À l’instar de Béchard et Brasseur (2012) qui se sont intéressés à l’innovation pédagogique dans l’enseignement des sciences de l’administration, nous soutenons qu’un tel programme devrait viser le développement des compétences, la diversité des méthodes et des moyens pédagogiques, la résolution de problèmes complexes et la réussite des étudiants. De fait, il est centré sur l’étudiant et est axé sur la contextualisation des apprentissages. Enfin, il réduit le cloisonnement disciplinaire tout en misant sur le transfert des apprentissages.
Il va sans dire que la conception de cours dans un programme à distance doit être basée sur des principes pédagogiques et non sur le potentiel des technologies de l’information. Il ne suffit pas d’utiliser ces technologies pour elles-mêmes, mais bien pour répondre à des stratégies pédagogiques permettant une participation active au développement de l’apprentissage. Un environnement numérique d’apprentissage efficace encourage l’étudiant à consacrer son attention à l’apprentissage du contenu au lieu de dépenser ses efforts à apprendre le fonctionnement de cet environnement. Il importe à cet égard de privilégier des environnements numériques d’apprentissage dont la conception tire avantage des préceptes de l’approche-programme, soit
une démarche d’ingénierie pédagogique permettant d’optimiser la cohérence et l’harmonisation au sein et entre les différentes composantes d’un programme d’études dans le but de soutenir l’étudiant dans l’intégration de ses apprentissages tout au long de son parcours d’études au sein du programme
Basque, 2017, p. 163
Cette ingénierie pédagogique est constituée de différentes composantes. La composante des cibles d’apprentissage (CA) réfère aux connaissances et aux compétences à développer par les étudiants. La composante pédagogique (P) concerne les orientations pédagogiques du programme et la manière dont elles se traduisent dans les scénarios et les activités d’apprentissage, ainsi que les stratégies d’évaluation et d’encadrement des étudiants. La composante médiatique (M) renvoie au choix et au formatage des ressources d’information et du matériel didactique.
Pour chacune des approches (expérientielle, réflexive et collective), nous identifions différentes conditions sur l’apprentissage en contexte de formation à distance (Tableau 2) et selon les différentes composantes de l’approche-programme. Ces conditions résultent de l’expertise pédagogique développée à l’Université TÉLUQ[4]. La conception des cours y est faite en collaboration entre professeurs, conseillers technopédagogiques, spécialistes à la production de médias numérisés et réviseurs linguistiques.
Les professeurs en entrepreneuriat de l’ÉSA ont récemment développé un programme court en entrepreneuriat (5 cours), un certificat en compétences et gestion de petites et moyennes organisations (PME/PMO) (10 cours) et une concentration en entrepreneuriat constituée de 10 cours dans le baccalauréat en administration (30 cours). Ces programmes ont été créés sur la base des besoins des entrepreneurs potentiels ou déclarés qui cherchent à parfaire leurs connaissances dans des circonstances où ils peuvent combiner leur apprentissage et le développement de leur projet entrepreneurial.
Ces programmes répondent aux besoins des entrepreneurs et des conseillers en entrepreneuriat, car les cours sont accessibles en mode asynchrone de partout et en tout temps (étudiants en régions éloignées, étudiants ayant des horaires atypiques comme dans les professions de la santé ou en entrepreneuriat féminin, notamment). L’enseignement à distance de l’entrepreneuriat a ainsi un rôle clé dans le développement économique des sociétés. L’Encadré 1 présente les objectifs pédagogiques poursuivis par ces programmes.
Dans le cadre de ces programmes, les professeurs en entrepreneuriat ont effectué une révision majeure de cours déjà offerts dans d’autres programmes en administration et créé de nouveaux cours. Le Tableau 3 montre les principales stratégies pédagogiques adoptées.
Ainsi, les professeurs en entrepreneuriat de l’ÉSA ont développé des programmes basés sur les approches expérientielle, réflexive et collective. Néanmoins, il faut faire le constat que l’adaptation de méthodes présentielles à l’enseignement en ligne ne suffit pas et que les méthodes d’apprentissage en approche collective à distance méritent d’être davantage expérimentées. L’objectif est de réussir à développer, par de la recherche-action, des outils permettant un réel apprentissage collectif numérique. Pour y parvenir, cet article défend la posture du praticien-chercheur.
