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Il existe une vaste littérature sur les conditions historiques, géographiques, démographiques ou politiques qui peuvent expliquer la faiblesse des indicateurs de développement humain des pays du continent africain. La plupart des modèles de développement proposés, qu’il s’agisse des conditions préalables au décollage économique formulées par Rostow dans les années 1960 ou des nécessaires réformes structurelles promues par le Fonds monétaire international dans les années 1980, présentent d’importantes limites d’application en raison de la diversité des modèles et formes de coopération ou d’intégration qui coexistent ou se chevauchent. Dans le but de surmonter ces lacunes, Daniel Bach présente une évaluation en cinq volets des différentes dimensions du régionalisme africain.
L’auteur passe d’abord en revue la portée et les implications des différentes politiques d’amalgamation territoriale de la période coloniale. Il explique que ces politiques ont contribué à forger les paysages associés à la construction de régions. Bach montre comment les fédérations ou services interterritoriaux (c’est-à-dire Union douanière des États de l’Afrique occidentale, Communauté d’Afrique de l’Est) furent transformés en organisations intergouvernementales au moment des indépendances africaines, contribuant ainsi à une inflation de groupements régionaux. Dans certains cas, la nature hétérogène de certaines de ces entités mena à leur disparition en raison du manque de pertinence pour les communautés impliquées désireuses d’élaborer leur propre politique. Ailleurs, l’absence de meilleures solutions força le maintien des organisations coloniales dans un contexte d’ajustement, de négociation et de légitimation de l’intégration régionale. C’est notamment le cas de l’Union douanière d’Afrique australe et de la zone monétaire cfa.
Bach établit ensuite que les politiques de coopération économique ne permettent pas de distinguer les activités des regroupements économiques d’une simple promotion de coopération sectorielle. Il n’existe aucun processus réel d’intégration au niveau régional ou sous-régional en Afrique. Les États membres demeurent réticents à financer des agences qui n’améliorent pas significativement les conditions économiques de l’Afrique. De façon plus marquée, Bach précise comment le soutien des donateurs internationaux demeure un incitatif à la coordination des agendas nationaux au sein d’organisations régionales intergouvernementales conformément aux priorités des donateurs, mais sans trop d’égards aux différents impacts d’affiliations multiples. Il en résulte que la forme et les trajectoires des organisations intergouvernementales africaines servent davantage à consolider les régimes et à renforcer les souverainetés, à servir de cadres formels pour les relations interpersonnelles entre chefs d’État et de gouvernement ou à mener des activités de patronage.
Dans un chapitre particulièrement intéressant, Bach analyse comment les interactions transfrontalières servent de modèles de régionalisation. Après un exposé sur les différents enjeux liés à la partition de l’Afrique, il présente la variété des jeux transactionnels autour des frontières. S’appuyant sur le modèle de l’État-entrepôt et sur l’instrumentalisation des frontières, Bach démontre que les communautés frontalières africaines peuvent être remarquablement habiles à mener les relations avec des acteurs externes. Son analyse mène à comprendre que l’objectif de nombreux dirigeants africains n’est pas de poursuivre une politique frontalière active, mais bien de manipuler différents intérêts entre acteurs pour encaisser des dividendes liés au commerce d’importation, d’exportation et de réexportation sans s’engager à édifier des institutions régionales fortes. En encourageant les acteurs externes à s’aligner sur leur réseau politique d’intérêts privés, les dirigeants africains maximisent les ressources disponibles pour leur coalition, renforcent leur capacité de contrôler la distribution de ressources et accroissent leur autorité politique. Cette démarche suggère que c’est la notion de réseaux transnationaux qui donne naissance à des schémas spécifiques de régionalisation non institutionnalisés.
Bach examine ensuite l’influence du panafricanisme et du modèle européen sur le régionalisme africain. Se fondant sur de multiples études de cas, l’auteur met en lumière le fait que l’adoption et la mise en oeuvre des politiques publiques de développement par le moyen de l’intégration régionale dépendent des relations entre les institutions, les mécanismes et les processus de gouvernance. Dans le contexte de regroupements régionaux, plus ces relations sont étroites, meilleur sera le niveau d’intégration. Inversement, une faible adéquation entre les composantes de gouvernance est associée à un faible niveau d’intégration.
En terminant, l’auteur souligne l’importance d’introduire les processus d’intégration régionale à l’échelle globale. Il affirme qu’un appui institutionnel de cette dynamique doit être associé au décloisonnement du continent sur la base de corridors de transport transfrontaliers et de diffusion des technologies d’information et de communication. En effet, il est démontré que les investissements en transport sont concomitants au développement économique. Les mécanismes qui gouvernent les investissements dans les infrastructures sont influencés par le degré de participation d’une région aux échanges internationaux. Les trafics et les investissements internationaux rapprochent les marchés. Cet ensemble de nouvelles activités économiques transforme les règles qui gouvernent les mouvements transfrontaliers, introduit de nouveaux mécanismes de coordination financière entre les économies et accélère le développement de pratiques logistiques à l’international. Bach explique on ne peut mieux que le concept de corridors est lié à la perméabilité des frontières. L’argument de l’auteur est que les corridors de transport peuvent devenir des espaces intégrés et des milieux innovants étroitement associés à des processus d’intégration régionale.
Souscrivant à l’école constructiviste, Bach définit le régionalisme comme un phénomène social. Pour lui, la région, outre la préexistence de conditions géographiques et le maillage de flux de biens et de personnes, correspond à une construction sociale et cognitive enracinée au sein de pratiques corporatives et politiques. Une telle approche iconographique lui permet de mettre en lumière un ensemble d’interactions qui ne sont pas implicitement associées à des projets d’intégration régionale. L’auteur utilise d’ailleurs plusieurs exemples pour expliquer le régionalisme africain et il n’hésite pas à décrire les problèmes de construction régionale au moyen d’une analyse comparative avec des cas en Amérique, en Europe et en Asie.
Bach propose une perspective originale sur les multiples facettes du régionalisme africain. Plus précisément, son ouvrage met en évidence quatre fonctions que peuvent jouer les frontières dans la recherche d’intégration régionale en Afrique. D’abord, les frontières révèlent les effets des décisions passées dans l’organisation du territoire. Elles jouent ensuite un rôle comme technique de contrôle et d’aménagement de l’espace, puis elles permettent de gérer et maîtriser les flux de biens et de personnes. Enfin, et surtout, elles aident à définir les potentiels d’intégration régionale en tant que lieu de croisement d’une partie des interactions.