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Dans son ouvrage de philosophie politique, Étienne Balibar s’intéresse à la relation entre la violence et le politique dans la société contemporaine. Selon lui, un manque de connaissance ainsi qu’un désir malsain d’éradiquer toute forme de violence engendreraient une augmentation de la violence. Cet ouvrage remet en question notre relation avec le phénomène de la violence. En effet, il nous amène à nous interroger sur l’utilité de celle-ci et sur ses causes ainsi que sur des stratégies pour la réduire. Il est facile de transposer les thématiques de l’ouvrage dans l’environnement international pour expliquer plusieurs phénomènes de violence.
Balibar commence par décrire le processus de conversion de la violence tel qu’il est vu par différents philosophes. Il discute d’abord des théories de Hobbes qui estime que les humains, à l’état de nature, sont tous égaux devant la mort. Selon Balibar, de nos jours, les humains ne sont plus égaux devant la mort en raison d’inégalités sociales causées par la violence. La violence est donc non seulement physique, mais aussi sociale, économique, politique, etc. Cette dissimulation de la violence servirait à la faire accepter par les sociétés contemporaines. Ensuite, Balibar étudie le discours de Hegel. Selon le philosophe allemand, l’État convertit la violence en force productive afin d’atteindre ses objectifs. Cependant, il peut arriver que la violence ne soit pas utilisée par l’État. Dans ce cas, nous avons souvent affaire à un proto-État qui réussira ou non à émerger grâce à cette violence. Le progrès accompli par l’humanité passe donc nécessairement par la violence. Hegel admet qu’il existe des phénomènes de violence inconvertible qui sont, selon lui, des rechutes. Néanmoins, à long terme, il croit que la violence sert à faire progresser l’histoire. Balibar est également d’avis que la violence comporte des aspects utiles pour les sociétés. Cependant, il expose deux phénomènes où l’extrême violence est inconvertible par l’État. Il discute d’abord de la violence ultra objective, qu’il définit comme traitant les masses humaines en surplus et sans utilité au fonctionnement de la société. Ensuite, il explore le concept de violence ultra subjective. Cette violence qui vise plutôt des groupes précis fait ressortir un besoin de les éliminer.
Balibar expose ensuite le phénomène d’extrême violence vu par différents philosophes au fil du temps. Il aborde les idées de Hegel, dont celle stipulant que toute violence ayant un but non politique est inconvertible. Puis l’auteur explique son hypothèse sur la dualité de la cruauté, selon laquelle toute violence extrême est à la fois ultra objective et ultra subjective. Il discute des causes de ces violences, de leurs procédés ainsi que des effets qu’elles ont sur les victimes et leurs utilisateurs. L’auteur s’intéresse ensuite à l’hypothèse colonialiste de l’extrême violence voulant que les pays colonisateurs délocalisent la violence dans les pays colonisés. Ces liens de subordinations seraient maintenus grâce à des stratégies économiques et politiques. Balibar rattache cette théorie aux idées de Marx selon qui la violence extrême provient du système capitaliste ; la cause de la cruauté serait donc, pour Marx, structurelle.
Par la suite, l’auteur discute et critique les stratégies de civilité proposées par Hegel, Marx, Deleuze et Guattari. Pour Hegel, la réduction de la violence passe par le sentiment d’appartenance à la nation. L’État doit donc utiliser la violence afin d’établir une relation stable avec les citoyens. Pour Marx, la civilité passe par l’émancipation des masses. Les masses doivent donc s’unir, se révolter et créer une nouvelle société où la violence sera moins présente. De leur côté, Deleuze et Guattari estiment que la civilité naît d’une entente entre tous les groupes minoritaires de la société. Ces groupes doivent négocier et trouver un compromis pour le bien commun.
L’auteur explore les limites de l’anthropologie politique. Selon lui, il existe une relation entre le politique et la violence, le premier devant restreindre la seconde. Le politique n’arrive cependant pas à restreindre efficacement l’extrême violence, qui surgit à travers les sociétés et les époques. Une autre limite est le besoin constant de rattacher la violence au mal et de vouloir la déconstruire, ce qui entraîne une faiblesse dans nos réflexions sur la violence. La dernière limite est la relation entre le politique et la violence qu’il engendre, car pour réduire celle-ci le politique a souvent recours à une autre forme de violence.
La force de cet ouvrage est non seulement qu’il expose les idées d’Étienne Balibar, mais aussi qu’il étudie le phénomène de violence vu par d’autres philosophes, dont Hobbes, Spinoza, Marx et Hegel. Un ensemble de théories sont présentées et débattues par l’auteur, qui en expose ainsi l’historique tout en apportant un point de vue plus moderne. Balibar discute de l’évolution de ces théories à travers le temps pour appliquer ce qui convient à l’époque contemporaine. Sans couvrir la totalité de la littérature, l’ouvrage aborde les oeuvres les plus pertinentes, ce qui en fait un excellent livre pour l’étude de la relation entre violence et politique. Notons que l’auteur ne cherche pas à expliquer par des exemples concrets, mais pose plutôt le cadre théorique pour le faire. Il ne s’appuie ainsi que très rarement sur des cas pratiques. Les idées exposées peuvent expliquer plusieurs phénomènes violents contemporains, dont la radicalisation ou l’extrémisme. Elles permettraient donc une analyse différente de leurs causes structurelles et de leurs objectifs politiques.