3. La posture du praticien-chercheur pour développer l’enseignement à distance de l’entrepreneuriat
Afin de soutenir le développement de programmes d’études à distance en entrepreneuriat répondant aux considérations sur l’apprentissage présentées précédemment, nous reprenons la proposition avancée par Pelletier et Huot (2017) selon laquelle l’enseignant soucieux de l’apprentissage de ses étudiants est appelé à développer son expertise pédagogique dans son domaine d’enseignement. Il est invité, ce faisant, à adopter une posture de praticien-chercheur.
La contribution de Bédard (2017) sert d’appui à cette proposition. L’auteur identifie différentes postures identitaires pour mieux comprendre le phénomène de la construction de l’expertise pédagogique de l’enseignant universitaire, un être dont les habitudes sont en partie déterminées par son groupe social d’appartenance.
Le praticien cherche à répondre aux exigences du programme d’études dans lequel il intervient. La matière de son enseignement est ancrée dans son expertise scientifique ou professionnelle. Le praticien réflexif se caractérise par des questionnements sur sa pratique d’enseignement et la réalité pédagogique de son cours ou de son programme d’études. Quant au praticien-chercheur, adepte également de la réflexivité, il situe ses questionnements en enseignement par rapport aux données, aux théories et aux modèles formels présents dans les écrits en pédagogie universitaire. Il confronte et documente ce faisant sa pratique, collabore à des recherches-actions sur celle-ci et en diffuse les résultats sous forme de communications orales et écrites. Comme le souligne Bédard, « [c]’est une fois inscrit dans une telle posture, ayant eu l’occasion de produire des données de recherche et de les avoir diffusées, que l’Homo Pedagogicus pourra prétendre à l’expertise pédagogique » (2017, p. 23). Cette expertise ne relève pas ainsi d’un acte individuel, mais bien d’un acte collectif, collaboratif et public (Pelletier & Huot, 2017).
Nous soutenons à cet égard qu’il importe de développer l’expertise pédagogique sur les savoirs expérientiels et l’apprentissage authentique en entrepreneuriat à distance. Nous invitons à développer des recherches-actions sur cette réalité pédagogique, une réalité qui exige du temps. Comme le soutient Bédard,
[…] chaque résultat de recherche permet d’ajouter une brique à l’édifice. Celui-ci devrait permettre d’accueillir différentes influences conceptuelles et méthodologiques et, graduellement, les faire siennes (Menges et Austin, 2001). C’est à ce prix que les effets seront les plus significatifs sur les pratiques et que le développement de l’expertise pédagogique en enseignement supérieur sera une démarche reconnue, professionnellement et scientifiquement
2017, p. 24
Depuis les cinq dernières années et le début de l’offre de cours et de programmes en entrepreneuriat à l’ÉSA, c’est environ 2000 inscriptions que l’on y comptabilise. La composante programme de l’offre de cours reste toutefois à bonifier dans les prochaines années, car certaines composantes d’apprentissage sont mal servies. En effet, à partir des observations dans les apprentissages de ces étudiants, les professeurs en entrepreneuriat ont fait le constat que les programmes qu’ils ont développés couvraient relativement bien les composantes des cibles d’apprentissage (CA) et pédagogiques (P). Cependant, la composante médiatique (M) demande davantage d’analyse et nécessite de développer des méthodes afin de rejoindre les propositions énoncées ci-dessous. À cet égard, plusieurs solutions sont actuellement expérimentées et font l’objet d’analyses.
Sur le plan de l’approche expérientielle, les professeurs en entrepreneuriat ont décidé d’expérimenter la ludification ou l’utilisation de jeux sérieux.
L’étudiant est placé dans des situations complexes auxquelles il ne pourrait avoir accès dans des conditions sécuritaires (par exemple, le jeu peut simuler l’échec du lancement d’un produit ou d’une entreprise). Baranowski et al. (2003) affirment que l’expérimentation dans les jeux permet d’améliorer l’apprentissage. Sanchez et al. (2011) soutiennent en ce sens que les jeux permettent de créer, chez le joueur, une zone intermédiaire où la réalité n’est plus une contrainte, mais où elle se voit remodelée en fonction des besoins intrinsèques de l’étudiant. Cette zone intermédiaire permet de développer des situations d’apprentissage au cours desquelles l’étudiant apprend à exécuter des tâches complexes dans un environnement que l’on peut qualifier d’authentique. Par ailleurs, les moyens de développer des jeux de ce type dans un environnement universitaire étant limités, des recherches sont nécessaires pour calibrer des jeux qui comblent les objectifs pédagogiques poursuivis par un programme en entrepreneuriat. Des défis techniques se présentent cependant avec cette initiative où les inscriptions en continu en formation à distance ne favorisent pas un échange intéressant entre les étudiants puisque ceux-ci ne sont pas au même stade de réalisation de leurs cours. De plus, les contraintes financières s’ajoutent aux contraintes techniques, puisque le développement de jeux vidéos avec de multiples joueurs est encore très onéreux (de 100 000 $ à 500 000 $) et que ces jeux ne sont pas toujours compatibles avec les budgets réguliers de l’enseignement supérieur au Québec.
