Corps de l’article
L’ouvrage dirigé par le capitaine de frégate David Woycheshin s’inscrit dans une série d’ouvrages publiés par l’Académie canadienne de la défense. Les responsables de cette collection souhaitent y consigner les particularités de l’expérience militaire canadienne. Dans cet esprit, l’ouvrage s’efforce avant tout d’informer les dirigeants militaires sur les enjeux sécuritaires contemporains.
Cet ouvrage collectif se consacre exclusivement à la mise en oeuvre de l’approche exhaustive (comprehensive approach) lors d’opérations de reconstruction post-conflit ou de gestion de crise, des années 1990 jusqu’à nos jours. Son objectif consiste à présenter les défis, les observations, les leçons retenues ainsi que les résultats obtenus par des praticiens ayant opéré dans des contextes divers. Bien qu’il soit limité dans son ampleur (à peine 155 pages), l’ouvrage réunit un nombre impressionnant de collaborateurs (15) ; il s’agit pour la plupart de militaires dont la carrière et les expériences sont similaires (cinq officiers ont d’ailleurs servi au sein du même régiment). Anne Lavender, anciennement à l’Agence canadienne de développement international (ACDI), et le commissaire adjoint Graham Muir, de la Gendarmerie royale du Canada (grc), apportent toutefois une contribution rafraîchissante de diversité.
Le plus grand intérêt de l’ouvrage réside dans les anecdotes personnelles racontées par les auteurs. Les expériences vécues par les narrateurs permettent ainsi au lecteur de se plonger dans le contexte de la Force de protection des Nations Unies (forpronu) en ex-Yougoslavie, de la Mission de vérification du Kosovo (mvk), de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (minuar), de la Force internationale d’assistance à la sécurité (fias) en Afghanistan, principalement durant la période 2010 et 2011 (six chapitres y sont consacrés), de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (minustah) (deux chapitres), de l’opération Podium (la sécurité des Jeux olympiques de Vancouver en 2010) ainsi que de l’opération Proteus (l’assistance militaire canadienne dans le cadre du processus de paix au Moyen-Orient). La forme et le contenu des quatorze chapitres de cet ouvrage varient grandement. Par exemple, le chapitre six, surdimensionné, compte 21 pages, alors que le dixième tient dans un maigre quatre pages et demie.
L’introduction, rédigée par Dave Woycheshin, se limite à décrire les différents chapitres de l’ouvrage en suggérant que l’action d’un chef éclairé, combinée avec le partage d’un lexique commun, permet aux organisations de fonctionner efficacement dans un contexte d’approche exhaustive. Outre la description de deux types d’environnements où l’on peut retrouver une approche exhaustive, l’introduction n’offre malheureusement pas de cadre conceptuel de cette notion. Pourtant, la littérature étayant cet objet d’étude qui a émergé voilà plus d’une dizaine d’années comporte de nombreuses recherches théoriques, comme celles de Kristian Fischer et Christensen Jan Top (2005), Ebbe Rosgaard (2008), Peter Viggo Jakobsen (2010), Philipp Rotmann (2010), Ovidiu L. Uifăleanu (2010), ainsi que celles des incontournables Cedric de Coning et Karsten Friis (2011). Les auteurs des différents chapitres abordent donc l’objet d’étude de manière éclatée selon leurs expériences individuelles et leurs perceptions.
Cette lacune, partiellement tempérée par l’emploi d’une définition tirée de la doctrine militaire évoquée, dans le premier chapitre, par l’auteur chevronné Bernd Horn, demeure tout de même le fil conducteur de l’ouvrage. À l’exception d’Anne Lavender (chapitre 7) et de Graham Muir (chapitre 9), les auteurs s’écartent de l’objet d’étude. La franchise de certains de leurs commentaires concernant leurs partenaires était souhaitée par l’éditeur. Cependant, dans le récit de leurs expériences, de nombreux auteurs rendent palpable leur frustration lorsqu’ils expriment explicitement un jugement péjoratif à propos de leurs coéquipiers d’autres organisations avec qui ils devaient traiter pour atteindre leurs objectifs. Ainsi, la majorité des « leçons retenues » compilées dans cet ouvrage s’appliquent à un contexte bien précis sans pouvoir être généralisées. Alors que certains auteurs recommandent l’intégration des actions, l’érection de structures plus formelles ou l’établissement d’un but commun entre les partenaires, ces observations témoignent des contradictions entre ce que les auteurs proposent et ce qui est généralement compris comme étant la définition de l’approche exhaustive, c’est-à-dire un processus visant à faciliter la cohérence du système entre les dimensions de la sécurité, de la gouvernance, du développement et de la politique lors d’opérations internationales de paix et de stabilité contemporaines.
Cependant, Michel Maisonneuve (chapitre 2) et Brent Beardsley (chapitre 3) identifient l’élément qui semble échapper à la majorité des collaborateurs de cet ouvrage, la confiance mutuelle. Pour eux, afin d’établir une approche exhaustive fonctionnelle, la confiance entre les différents partenaires doit se développer et ainsi favoriser une action cohérente parfois concertée et de temps à autre complémentaire, mais pas nécessairement amalgamée.
Pour conclure, l’ouvrage rejoint l’auditoire ciblé, mais ne parvient que partiellement à atteindre son objectif d’informer les militaires à propos des enjeux sécuritaires contemporains, car il n’arrive pas à bien saisir l’essence de l’approche exhaustive et à la transmettre de façon intelligible. Bien qu’il s’agisse d’un recueil rédigé pour et par des praticiens, un recul par rapport aux questions pragmatiques aurait favorisé une meilleure appréhension de l’approche exhaustive. Le lecteur souhaitant mieux la comprendre devra se tourner vers d’autres ouvrages.