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Depuis une dizaine d’années, la question des migrations environnementales et de leur gestion est apparue à l’agenda des organisations internationales comme des organisations non gouvernementales (ong). Très peu d’études ont cependant analysé les discours de ces organisations et leur influence. L’ouvrage collectif Organizational Perspectives on Environmental Migration, dirigé par Kerstin Rosenow-Williams et François Gemenne, a pour ambition de combler ce vide ; il rassemble pour ce faire des contributions de spécialistes aux confins de la politique environnementale, de l’étude des migrations et de l’étude des organisations, dans une approche résolument interdisciplinaire. Pour évaluer le rôle des organisations dans le discours sur les migrations environnementales, les codirecteurs ont rassemblé des contributions de sociologues, de politistes, d’anthropologues, de géographes, de juristes, mais également de praticiens de ces organisations.
L’introduction présente un précieux travail de définition, ainsi qu’un état des débats universitaires, politiques et juridiques sur les migrations environnementales. Les organisations ont mis un certain temps à prendre la pleine mesure des défis soulevés par de telles migrations. Alors que la question des migrations internationales a émergé dans les années 1970 et 1980 dans le débat universitaire, ce n’est pas avant le milieu des années 2000, quand les impacts du changement climatique sur les êtres humains ont été mieux démontrés, que les organisations ont commencé à prendre position sur le sujet.
Organizational Perspectives on Environmental Migration est structuré en cinq parties comprenant des contributions théoriques et générales ou des études de cas empiriques ciblées. Ces études, qui couvrent un vaste espace géographique allant du Zimbabwe à l’Union européenne en passant par le Bangladesh, permettent d’explorer une diversité de situations. La première partie porte sur le régime complexe des migrations environnementales, proposant notamment des approches théoriques des relations internationales pour brosser un tableau des acteurs en pleine évolution. La deuxième partie se concentre sur le rôle des tribunaux dans ce régime complexe d’acteurs. La troisième traite du rôle des organisations internationales dans le discours sur les migrations environnementales, avec des études de cas. La quatrième partie se compose de contributions plus courtes, rédigées par des praticiens d’organisations internationales ou non gouvernementales. La dernière partie se consacre à l’influence de la société civile sur les politiques des migrations.
Outre ce tour d’horizon inédit du sujet, l’un des intérêts majeurs de cet ouvrage est la prise en compte de l’influence des organisations sur les chercheurs et réciproquement, ce qui se traduit par la diversité des profils des auteurs. Cet ouvrage a pour but de montrer comment les perspectives organisationnelles ont eu un impact sur les débats universitaires, mais également publics. Le domaine des migrations environnementales constitue un exemple d’influence mutuelle entre chercheurs, activistes et praticiens qui interagissent régulièrement, participent aux mêmes conférences, siègent sur les mêmes comités et effectuent un travail commun. Les perspectives organisationnelles sur les migrations environnementales ne sont pas dessinées uniquement dans un contexte organisationnel mais également par des directions de recherche, un contexte politique et des perceptions médiatiques et publiques. Il est à noter que ces influences respectives au sein des communautés épistémiques peuvent cependant à terme représenter un risque pour l’intégrité du travail de recherche, souvent poussé à servir le politique.
Au sein de cet ouvrage collectif se confrontent différents points de vue sur la conceptualisation des migrations environnementales. Certains se concentrent sur les conséquences du changement climatique qui cause un accroissement du nombre de déplacés en raison de la montée du niveau des mers ou de sécheresses accrues. D’autres traitent de la question des dégradations environnementales qui peuvent être causées par l’être humain. D’autres encore s’intéressent au besoin de protection des personnes contraintes de migrer en raison de désastres naturels. Il en découle différents discours des organisations : d’une part, des considérations sécuritaires, au sujet de la possible augmentation des migrations dues au changement climatique, ont longtemps dominé les débats ; d’autre part, les organisations produisent également un discours de protection cherchant à savoir qui est responsable légalement de ceux qui cherchent refuge ; enfin, il se dessine un discours de développement qui plaide pour la migration comme stratégie d’adaptation et non comme option de dernier ressort.
Un nombre croissant d’études empiriques sont conduites, établissant clairement les impacts du changement climatique à l’échelle locale, et faisant apparaître les migrations comme l’une des stratégies d’adaptation au niveau mondial. Cependant, peu d’études ont analysé l’influence et la rhétorique des différents types d’organisations dans les débats sur les migrations environnementales. À cet égard, la nouveauté de cet ouvrage est de rassembler des contributions de chercheurs qui font écho aux articles rédigés par des praticiens des organisations. Les chapitres de cet ouvrage utilisent des cadres théoriques qui guident la recherche à venir mais nous aident également à comprendre le statu quo actuel dans le champ dynamique de la réflexion sur les migrations internationales.
Organizational Perspectives on Environmental Migration présente une cartographie à la fois théorique et empirique de la question grâce à une approche pluridisciplinaire, issue de spécialistes du monde entier qui tous proposent différentes perspectives de recherche. Il s’agit également d’une réflexion sur la méthodologie de la recherche en sciences sociales, puisque l’ouvrage propose un panorama méthodologique allant de l’analyse documentaire et des entretiens d’experts à l’observation participante. Enfin, le dialogue entre les contributions théoriques et celles qui apportent au lecteur des outils pratiques issus de l’expérience personnelle des acteurs ouvre une nouvelle perspective salutaire pour éviter l’écueil d’un ouvrage théorisant et « hors sol » pour un sujet d’actualité aussi brûlant.