Sur le plan de l’approche réflexive, nous proposons d’approfondir davantage l’expérimentation du journal de bord électronique. Dans ce contexte, l’étudiant est invité de manière hebdomadaire à répondre à des questions dans son journal de bord électronique, dont voici quelques exemples :
Que retenez-vous des notions vues cette semaine?
Quelles questions vous posez-vous à l’heure actuelle?
Comment vos apprentissages influent-ils sur votre compréhension de l’entrepreneuriat?
En quoi ces apprentissages influencent-ils le développement de votre projet entrepreneurial?
Le journal de bord est utilisé comme méthode pédagogique en ce sens qu’il favorise la réflexion sur la pratique. Il peut également aider à la motivation et à la persévérance, étant centré, la plupart du temps, sur le projet entrepreneurial de l’étudiant. La prémisse est donc d’encourager la réflexion de celui-ci comme un processus d’évaluation formative, puisqu’il existe des liens entre la réflexion et la métacognition (McAlpine et al., 1999).
La connaissance de la cognition ou des connaissances métacognitives comprend des connaissances déclaratives sur soi-même en tant qu’apprenant, ainsi que des connaissances procédurales et conditionnelles (savoir comment, quand et pourquoi utiliser des stratégies cognitives), également appelées connaissances métastratégiques[6] [traduction libre]
Zohar & Peled, 2008, cités dans Nückles et al., 2009, p. 260
Or la régulation de la cognition doit comprendre des stratégies qui permettent aux élèves de vérifier leur apprentissage (Schraw, 1998, dans Nückles et al., 2009). Dans ce contexte, la composante médiatique doit être améliorée.
Le journal de bord doit non seulement être un espace réflexif pour l’étudiant, mais devrait également permettre une rétroaction automatisée sur l’autoefficacité de celui-ci.
Sur le plan de l’approche collective, le blogue est expérimenté dans certains cours de l’ÉSA depuis quelques années. Cependant, il n’atteint pas les objectifs attendus et, bien que les étudiants y participent, ces derniers ne sont pas portés, dans l’état actuel des choses, à échanger entre eux sur leurs expériences ou leur expertise. Il est donc nécessaire de pousser plus avant le développement d’outils collectifs et collaboratifs en ligne qui font partie intégrante des apprentissages authentiques. À partir de l’exemple des cercles d’apprentissage et des notions de « teampreneur » (entrepreneuriat en équipe), une nouvelle forme d’apprentissage collectif serait testée selon l’expérience décrite par Juvonen et Ovaska (2012) et pour laquelle des outils collaboratifs devront être développés sur la plateforme de l’Université TÉLUQ.
Les professeurs en entrepreneuriat expérimentent avec une cohorte restreinte l’apprentissage donné à la fois par un mentor (coach) et par un professeur, ce qui permet de maximiser l’apprentissage collectif chez les étudiants. Cependant, cette expérience nécessitera une observation afin d’être bonifiée, voire étendue à d’autres clientèles. Également, les étudiants de cette cohorte seront appelés à présenter un projet personnel qui s’inscrit dans un projet collectif. Chaque fois que l’étudiant apprend dans son projet personnel, cela sert à faire avancer le projet collectif et vice versa. Une attention particulière au système de notation devra être portée afin de vérifier les transferts d’apprentissages effectués avec ce type de fonctionnement. Cette démarche inspirée des cercles d’apprentissage (Juvonen & Ovaska, 2012), et qui a été reprise par les professionnels de l’accompagnement entrepreneurial, doit faire l’objet de recherches pour permettre de l’intégrer adéquatement aux programmes en entrepreneuriat. Également, dans la même veine, les professeurs en entrepreneuriat de l’ÉSA ont développé un cours avec une étude interactive où l’étudiant se voit confier une mission et doit la remplir au fur et à mesure de ses travaux notés dans un maximum de cinq semaines en conditions réalistes de travail (résolution administrative d’un mandat d’affaires, simulation d’échange de courriels entre le mandataire et le mandant, etc.).
