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Depuis les années 1980, la croissance fulgurante de l’économie chinoise n’a cessé d’impressionner la communauté internationale. C’est notamment le cas du livre Mixed Fortunes où Vladimir Popov s’inspire du modèle chinois actuel pour proposer de nouvelles approches du développement. Grâce à une lecture critique de l’histoire mondiale, l’auteur met en comparaison le parcours de la Chine et de la Russie face aux nations industrialisées. En tirant des leçons du passé, il remet en question les paradigmes dominants dans le champ du développement chez les décideurs politiques. Au sein du champ des Relations internationales, cette brillante analyse offre un point de vue alternatif sur les facteurs menant à la croissance économique, mais surtout de prometteuses recommandations qui s’adressent autant aux pays en voie de développement qu’à ceux industrialisés.
Pour commencer, l’auteur retrace brièvement l’histoire de l’accumulation des richesses en Occident depuis 1500. À cette époque, la région avait un pib similaire au reste du monde et celui-ci s’est accru plus tard selon deux causes possibles : par la suprématie de la civilisation occidentale au sommet de l’échelle de l’évolution humaine ou par une pure coïncidence d’éléments géographiques et historiques. En revanche, Popov croit que ces théories ne peuvent expliquer pourquoi la Chine et la Russie, à partir d’une économie planifiée, ont pu s’élever au rang de puissances mondiales. Pour l’auteur, il existe deux autres façons de sortir du piège malthusien de la stagnation, selon lequel la croissance est confinée à un niveau de subsistance. D’une part, les nations colonisées dès le 19e siècle, comme la Russie, l’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne, ont suivi le modèle occidental en détruisant leurs institutions collectives, ce qui a fait augmenter les disparités économiques et les tensions sociales. D’autre part, les autres pays comme ceux de l’Asie du Sud-Est, du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord, ont préservé leurs institutions collectives à un certain degré, en maintenant les égalités économiques et l’ordre social parmi leurs citoyens.
Par la suite, Popov nous explique la spécificité du système d’économie planifiée sous les régimes communistes chinois (1949-1978) et russes (1917-1991) : leur capacité à mobiliser l’épargne nationale, puis de la transformer en investissements sans produire d’inégalités. Pour lui, la Chine est l’un des pays les plus prospères à avoir rattrapé les pays industrialisés, malgré le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle. Lors de la transition vers l’économie de marché, la Chine a bénéficié des valeurs asiatiques communautaires et de la courte période de la mise en place du régime maoïste. Cependant, l’auteur souligne que, sans les accomplissements de Mao, les réformes économiques n’auraient pas obtenu autant de succès. En effet, une politique spontanée de libéralisation du marché, sans capitaux humains et de fortes institutions présentes en Chine, n’aurait pas été productive. De son côté, l’urss a connu une croissance assez spectaculaire jusqu’en 1960 et a perdu de la vitesse en raison de son incapacité à remplacer le capital fixe. Durant son passage vers une économie libérale, la faiblesse du gouvernement russe a mené à des déséquilibres économiques et à l’effondrement des institutions partout en urss. Ainsi, Popov rappelle que la capacité institutionnelle d’un État, c’est-à-dire l’habileté d’un gouvernement à renforcer les lois et les régulations, représente l’une des clés pour comprendre la croissance économique d’un pays.
De plus, un autre facteur est important à prendre en compte : la Russie était déjà occidentalisée avant 1917. C’est donc pourquoi les institutions collectives nouvellement introduites après la révolution semblaient peu familières au peuple. En revanche, la Chine a interrompu son processus d’occidentalisation à temps, pour retourner aux valeurs asiatiques communautaires. Ces dernières ont d’ailleurs fait leurs preuves si l’on constate la croissance phénoménale des dragons asiatiques. Si la Chine continue sur cette lancée, elle montrera l’évidence des avantages d’une continuité institutionnelle, au détriment des politiques néolibérales. Selon lui, les programmes d’ajustements du consensus de Washington ne sont pas concluants. Les pays en voie de développement ne devraient pas suivre ces politiques universalistes, mais plutôt se référer aux grandes lignes directrices du manifeste du nouveau développementalisme élaboré à São Paulo en 2010 : le rôle stratégique de l’État dans le maintien de la stabilité des institutions, la mobilisation de fonds domestiques et des réformes graduelles pour intégrer le marché mondial.
En somme, cet ouvrage est particulièrement pertinent pour comprendre le rôle de la Russie, mais plus précisément celui de la Chine sur l’échiquier international en tant que deuxième puissance économique. Bien documenté et argumenté dès le début, le cadre théorique annonce déjà le signe d’un nouvel ordre mondial chinois, soit une mondialisation en faveur des « pauvres ». À l’aide d’enquêtes quantitatives et de documents historiques, l’auteur illustre bien ses propos et en arrive même à convaincre le lecteur que la venue de la Chine pourrait créer une véritable révolution des relations internationales et une démocratisation du développement économique. En ce qui a trait au futur de la Russie, Popov adopte un ton plutôt moralisateur à l’égard de son propre pays, ce qui fait perdre de la crédibilité à son argumentaire. Il estime notamment que, malgré une hausse positive des indicateurs sociaux, la Russie doit se défaire de la corruption et de l’oligarchisme. À la toute fin, Popov adopte un ton plus engagé lorsqu’il affirme que les pays occidentalisés rendent le Sud dépendant de l’assistance humanitaire. Bref, le livre s’adresse à tous les lecteurs soucieux de comprendre les causes et les implications d’une nouvelle influence chinoise sur la scène internationale.