Corps de l’article
Adopté le 2 avril 2013 par l’Assemblée générale des Nations Unies, le Traité sur le commerce des armes (tca) fait l’objet de plusieurs recherches juridiques. S’il existe plusieurs écrits sur ce premier instrument juridiquement contraignant et universel dédié à la réglementation des transferts internationaux d’armes classiques, l’étude de Loïc Simonet s’en distingue par son contenu riche et l’originalité de son approche. En effet, au-delà d’une simple description du Traité, le chargé des relations extérieures à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe présente une analyse critique et approfondie de ses dispositions, tout en examinant de manière prospective ses chances de succès.
D’emblée, l’auteur retrace la genèse du tca qui intervient dans un contexte marqué par une hausse considérable des transferts d’armes classiques et une accumulation déstabilisante de celles-ci. Il mentionne ensuite les précédentes tentatives de réglementation du commerce des armes. Puis, s’appuyant sur les travaux préparatoires menés sous les auspices des Nations Unies à l’initiative des organisations de la société civile (ocs) et d’un groupe d’États, il met en lumière le caractère long et laborieux des négociations ayant mené à l’adoption du tca. Le principal point d’achoppement concernait notamment la nature des règles à inscrire dans le tca. Si les États importateurs du Sud penchaient pour l’adoption de règles rigoureuses et exhaustives afin de limiter considérablement les flux d’armes colossaux – creusets des graves violations des droits humains –, les États exportateurs occidentaux, quant à eux, militaient en faveur de règles souples et générales, ne posant aucun obstacle au commerce licite d’armes. Il était donc nécessaire de trouver un juste équilibre entre les impératifs humanitaires et les intérêts économiques. Mais les premiers semblent avoir prévalu sur les seconds, ce qui, pour l’auteur, ne sera pas sans incidence sur l’efficacité du Traité.
En effet, pour Simonet, le tca, tel que finalement adopté, présente de nombreuses failles susceptibles de compromettre la réalisation de son objectif. Au moyen de l’herméneutique et en se référant constamment à des règles préexistantes à vocation similaire, il démontre que les dispositions du tca sont, pour la plupart, rédigées en termes imprécis et ambigus. Il en est ainsi des dispositions centrales du texte, notamment les articles 6 et 7 qui énoncent les précautions que doivent prendre les États avant d’entreprendre tout transfert d’armes. Au demeurant, certaines expressions contenues dans le libellé de certaines règles suggèrent que ces dernières sont dépourvues de force juridique et qu’elles laissent de ce fait une marge de manoeuvre trop importante aux États. C’est le cas du dispositif relatif au détournement des armes (article 11). Si l’emploi de formulations générales et abstraites lors des négociations était nécessaire pour parvenir à un compromis entre les forces en présence, cela risque toutefois de donner lieu à des interprétations divergentes et subjectives, et, partant, d’entraver la mise en oeuvre harmonieuse du Traité.
L’auteur déplore également le fait que ce texte garde le silence sur certaines questions dont la prise en compte contribuerait à renforcer sa crédibilité. Il s’agit notamment de la question des transferts de technologie militaire et de l’évolution technologique des huit catégories d’armes qu’il couvre, celle des armements modernes, ainsi que l’épineuse question du transfert d’armes aux groupes armés non étatiques. À cette lacune s’ajoute la réglementation partielle des munitions et des pièces détachées qui, en raison des multiples conséquences néfastes qu’entraîne leur dissémination incontrôlée, auraient dû faire l’objet d’un contrôle plus général par le Traité. Enfin, l’auteur reproche au texte l’absence d’un mécanisme de suivi de la mise en oeuvre autorisant des investigations efficaces en cas d’allégations de violation du Traité, ainsi que des sanctions pour les contrevenants.
Toutefois, et en dépit de ses faiblesses, le tca, nous rappelle l’auteur, renforce la responsabilisation des États en matière de transfert d’armes et constitue de ce fait une contribution déterminante à l’architecture sécuritaire du 21e siècle. Une interprétation de bonne foi de cet instrument, à la lumière des principes de droit international qui constituent son socle philosophique, favorisera une application objective des règles qu’il institue et permettra tant bien que mal de juguler les transactions illicites et irresponsables d’armes classiques. Il faudra par ailleurs compter sur l’activisme des ocs qui joueront un rôle primordial en matière de surveillance de la mise en oeuvre du Traité. En outre, il est permis d’espérer que le Traité fera, au fil du temps, l’objet d’un renforcement et d’une mise à jour par le biais de la procédure de l’amendement. Ceci dit, pour que le Traité exerce son influence tant espérée sur le commerce des armes, il est impératif que tous les États y adhèrent, et notamment ceux qui occupent une place importante sur le marché mondial du commerce des armes et qui, pour l’instant, renâclent à se soumettre à de telles dispositions.
En somme, l’ouvrage de Loïc Simonet, Le Traité sur le commerce des armes, est une oeuvre originale et réussie. L’analyse thématique à laquelle se livre l’auteur permet, ainsi qu’il le relève lui-même, de pallier le caractère quelque peu « décousu » du tca (p. 13) et d’aboutir à une analyse structurée et détaillée de ce texte. Plus encore, l’ouverture de l’analyse à des disciplines connexes telles que les Relations internationales enrichit grandement la discussion et permet au lecteur de mieux cerner les défis et les enjeux actuels liés au contrôle des transferts d’armes. Fort bien documenté et rédigé dans un langage accessible, l’ouvrage intéressera les praticiens et chercheurs en droit international et en Relations internationales ayant un intérêt pour les problématiques liées au commerce des armes, puisqu’il met l’accent sur les normes internationales régissant cette activité. On peut cependant regretter que des développements plus conséquents n’aient pas été consacrés à la coopération et à l’assistance internationales qui, comme le relève pourtant à juste titre l’auteur, joueront un rôle déterminant dans la mise en oeuvre du Traité.