En ce qui a trait à l’utilisation des jeux sérieux, l’intelligence collective amenée par le groupe en classe représente une contrainte dans l’enseignement à distance dans le cas où les inscriptions au cours se font en continu et non pas en cohorte. Les professeurs en entrepreneuriat cherchent à mieux intégrer l’expérience collective dans le scénario même du jeu. C’est grâce à ces recherches que le jeu vidéo sérieux pourra réellement « compenser » les aspects collectifs d’apprentissage dans un univers entièrement médiatisé.
Ces éléments présentés ci-dessus ont permis d’identifier différentes propositions de recherche-action (voir Tableau 4), mais nécessiteront des données probantes pour y répondre. Nous invitons la communauté universitaire à poursuivre des recherches et à développer une expertise pédagogique permettant l’apprentissage de l’entrepreneuriat dans le cadre des études à distance.
Ainsi, et en vue d’une plus grande intégration de la fonction de praticien-chercheur chez le professeur, ce tableau ne représente que quelques éléments à développer afin de trouver les bonnes stratégies d’apprentissage pour permettre à l’étudiant qui suit des cours d’entrepreneuriat à distance d’avoir une formation englobant l’ensemble des composantes qu’il doit acquérir. D’autres recherches devront être menées à la suite des premières observations qui seront faites.
Conclusion
Les professeurs en entrepreneuriat de l’ÉSA sont bien conscients des limites de la transposition des stratégies pédagogiques du présentiel vers la formation à distance. Si c’est vrai pour beaucoup de cours et de programmes, cela s’avère encore plus critique pour ceux en entrepreneuriat. En effet, la base de l’enseignement et des apprentissages est constituée autour d’expériences authentiques. Autrement dit, on apprend à être entrepreneur avec des concepts théoriques, mais également avec une approche effectuelle qui oblige l’étudiant à « être un entrepreneur » durant son apprentissage. En présentiel, les jeux de rôle, les ateliers créatifs, les missions en situation réaliste permettent aux étudiants (en partie du moins) de réaliser cette approche effectuelle tant de façon individuelle que collective. Or, avec la formation à distance, la composante collective est difficile à aller chercher, particulièrement en raison des inscriptions en continu. De plus, des efforts supplémentaires doivent être faits pour transposer les outils utilisés en présentiel (ateliers créatifs, jeux de rôle, etc.) à la formation à distance.
En ce sens, les cours d’entrepreneuriat à distance couvrent relativement bien les cibles d’apprentissage et les objectifs pédagogiques, mais la composante médiatique, qui devrait être un atout pour l’ensemble des universités à distance est peut-être la moins bien maitrisée.
Outre les aspects techniques et financiers qui sont liés à la composante médiatique, c’est un ensemble de recherches approfondies qui permettra de développer les outils adéquats pour favoriser la composante médiatique et en faire un véritable outil d’apprentissage. Dans cette optique, la posture de praticien-chercheur semble la plus prometteuse pour les enseignants désirant adapter l’enseignement de l’entrepreneuriat de la classe à l’enseignement à distance. Ceci leur permet d’avoir une démarche réflexive sur leurs propres méthodes d’enseignement et de développer de nouveaux outils centrés sur l’apprentissage des étudiants et basés sur des connaissances formelles et théoriques en pédagogie universitaire.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Pour une description complète des cours offerts, voir https://www.teluq.ca/site/etudes/offre/prog/TELUQ/0470/ et https://www.teluq.ca/site/etudes/offre/prog/TELUQ/4089/.
-
[2]
Filion et Lima précisent : « Il importe de mentionner qu’une vision n’est généralement pas statique, mais un processus en évolution graduelle. C’est le fil conducteur autour duquel on organise sa pensée et ses apprentissages pour concevoir et gérer ses activités » (Filion & Lima, 2011, p. 8).
- [3]
-
[4]
Sarasvathy (2008) propose le phénomène d’« effectuation », basé sur trois catégories : 1) les connaissances de base de l’étudiant (qui il est comme entrepreneur, ses traits, ses habiletés); 2) les connaissances développées (provenant de l’éducation, de l’expertise, de l’expérience); 3) le réseau social et d’affaires (qui il connait).
-
[5]
Pour plus d’informations sur la structure de l’Université TÉLUQ, voir https://www.teluq.ca/site/universite/a_propos.php.
-
[6]
« Knowledge of cognition or metacognitive knowledge includes declarative knowledge about oneself as a learner, as well as procedural and conditional knowledge (that is, knowledge about how, when, and why to use cognitive strategies) also called meta-strategic knowledge » (Zohar & Peled, 2008, cités dans Nückles et al., 2009, p. 260).
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